Gatineau, 13 janvier 2012 À l’attention du Comité exécutif Société du Musée canadien des civilisations 100 rue Laurier, Gatineau Québec, Qc K1A 0M8 Nous, conservateurs et professionnels de l’archéologie, membres du personnel de la Société du Musée canadien des civilisations, tenons par la présente à exprimer nos inquiétudes et réticences à l’égard du projet de la Société du Musée canadien des civilisations (SMCC) d’acquérir la collection de M. Philippe Beaudry. Par éthique professionnelle, il est de notre devoir de nous exprimer sur la question et d’émettre notre avis car telle est notre rôle au sein de cette institution nationale. Considérant qu’en 1972, l’Assemblée nationale du Québec a adopté la Loi sur les biens culturels, laquelle stipule que toutes les épaves de plus de 50 ans constituent des biens archéologiques ; que l’épave de l’Empress of Ireland (coulée en 1914) fait partie de cette catégorie et est soumise au Règlement sur la recherche archéologique, qui constitue en partie le cadre légal au Québec en matière de protection du patrimoine archéologique. Considérant qu’il s’agit d’une collection archéologique et que le site du naufrage de l’Empress of Ireland a été déclaré successivement « Bien historique classé » par la province de Québec en 1999, puis « Lieu historique national du Canada » en 2009. Considérant qu’au-delà du fait que la collection de M. Philippe Beaudry a été dûment déclarée au Receveur général des épaves et qu’en vertu de la Loi sur la marine marchande il est le propriétaire légal de sa collection, celle-ci a été récoltée sur un site archéologique sans que M. Beaudry ne dispose des permis nécessaires pour en retirer les objets, ce qui constitue une entrave à la Loi sur les biens culturels et au règlement sur la recherche archéologique du Québec. Considérant que La politique de développement de la collection nationale de la SMCC prévoit à l’article 5.1 que la SMCC « n’achète pas d’objets découverts au cours de fouilles archéologiques, ne fournit pas de reçus d’impôt ou n’effectue aucun transfert de valeur monétaire pour ce type d’objet ». Considérant que La politique de développement de la collection nationale de la SMCC prévoit à l’article 9.2 que la SMCC « adhère au code d’éthique professionnel (2004) du Conseil international des musées (ICOM) », lequel stipule : Attn : Mark O’Neill Cc : Moira McCaffrey David Morrison - - - - - « Un musée ne doit pas acquérir des objets s’il y a lieu de penser que leur récupération s’est faite au prix de la destruction ou de la détérioration prohibée, non scientifique ou intentionnelle de monuments, sites archéologiques ou géologiques, d’espèces ou d’habitats » (article 2.4). « L’acquisition d’objet ou de spécimens en dehors de la politique déclarée par le musée ne doit se produire qu’à titre exceptionnel. L’autorité de tutelle prendra en considération les avis professionnels qui peuvent lui être donnés, ainsi que les points de vue de toutes les parties intéressées. Ces considérations doivent inclure l’importance de l’objet ou du spécimen dans le patrimoine culturel ou naturel, ainsi que les intérêts spécifiques des autres musées collectionnant ce type de pièce » (article 2.9). « les membres de la profession muséale sont tenus de respecter les normes et les lois établies, ainsi que de maintenir l’honneur et la dignité de leur profession. Ils doivent protéger le public contre toute conduite illégale ou contraire à la déontologie » (article 8). « Les membres de la profession muséale ont l’obligation de suivre les procédures et politiques de leurs institutions. Toutefois il leur est possible de s’opposer à des pratiques qui leur paraissent nuire à un musée, à la profession ou contraire à la déontologie professionnelle » (article 8.1). « Les membres de la profession muséale ne doivent jamais contribuer, directement ou indirectement, au trafic ou au commerce illicite de biens naturels ou culturels » (article 8.5). « Si un musée ne possède pas les compétences nécessaires pour assurer une prise de décision efficace, le personnel a l’obligation professionnelle de consulter des collègues, au sein ou en dehors de l’institution » (article 8.11). Considérant que les Principes déontologiques de l’Association des musées canadiens prévoient à l’article C.2 que « les musées doivent notamment se garder de participer directement ou indirectement au trafic illicite de biens naturels ou culturels. Ce trafic concerne entre autres les objets naturels ou culturels suivants : - … … Les biens illégalement mis au jour, ayant fait l’objet de fouilles non scientifiques ou recueillis sur le terrain. Les musées soucieux d’intégrité s’abstiendront d’acquérir par quelque moyen que ce soit ce type de biens et refuseront de les évaluer ou de les accepter à titre de prêt, à moins que cette demande n’émane spécifiquement de l’autorité gouvernementale responsable de la sécurité de l’objet ». Considérant que les Principes déontologiques de l’Association des musées canadiens prévoient à l’article E.2 que « les musées doivent s’assurer d’obtenir les titres écrits de propriété des biens qu’ils comptent acquérir ainsi que des pièces justificatives complètes et acceptables sur le plan Attn : Mark O’Neill Cc : Moira McCaffrey David Morrison éthique certifiant leur origine, provenance et authenticité ». Que « les musée devraient éviter d’acquérir le matériel suivant : - Les biens acquis à des fins commerciales … » Considérant que la Convention sur la protection du patrimoine subaquatique de l’UNESCO stipule que « l’exploitation commerciale de patrimoine culturel subaquatique à des fins de transaction ou de spéculation ou sa dispersion irrémédiable est foncièrement incompatible avec la protection et la bonne gestion de ce patrimoine. Les éléments du patrimoine culturel subaquatique ne peuvent faire l’objet de transaction ni d’opérations de vente, d’achat ou de troc an tant qu’articles de nature commerciale ». Considérant que la collection de M. Philippe Beaudry comprend des ossements humains. Considérant que l’acquisition de cette collection pas la SMCC créera un précédent au Canada. Considérant que l’acquisition d’objets prélevés sur un site archéologique sans détenir de permis de fouilles constitue une entrave à la Loi sur les Biens culturels du Québec et au Reglement sur la recherche archéologique du Québec. Considérant que la décision de la SMCC de payer et/ou d’émettre des reçus d’impôt pour l’acquisition d’une collection archéologique va à l’encontre de sa propre politique d’acquisition. Considérant que d’accorder une valeur monétaire à des objets archéologiques prélevés sur un site archéologique de manière illégale pourrait encourager dans l’avenir le pillage de sites archéologiques à des fins commerciales et que ceci risque de compromettre les initiatives fédérales de protection des épaves à valeur patrimoniales (Loi sur la marine marchande du Canada 2001). Considérant que le patrimoine archéologique est une ressource non-renouvelable et que le pillage d’un site archéologique entraîne sa destruction et constitue une perte à tout jamais pour l’ensemble de la collectivité. Considérant que l’archéologie est une science et que ses professionnels respectent un code d’éthique strict qui comprend une méthodologie de travail qui va bien au-delà de la simple collecte d’artefacts. Considérant que dans le passé, Parcs Canada a émis un avis recommandant de ne pas acheter la collection en raison du précédent que cette transaction risquait de créer. Considérant que le 27 janvier 2010, une réunion à laquelle ont participé Marc-André Bernier, chef du Service d’archéologie subaquatique de Parcs Canada, Charles Dagneau, archéologue subaquatique auprès du même service, Daniel Laroche, archéologue à la Direction des lieux historiques nationaux, David Morrison et Yves Monette (SMCC) afin de connaître leur avis quant à l’acquisition potentielle de la collection de M. Beaudry et que les recommandations qui en découlent indiquent que Parcs Canada réitère son désaccord et désapprouve l’acquisition de la collection. Attn : Mark O’Neill Cc : Moira McCaffrey David Morrison Pour toutes ces considérations, nous, conservateurs et professionnels de l’archéologie, membre du personnel de la SMCC, sommes d’un commun avis que les dérogations au code d’éthique de la profession sont trop importantes et que l’achat d’une collection archéologique constitue une précédent qui risque non seulement d’inciter le pillage des sites archéologiques, mais aussi de créer un marché pour du matériel archéologique acquis de manière illicite. En accord avec l’esprit de l’article 8.1 du code d’éthique professionnel (2004) du Conseil international des musées (ICOM) auquel la SMCC adhère à travers sa politique de développement de la collection nationale, lequel stipule que « Les membres de la profession muséale ont l’obligation de suivre les procédures et politiques de leurs institutions. Toutefois il leur est possible de s’opposer à des pratiques qui leur paraissent nuire à un musée, à la profession ou contraire à la déontologie professionnelle », nous, conservateurs et professionnels de l’archéologie, membre du personnel de la SMCC avons convenu de parler d’une seule voix. Parce que cette acquisition va à l’encontre de la politique d’acquisition de la SMCC, parce qu’elle enfreint les codes de déontologie de l’Association des musées canadiens (AMC), du Conseil international des musées (ICOM), de la Convention sur la protection du patrimoine subaquatique de l’UNESCO, de code d’éthique de l’Association canadienne d’archéologie (ACA), de l’Association des archéologues du Québec (AAQ), de l’Archaeological Institute of America (AIA), de la Society for Historical Archaeology (SHA), de l’American Anthropological Association (AAA), etc., nous sommes d’avis que la SMCC doit retirer son offre d’achat et reconsidérer l’acquisition de cette collection et de toutes autres qui auraient été rassemblées dans des conditions et circonstances similaires. Par ordre alphabétique, Attn : Mark O’Neill Cc : Moira McCaffrey David Morrison