Conjoncture française Que nous disent les entreprises sur les barrières à l’embauche ? Depuis de nombreuses années, l’Insee interroge les entreprises sur les évolutions passées et futures de leur effectif, l’existence de difficultés de recrutement et de contraintes de production dues à un personnel insuffisant. Depuis janvier 2017, ces informations sont complétées grâce à de nouvelles questions permettant de révéler la présence de barrières à l’embauche ressenties par les entreprises et de préciser leur type. Il s’avère que la moitié des entreprises sont confrontées à des barrières au moment d’embaucher des travailleurs en CDI ou CDD de longue durée, un tiers n’en rencontrent pas et les autres ne se sentent pas concernées, probablement parce qu’elles n’ont pas récemment recruté de nouveaux employés. Les embauches sont freinées par l’incertitude sur la situation économique (barrière citée par 28 % des entreprises), la difficulté à trouver de la main-d’œuvre compétente (27 % des entreprises), un coût de l’emploi jugé trop élevé (23 % des entreprises) et par la règlementation du marché de l’emploi (18 % des entreprises). Depuis janvier 2017, de nouvelles questions ont été ajoutées aux enquêtes de conjoncture pour évaluer les barrières à l’embauche ressenties par les entreprises. Ces questions complètent celles existant depuis de nombreuses années sur les effectifs, notamment sur l’évolution passée et à venir des effectifs, les difficultés de recrutement éprouvées ou les contraintes de production liées à un nombre insuffisant d’employés. Des difficultés de recrutement en hausse depuis début 2016 Depuis le début de l’année 2016, la solide reprise de l’emploi dans les secteurs marchands non agricoles s’est accompagnée d’une légère augmentation des difficultés rencontrées par les entreprises pour recruter du personnel (graphique.1). En avril 2017, 31 % des entreprises de l’industrie, des services et de l’industrie du bâtiment déclarent rencontrer des difficultés de recrutement, contre 26 % début 2016. Ce sont principalement les entreprises des services qui ont contribué à la hausse : 27 % d’entre elles signalent rencontrer des difficultés de recrutement en avril 2017, contre 21 % début 2016. Le niveau des difficultés de recrutement reste cependant en deçà de leur moyenne d’avant 2008 (34 %). Les difficultés de recrutement se sont également intensifiées dans les entreprises de l’industrie du bâtiment (51 % en avril 2017 contre 41 % début 2016) mais restent là aussi inférieures à leur moyenne d’avant 2008 (64 %). Dans l’industrie, cette proportion a quasiment retrouvé sa moyenne d’avant 2008 (30.%). L’augmentation des difficultés de recrutement implique qu’une part croissante des entreprises n’arrive pas à développer son activité autant qu’elle le souhaiterait. Ainsi la proportion des entreprises qui ont eu une activité limitée par un nombre insuffisant d’employés a augmenté depuis 2016, en même temps que la proportion des entreprises qui ont éprouvé des difficultés de recrutement (graphique 2) : début 2017, elle a dépassé à nouveau 10 %, à son niveau le plus haut depuis octobre 2008. L’augmentation est nette dans les services où cette proportion est à son plus haut depuis fin 2008. Dans le bâtiment, la proportion d’entreprises affectées par ces difficultés s’est élevée mais reste nettement inférieure à son niveau d’avant crise. Dans l’industrie, cette proportion oscille depuis 2011 légèrement au-dessous de la moyenne mesurée avant 2008. De nouvelles questions dans les enquêtes de conjoncture sur les barrières à l’embauche Une hausse des difficultés de recrutement est attendue en phase d’accélération de l’activité et de l’emploi, les entreprises ayant besoin d’embaucher davantage qu’auparavant. Toutefois, l’intensité du lien entre croissance de l’emploi et difficultés de recrutement peut varier d’une phase de reprise à l’autre, notamment en fonction de la nature des barrières que ressentent les chefs d’entreprise dans leur processus 1 – Part des entreprises éprouvant des difficultés de recrutement Note : comme toute variable d’enquête de conjoncture portant sur l’emploi, les résultats sont pondérés par les effectifs des entreprises enquêtées ; par exemple, en avril 2017, les entreprises industrielles qui signalent des difficultés de recrutement emploient 30 % des salariés du secteur. Source : Insee, enquêtes de conjoncture 74 Note de conjoncture Conjoncture française Près de la moitié des entreprises signalent des freins à l’embauche d’embauche. La décision de recruter de nouveaux employés dépend ainsi de l’adéquation entre l’offre d’emploi et les compétences recherchées par l’entreprise, du niveau du coût du travail ou des contraintes liées à la réglementation du travail. Pour mesurer l’importance de ces différents paramètres, l’Insee a introduit de nouvelles questions dans les enquêtes de conjoncture (tableau 1). Depuis janvier 2017, environ dix mille entreprises du secteur des services, de l’industrie et du bâtiment renseignent chaque trimestre sur l’existence et la nature des principales barrières qui, selon elles, les empêchent d’embaucher davantage de travailleurs en CDI ou en CDD de longue durée. Le champ de l’enquête représente environ 70 % de l’emploi salarié marchand non agricole hors commerce et autres activités de services. Près de la moitié (47 %) des entreprises de l’industrie, des services et du bâtiment signalent rencontrer des barrières qui les empêchent d’embaucher davantage de travailleurs en CDI ou en CDD de longue durée (tableau 2). Les trois quarts des entreprises du bâtiment signalent l’existence de barrières à l’embauche en CDI ou CDD de longue durée (73 %) ; c’est nettement moins souvent le cas dans l’industrie (52 %) et les services (43 %). Dans l’ensemble des secteurs, un tiers (33 %) des entreprises déclarent ne pas rencontrer de barrières. Elles n’en sont pas moins concernées par un processus d’embauche, elles sont même plus nombreuses qu’en 2 - Part des entreprises dont l’activité a été limitée par l’insuffisance de personnel Note : pour chaque secteur les résultats sont pondérés par le chiffre d’affaires des entreprises enquêtées, la série sur l’ensemble des secteurs est obtenue en faisant une moyenne pondérée des trois séries sectorielles par les effectifs. Source : Insee, enquêtes de conjoncture Tableau 1 - Nouvelles questions posées dans les enquêtes de conjoncture Existe-t-il des barrières qui vous empêchent actuellement d’embaucher davantage de travailleurs en CDI ou en CDD de longue durée ? OUI o NON o Sans objet o Si OUI, quelles sont ces principales barrières ? o - incertitude sur la situation économique o - indisponibilité de main-d’œuvre compétente o - coûts de recrutement o - cotisations sociales trop élevées - niveau des salaires trop élevé o - coûts financiers directs de licenciement o - risques juridiques associés à la procédure de licenciement o - incertitudes sur la pérennité de la législation du travail o - autres o Tableau 2 - Existence de barrières à l’embauche en CDI ou CDD de longue durée en % Industrie Services Industrie du bâtiment Ensemble des secteurs OUI NON Sans objet 52 28 20 43 36 21 73 20 6 47 33 20 Note : les résultats sont pondérés par les effectifs des entreprises enquêtées Source : Insee, enquêtes de conjoncture d’avril 2017 Juin 2017 75 Conjoncture française nouveau car les incertitudes sur la situation économique jouent un rôle significativement plus important pour ce secteur. En revanche les réponses apportées par les entreprises de l’industrie et des services sont relativement homogènes. La barrière liée au coût du travail la plus citée est celle du niveau des cotisations sociales (18 %) alors que le niveau élevé des salaires est moins souvent évoqué (7 %). Les barrières à l’embauche liées à la législation encadrant le marché du travail semblent jouer des rôles d’importance comparable, les risques juridiques liés à un licenciement (14 %) étant légèrement plus souvent cités que leur coût (10 %). moyenne à déclarer leurs effectifs en hausse (graphique 3). Enfin un cinquième des entreprises ne se sentent pas concernées (« sans objet ») probablement parce qu’elles n’envisagent pas d’embaucher des CDI ou CDD de longue durée à court terme ; de fait, elles annoncent plus souvent des effectifs stables ou en baisse que les autres entreprises et le solde d’opinion correspondant a baissé au cours de l’année écoulée. Sous cette hypothèse, parmi les entreprises susceptibles d’embaucher à court terme, 59 % signalent des barrières à l’embauche de CDI ou de CDD de longue durée. L’incertitude sur la situation économique et l’indisponibilité de ma i n - d ’ œ u v r e compétente : deux barrières à l’embauche davantage mises en avant Des situations contrastées vis-à-vis des barrières à l’embauche Les entreprises limitées dans leur embauche citent en moyenne 2,8 barrières différentes. Certaines barrières semblent particulièrement liées, dans la mesure où les entreprises ont tendance à les citer de façon groupée. En particulier, les trois réponses sur le niveau de réglementation (incertitudes sur la pérennité de la législation du travail, coûts de licenciement et risques juridiques associés aux licenciements) sont très souvent similaires : deux tiers des entreprises qui ont signalé au moins une de ces barrières, en ont signalé une deuxième et 30 % ont mentionné les trois. Sur les barrières liées au coût du travail (coûts de recrutement, niveau des cotisations sociales et niveau des salaires trop élevé), les différentes réponses sont aussi nettement corrélées : 72 % des entreprises qui signalent des coûts de recrutement trop élevés signalent également une limite liée au niveau des Sur l’ensemble des secteurs, les principales barrières à l’embauche citées (tableau 3a) par les entreprises sont l’incertitude liée à la situation économique (28 %) et l’indisponibilité d’une main-d’œuvre compétente (27 %)1. L’industrie du bâtiment se distingue à 1. Dans une enquête menée entre juin et septembre 2014, la Banque de France a interrogé les entreprises sur leur pratique de gestion de la main d’œuvre au cours des trois années précédentes, donnant une première mesure de l’importance des barrières à l’embauche. Les niveaux qui en résultaient étaient nettement plus élevés que ceux présentés ici au tableau 3 mais le classement selon la fréquence des barrières à l’embauche est relativement similaire. L’écart sur les niveaux peut provenir de la différence sur la façon dont les questions sont posées : dans l’enquête de la Banque de France, l’entreprise peut signaler si un critère a une « influence » sur les embauches ou une « influence forte ». Les résultats obtenus ici sont relativement proches de ceux obtenus pour les seules « influences fortes » sur les embauches dans les enquêtes précédentes. 3 – Solde d’opinion sur l’évolution passée des effectifs selon le type de barrière à l’embauche déclaré en 2017 Note : statistiques calculées sans pondération de l’effectif des entreprises mais en contrôlant le poids respectif du champ des trois enquêtes de conjoncture utilisées (services, industrie et industrie du bâtiment). Source : Insee, enquêtes de conjoncture Tableau 3a – Part des entreprises citant chaque barrière à l’embauche en % Incertitude Main-d’œuvre Cotisations Niveau Coûts Coûts de situation compétente recrutement sociales des salaires licenciement économique indisponible trop élevées trop élevé Industrie Services Bâtiment Ensemble des secteurs Risques juridiques associés au licenciement Pérennité législation du travail Autres 5 34 29 5 17 5 12 14 11 24 24 6 17 7 9 13 10 3 54 41 9 32 7 22 26 21 4 28 27 6 18 7 10 14 11 4 Lecture : les entreprises industrielles constatant des barrières à l’embauche et citant l’incertitude sur la situation économique parmi les principales barrières emploient 34 % des salariés du secteur. Notes : les résultats sont pondérés par les effectifs des entreprises enquêtées. Plusieurs modalités sont possibles pour une même entreprise. Source : Insee, enquêtes de conjoncture d’avril 2017 76 Note de conjoncture Conjoncture française cotisations sociales. De même, 65 % des entreprises qui estiment trop élevé le niveau de salaire signalent aussi des cotisations sociales trop élevées. l’incertitude sur la situation économique et celles sur les barrières liées aux coûts (0,14) ou à la réglementation (0,13) est relativement faible. Les réponses des entreprises peuvent donc être résumées en agrégeant les modalités liées aux différents coûts d’un côté, celles liées à la réglementation d’un autre et en conservant telles quelles les réponses sur « l’indisponibilité de la main-d’œuvre compétente » et sur « l’incertitude sur la situation économique » (tableau 3b). Les barrières liées au manque de m a i n - d ’ œ u v r e c om p é t e n t e c on d u i s e n t davantage à limiter la production Les entreprises qui signalent un problème de disponibilité de la main-d’œuvre compétente sont le plus souvent dans une dynamique de création d’emploi, avec des soldes d’opinion sur les effectifs passés plus élevés qu’en moyenne (graphique 3). La plupart d’entre elles signalent également des difficultés de recrutement (84 % d’entre elles, contre 31 % en moyenne ; tableau 5). La corrélation entre ces différents groupes (tableau 4) révèle des situations contrastées des entreprises vis-à-vis des barrières qui limitent leur capacité d’embauche. D’abord les entreprises qui ont du mal à recruter de la main-d’œuvre compétente ne citent pas particulièrement des barrières de coût ou de réglementation (corrélations nulles), et sont nettement moins freinées que les autres par l’incertitude sur la situation économique (corrélation négative). Ensuite les entreprises qui signalent des barrières liées à la réglementation sont souvent aussi celles qui indiquent un coût du travail trop élevé. Elles signalent aussi un peu plus souvent que la moyenne une contrainte de demande (« incertitude sur la situation économique »), toutefois la corrélation entre la réponse sur En outre, 45 % d’entre elles indiquent que leur activité est limitée par un nombre insuffisant d’employés et subissent donc des contraintes de production liés à l’emploi, contre 11 % en moyenne (tableau 6). Une modélisation sur données individuelles confirme que les contraintes de production dues à un nombre insuffisant d’employés sont essentiellement liées aux difficultés de recrutement d’une main-d’œuvre Tableau 3b - Part des entreprises citant différents types de barrières à l’embauche en % Incertitude situation économique Main-d’œuvre compétente indisponible Barrières liées aux coûts Barrières liées à la réglementation 34 29 19 19 24 24 22 16 54 41 35 34 28 27 23 18 Industrie Services Bâtiment Ensemble des secteurs Lecture : les entreprises industrielles constatant des barrières à l’embauche liées à la réglementation emploient 19 % des salariés du secteur. Notes : les résultats sont pondérés par les effectifs des entreprises enquêtées. Plusieurs réponses sont possibles pour une même entreprise. Source : Insee, enquêtes de conjoncture d’avril 2017 Tableau 4 - Corrélation des réponses aux différentes barrières à l’embauche Main-d’œuvre compétente indisponible Incertitude situation économique Incertitude situation économique Main-d’œuvre compétente indisponible Barrières liées aux coûts Barrières liées à la réglementation 1 –0,34 –0,34 1 0,14 0,00 0,13 –0,03 Barrières liées aux coûts Barrières liées à la réglementation 0,14 0,13 0,00 –0,03 1 0,40 0,40 1 Source : Insee, enquêtes de conjoncture d’avril 2017 Tableau 5 - Part des entreprises annonçant des difficultés de recrutement, selon leur réponse quant à l’existence de barrières à l’embauche en % Existence de barrières à l’embauche Industrie Services Bâtiment Ensemble des secteurs Incertitude Main-d’œuvre Barrières liées Barrières Sans barrière situation compétente liées à la aux coûts économique indisponible réglementation à l’embauche Question sans objet 52 40 77 55 51 7 57 42 85 58 53 9 9 8 61 51 90 65 61 18 24 56 42 84 58 53 9 10 Lecture : l’emploi des entreprises industrielles constatant des barrières à l’embauche est localisé à 52 % dans des entreprises connaissant des difficultés de recrutement. Source : Insee, enquêtes de conjoncture d’avril 2017 Juin 2017 77 Conjoncture française compétente (tableau 7). Si les barrières liées aux coûts et à la réglementation accroissent aussi les contraintes de production, leur influence est significativement moins importante. De fait, les entreprises qui signalent des barrières à l’embauche liées aux coûts (de recrutement, de rémunérations, de licenciement) ou à la réglementation signalent moins souvent des difficultés de recrutement et une production limitée par l’emploi que les entreprises peinant à recruter une main d’œuvre compétente. Enfin, les entreprises qui signalent plutôt des contraintes de demande (« incertitude sur la situation économique ») sont dans une dynamique plutôt défavorable de l’emploi par rapport à la moyenne ; elles éprouvent moins de difficultés de recrutement ou de contraintes de production que les deux autres catégories entreprises rencontrant des barrières à l’embauche, mais plus que celles qui ne signalent pas de barrières. n Tableau 6 – Part des entreprises dont l’activité a été limitée par un nombre insuffisant d’employés, selon leur réponse quant à l’existence de barrières à l’embauche en % Existence de barrières à l’embauche Industrie Services Bâtiment Ensemble des secteurs Incertitude Main-d’œuvre Barrières liées Barrières Sans barrière situation compétente liées à la aux coûts économique indisponible réglementation à l’embauche Question sans objet 19 11 30 23 20 2 29 11 50 24 21 4 1 1 22 13 35 23 21 4 11 27 11 45 24 21 4 2 Lecture : dans 19 % des entreprises industrielles constatant des barrières à l’embauche, l’activité a été limitée par l’insuffisance d’un personnel difficile à accroître. Tableau 7 - Influence des barrières à l’embauche sur les contraintes de production Barrières à l’embauche citées par l’entreprise Incertitude sur la situation économique Indisponibilité de main-d’œuvre compétente Barrières liées aux coûts Barrières liées à la réglementation Coefficient Écart-type P-value Test –0,47 0,06 0,00 *** 1,27 0,07 0,00 *** 0,15 0,06 0,02 ** 0,14 0,06 0,03 ** Note : Modélisation de la réponse des entreprises à la question « votre activité est-elle limitée par l’insuffisance d’un personnel que vous avez du mal à accroître ? » en fonction des réponses aux questions sur l’existence de barrières à l’embauche. Le modèle est de type «.probit.» et il prend en compte des contrôles de la taille du secteur d’activité (résultats non présentés). Source : Insee, enquêtes de conjoncture d’avril 2017 78 Note de conjoncture