Ligue _ _ _ des droits de .-ondatlon LOP9I‘I'IIC , - r TOULOUSE : UN DISPOSITIF DE MAINTIEN DE L’ORDRE DISPROPORTIONNÉ ET DANGEREUX POUR LES LIBERTÉS PUBLIQUES Rapport de I l'Observatoira des Pratiques Policières de Toulouse mai 2017 - mars 2019 €hsgg Il … …. umo-n FICHE TECHNIQUE DE L'ÉTUDE COORDINATION : Pascal Gassiot & Daniel Welzer-Lang DIRECTION SCIENTIFIQUE : Daniel Welzer-Lang, professeur émérite de sociologie, Université Toulouse-Jean Jaurès, chercheur au Lisst-cers-Cnrs* RÉDACTION : Danièle Benoit, Pierre Bernat (LDH Toulouse), Marion Brastel, Gilles Daré (Fondation Copernic), Jérôme Dupeyrat (LDH Toulouse), Marc Farrero, Pascal Gassiot (Fondation Copernic), Henri Santiago Sanz, Marie Toustou (LDH Toulouse), Rodolphe Village, Daniel Welzer-Lang (LDH Toulouse, Lisst-cers-Cnrs), des avocat-e-s membres du Syndicat des Avocats de France (SAF). RELECTURE : LDH GRAPHISME : LDH IMPRESSION : REPRINT, 31 rue André Vasseur, 31200 Toulouse, www.groupereprint.com Les observations ont eu lieu du 1er mai 2017 au 23 mars 2019, soit 47 manifestations. Les extraits des notes des observateur-e-s Nous avons largement utilisé les comptes rendus écrits par les observateur-e-s après les manifestations. Volontairement, en dehors de corrections orthographiques, nous n’avons pas modifié ces extraits, dont les styles différents reflètent la diversité des membres de l’Observatoire. La qualité des photos et des vidéos L’ensemble des photos et vidéos qui illustrent les deux versions du rapport (version papier et version numérique) ont été prises par des non professionnel-le-s du reportage, avec du matériel « basique » : smartphones, appareils photos courants. Elles ont été, de plus, prises sur le vif, dans l’action. Tout ceci donne des documents de qualité très souvent moyenne, voire médiocre dans certains cas, mais qui ont le mérite de restituer ce que nous avons observé de manière brute, sans biais (esthétique par exemple). À de rares exceptions près, qui sont alors signalées, aucune retouche n’a été faite. La qualité moyenne de certaines images tient aussi au fait que celles-ci sont extraites de séquences vidéo. Les logiciels utilisés pour cette extraction sont de facture courante et ne sont donc pas des logiciels professionnels. Il était avant tout question pour nous de témoigner, de restituer et de contextualiser au mieux ce que nous avons, souvent de près, observé. * Conformément à l’usage dans la communauté scientifique, cette publication n’engage aucunement le laboratoire d’appartenance du chercheur. 2 L'OBSERVATOIRE DES PRATIQUES POLICIÈRES EN CHIFFRES Au 3 avril 2019, 50 manifestations couvertes dont : • 19 manifestations avant la séquence Gilets Jaunes, sur 22 mois, • 31 manifestations depuis le début des Gilets Jaunes, sur 5 mois. 24 observateur-e-s, 7 femmes et 17 hommes, ont participé au suivi des manifestations en étant réparti-e-s selon les périodes en 1, 2 ou 3 groupes. Le plus petit dispositif : 4 observateur-e-s / 1 groupe. Le plus gros : 15 observateur-e-s / 3 groupes. Sur la base de : • 4,5 heures d’observation en moyenne par manifestation, • 8 observateur-e-s en moyenne par manifestation. Cela représente 1 800 heures de présence opérationnelle en manifestation. C’est l’équivalent de 225 jours/hommes d’observation (équivalent 8 h par jour). Les observateur-e-s ont : • pris plus de 4 600 photos et en ont traité environ 750, • enregistré plus de 50 heures de vidéos (429,25 Go de données) et traité une dizaine d’heures. Les observateur-e-s ont été 13 fois pris-e-s, en tant que tel-le-s, pour cible par les forces de l’ordre. • 1 fois lors de la blessure de Jérôme, • 3 fois par gazeuse à main, • 6 fois par jets ciblés de grenades lacrymogènes, • 3 fois par des coups de matraque sur les appareils photographiques. Plus de nombreuses bousculades par derrière, avec leur identification bien visible au dos de leurs chasubles jaunes et bleues. Les blessures et soins en situation des observateur-e-s : • Un blessé sérieux (tir de grenade ou de LBD sur la tête – hospitalisation aux urgences – 10 points de suture sur le front – traumatisme crânien - 3 jours d’ITT), • 5 blessures légères : hématomes (un sur le visage et 4 sur les membres) dûs au palets de lacrymogènes et aux plots de GMD, • Une trentaine de soins en situation auprès des street médics pour intoxication aux gaz lacrymogènes. Matériel détruit : un stabilisateur de caméra Go Pro, suite à l’arrosage par un engin lanceur d’eau. 3 TABLE DES M ATI ÈRES Introduction 5 L'observatoire, contexte et méthode 6 La création de l'Observatoire Les premières observations Les « casseurs » : un terme à déconstruire Les observateur-e-s Un bilan en trois phases 6 11 15 17 23 La police : composition, dispositifs 41 Les dispositifs policiers Les armes utilisées Les différent-e-s policier-e-s Equipements et autres signes distinctifs Les manifestations Organisation des manifestant-e-s Armes des manifestant-e-s Les manifestations Gilets Jaunes 41 44 56 60 68 68 70 77 Les affrontements 82 Le départ des affrontements Interactions et confrontations police / manifestant-e-s Les casseurs Les moyens employés par les policier-e-s : les violences policières Les BAC prennent des distances avec les codes et les lois La dispersion des manifestations Les blessé-e-s Récapitulatif : évolution des manifestations et des violences policières La judiciarisation 83 90 93 96 107 108 112 120 124 Conclusion 125 Annexes 135 4 I NTRODUCTI ON Puis vint le temps de la rédaction de ce rapport. Le rapport d’un « Observatoire citoyen » est toujours un objet métissé par des cultures différentes. Nous l’avons situé au croisement d’un document scientifique et universitaire, mais aussi citoyen, chargé de démontrer les logiques des pratiques policières. Nous avons voulu aussi faire un rapport qui soit pédagogique, au sens où il doit être lisible et compréhensible par les observateur-e-s, mais aussi par des pans importants du mouvement social. Et, enfin, nous avons voulu produire un document politique. Ce rapport s'adresse aussi aux médias, aux autorités publiques et aux forces de l'ordre ellesmêmes. Nous sommes profondément persuadé-e-s que ces structures mixtes que sont les Observatoires citoyens sont des pierres essentielles à nos démocraties pour lutter contre les abus et le non-droit. Observer, enquêter, dire, décrire, nommer, toutes choses qui ont constitué le quotidien de notre travail d’enquête, sont des pratiques longues et fastidieuses. Les citoyenne-s devenu-e-s observateur-e-s qui ont réalisé ce travail, qu’ils et elles soient enseignant-e-s, avocat-e-s, chercheur-e-s, retraité-e-s, artistes, étudiant-e-s, cadres, employé-e-s…, ont cette énergie commune : dire et montrer, pour améliorer nos fonctionnements collectifs. Tout abus contre les citoyen-ne-s — et nous en pointons un certain nombre dans ce rapport — est une attaque contre la démocratie. Un grand merci à l’ensemble des personnes qui ont contribué à la réalisation de ce rapport. Notamment tous les manifestants et toutes les manifestantes qui nous ont accordé du temps et de l’attention. Mais aussi aux policier-e-s, gradé-e-s ou non, qui, anonymement, ont voulu nous éclairer sur leur travail dans le cadre du maintien de l’ordre. 5 1 L' OBSERVATOI RE, CONTEXTE ET M ÉTHODE La cr éat i on de l ' Obser vat oi r e Le con t ext e Toutes les personnes attentives à l’évolution des mouvements sociaux en France avaient été frappées par la nature et l’ampleur des déploiements policiers lors des manifestations du printemps 2016 contre la loi dite « El Khomri ». Cela avait donné lieu, à Paris particulièrement, à des comportements de policiers jugés par nombre d’observateur-e-s comme mettant en cause le droit de manifester librement (fouilles préventives, nassages massifs de manifestants avec confiscation « musclée » des matériels de protection individuelle, violences policières extrêmes, sans discernement, avec utilisation de toute la panoplie d’armes dont disposent policiers et gendarmes, etc.). Ces constats avaient conduit de nombreuses associations, syndicats et partis politiques, à protester vivement contre cette situation jugée attentatoire aux libertés collectives et individuelles. L’attitude du pouvoir politique face aux manifestations de rue s’inscrivait, plus largement, dans un contexte de criminalisation du mouvement social, relayée complaisamment par les médias « mainstream » : il n’est que de se souvenir de la séquence autour de « la chemise du DRH d’Air France ». Dans la région toulousaine, la mort d’un manifestant, Rémi Fraisse, tué par une grenade explosive lancée par un gendarme mobile lors de la lutte contre la création du barrage de Sivens dans le Tarn, avait, en 2014 et 2015, généré des manifestations qui avaient été durement réprimées par les forces de police. Pour quoi un Obser vat oi r e ? Le 6 décembre 2016, à la Bourse du travail de Toulouse, une conférence/débat a été consacrée au thème « Violences policières, maintien de l’ordre – état des lieux ». Celle-ci était co-organisée par l’Université Populaire de Toulouse et la Fondation Copernic, avec la participation de représentants de la Ligue des Droits de l’Homme, du Syndicat de la Magistrature et du Syndicat des Avocats de France. L’Association des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture – ACAT, avait ce soir-là présenté son rapport intitulé « L’ord re et la force – En q u êt e su r l’u sa g e d e la force p a r les rep résen t a n t s d e la loi en Fra n ce »1. Les personnes présentes avaient alors été littéralement sidérées par le contenu de cette présentation (le nombre de morts, de mutilés et de blessés graves lors des opérations de police via l’utilisation du matériel de maintien de l’ordre, l’impunité dont jouissaient les forces de l’ordre suite à leurs exactions, etc.). Lors du débat avait émergé l’idée de « faire quelque chose ». La mise en place d’un Observatoire des violences policières avait alors été évoquée en fin de réunion. Quelques jours après, le 17 décembre 2016, une manifestation d’opposants à la construction du méga centre commercial « Val Tolosa », dans l’ouest toulousain, était organisée par le collectif « Non à Val Tolosa ». La Fondation Copernic et la Ligue des Droits de l’Homme avaient pris 6 contact avec les organisateurs pour venir observer le déroulé de cette action. Le déploiement policier mis en place face à cette manifestation « bon enfant » et festive regroupant environ 500 manifestants a surpris tout le monde, même les observateurs (LDH, Copernic et syndicaux) rompus à l’observation de ce type de manifestation. Les manifestant-e-s avaient été accueilli-e-s, au niveau du Pont Neuf par un dispositif policier qu’il a semblé alors difficile de qualifier autrement que par le terme « démesuré ». Trois photos ci-dessous illustrent ce constat. Dans la première, on peut voir le cortège de manifestant-e-s à l’entrée du Pont Neuf, côté rue de la République. Des manifestants « bon enfant », encadrés par un petit service d’ordre doté de gilets jaunes… Sur les deux autres photos, on peut juger de la nature du déploiement policier. On peut aussi, sur d’autres photos non publiées, constater la présence (déjà) d’un équipage policier regroupant policiers des CDI (Compagnies Départementales d’Intervention2) et policiers en civil qui seront tout au long du présent rapport identifiés sous les termes BAC (Brigades AntiCriminalité) ou bacqueux3. Lors du visionnement a p ost eriori des photos de cette manifestation, il a aussi été constaté la présence de policiers motocyclistes en civil. CRS déployés avec véhicules et équipés de grilles antiémeute, à l’angle de la rue de Metz et du quai de la Daurade. CRS, grilles anti-émeute avec un canon à eau, rue de Metz. 2. Notons les difficultés, au départ de ces observations et pour nous qui n’étions pas spécialistes de la police, à distinguer les différents corps de police en uniformes : CDI, CSI, CRS… 3. Ce terme, aujourd’hui entré dans le langage courant, est utilisé par les manifestant-e-s, les observateur-e-s et par la police elle-même. Il intègre, dans les discours, toute personne du dispositif policier, regroupé en unité, qui n’est pas en uniforme. 7 A la suite de cette manifestation, la LDH et la fondation Copernic ont publié le communiqué cidessous. COMMUNIQUÉ DE PRESSE Tou lou se, 18 d écem b re 20 16 Comme elles l’avaient annoncé, la Fondation Copernic et la Ligue des Droits de l’Homme avaient mis en place une équipe militante chargée d’observer le dispositif policier mis en place dans le cadre de la manifestation organisée, sous l’égide du collectif « Non à Val Tolosa », contre le méga centre commercial du plateau de la Ménude à Plaisance-duTouch, ce samedi 17 décembre à Toulouse. La disproportion entre la nature de la manifestation, le nombre de manifestants et le dispositif policier déployé était assez incroyable. Cinq cent manifestants dans une ambiance festive et « bon enfant » d’un côté, BAC et policiers équipés pour le combat à chaque coin de rue, rues et avenues barrées par des grillages anti-émeute de l’autre côté. Les photos jointes au présent communiqué se suffisent à elles-mêmes. La Fondation Copernic et la Ligue des Droits de l’Homme s’interrogent sur les motivations qui justifient ce déploiement policier pour le moins démesuré : volonté d’intimidation, provocation, paranoïa ? Cette situation se situe cependant dans le droit fil des déploiements policiers disproportionnés qui avaient été constatés durant les mobilisations sociales du printemps dernier contre la loi Travail et traduit une dérive inquiétante pour les libertés publiques. La Fondation Copernic et la Ligue des Droits de l’Homme vont continuer, dans les semaines et les mois qui viennent, à veiller à ce que la liberté de manifester sans militarisation de l’espace public reste la règle. Nous demandons aux représentants de l’Etat, et au Préfet en particulier, de garder raison et de retrouver la sérénité nécessaire à l’exercice de l’état de droit. Comme un « écho prémonitoire » aux différents articles qui paraissent dans ce journal au sujet des manifestations des Gilets Jaunes, nous publions ci-dessous l’intégralité de l’article paru dans la Dépêche du Midi (rubrique Société, Grand Sud, Toulouse) suite à la manifestation Val Tolosa. 8 LES COMMERÇANTS TOULOUSAINS ONT PERDU DES CLIENTS À CAUSE DE LA MANIFESTATION DES ANTI VAL TOLOSA 19 d écem b re 20 16 « De midi à 16 heures, nous n’avons pas vu un client. » Les commerçants de Croix-Baragnon, le quartier de la préfecture à Toulouse, ont passé un mauvais samedi. À la veille de Noël, ils ont vu leur chiffre d’affaires chuter de 30%, estime Laurent Lopez, président de l’association des commerçants. En cause : la manifestation contre le projet de centre commercial Val Tolosa à Plaisance-du-Touch, qui a vu 300 personnes, selon le chiffre de la préfecture, rejoindre la place Saint-Etienne. Les commerçants, qui ont en tête les violentes manifs anti-Sivens, reprochent au préfet d’avoir autorisé ce cortège en ville, cortège accompagné d’un service d’ordre conséquent. Ce lundi, la députée Laurence Arribagé a relayé ce mécontentement en écrivant au préfet. Sollicité, le directeur de cabinet du préfet, Frédéric Rose, explique qu’il n’y a pas eu, après les heurts des anti-Sivens, d’engagement pour interdire toute manifestation en centre-ville le samedi, engagement qui ne pourrait être pris a priori. En revanche, « nous travaillons sur les parcours », note le directeur de cabinet qui précise que les organisateurs de la manif avaient d’abord souhaité traverser l’hyper-centre via le square de Gaulle et la rue Alsace, ce qui leur a été refusé. Les manifestants ont atteint la préfecture par les allées Jules-Guesde et le monument aux morts, sans passer rue Croix-Baragnon. Quant au service d’ordre, il était justifié, poursuit-il, par le risque « de la présence de perturbateurs » susceptibles de causer des troubles à l’ordre public. Jean-Noël Gros La Fondation Copernic et la LDH ont continué alors à réfléchir à la nature de l’organisation à mettre en place pour le suivi des manifestations sur l’agglomération toulousaine. Après mûre réflexion, il a été décidé de créer un Observatoire permanent et de l’intituler « Observatoire des pratiques policières ». Le choix de parler de pratiques policières et non de violences policières nous a été dicté par le fait de ne pas être, éventuellement, accusés de parti pris dans l’orientation de nos travaux. Il a aussi été décidé d’équiper les observateur-e-s d’une tenue identifiante légère et visible. Après recherches, le choix s’est porté sur des chasubles (gilets) réfléchissantes bicolores jaunes et bleues, siglées au dos avec l’inscription « Observateur.es – LDH – Copernic ». Le 25 février 2017, les militant-e-s des deux organisations se sont mobilisé-e-s pour suivre la manifestation « Avec Théo et les autres victimes », organisée par plusieurs associations et syndicats. Le même type de déploiement policier que pour la manifestation Val Tolosa a été constaté. Le 4 mars 2017, la création de l’Observatoire des Pratiques Policières a été annoncée officiellement par l’intermédiaire du communiqué que nous reproduisons ci-dessous. 9 COMMUNIQUÉ DE PRESSE Tou lou se - Le 4 m a rs 20 17 Samedi 25 février, une manifestation « Contre le racisme, les violences policières, pour Théo, Adama et les autres victimes » a eu lieu à Toulouse. La Ligue des Droits de l’Homme et la Fondation Copernic ont pu, à nouveau, constater la présence d’un dispositif policier sans commune mesure avec le nombre de manifestants-e-es. A ce dispositif s’est ajouté un équipement anti-émeute particulièrement disproportionné et intimidant face à un mouvement pacifique. Nous avions déjà pu constater le même dispositif durant la manifestation du 17 décembre dernier contre le projet de méga centre commercial « Val Tolosa ». Nos organisations s’interrogent sur le sens et la volonté de telles pratiques. Les conditions de manifestation, constitutives du droit d’expression et des libertés, se sont particulièrement dégradées à Toulouse ; depuis le printemps dernier, nombre d’organisations ont pu faire le même constat. C’est pourquoi nos organisations annoncent la création d’un « Observatoire des Pratiques Policières », dont l’objectif est le recensement des violences et l’analyse des pratiques de maintien de l’ordre concernant les mouvements sociaux. Une démocratie ne peut se passer du droit de manifester plein et entier ; aucun pouvoir ne peut s’affranchir de ce principe fondamental, garant des libertés d’expression. En tant que représentants d’associations, nous restons vigilants-e-s à l’égalité des droits concernant les manifestations dans l’espace public et l’expression de tous et toutes, sans distinction. Notre projet consistait à observer sur une période probatoire d’un an les pratiques policières, avec une grille d’indicateurs élaborée à l’aide de chercheur-e-s du CNRS. Il s'agirait ensuite d'analyser les données afin de produire un rapport (N.B. : nous avons par la suite décidé d’élargir à deux années complètes la durée d’observation préalable à la publication d’un rapport). La présence de l’Observatoire devait être annoncée aux organisateurs et organisatrices de la manifestation observée, à la police et à la préfecture et relayée par la presse. Nous prévenions les manifestant-e-s de la manière suivante, à l’aide d’un petit imprimé : « Vou s a llez n ou s croiser d a n s les cort èg es d e m a n ifest a n t -e-s. En t a n t q u ’ob serva t eu r-e-s, n ou s som m es cen t ré-e-s su r cet t e ob serva t ion et som m es vêt u -e-s d ’u n g ilet rep éra b le et d ’u n m a t ériel a d éq u a t . Vou s p ou vez a m en er vot re con t rib u t ion a vec vos t ém oig n a g es, q u i p eu ven t fa ire l’ob jet d ’u n en t ret ien (q u i p eu t êt re a n on ym isé) et /ou d e vot re éven t u elle p a rt icip a t ion à cet t e a ct ion . » Des entretiens avec des fonctionnaires de police ont aussi, dès le départ, été prévus, qu’ils soient anonymisés ou non. Tout en discutant entre nous de la justesse de cette mesure lors de la création de l’Observatoire, nous avons, par commodité, décidé de n’observer que les manifestations autorisées. Par la suite, face à l’évidence de la place particulière des manifestations Gilets Jaunes, nous avons étendu nos territoires d’observation aux manifestations légales mais non déclarées. Enfin, il convient de noter que le Syndicat des Avocats de France a rejoint l’Observatoire depuis le troisième trimestre 2018. 10 Un e t r adi t i on t oul ousai n e d’ obser vat oi r es ci t oyen s Signalons que la création de cet Observatoire ne s’est pas faite ex n ih ilo. La Ligue des Droits de l’Homme de Toulouse a déjà une tradition d’observatoires en lien avec des chercheur-e-s universitaires4. Cela a largement facilité notre approche sur la police. Les pr em i èr es obser vat i on s Déf i n i r un e m ét h ode Définir une méthode scientifique acceptable par les militant-e-s des droits humains et par la police. Deux questions récurrentes se posent à ce type de structure : • Une question récurrente de sociologie des mobilisations : comment faire tenir un Observatoire sur la durée ? Ici, nous prévoyions un travail sur une année. Mais dès le départ, à partir de nos expériences des observatoires précédents, nous envisagions que ce travail puisse être plus long que ces douze mois d’observation. • Comment et quoi observer ? Com m en t f ai r e t en i r un Obser vat oi r e sur l a dur ée ? Entre réunions/auberges espagnoles, débriefings et allers-retours de mails…, la mobilisation d’un Observatoire citoyen est longue et multiforme. Formé au départ de militant-e-s des droits de l’Homme, de syndicalistes, de militant-e-s politiques, de personnes ayant de longues expériences des manifestations, d’étudiant-e-s…, une des premières tâches auxquelles s'est confronté l’Observatoire est la création d’une culture commune de l’observation. Puis il a fallu apprendre à gérer les risques et la peur face à des armes qui peuvent devenir mortelles et/ou des comportements violents de la police. Nous reprendrons ces débats plus loin. Mais sans un certain nombre de débats au départ et pendant le déroulement de l’Observatoire, sans volonté politique de dépasser les points de vue particuliers des associations et syndicats qui forment l’Observatoire, sans élaboration commune entre scientifiques qui ont proposé les indicateurs à observer et militant-e-s, l’Observatoire et ce rapport n’auraient pas pu exister. 11 Com m en t et quoi obser ver ? Comme pour d’autres champs d’analyse, deux écueils apparaissent d’emblée : le populisme et le misérabilisme5. Pour l’Observatoire, créé et animé par des personnes par ailleurs militantes, le populisme consisterait à ne voir dans les manifestations que des actions positives des participant-e-s et à ne pas tenir compte, par ailleurs, des contraintes liées à la gestion de foules mise en place par les services de police et des différentes stratégies d’affrontement avec l’État des segments radicaux du mouvement social. Traduite, dans les manifestations par « Tout le monde déteste la police », voire « Un flic, une balle… » l’analyse populiste déresponsabilise les manifestant-e-s et leurs représentant-e-s (quand ils/elles existent) et font porter toutes les critiques sur la police, sans même différencier les actions mises en place par différents corps de police et leurs chaînes de commandement. Cette posture limite de fait l’analyse à une position externe au mouvement, peu capable de rendre compte des positions contrastées des un-e-s et des autres. Le misérabilisme consisterait à déprécier et à délégitimer les formes de mobilisation populaire (de celles et ceux qualifié-e-s de laborieux, de fainéant-e-s, d’assisté-e-s…), pour n’accorder crédit qu’au discours sécuritaire des forces de police. Ce faisant, nos analyses, forgées par nos observations, mettraient le focus sur les débordements, les « casseurs »6, voire comme l’ont dit certains commentaires « la volonté de tuer » qui animerait les manifestant-e-s7. Ceci, sans se référer aux analyses historiques qui, comme nous le montrerons plus loin, donnent à lire des formes de violences de plus en plus réduites, des affrontements de plus en plus « civilisés »8. La posture victimologique, effectuée souvent au nom de l’intérêt de l’Etat, occulte les acquis républicains et démocratiques, refuse les analyses critique en termes de droits de la personne : droits d’expression, droits de manifester, droits à une justice équitable, refus des lois d’exception. La bon n e di st an ce En termes d’analyse, comme dans la forme des observations, nous avons réfléchi à ce que devait être « la bonne distance » dans nos rapports aux pratiques policières et aux manifestations que nous observions. Il ne s’agit pas de faire un rapport « à charge », mais d’essayer de mettre en avant les dysfonctionnements dans les pratiques policières, notamment, nous le reprendrons, dans les armes utilisées et les stratégies de maintien de l’ordre. Ainsi, face aux tentations populistes de ne regarder que la police, nous avons expliqué la nature interactionnelle du maintien de l’ordre. Énoncer qu’un dispositif est disproportionné — ce qui était le constat qui a donné lieu à la création de cet Observatoire — ne peut se faire qu’au regard des formes de mobilisation : le nombre de personnes concernées, les contextes politiques et sociaux, la nature des actes considérés comme des incivilités et/ou des délits (comme la destruction de mobilier urbain ou de certaines vitrines…), etc. 5. Pour reprendre les analyses de Claude Grignon et Jean Claude Passeron, Le sa va n t et le p op u la ire : M iséra b ilism e et p op u lism e en sociolog ie et en lit t éra t u re, Paris, Le Seuil, 1989. Populisme et misérabilisme sont à prendre ici dans leur sens sociologique. 6. Nous reprendrons plus loin l'anayse de ce terme. 7. Christophe Castaner, Ministre de l’Intérieur, après la manifestation Gilets Jaunes du 1er décembre 2017. 8. Comme l’a déjà démontré le sociologue Norbert Elias. 12 L’ object i vi t é sci en t i f i que Dès le départ de cet Observatoire, les associations fondatrices ont souhaité associer des chercheur-e-s à sa mise en place. Que ce soit dans l’élaboration des indicateurs (la grille d’observation), dans les nécessaires reformulations des formes d’observation à réaliser ou dans les analyses, nous avons cherché des formes d’objectivité qui se réfèrent à la scientificité des sciences sociales et de la sociologie en particulier. Nous avons ainsi jonglé entre des formes quantitatives et qualitatives d’observation. Dépasser le faux débat subjectif / objectif9 « La n eu t ra lit é (a xiolog iq u e) est le p rivilèg e ép ist ém olog iq u e d es d om in a n t -e-s. »10 Un faux débat à la peau dure. Il s’agit du lien entre observations forcément subjectives et analyses dites objectives. Un point de vue est toujours « situé » du point de vue de la personne qui observe, parle, écrit. Au mieux, cette personne peut transcrire ce que lui disent les personnes qui subissent regards, stigmates, violences et dominations de toutes sortes. Autant une personne dominante et « cultivée » connaît la machinerie de la domination, comment elle s’exerce, sur quels mythes et croyances elle s’appuie, quels privilèges en retirer. Autant il est souvent difficile pour un-e dominant-e de comprendre le vécu des dominé-e-s, nous disent l’anthropologue féministe Nicole-Claude Mathieu et Antonio Gramsci. Ainsi, ici (nous reprendrons cet exemple plus loin), il faut avoir entendu comment l’arrosage de gaz lacrymogènes dès le départ des manifestations a été ressenti comme très violent, incompréhensible par des personnes non rompues à ce style de manifestations (et aussi par les autres dans le cas particulier des manifestations « Gilets Jaunes ») pour comprendre certaines réactions. Pour savoi r , i l f aut écout er , r egar der , en t en dr e Les militant-e-s de la LDH et les chercheur-e-s associé-e-s avaient fait le même constat face aux contrôles au faciès et au ressenti des personnes contrôlées ; la plupart du temps des personnes de couleur (non blanches) racisées11. Comprendre, par exemple, à l’écoute des jeunes beurs, comment les contrôles au faciès, habituels et quasi quotidiens, sont « systémiques » et impactent tout l’entourage social qui a peur pour ses fils, voisin-ne-s, ami-e-s… Un point de vue qui s’étaye sur la seule expérience de l’enquêteur ou de l’enquêtrice, fut-il-elle sociologue, ne peut être que partiel, et partial. Un Observatoire doit donc enquêter pour connaître le sens, ou les sens, que projettent les personnes concernées sur les pratiques sociales étudiées. 9. Ce passage reprend les débats que nous avions déjà abordés : Welzer-Lang D., Mignard JF, Les ob serva t oires cit oyen s, Paris, Ligue des droits de l’Homme, 2018. 10. Les observatoires citoyens, op. cit. 11. Fabien Jobard, René Lévy et al. Police et m in orit és visib les : les con t rôles d ’id en t it é à Pa ris, 2009, New York, Open Society Institute. D’après les chercheur-e-s : « L’étude a confirmé que les contrôles d’identité effectués par les policiers se fondent principalement sur l’apparence : non pas sur ce que les gens font, mais sur ce qu’ils sont, ou paraissent être. Les résultats montrent que les personnes perçues comme « Noires » (d’origine subsaharienne ou antillaise) et les personnes perçues comme « Arabes » (originaires du Maghreb ou du Machrek) ont été contrôlées de manière disproportionnée par rapport aux personnes perçues comme « Blanches ». Selon les sites d’observation, les Noirs couraient entre 3,3 et 11,5 fois plus de risques que les Blancs d’être contrôlés au regard de la part de ces deux groupes dans la population disponible à être contrôlée par la police (ou la douane). Les Arabes ont été généralement plus de sept fois plus susceptibles que les Blancs d’être contrôlés. 13 La révolte, nos révoltes, celles des observateurs et observatrices contre les injustices, les discriminations, nos colères…, sont souvent les énergies que nous mobilisons pour agir pour les droits de l’Homme. C’est cette énergie que nous mobilisons, entre autres, dans les observatoires citoyens. Et c’est encore cette énergie que nous transformons en passant d’une somme de regards individuels (ceux des observateurs et observatrices) à des analyses compréhensives. L’analyse compréhensive « se caractérise par deux choses : elle cherche à comprendre comment les acteurs et actrices pensent, parlent et agissent, et elle le fait en rapport avec un contexte ou une situation »12. Les présupposés des sciences sociales sont des présupposés humanistes. On fait ainsi l’hypothèse qu’un-e policier-e ne pratique pas le contrôle au faciès par méchanceté personnelle, que la répression disproportionnée de certaines manifestations n’est pas le fruit d’une poussée collective liée aux chromosomes ou aux hormones des policier-e-s et gendarmes, mais qu’une série de facteurs expliquent ces comportements attentatoires aux droits humains : ordres des hiérarchies, nécessité de « faire du chiffre » [la b â t on it e, comme on dit dans la police13], par des situations de peurs, d’incompréhension, etc. À ceci il faut ajouter le positionnement politique de certain-e-s policier-e-s (exprimé par des écussons par exemple, nous le verrons plus loin, ou bien se traduisant par le vote FN majoritaire). Et comme les manifestant-e-s, les policiers sont aussi des « citoyen-ne-s » qui laissent parler leurs a priori, leurs rancœurs et autres petites misères, mais aussi leur éventuelle empathie envers les manifestants. Ne les analyser que sous l’angle unique de leurs contraintes externes, c’est ne pas voir une partie des ressorts, des raisons de leurs comportements. Mettre en exergue ces comportements nécessite au moins deux éléments : • décrire les situations, les interactions : comment, quand, où se sont passés les contrôles, les violences… Ici, vidéos et photos que nous avons prises (ce que nous avons quasisystématiquement privilégié), comme celles diffusées à profusion sur le Net (après citation et vérification des sources), nous serviront d’illustrations dans ce rapport. • écouter toutes les personnes concernées, les différents points de vue. Ceux des manifestante-s et, autant que faire se peut, ceux de policier-e-s. En particulier les paroles des policier-e-s et gendarmes qui, comme nous, mettent en avant les principes républicains. C’est ainsi que nous avons lancé un appel à témoignages dans le cadre de cet Observatoire ; ce qui a permis d’avoir quelques entretiens avec des policier-e-s, gradé-e-s ou non. De plus, décrire en détail les scènes que nous observons, les donner à voir, écrire nos ressentis est souvent ce qui permet de mieux faire comprendre nos questions, nos indignations devant des violences qui sont hors mesure, voir injustifiables. En ce sens, l’observation donne de la vie à la platitude de certaines statistiques. Même si une suite de statistiques (que nous commenterons au vu de l’étrangeté de certaines, comme le nombre de « casseurs » donné par la préfecture) fait plus « scientifique », la publication des observations, ressentis… fait aussi partie des outils « scientifiques » des analyses en sciences sociales. Dans l’idéal, nos analyses finales doivent pouvoir être reprises par l’ensemble des personnes qui se réclament de valeurs démocratiques. Policier-e-s et gendarmes compris. Ce n’est pas parce 14 qu’aujourd’hui, les discours sur les valeurs républicaines des agents de l’État, police comprise, ne sont pas d’actualité dans nos agendas politiques, qu’il faut céder aux sirènes qui aimeraient assimiler tout agent de l’État à un suppôt du gouvernement, voir même à un fasciste. Il en va par ailleurs de notre capacité à aider ces acteurs et actrices à (re)nouer le sens de leurs pratiques avec les valeurs qui devraient nous être communes. À cet égard, le fonctionnement d’un Observatoire, les contacts qu’il suscite et la façon dont sont gérés la communication, le partage et les conséquences de ses productions peuvent y contribuer. Observer, décrire les interactions, faire comprendre ses ressentis, donc réévaluer le qualitatif et/ou le subjectif au profit d’analyses subjectives objectivées s’apprend. Cela peut s’apprendre dans les cours de sociologie, d’ethnologie, mais cela peut aussi s’apprendre en observant. Ces observations sont des matériaux (dits qualitatifs) de notre Observatoire qui sont traités et utilisés comme tels dans ce rapport final. Les « casseur s » : un t er m e à décon st r ui r e Observer, décrire, comprendre, qui est le modus vivendi d’un Observatoire, passe aussi par la déconstruction des termes utilisés. Dans le cadre de l’Observatoire, nous nous sommes interrogés sur ce vocable de « casseur » pour comprendre qui sont ces personnes ainsi catégorisées et pourquoi elles le sont. L’idée étant de déconstruire ce vocable pour tenter d’être le plus « juste » possible dans l’écriture du rapport. Tout d’abord, nous pouvons remarquer que ce mot n’est pas genré. Nous ne trouvons pas dans la presse ni les écrits relatifs à ce sujet de casseuse et ou de casseur-e. Les casseurs seraient-ils uniquement des hommes ? À l’origine, et selon Ludivine Bantigny14, l’image du casseur/gamin apparait de façon précise en 1832 avec l’insurrection des républicains contre le pouvoir monarchique de Louis Philippe. Elle cite : « Nou s en t en d on s p a r g a m in celu i d on t la seu le croya n ce p olit iq u e, m ora le, relig ieu se et lit t éra ire est le t a p a g e, l’ém eu t ier, le ca sseu r d e vit re, ceu x q u i su iven t les t a m b ou rs q u i b a t t en t la ret ra it e, et m êlen t t ou jou rs leu r voix à t ou t ce q u i se crie, se g la p it , se h u rle. » Un grand saut dans l’histoire et le terme réapparait dans les années 70, période marquée par de nombreux conflits. David Dufresne15, dans son enquête sur le maintien de l’ordre, explique que pour répondre aux raids des manifestant-e-s violent-e-s, Charles de Gaulle nomme comme ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin, dit « Ra ym on d la m a t ra q u e ». Un vrai dur qui s’illustre dans le frappé fort et vite. D’où la loi anticasseurs qui est adoptée le 8 juin 1970. Elle rend pénalement responsable des violences et dégradations commises tout-e manifestant-e qui participe à un rassemblement illicite ou interdit après l’irruption des premières violences. Dufresne cite Nathalie Duclos qui évoque « l’ép oq u e d es ca sseu rs », le terme ayant alors une connotation politique autant que délictuelle. Actuellement, dans la presse, nous retrouvons des propos tels que « Les casseurs décrédibilisent le mouvement », « Les casseurs sont extérieurs à la manifestation », « La police a évacué les casseurs de la place du Capitole ». Les sociologues traitant de la question nous expliquent que la notion de casseur vise à disqualifier des comportements et une catégorie de personnes. Cette assignation produit une 15 sélection entre les « bons » et les « mauvais » manifestant-e-s. De plus, cette notion ne rend pas compte de l’hétérogénéité des manifestant-e-s et élude totalement la dimension politique des actes posés. Selon Serge Roure16, « le t erm e d e ca sseu r fon ct ion n e com m e u n in st ru m en t d e st ig m a t isa t ion fa isa n t d es com p ort em en t s q u ’il sa isit d es exp ression s d e d ou leu rs socia les, d es d éb ord em en t s p sych olog iq u es, d es a ct es d élin q u a n t s ou d e sim p les m ises en scèn e m éd ia t iq u es. » Il y a donc des comportements et des catégories de personnes visées. Nous pouvons relever que les agriculteurs appartenant à la FNSEA, les viticulteurs en colère (comme en 1976 où un CRS et un manifestant sont tués à Montredon dans les Corbières) ne sont pas nommés ainsi alors qu’ils ont fait preuve de déprédations et de violences. Laurent Mucchielli nous alerte sur la nécessité de mettre de la distance sur cette violence. « La violen ce n ’est p a s u n e ca t ég orie d ’a n a lyse, n i u n en sem b le h om og èn e d e com p ort em en t s. C’est u n e ca t ég orie m ora le. La violen ce, c’est ce q u i n ’est p a s b ien . D ès lors, on com p ren d q u e le sp ect a cle d e la violen ce p rod u ise d es effet s d e sid éra t ion /fa scin a t ion /rép u lsion q u i em p êch en t d e p en ser. » François Cusset, auteur d’un remarquable ouvrage sur la violence, écrit ceci dans le préambule de son ouvrage17 : « M a is en foca lisa n t t ou t e l’a t t en t ion su r l’in st a n t d e son exp losion , le m ot « violen ce » n ou s in d u it en erreu r : seu le exist e, t ou t à cou p , la sa illie d e l’effra ct ion , t errib le et fa scin a n t e, et d errière son écra n ob séd a n t , l’écra n d e l’im a g e ou celu i d u t ra u m a t ism e, on n e voit p lu s ce q u i la p récèd e et la su it , on n e voit p lu s ses m éca n ism es, n i ses effet s. L’effra ct ion fa it écra n . Elle n ou s d issim u le la vérit é d e la violen ce, q u i est m oin s le cou p d e sa lon g u e d éfla g ra t ion , m oin s u n e irru p t ion b ru sq u e q u ’u n e circu la t ion com p lexe. L’essen t iel est là : la violen ce circu le. Elle circu le d e la p rop a g a n d e h a in eu se ju sq u ’a u g est e m eu rt rier. De la con t ra in t e écon om iq u e à l’a n g oisse q u ’elle in ocu le. Du ch oc su r les corp s à ses rép ercu ssion s p sych iq u es. » En fait, nous pouvons penser que certaines personnes dites « casseurs » et usant de violences ont des intentions et des comptes à régler avec la société capitaliste, ses symboles et ses représentants. D’autres sont des personnes qui veulent piller. Beaucoup d’autres — c’est flagrant dans les manifestations de Gilets Jaunes18 — « n e sa va ien t à l’a va n ce q u ’ils ou elles p ou va ien t a voir u n com p ort em en t violen t d a n s le feu d e l’a ct ion d ’u n e m a n ifest a t ion ». Dans l’Observatoire, nous pouvons simplement dire « les personnes qui usent de violences et ou de déprédations lors des manifestations » et nommer les types de violences observées. Dans tous les cas, ces catégories ne peuvent être séparées d’une dimension politique et de la gestion de l’ordre qui en découle (cf. le nombre de casseurs selon la préfecture). Nous pensons qu’une fois ces personnes qualifiées ainsi, les pratiques policières s’adressent à eux comme à des délinquants plus qu’à des citoyens lambda. Nous reviendrons sur cette question plus loin. Nous aimerions finir ce paragraphe par un trait d’humour. Nous avons aussi connu la fa ke n ew s du maire de Toulouse, qui s’était soi-disant infiltré dans une manifestation le 8 décembre et a déclaré dans le journal 20 minutes avoir « vu d es m em b res d e l’ext rêm e d roit e et d e l’ext rêm e g a u ch e en sem b le p ou r ca illa sser la p olice. » L’élu confie « a voir ét é fra p p é p a r l’h ét érog én éit é d e la com p osit ion d es g rou p es violen t s, ch a cu n ét a n t recon n a issa b le p a r d es cod es vest im en t a ires d ifféren t s ». 16 En étant sérieux et sérieuses et d’après nos observations de terrain, il parait impossible de savoir si des manifestants de l’extrême droite et de l’extrême gauche s’entendent pour casser. Les idées politiques ne sont pas gravées sur le matériel de protection. Mais si le maire de Toulouse a inventé une nouvelle méthode pour distinguer ces deux groupes, nous sommes preneurs et preneuses des indicateurs. Les obser vat eur - e- s Tr an sf or m er l es obser vat eur- e- s en « i n f or m at eur- e- s de r ech er ch e » Une des difficultés de ce type d’Observatoire qui lie militant-e-s, chercheur-e-s, avocat-e-s, travailleurs sociaux et travailleuses sociales et autres… est, nous venons de l’évoquer, d’ajuster les regards. Que regarder ? Qu’observer ? Puis qu’en dire ? Que publier ? Un premier travail, que nous avons aussi connu lors des autres observatoires, est de faire partager le souci de scientificité dans les comptes-rendus, puis dans l’analyse. Et ce, d’autant plus lorsque les rumeurs les plus folles courent sur les violences policières, les gaz utilisés…, quand les débats sur la « neutralité », l’objectivation de la subjectivité, le subjectif lui-même sont complexes. La première grille d’observation construite par les chercheurs et les premiers observateurs s’attelait principalement à compter. Compter le nombre de policier-e-s, les distinguer par corps d’origine, compter les véhicules, compter les manifestant-e-s (du moins en estimer le nombre). Puis, plus tard, compter les blessé-e-s, les grenades (ce qui a été rare car très difficile). Mais au moins essayer, en récupérant les douilles, de les typifier ; bref, du quantitatif que nous avons d’ailleurs perfectionné au fur et à mesure des observations. Puis, à la fin de la fiche, une place nommée « Vos observations » était donnée pour que les observateur-e-s expriment leurs ressentis, les informations reçues et tous autres renseignements, impressions, révoltes qui pouvaient sembler utiles. Du qualitatif, en fait. C’est cette partie qui s’est largement étoffée au fur et à mesure des manifestations ; le texte s’étant alors enrichi de clichés et de films pris par les observateur-e-s. Nous en sommes venu-e-s à croiser des méthodes quantitatives (les comptages et autres indicateurs objectifs) et qualitatives (l’analyse des stratégies policières et celles des manifestant-e-s) ; ceci dans une approche contextuelle et chronologique. En fait, par souci de légitimité, comme dans d’autres observatoires citoyens, nous avons utilisé des méthodes largement surdimensionnées au regard d’un travail de recherche classique. 17 Le t er m e obser vat eur - e- s Le terme « observateur-e-s » a une histoire. Les résistances à la déandrocisation19 du texte sont nombreuses. Lorsqu’il a fallu commander ce que certain-e-s nommaient les « chasubles », d‘autres les « gilets » jaunes et bleus, nous avons voulu faire apparaître le terme « observateur ». Très vite , les créateurs et créatrices de l’Observatoire ont voulu faire apparaître les observatrices. Comme souvent, ce sont des argumentations techniques qui s’opposaient à cette co-apparition, et ici la difficulté de faire apparaître tant de lettres sur les gilets. S’est alors imposé le terme d’observateur-e. Ce néologisme, sous forme de clin d’œil, a été de suite adopté par tous et toutes. Qui son t l es obser vat eur - e- s L’âge des observateur-e-s va de 21 à 72 ans.20 . Mais, en fait, deux générations différentes composent le gros des observateur-e-s. D’une part les plus de 60 ans, la plupart retraité-e-s, appartenant souvent aux générations militantes (14 personnes), compagnon-ne-s de route des diverses mobilisations citoyennes depuis plusieurs années (des décennies pour certain-e-s) ; de l’autre des trentenaires, une nouvelle génération militante, souvent avocat-e-s ou travailleurs sociaux (7 personnes). Quelques étudiant-e-s nous ont aussi rejoints. Que les personnes aient ou non connu les manifestations précédentes, il ressort que l’essentiel des motivations correspond à un rejet important des violences policières aperçues lors des manifestations, en particulier celles des Gilets Jaunes. En effet, si un tiers des observateur-e-s étaient déjà présent-e-s à la création de l’Observatoire, motivé-e-s par la disproportion des dispositifs policiers avant 2017, les autres, en particulier les avocat-e-s, nous ont rejoints après décembre 2018. À noter qu’à partir de la phase Gilets Jaunes, par sécurité et manque de temps pour assurer la formation, nous avons dû refuser plusieurs dizaines de personnes qui voulaient nous rejoindre dans une démarche citoyenne. Les observateur-e-s ont, pour la plupart, un capital scolaire important. Prédominent les bac+5 ou plus. Quelques retraité-e-s, employé-e-s ou ouvrier-e-s de niveau bac, un artiste autodidacte sont aussi observateur-e-s. Dans leurs cas, on remarque un capital militant important. Ce sont d’ancienn-es syndicalistes ou des militant-e-s des mouvements sociaux ou humanitaires. En tout cas, les observateur-e-s représentent une des formes de solidarité apparues lors des Gilets Jaunes où intellectuel-le-s, créatifs, militant-e-s aguerri-e-s ont ostensiblement voulu montrer leur soutien à ces manifestations de « la France d’en bas », celle « des fins de mois difficiles ». Dès les rassemblements du 17 novembre, nous avions noté cette présence en solidarité d’intellectuel-le-s et militant-e-s des droits de l’Homme toulousain-e-s. L’Observatoire des Pratiques Policières de Toulouse poursuivra, sous une forme qui reste à finaliser, son travail après la remise de ce rapport d’étape. 19. L’androcentrisme est le fait de privilégier ce que font les hommes et déconsidérer, dénigrer, ou occulter ce que font, vivent et disent les femmes. Nicole-Claude Mathieu (1985) le définissait ainsi : « Pa r a n d rocen t rism e, j'en t en d s u n b ia is t h éoriq u e et id éolog iq u e q u i se cen t re p rin cip a lem en t et p a rfois exclu sivem en t su r les su jet s h om m es (m a le su b ject s) et su r les ra p p ort s q u i son t ét a b lis en t re eu x. D a n s les scien ces socia les, ceci sig n ifie la t en d a n ce à exclu re les fem m es d es ét u d es h ist oriq u es et sociolog iq u es et à a ccord er u n e a t t en t ion in a d éq u a t e a u x ra p p ort s socia u x d a n s lesq u els elles son t sit u ées. » La conséquence en est que (p. 55) : « La [...] n on -con sid éra t ion d es ra p p ort s socia u x d a n s lesq u els les a g en t s-fem m es son t im p liq u és veu t d ire q u e cert a in s ra p p ort s socia u x cru cia u x son t m a l id en t ifiés et d 'a u t re p a s id en t ifiés d u t ou t . Ceci [...] p ervert it n écessa irem en t les a rg u m en t s a va n cés q u a n t a u x ca ra ct érist iq u es g én éra les d e la form a t ion (socia le et écon om iq u e) en ca u se. » En 1992, Marie-France Pichevin et Daniel Welzer-Lang ajoutaient que l'androcentrisme consiste aussi: «… à participer d'une mystification collective visant pour les hommes, à se centrer sur les activités extérieures, les luttes de pouvoir, la concurrence, les lieux, places et activités où ils sont en interaction (réelle, virtuelle ou imaginaire) avec des femmes en minorant, ou en cachant, les modes de construction du masculin et les rapports réels entre eux. » On peut bien sûr qualifier cette déandrocisation de « féminisation » du texte, d’« écriture inclusive », mais ces termes occultent les luttes symboliques en œuvre à travers le langage utilisé. Y compris pour les personnes qui refusent les binarités du genre. 20. L’analyse a été faite à partir de 24 fiches remplies par les observateur-e-s (7 femmes et 17 hommes) où nous les invitions à expliquer leurs motivations à participer à l’Observatoire. 18 “ LE TÉMOIGNAGE DE MARION HUMANITAIRE EN ZONE DE GUERRE “ Je t ra va ille p ou r Non violen t Pea ceforce, u n e ONG in t ern a t ion a le sp écia lisée d a n s l’In t erven t ion Civile d e Pa ix (Un a rm ed Civilia n Prot ect ion en a n g la is) d on t le m a n d a t est d e réd u ire les violen ces con t re les civils en zon es d e con flit s. Je su is in t erven u e a u Sou d a n d u Su d en 20 14 -20 15, su r la lig n e d e fron t d e la g u erre civile en Ira k d e 20 17 à 20 18 p en d a n t les op éra t ion s m ilit a ires con t re l’Ét a t Isla m iq u e et a u Ba n g la d esh , a u p rès d es ca m p s d e réfu g iés Roh yn g a s. Précéd em m en t , j’a i vécu et t ra va illé 3 a n s a u Sa lva d or en t a n t q u ’éd u ca t rice p ou r jeu n es à risq u es et d a n s les g a n g s. J’a i d écid é d e p a rt icip er a u x a ct ion s d e l’Ob serva t oire d es Pra t iq u es Policières d e Tou lou se a p rès a voir vu u n e vid éo d e la m a n ifest a t ion Act e 10 d es Gilet s Ja u n es, le sa m ed i 19 ja n vier 20 19, ém ise p a r NFCA M éd ia . J’a i ét é est om a q u ée p a r ces im a g es q u i m ’on t ren voyée à m es exp érien ces d a n s les zon es d e con flit s. Je n ’a rriva is p a s à croire q u ’en Fra n ce, Ét a t d e d roit , et n on u n Ét a t fa illi ou rép ressif (officiellem en t …), la p olice p u isse em p loyer d es m oyen s si violen t s con t re son p eu p le. Pen d a n t m es d eu x jou rn ées d ’ob serva t ion , les sa m ed is 16 février et 2 m a rs, j’a i p u con st a t er q u e si, cela ét a it b ien le ca s. Les d eu x fois, u n e à la fin d u cort èg e et l’a u t re a u -d eva n t , j’a i p u con st a t er le ca ra ct ère n on -violen t et « b on en fa n t » d es m a n ifest a n t -e-s. On y t rou ve d e t ou t : fa m illes, jeu n es, p erson n es â g ées, p erson n es à m ob ilit é réd u it e, p olit iq u em en t en g a g ées ou n on ; ça ch a n t e, ça d a n se, ça g u eu le, ça p ét a rd e, ça d iscu t e (en t re eu x et a u ssi p a rfois a vec les forces d e l’ord re). […] Qu a n d j’a i vu la n ot ice OPP q u i d isa it d e ra m en er m a sq u e à g a z, lu n et t es et ca sq u e j’a i t ou t d e su it e rig olé et p en sé q u e, p eu t -êt re, j’a u ra is d û ra m en er m on g ilet p a re-b a lles d ’Ira k …En p lu sieu rs m ois su r les d eva n t s d e la lib éra t ion d e M ossou l Ou est , je n ’a i p a s eu à m et t re m on m a sq u e à g a z et m on ca sq u e lou rd u n e seu le fois. Ou i, p eu t -êt re q u ’ici c’est u n ca sq u e d e sk i à la p la ce d ’u n ca sq u e lou rd con t re d es vra ies b a lles, m a is ça p ort e à réfléch ir. […] Un a u t re m om en t fort fu t lorsq u e le cort èg e s’a rrêt a a u croisem en t d e Jea n n e d ’Arc en voya n t la lig n e d e CRS a vec le ca m ion a u ca n on à ea u q u i les a t t en d a ien t . Les g en s on t t ou s sort i leu r éq u ip em en t d e m a sq u e à g a z, lu n et t es et ca sq u e. M a collèg u e a com m en t é : « cela ressem b le à u n e p rép a ra t ion à la b a t a ille ». Effect ivem en t , j'a i ét é ra m en ée a u x m om en t s où n os p rot ocoles d e sécu rit é n ou s d em a n d a ien t , à p a rt ir d ’u n e cert a in e zon e, d e croît re en vig ila n ce, d e n ou s a rrêt er p ou r en filer n os g ilet s p a re-b a lles, d e fa ire le p oin t su r la sit u a t ion a va n t d e n ou s a ven t u rer p lu s loin . En t ou t e zon e d e con flit , u n e a n a lyse d es risq u es est con d u it e p a r la form u le « risq u e = m en a ce x vu ln éra b ilit é x im p a ct » et d es m esu res son t m ises en p la ce p ou r réd u ire ces risq u es le p lu s p ossib le. La m en a ce se d éfin it com m e d es fa ct eu rs sp écifiq u es d a n s l’en viron n em en t p ou va n t ca u ser d es d om m a g es. La vu ln éra b ilit é est d éfin ie, elle, com m e le d eg ré a u q u el la p erson n e ou l'org a n isa t ion est exp osée à la m en a ce. L’im p a ct rep résen t e l’effet su r la p erson n e ou l’org a n isa t ion si q u elq u e ch ose a rrive. […] Plu sieu rs ch oses m e d éra n g en t d a n s cet t e sit u a t ion , ca r m êm e si n ou s n e som m es p a s en g u erre, les t ech n iq u es et les d yn a m iq u es ob servées lors d es m a n ifest a t ion s son t d es sig n es a va n t -cou reu rs d ’u n e a u g m en t a t ion d e la rép ression , d e la violen ce et d ’u n e réd u ct ion d es d roit s fon d a m en t a u x d es cit oyen s à la lib re exp ression . […] En effet , le 2 m a rs, n ou s p ou vion s ob server u n e p résen ce p olicière t rès réd u it e lors d u cort èg e d e 14 h eu res à 16h 30, ce q u i a en t ra in é u n e a m b ia n ce d ét en d u e ju sq u ’à ce q u e la p olice a p p a ra isse et sa n s ra ison p lu s a p p a ren t e q u e le cort èg e t rop p rès d e la lig n e d e CRS, d on n e l’ord re sa n s a vert issem en t p réa la b le d e d isp erser à cou p d e ca n on à ea u su ivi d ’u n e ra fa le d e g a z la crym og èn es. S’en est su ivi u n a ch a rn em en t à d isp erser les m a n ifest a n t -e-s, sa n s d iscern em en t p ou r les p a ssa n t s, fa m illes, p erson n es à m ob ilit é réd u it e, p resse et ob serva t eu rs. Le silen ce d es g ra n d s m éd ia s su r ces p ra t iq u es n e fa it q u e ren forcer ce sen t im en t d e « lég it im it é » d ’u n t el u sa g e d e la force et creu se la d ivision « n ou s con t re eu x » q u i, b ien sou ven t , fa it m on t er la colère, l’in com p réh en sion et con t in u e le cycle d e violen ce et d e rép ression . 19 ” Obser ver quoi ? A n ot er : lors d u con t ou rn em en t d e la m a n if p a r le cort èg e « a u t on om e », u n d es p oliciers s’est a d ressé à l’u n d es ob serva t eu rs en lu i d isa n t (cit a t ion d e m ém oire) : « Qu ’est -ce q u e vou s a t t en d ez p ou r a ller les ob server, eu x ? Ce son t eu x d on t vou s d evriez vou s occu p er » (il fa isa it a llu sion a u x « a u t on om es », en les m on t ra n t d u d oig t ). L’ob serva t eu r a rép on d u q u ’« il fa isa it p a rt ie d e l’Ob serva t oire d es p ra t iq u es p olicières » et q u ’il n ’ét a it « p a s là p ou r s’occu p er d es m a n ifest a n t s ». Con t ra irem en t à d ’a u t res sit u a t ion s d e ce g en re (éch a n g es en t re ob serva t eu rs et p oliciers en civil) lors d es d ern ières m a n ifest a t ion s ob servées, l’éch a n g e est rest é cou rt ois. « M a rée p op u la ire », 26 m a i 20 18 Tout au long de l’Observatoire, un débat a été permanent. Faut-il ou non observer les manifestant-e-s ? Sans que cela soit formulé ainsi, cela renvoyait à une question non formulée : ne serions-nous pas en train de devenir des auxiliaires de la police en décrivant les dynamiques des manifestant-e-s ? C’est ainsi que les réponses sur l’objet de nos observations n’ont pas été homogènes de la part des observateur-e-s. Nous avons expliqué et réexpliqué l’intérêt de situer les interactions manifestant-e-s/police pour comprendre la nature disproportionnée ou non des dispositifs policiers. Cette position de « neutralité bienveillante » vis-à-vis des manifestant-e-s a été progressivement acceptée et partagée par le collectif d’observateur-e-s. For m at i on des obser vat eur - e- s Outre les débats, permanents au départ, sur le ou les objets que devaient avoir nos observations, nous avons aussi formé les observateur-e-s aux prises de vue, au maniement des appareils photos et vidéos. Cette formation a été réalisée gentiment par TV Bru it s, une télévision locale et alternative de Toulouse. Cette formation, réalisée lors du rassemblement militant organisé chaque année sur trois jours à cette période, a eu un double effet : nous former et échanger entre observateur-e-s, mais aussi nous situer clairement dans le mouvement progressiste qui, chaque année, se rassemble là. Les com pt es r en dus La quasi-totalité des manifestations a donné lieu à la rédaction d’un compte rendu par groupe d’observateur-e-s, en général de 3 à 5 personnes. Les notes pendant les manifestations ont été prises tantôt par écrit, tantôt dictées. Au fur et à mesure, photos et vidéos ont aussi servi aux observateur-e-s pour se remémorer les différentes phases de la manifestation. Ces comptes rendus, comme les images extraites des manifestations, ont été traités par une méthode classique d’analyse de contenu, puis disposés de manière thématiques dans ce rapport. Nous avons en permanence privilégié les images captées par les observateur-e-s eux-mêmes et elles-mêmes. De même, nous avons distingué dans ce travail les informations vues ou entendues par nous-mêmes. Lorsque des témoignages sont externes, nous l’avons signalé. 20 La coul eur de n os gi l et s f ai t débat Arrivé-e-s à la m a n ifest a t ion : u n h om m e (GJ Arn a u d B.…) n ou s d it q u ’a p rès la b lessu re d e Jérôm e, on d evra it , p ou r êt re p lu s rep éra b les (d on c m oin s a t t ein t s com m e Jérôm e) p ort er d es g ilet s b leu s. Nou s n ou s p résen t on s a vec M a rie à la ch effe d es CD I. Elle n ou s fa it (g en t im en t ) rem a rq u er q u e n os g ilet s ja u n es/b leu s son t b ien rep éra b les…Je m e su is a u ssi la issé d ire q u ’u n a m i vou la it q u ’on m et t e les g ilet s en ora n g e a vec u n p et it fa n ion d e la m êm e cou leu r… 9 février 20 19 Nous garderons nos chasubles/gilets de la même couleur. Terminons ce paragraphe sur la méthode par la question des peurs. La peur des obser vat eur - e- s Les observateur-e-s, leurs questions et émotions, sont aussi un miroir du climat social qui entoure ces manifestations. Témoins ces échanges de courriels en février 2019 sur les violences perçues, subies ou supputées : “ Les d ern ières sem a in es on t ét é l'occa sion d e vivre d es sit u a t ion s in t en ses et a n xiog èn es. Person n ellem en t , ce son t les p rem ières fois où je su is exp osé à d es sit u a t ion s a u ssi fort es en m a n ifest a t ion et je d ois b ien d ire q u e j'a i p a rfois eu p eu r, la b lessu re in flig ée à n ot re ca m a ra d e Jérôm e a p p ort a n t la m a lh eu reu se d ém on st ra t ion q u e ces cra in t es son t fon d ées. Je crois q u e ce q u e n ou s vivon s est loin d 'êt re a n od in en t erm es d 'exp osit ion à la violen ce, p eu t fa ire rem on t er d es sen t im en t s d e colère, d 'im p u issa n ce, d e t rist esse et il m e sem b lera it n écessa ire q u e l'on p u isse créer d es esp a ces d e p a role su r com m en t on g ère ces ém ot ion s (in d ivid u ellem en t et collect ivem en t , su r le cou p et d a n s les jou rs q u i su iven t ), com m en t on est a t t en t if et b ien veilla n t a u x u n .e.s et a u x a u t res, com m en t on se p osit ion n e d a n s u n e m a n ifest a t ion lorsq u e les ch oses se t en d en t , com m en t on fa it p ou r rest er t ou jou rs en g rou p e et a m in im a en b in ôm e, com m en t on g ère les la crym og èn es et c. ” Ou cet autre : “ Pen d a n t p rès d e 25 a n s, j’a i m a n ifest é à Tou lou se… Con t re le p la n Ju p p é su r les ret ra it es en 1995, p u is a p rès… Je n e crois p a s a voir m a n q u é b ea u cou p d e m a n ifest a t ion s, n i syn d ica les, n i p olit iq u es, d ès q u ’elles ét a irn t lég it im es. Au jou rd ’h u i, a p rès a voir eu les p ou m on s en feu , h ésit a n t en t re u n d éb u t d e m a la ise et u n e im p ression d e m ou rir…Ap rès a voir a ssist é, im p u issa n t , à la d iffu sion d es g a z d a n s m on corp s, m êm e a vec u n m a sq u e lég er q u i m e su ffisa it a va n t … Ap rès q u e m on co-éq u ip ier, Jérôm e, u n a u t re ob serva t eu r d es p ra t iq u es p olicières, a ét é b lessé a u fron t d e m a n ière p rofon d e. Avec u n ca sq u e q u i s’est b risé d u fa it d ’u n im p a ct …Le m êm e ca sq u e q u e le m ien . Je m e sen s ob lig é d e m e t ra vest ir, a vec u n m a sq u e à g a z…et d es lu n et t es ét a n ch es… Un m a sq u e à g a z… D a n s q u el p a ys je vis a u jou rd ’h u i ? ” 21 Témoins aussi ces ponctuations apparues et devenues systématiques dans les échanges « Faites attention à vous », « Fais attention à toi… ». Février 2019, face à un observateur qui nous disait sa peur, il nous a semblé intéressant, en termes méthodologiques et politiques, d’essayer de penser collectivement cette question. Et ce d’autant plus que nous avons identifié « la stratégie de la peur » opposée par le pouvoir aux Gilets Jaunes (cf. la réunion publique du 7 janvier à Toulouse). Outre les phénomènes de 16 février 2019, 11h30 : discussion entre observateur-e-s sur la peur avant de partir observer l’acte XIV. panique qui peuvent être dangereux pour l’observateur-e-s lui/elle–même et pour son groupe, et sans vouloir réduire la peur à cela, il nous semble qu’on ne peut pas dissocier les notions de peur de l’ambiance virile des manifestations. Majorité criante d’hommes policiers vs le peu de femmes policières, présence et utilisation d’armes de guerre, violences des affrontements, nous sommes confronté-e-s à la violence dite légitime de l’Etat, représenté par des hommes en armes. Face à cette violence, certain-e-s répondent et ripostent avec des armes différentes, parfois très humoristiques, parfois aussi des armes qui visent à blesser. Progressivement, et d’autant plus après la blessure de Jérôme, un observateur, le 2 février 2019 (voir plus loin), la foule a construit une image des observateur-e-s qu’elle désigne comme des vigies, des « yeux » pour voir et dire, des « héros » modernes en quelque sorte. Nous avons voulu aller plus loin. Comprendre les mécanismes de peur et les déconstruire comme autant d’injonctions politiques et genrées à ne pas être présent-e-s, ne pas témoigner… Les discussions sont en cours… Les observateur-e-s en situation Les observateur-e-s en situation 22 Un bi l an en t r oi s ph ases Nos observations et analyses peuvent se regrouper en trois phases différentes : • du 1er mai 2017 à fin octobre 2018 : nous avons observé des manifestations déclarées, souvent liées au mouvement social « traditionnel » (syndicats, associations et partis politiques). • De la mi-novembre 2018 à fin décembre 2018, ce sont les premières manifestations des « Gilets Jaunes » [G.J.]. Les manifestations, à peine commencées, ont été gazées de manière massive par des forces de police, en général les BAC et les CSI, produisant alors des manifestations en rhizome où les affrontements police/manifestant-e-s éclataient simultanément en divers points du centre-ville de Toulouse. • De janvier 2019 à la fin des observations présentées ici (à la mi-mars 2019), la préfecture a laissé les manifestations se dérouler calmement jusqu’à 16h30, puis a dispersé ceux et celles qui restaient en les qualifiant de casseurs. A noter cependant que la dernière manifestation prise en compte pour la rédaction du présent rapport, celle du 23 mars 2019, a été « cassée » dès 14h50 par une charge de CSI et de BAC destinée à confisquer une banderole, sans qu’aucune situation préalable de tension n’existe entre forces de l’ordre et manifestant-e-s (voir par ailleurs dans la suite du rapport). Les prochaines observations permettront de constater ou non s’il s’agit d’une évolution dans l’organisation du maintien de l’ordre à Toulouse. Nos observations reprennent cette chronologie. Accueil et at t it udes de la police envers les obser vat eur- e- s On imagine aisément, au vu de ce qui précède, que l’accueil de la police a été différent suivant les phases où se sont déroulées les observations. Ph ase 1 (avan t les m an ifest at ion s Gilet s Jau n es) : q u elq u es m arq u es d e sym p at h ie d e cert ain -e-s p olicier-e-s Dans le même esprit de situer l’Observatoire au milieu des interactions, nous avons très vite signalé notre présence aux organisateurs et organisatrices des manifestations, qui nous ont toujours salués de manière sympathique, et aux policier-e-s présent-e-s, chez qui l’accueil, à cette époque, a toujours été courtois. Dès la première manifestation : La d iscu ssion a vec les officiers d es ren seig n em en t s t errit oria u x : m éfia n t s a u d ép a rt , n ot a m m en t d a n s le p rem ier refu s d ’êt re p h ot og ra p h iés, p ou r en su it e l’a ccep t er p ou r l’u n d es d eu x, ils on t vou lu sa voir. Sa voir n on p a s q u i on ét a it (« Ah ou i, vou s êt es d e la Lig u e d es d roit s d e l’Hom m e » en fixa n t n ot re b a d g e, leu r a t t it u d e s’exp liq u a n t p a r le fa it q u e la FSU a u ra it d it en off n ot re p résen ce), m a is ce q u 'on a lla it fa ire. 1er m a i 20 17 23 Ap rès a voir ét é ra ssu rés su r le fa it q u ’on ob serva it ET p oliciers (je la isse a u m a scu lin , a u cu n e fem m e d a n s la Police h ier) ET m a n ifest a n t -e-s [M a rie a m on t ré (ou p a rlé) d e l’œ u f p a r t erre], ils se son t m êm e m on t rés in q u iet s q u a n d on a d it q u ’on p ort era it d es g ilet s [« At t en t ion q u ’on n e soit p a s ob lig és d e ven ir vou s exfilt rer ! »]. M a is en d eh ors d e ces d ét a ils fa ct u els, j’a i com m e sen t i u n e volon t é d e d ia log u e. Com m e le CRS con d u ct eu r d e b u s q u i a p h ot og ra p h ié M a rie à sa su it e en ria n t …L’h yp ot h èse q u ’on p ou rra it fa ire est u n m a la ise d es « forces d e l’ord re », u n m â le-a ise en t re le 21 ja n vier (Ch a rlie) et m a in t en a n t . Not a m m en t a vec les slog a n s « Person n e n ’a im e la p olice ». Les fem m es q u i son t ven u es offrir d u m u g u et a u x flics (leu rs con join t es et a m ies d ’a p rès u n jou rn a list e) ren forcen t cet t e id ée d e b esoin d e lien s (b esoin d ’a m ou r d ira ien t cert a in -e-s). L’h yp ot h èse q u ’ils (et u n jou r elles) veu illen t a p p rofon d ir les d iscu ssion s, d ire q u ’ils n e son t p a s u n b loc u n iform e. En ce sen s, il m e sem b le im p ort a n t d e veiller à rep érer ces a p p els à con t a ct s. Et …d e se ren seig n er su r les d ifféren t s corp s d e p olice, d es d éb a t s q u i les t ra versen t …Là a u ssi le cou rt t ext e, et /ou les ca rt es d e visit e seron t u t iles. 1er m a i 20 17 Accu eil d e la p olice sym p a Au d ép a rt , u n ra ssem b lem en t ét a it p révu a vec d es b ou g ies. Un d es p a rt icip a n t s à l’org a n isa t ion n ou s a va it d em a n d é d e ven ir ob server. Nou s a von s a p p ris en a rriva n t q u ’il y a va it u n e m a n if, a vec u n p a rcou rs d e Jea n Ja u rès à la p la ce Sa in t -Pierre et u n e a rrivée a u Ca p it ole. Bon a ccu eil d u p olicier resp on sa b le. Il d it q u ’il est a u cou ra n t d e n ot re p a rt icip a t ion su r les m a n ifs et m e d em a n d e t ou t efois d e n ou s m et t re les g ilet s p ou r êt re recon n a issa b les. Sou rire a u ssi d u resp on sa b le d es services t errit oria u x q u i n ou s recon n a it … d ésorm a is. 8 d écem b re 20 17 L’accueil a aussi été positif de la part des policier-e-s présent-e-s. M a n ifest em en t n ot re p résen ce ét a it con n u e. On a con st a t é q u elq u es sou rires à n ot re a rrivée, d e la p a rt d e p olicier-e-s d éjà rep éré-e-s à la p récéd en t e m a n ifest a t ion et q u i n ou s on t d ésig n és d u d oig t à leu rs collèg u es. D es ob serva t rices on t eu d roit à d es « a u revoir » à la d isp ersion , d e la p a rt d e p oliciers… Seu l u n g a rd e m ob ile a m on t ré d es sig n es d ’a g ressivit é m a n ifest es à n ot re ég a rd à d e m u lt ip les rep rises . Et ce con st a t a ét é p a rt a g é p a r d eu x d es t rois g rou p es d ’ob serva t ion s. 21sep t em b re 20 17 Une dernière remarque : Ta n t p ou r ce q u i con cern e les m a n ifest a n t s q u e p ou r les p oliciers, il se con firm e q u e les ob serva t eu r-e-s d e l’OPP son t en t ré-e-s d a n s le p a ysa g e d es m a n ifest a t ion s t ou lou sa in es. Les resp on sa b les d e la p olice (en civil com m e en u n iform e) n ou s d isen t m êm e b on jou r ; et p ou r cert a in -e-s, a vec le sou rire... Cep en d a n t , u n jou rn a list e n ou s a p réven u s q u e d es m a n ifest a n t s a va ien t ét é m en a ça n t s à leu r en con t re d a n s l’h yp ot h èse où ceu x-ci film era ien t la t êt e d u cort èg e... Et n ou s a con seillé d e n ou s m éfier. 1er février 20 18 Ph ases 2 et 3 (p en d an t les Gilet s Jau n es) : q u elq u es sou t ien s, m ais au ssi d es t en sion s, in su lt es et au t res t en t at ives d ’in t im id at ion Au vu du climat tendu lors du mouvement Gilets Jaunes, nous n’avons plus salué de près les responsables policiers (pour éviter d’être perçus comme étant de connivence avec la police), mais différents signes ont montré que nous étions identifiés. Nous observons la police et celleci nous repère et scrute aussi nos réactions. 24 Vot re collèg u e m ’a in su lt é. Un g rou p e d ’ob serva t eu r-e-s est sit u é p la ce d u Ca p it ole, en t re 17h 30 et 18 h eu res. Les p oliciers d e la Police n a t ion a le (CD I) con t rôlen t la p la ce et s’a p p rêt en t à la d ég a g er a vec d es g a z la crym og èn es. Le clim a t est t en d u . Ju st e a va n t le d ép la cem en t d ’u n e d iza in e d e p oliciers en force p ou r recon q u érir u n e p a rt ie d e la p la ce. Un ob serva t eu r d e l’OPP, à t ort , la n ce « Vive la p olice rép u b lica in e ! ». Au ssit ôt , celu i q u i se p résen t e com m e le ch ef d u g rou p e d es p olicier-e-s n ou s in t erp elle : « Vot re collèg u e (il d ésig n e u n ob serva t eu r) vien t d e n ou s in su lt er. C’est in a ccep t a b le. Vou s n ’a vez p a s à p ren d re p a rt ie. Je fera i u n ra p p ort q u i ira loin … ». Bien en t en d u , n ou s n ou s som m es excu sé-e-s p ou r ce q u ’il a va it p ris p ou r u n e in su lt e. L’ob serva t eu r fu t (cru ellem en t ) fessé d e su it e d eva n t t ou t e la m a n ifest a t ion . Bien en t en d u a u ssi, il n ’y a u ra a u cu n e su it e à cet in cid en t . Si n ou s n ou s som m es vit e m is d ’a ccord su r l’im p érieu se n écessit é d e rest er n eu t res d a n s n os a t t it u d es, n ou s n 'a von s p a s p u d iscu t er a vec le ch ef p olicier p ou r com p ren d re en q u oi le fa it d e reven d iq u er u n e p olice rép u b lica in e con st it u a it u n e in su lt e. 5 ja n vier 20 19 Sym p at h ie d e q u elq u es CRS. 15h 4 5 Les CRS b loq u en t la ru e Ken n ed y, côt é Rém u sa t , em p êch a n t d ’a ller su r Alsa ce Lorra in e. 25 CRS. L’u n d ’en t re eu x m e p a rle, m e d em a n d e si je n ’a i p a s froid et n ou s in d iq u e q u e les m a n ifest a n t s son t en t re 4 et 60 0 0. 12 ja n vier 20 19 Sym p at h ie q u i va su b sist er, p ou r cert ain -e-s p olicier-e-s, t ou t au lon g d e n os ob servat ion s. Ru e « La b ed a » (d eva n t le TNT), n ou s com p t on s u n e vin g t a in e d e g en d a rm es ég a lem en t et d eu x ca m ion s. Lorsq u e n ou s p a sson s d eva n t eu x, l'u n d 'en t re eu x n ou s sa lu e, n ou s d em a n d e com m en t n ou s a llon s p u is n ou s la n ce su r u n t on iron iq u e : « Ça fa it lon g t em p s q u 'on n e vou s a va it p a s vu s ! » et fin it p a r n ou s sou h a it er « b on cou ra g e ». 2 février 20 19 Réact ion s ag ressives Les incidents de l’observation dès la phase 1 (avant les Gilets Jaunes). Qu elq u es p olicier-e-s n ou s p rovoq u en t . Nou s a von s n ot é u n e p résen ce sig n ifica t ive d e la BAC a vec en t re 25 et 30 p oliciers (a vec d es n ou vea u x q u e n ou s n ’a vion s en core ja m a is vu s). Cert a in s d ’en t re eu x n ’on t p a s ca ch é leu r a n im osit é en vers n ou s, p a r d es reg a rd s « lou rd s d e sen s » (c’est le ca s d ep u is le d éb u t d e la p résen ce d e l’Ob serva t oire et ce son t à p eu p rès t ou jou rs les m êm es p oliciers). Et , su rt ou t , d es a t t it u d es p roch es d e la p rovoca t ion ; et ça , p a r con t re, c’est n ou vea u . Nou s a von s vu u n p olicier sort ir ost en sib lem en t u n e fla sq u e (con t en a n t d e l’a lcool ?) d e la p och e in t érieu re d e sa vest e et la p ort er à sa b ou ch e en n ou s n a rg u a n t , p u is la p a sser à son collèg u e. Ce t yp e d e com p ort em en t n e d evra it p a s a voir sa p la ce d a n s u n d isp osit if p olicier ch a rg é d e « l’en ca d rem en t » d ’u n e m a n ifest a t ion . M a n ifest a t ion d es fem m es, 8 m a rs 20 18 25 Dans un premier temps, en dehors de l’attitude provocatrice et souvent menaçante de certains policiers (minoritaires) envers les observateur-e-s de l’OPP, plus particulièrement de policiers en civil, vraisemblablement membres des BAC – Brigades Anti-Criminalité, aucun incident n’est venu troubler nos observations lors de la première phase, si ce n’est le « gazage » des observateur-e-s encore restant-e-s le 22 mars 2018. Au début de cette manifestation, un des cofondateurs de l’Observatoire a été obligé de retirer son gilet avant la manifestation. Vou s n ’avez p as à p ort er ce g ilet . Ava n t m êm e le d ép a rt d e la m a n ifest a t ion (vers 14 h 20 ), u n ob serva t eu r d e l’OPP q u i se d irig ea it vers la t êt e d e cort èg e, vêt u d e son g ilet id en t ifia n t , p ou r rejoin d re le p ost e d ’ob serva t ion q u i lu i a va it ét é a ssig n é, a ét é p ris à p a rt ie p a r u n g rou p e d e p oliciers en civil, vra isem b la b lem en t m em b res d e la BAC. Il a d ’a b ord ét é in t erp ellé verb a lem en t p a r l’u n d es p oliciers et s’est a rrêt é a u n ivea u d e celu i-ci en lu i d isa n t q u ’il n ’a va it p a s com p ris ce q u i lu i a va it ét é d it . À ce m om en t -là , le p olicier et u n d e ses collèg u es se son t a p p roch és d e lu i et l’u n d ’en t re eu x (celu i q u i l’a va it in t erp ellé) lu i a d it (cit a t ion ) : « Vou s feriez m ieu x d ’a ller fa ire ça en Corée d u Nord (…) Vou s n ’a vez rien à fa ire ici (…) vot re t ru c, ça sert à rien ». Pu is, le p olicier, t ou jou rs le m êm e, l’a « a t t ra p é » p a r le g ilet flu orescen t et en lu i m on t a n t le log o d e la Fon d a t ion Cop ern ic, p résen t su r le d eva n t d e la vest e, lu i a d it (cit a t ion ) : « Qu ’est -ce q u i m e p rou ve q u e vou s êt es d e ce m a ch in -là ? Avez-vou s, com m e les jou rn a list es, u n e ca rt e ou u n p a p ier q u i n ou s d it q u i vou s êt es ? ». L’Ob serva t eu r, g a rd a n t son ca lm e, lu i a rét orq u é q u e sa p résen ce en t a n t q u ’ob serva t eu r ét a it con n u e et d écla rée. Pu is l’ob serva t eu r a d em a n d é à d ’a u t res p oliciers q u i ét a ien t u n p eu en ret ra it (ils ét a ien t cin q en t ou t ) d e m a it riser leu r collèg u e. Un d e ces p oliciers s’est a p p roch é et a d it à l’ob serva t eu r q u ’il n ’a va it q u ’à p a s p a rler a u x p oliciers. Ce à q u oi l’ob serva t eu r a rét orq u é q u e c’ét a it lu i, ob serva t eu r, q u i a va it ét é in t erp ellé p a r ses collèg u es. Ce p olicier s’est a lors m is en ret ra it . Le p olicier q u i a va it in t erp ellé verb a lem en t l’ob serva t eu r est a lors « reven u à la ch a rg e » et a d it , m en a ça n t , à l’ob serva t eu r d e l’OPP (cit a t ion ) : « Pu isq u e vou s n e p ou vez p a s p rou ver q u e vou s a p p a rt en ez à ce t ru c-là , en levez vot re vest e (…), vou s n ’a vez p a s le d roit d e p ort er ce t yp e d e t en u e (…) c’est réservé à d es g en s com m e les jou rn a list es ». L’ob serva t eu r s’est exécu t é et a p u a lors rep a rt ir. 22 m a rs 20 18 Des ob servat eu r-e-s cib lé-e-s en fin d e m an ifest at ion En fin d e m a n ifest a t ion , a p rès la d issolu t ion d e celle-ci d em a n d ée p a r les org a n isa t eu rs, d es g rou p es d e m a n ifest a n t -es on t st a t ion n é p en d a n t p lu sieu rs d iza in es d e m in u t es su r le b ou leva rd Ca rn ot (en t re la ru e D elp ech et la ru e Ca ra m a n ). Les ob serva t eu r-es d e l’OPP son t rest é-es su r les côt és d u ra ssem b lem en t p ou r ob server l’org a n isa t ion d u d isp osit if p olicier, son évolu t ion et le com p ort em en t g én éra l d es p oliciers fa ce a u x m a n ifest a n t -es. À 18h 25, les p oliciers on t d écid é d e d isp erser les q u elq u es d iza in es d e m a n ifest a n t -es en core p résen t -es. D es con t a ct s u n p eu m u sclés en t re p oliciers et m a n ifest a n t -es on t p u êt re ob servés, p u is u n e ch a rg e d e p olice a eu lieu . Les ob serva t eu r-e-s, q u i ét a ien t à l’éca rt d es h eu rt s m a is les ob serva ien t a vec a t t en t ion (en f ilm a n t et en p ren a n t d es p h ot os), on t ét é p ris sciem m en t p ou r cib les p a r u n g rou p e d e p oliciers en civil, p a rm i lesq u els ét a ien t p résen t s les p oliciers q u i a va ien t in t erp ellé l’ob serva t eu r en d éb u t d e m a n if est a t ion . Les p oliciers on t a sp erg é les t rois ob serva t eu r-e-s d e g a z la crym og èn e à l’a id e d e g a zeu ses, en visa n t les visa g es. Un d es t rois ob serva t eu r-e-s a ét é p ou ssé violem en t d a n s le d os a vec u n e m a t ra q u e en ét a n t a p ost rop h é d e la m a n ière su iva n t e (vid éo a vec son d isp on ib le) « Ca ssez-vou s m a in t en a n t , ça su f f it , m on sieu r ». Tou t ceci, a lors q u e les ob serva t eu r-e-s n e fa isa ien t q u e ce p ou rq u oi ils et elles ét a ien t p résen t -e-s, et ceci sa n s a u cu n e a g ressivit é n i la m oin d re a t t it u d e p rovoca t rice : ob server, p h ot og ra p h ier et film er, en ét a n t a isém en t recon n a issa b les g râ ce à leu r g ilet flu orescen t b icolore et sig lé. 22 m a rs 20 18 VOIR LA VID ÉO 26 Au t re fait m arq u an t d e la jou rn ée : Il est à n ot er q u e vers 17h 37 (p h ot os d isp on ib les), u n éch a n g e verb a l, p lu t ôt cou rt ois, en t re le Direct eu r d e la Sécu rit é Pu b liq u e - DDSP et d eu x ob serva t eu rs (q u i seron t a sp erg és d e g a z la crym og èn e u lt érieu rem en t ) a va it eu lieu a u n ivea u d e la ru e d e M et z. Les ob serva t eu rs, a p rès a voir ét é in t erp ellés verb a lem en t p a r le DDSP p a rce q u ’ils le p ren a ien t en p h ot o, a va ien t in d iq u é a u resp on sa b le d e la p olice leu r a p p a rt en a n ce à l’OPP ; et celu i-ci a va it rép on d u q u ’il con n a issa it l’OPP a in si q u e la ra ison d e leu r p résen ce. Les ob serva t eu rs on t a lors fa it p a rt a u DDSP d e l’in cid en t d e l’en t a m e d e m a n ifest a t ion (« Vou s feriez m ieu x d ’a ller fa ire ça en Corée d u Nord ») ; le DDSP a recon n u q u e cela n ’ét a it (cit a t ion d e m ém oire) « p a s t rès b ien ven u ». Et a p rop osé a lors a u x ob serva t eu rs d e ven ir le ren con t rer « d ès q u ’ils le vou d ra ien t ». Prop osit ion a ccep t ée verb a lem en t p a r les d eu x ob serva t eu rs p résen t s. 22 m a rs 20 18 Gazage à main des manifestant-e-s lors de la manifestation du 22 mars Su it e à ces in cid en t s, l’Ob servat oire d éclare syst ém at iq u em en t resp on sab les d e la p réfect u re et d es services d e p olice. sa p résen ce au x Suite à ces incidents et après moult déplacements de date, nous obtiendrons un rendez-vous avec les responsables de la police (Direction Départementale de la Sécurité Publique – Nelson Bouard, directeur) et de la préfecture (Céline Enjaume – cheffe du service des politiques de sécurité publique) le 31 mai 2018. Nous avions, à l‘époque, qualifié l’ambiance de cet entretien comme empreint de courtoisie républicaine. À la suite de cette entrevue, nous déclarerons systématiquement notre présence dans les manifestations, par courriel, aux responsables de la préfecture et de la police. De plus et jusqu’à la séquence Gilets Jaunes, nous nous présenterons aux responsables policiers sur le terrain en début de manifestation. Nous avons aussi saisi l’IGPN des incidents du 22 mars 2018. Et p ar la su it e… Dès l’acte IX, le 12 janvier, au vu des violences, nous avons demandé aux observateur-e-s de s’équiper avec du matériel de protection individuelle : casque, masque à gaz, lunettes. Et nous l’avons explicitement mentionné dans nos déclarations de présence : « Les m em b res d e l’Ob serva t oire seron t id en t ifia b les g râ ce à leu r ch a su b le réfléch issa n t e b icolore ja u n e et b leu e, sig lée a u d os. Nou s vou s in form on s a u ssi q u ’a u reg a rd d u d érou lem en t con st a t é d es m a n ifest a t ion s, les ob serva t eu r.es seron t d ot és d e m oyen s d e p rot ect ion in d ivid u elle (ca sq u es et lu n et t es en p a rt icu lier) ; et q u e n ou s d em a n d on s q u e ce m a t ériel d e p rot ect ion n e soit p a s sa isi lors d ’éven t u els con t rôles a va n t et a p rès m a n ifest a t ion . » 27 Déclaration de présence pour suivi de manifestation Les observateur-e-s de l’Observatoire toulousain des pratiques policières seront présent-e-s lors des manifestations du : • Samedi 12 janvier 2019 – 14h – Métro Jean Jaurès organisée par les Gilets Jaunes • Samedi 12 janvier 2019 - 14h – Arnaud Bernard organisée par la CGT Les membres de l’Observatoire seront identifiables grâce à leur chasuble réfléchissante bicolore jaune et bleue, siglée au dos. Nous vous informons aussi qu’au regard du déroulement constaté des manifestations, les observateur-e-s seront doté-e-s de moyens de protection individuelle (casques et lunettes en particulier) ; et que nous demandons que ce matériel de protection ne soit pas saisi lors d’éventuels contrôles avant et après manifestation. Etant donné le contexte particulier qui tient au mouvement social en cours, les observateur.es seront présents dès 13h et continueront leurs observations autant que cela semblera être utile à la mission qui leur a été confiée par l’Observatoire. Nous vous demandons de veiller sur le terrain au respect des engagements pris lors de notre rencontre du 31 mai 2018 afin que les observateur.es puissent effectuer leur mission en toute liberté et en toute sûreté. A l’avance, nous vous remercions de bien vouloir prendre en compte ces informations.. Veuillez recevoir nos salutations républicaines. Vou s êt es con st am m en t collés à n os b asq u es Arrivés à la ru e Sa in t Bern a rd , n ou s voyon s u n g rou p e d e p oliciers en civil en t ra in d e p rocéd er à la fou ille d es sa cs d e d eu x p erson n es. Nou s com m en çon s à film er (il est 14 h 23 ; voir a u ssi la p h ot o ext ra it e d e la vid éo ci-con t re) et u n d es ob serva t eu rs est a lors a p ost rop h é p a r u n p olicier q u i lu i d it , en t re a u t res : « on s’est ren d u com p t e q u e vou s n e serviez p a s à g ra n d ch ose » p u is « p ou rq u oi vou s n e film ez p a s les ca sseu rs » et en core « vou s êt es con st a m m en t collés à n os b a sq u es » ; et ça con t in u e a vec « vot re collèg u e q u i s’est ra m a ssé u n t ru c, c’est q u ’il d eva it êt re à côt é d e n ou s, il a d û p ren d re u n e p ierre ». Cet éch a n g e se p a sse d e com m en t a ires. 9 février 20 19 Fouille de manifestants avant manifestation avec confiscation, sans PV, de lunettes – 9 février 2019 VOIR LA VID ÉO 28 En dehors des marques de sympathie ou d’antipathie, il a fallu du temps pour que les différents corps de police nous acceptent comme observateur-e-s et, par exemple, acceptent nos « protections ». Saisin e d u casq u e d ’u n ob servat eu r Crevé, je ren t re ch ez m oi en p a ssa n t p a r la ru e St Rom e. Un cord on d e GM a va n t Esq u irol. « Vou s, M on sieu r »…M on ca sq u e est a ccroch é à m on sa c à d os, les lu n et t es fixées d essu s. Le GM q u i m e con t rôle m e d ép a sse d ’u n e t êt e. Il reg a rd e m on sa c…Il d em a n d e à son ch ef q u i lu i d it d e g a rd er « le m a t ériel ». J’essa ie d e m ’exp liq u er : l’Ob serva t oire, les g ilet s ja u n es et b leu s (q u e je m on t re). Rien n ’y fa it . « Vou s ret rou verez cela lu n d i m a t in a u com m issa ria t » d it -il. Il m e p ren d m a ca rt e d ’id en t it é q u ’il p h ot og ra p h ie. Je d em a n d e u n PV d e sa isie…« Si vou s croyez q u ’on n ’a q u e cela à fa ire ». Je lu i d is q u e je ren t re ch ez m oi, à 25 m èt res d e là . Il reg a rd e m on a d resse. « Vou s vou lez u n e p erq u isit ion ch ez vou s, c’est cela ? » d it -il en m on t a n t le t on . En m e t oisa n t d u h a u t d e son m èt re 90 (ou p lu s). Je sen s q u e l’in cu lp a t ion p ou r ou t ra g e n ’est p a s loin . Je su is crevé…Je m e t a is. Ils p ren n en t ca sq u e (a vec in scrip t ion OPP et LD H) et lu n et t es. Je ren t re ch ez m oi. Le lu n d i, j’ira i a u com m issa ria t . Person n e n e sa it où son t les ca sq u es. Peu t -êt re a u x ob jet s t rou vés…J’en ra ch èt e u n ch ez D eca t h lon . 29 ja n vier 20 19 Con t rôle d es ob servat eu r et t en t at ive d e saisie d e m at ériel d e p rot ect ion san s PV Nou s p a rt on s d ep u is le loca l d e la LD H a u x Ca rm es. Nou s p ort on s les ch a su b les ob serva t eu r-e et som m es con t rôlés p a r d es CRS à Esq u irol. Con t rôle d es sa cs d es g a rçon s (les filles d e l’OPP n ’y on t p a s d roit ) et volon t é d e sa isir les m a sq u es et lu n et t es d e p rot ect ion . Ap rès u n q u a rt d ’h eu re d e d iscu ssion et d em a n d e d e réd a ct ion d ’u n p rocèsverb a l d e sa isin e, ils n ou s la issen t p a rt ir a vec t ou t le m a t os, a p rès con firm a t ion t élép h on iq u e p a r la h iéra rch ie. Nou s leu r a von s p résen t é le cou rrier en voyé à la p réfect u re, fa isa n t m en t ion d e n ot re éq u ip em en t , et l’exig en ce d e PV d e sa isin e d u m a t os sem b le a voir ét é d ét erm in a n t e p ou r p ou voir con t in u er sa n s se fa ire sa isir le m a t ériel. A m in im a , cela a ob lig é le g ra d é à p a sser p lu sieu rs cou p s d e fil ju sq u ’à t rou ver la b on n e a u t orit é. 12 ja n vier 20 19 Arrivés à Sa in t -Et ien n e, n ou s som m es d e n ou vea u b loq u és p a r les GM . Nou s sort on s a lors n ot re d écla ra t ion d e cou vert u re d e la m a n ifest a t ion , q u e n ou s d on n on s à u n g en d a rm e en lu i d isa n t q u e n ou s som m es d es ob serva t eu r-e-s et a von s d écla ré n ot re p résen ce à la D D SP et à la p réfect u re. Celu i-ci s’en sa isit , n ou s d em a n d e d ’a t t en d re, et va la m on t rer à sa ch effe. Celle-ci y u n jet t e u n œ il ra p id e et lu i d it d e n ou s la isser p a sser. Il est 17h 18. Nou s rejoig n on s d on c le cort èg e en h a u t d e la ru e d e M et z en p a ssa n t d errière u n d isp osit if p olicier som m e t ou t e lég er, m a is a vec d eu x b lin d és q u a n d m êm e… 9 m a rs 20 19 Blindés légers au niveau de la rue de Metz. Nous venons de franchir le barrage de gendarmes mobiles. 29 Les ob servat eu rs recon n u s et laissés avec leu rs m at ériels Un e a n ecd ot e : h ier j’a i, p ou r la p rem ière fois, m is m on (n ou vea u ) m a sq u e à g a z… Il est su p er ! En rep a rt a n t , vers 16h 4 5, j’a i en levé m on g ilet , m es lu n et t es, et j’a i ou b lié d ’en lever m on m a sq u e à g a z. Tra versée d ’u n e h a ie d e Ga rd es M ob iles…Je com p ren d s m on erreu r. Ils m ’a rrêt en t … J’exp liq u e l’Ob serva t oire, le cou rrier (d e d écla ra t ion ) q u e je m ’a p p rêt a is à sort ir... Le ch ef a rrive. Il d it : q u elle cou leu r, le g ilet , d a n s le sa c ? Le GM à côt é d e m oi rép on d : ja u n e et b leu . Alors vou s p ou vez y a ller, d it le ch ef, m a is SVP, a va n t , en levez vot re m a sq u e à g a z… 5 février 20 19 Post u re d es ob servat eu r-e-s et in su lt es La posture des observateur-e-s a changé au fur et à mesure des manifestations. Nous nous sommes rapproché-e-s des forces de police. Cette proximité, le fait de les filmer et de les photographier au plus près a provoqué des réactions d’antipathie de la part des BAC et des CDI : Pa r exem p le p ou r l'a ct e XIV, la b a c m a is a u ssi q u elq u es CD I se t rou va ien t p la ce d u Ca p it ole a u n ivea u d u M a cD o. Lorsq u e n ou s som m es p a ssés, n ou s a von s eu d roit à d es p et it s cris im it a n t les corb ea u x d e la p a rt d es CD I, a lors q u e la BAC, d a n s le m êm e t em p s, d isa it : « t ien s, voilà d es ch a rog n a rd s », d e fa çon à ce q u e l'on p u isse l'en t en d re, m a is sa n s n ou s "in t erp eller" d irect em en t .[…] Plu s t a rd , d a n s la ru e Rom ig u ières, le g rou p e d e la BAC n ou s a q u a lifiés d 'éb ou eu rs. 16 février 20 19 Ils [les p olicier-e-s] se p la cen t su r le p et it t rot t oir q u i sép a re les d eu x voies d e circu la t ion et com m en cen t à n ou s in su lt er cop ieu sem en t : sa les con s, con n a rd s, fils d e p u t e, lâ ch es et c… et a u t res a m a b ilit és. Ils n ’on t a u cu n d ou t e su r le fa it q u e n ou s som m es d es ob serva t eu rs, d ès lors q u e l’on s’est ret ou rn és p ou r leu r m on t rer n os ch a su b les et q u ’a p rès ils n ou s rep roch en t d e n e p a s ob server les ca sseu rs. Ils son t ext rêm em en t vu lg a ires et ch erch en t à en d écou d re. Pa s d u t ou t d a n s u n e log iq u e d ’a p a isem en t m a is a u con t ra ire d ’exa cerb a t ion d es t en sion s. 12 ja n vier 20 19 (g rou p e 2) Doig t d ’h on n eu r Nou s les su ivon s... Nou s a rrivon s au sq u a re Ch a rles d e Ga u lle, n on sa n s a voir ét é g ra t ifiés d e d oig t s d ’h on n eu r par un p olicier d es CD I. (cf. p h ot o ci-con t re). 16 février 20 19 Un « magnifique doigt d’honneur » à l’attention des observateur-e-s, 16 février 2019 30 Des ob servat eu r-e-s b ou scu lé-e-s Un d es BRI d on n e l’ord re d ’a va n cer p ou r n ou s rep ou sser en core p lu s loin . Ils n ou s b ou scu len t a vec leu r b ou clier et l’u n d ’en t re eu x u t ilisen t u n e g a zeu se à m a in p ou r a sp erg er u n GJ q u i ét a it en t ra in d e recu ler. B. p ren d u n p eu d e la crym o a u p a ssa g e. Qu elq u es m in u t es a p rès, n ou s voyon s d ’a u t res m em b res d es BRI (3 ou 4 ) se m et t re à cou rir a p rès d es m a n ifest a n t s en d irect ion d e Com p a n s Ca ffa relli. Ils son t ra t t ra p és p a r d ’a u t res BRI d on t l’u n , p eu t -êt re leu r ch ef, sem b le les rép rim a n d er d ’êt re p a rt is a in si d e m a n ière a u ssi sp on t a n ée. Cela s’est d érou lé en t re 18h 35 et 18h 4 5, je p en se. 12 ja n vier 20 19 …u n ob serva t eu r se fa it b ou scu ler p a r d errière (d on c a vec sa ch a su b le id en t ifia n t e et sig lée b ien visib le) p a r d es b a cq u eu x 21, il est ra t t ra p é « a u vol » p a r d es p a ssa n t s ju st e a va n t d e t om b er p a r t erre... 2 février 20 19 Les ob servat eu r-e-s rep ou ssé-e-s « én erg iq u em en t » 17h 4 0 Qu a n t à l’op t ion ret ou r Pla ce D u p u is, elle se ferm e p a r u n cord on d e CSI, n ou s som m es a u con t a ct d errière eu x, ils n ou s p ou ssen t , n ou s fon t recu ler t rès én erg iq u em en t , ils veu len t q u ’on s’en a ille, on leu r rép on d q u ’on est là p ou r ob server. Nou s som m es a lors sép a rés d es m a n ifest a n t s, q u i eu x son t rep ou ssés p a r u n g ros d éversem en t d e la crym os vers le h a u t d e Gu illem ery ; p u is ça b a la n ce d ’u n côt é et d e l’a u t re et n ou s som m es ég a lem en t cop ieu sem en t a rrosés : ça t ou sse, ça p leu re ch ez les ob serva t eu rs ! 16 février 20 19 Qu elq u es secon d es a p rès, u n p olicier s’a va n ce vers n ou s et n ou s in t erp elle en n ou s d isa n t « Allez, d roit s d e l’Hom m e, recu lez » et d eva n t n ot re p eu d ’em p ressem en t , se fa it p lu s m en a ça n t … (cf. p h ot os ci-con t re). Nou s recu lon s… p ou r m ieu x n ou s réa va n cer lorsq u ’il rep a rt ; c’est d ’a illeu rs le ca s p ou r t ou s les m a n ifest a n t s et b a d a u d s p résen t s… Qu elq u es secon d es a p rès, la BAC un p olicier b ou scu le « a rrive, g en t im en t » u n ob serva t eu r a vec son b ou clier (d eu x vid éos d isp on ib les). Le ch ef, en a rrière-p la n su r la vid éo, est p lu s con cilia n t et n ou s d it « a llez, a llez, recu lez » sa n s a g ressivit é…À n ot er q u e l’u n d es b a cq u eu x n ’a p a s d e b ra ssa rd et est éq u ip é d e t elle m a n ière q u ’u n m a n ifest a n t « la m b d a » n e p eu t d evin er q u ’il est p olicier. 23 février 20 19 Un policier des CSI nous menace. 21. En fait, chez les observateur-e-s, comme pour les manifestant-e-s, le terme « bacqueux » est devenu générique pout désigner tout-e policier-e en civil présent dans le maintien de l’ordre. 31 Vers 18h 23, les forces d e l’ord re t iren t d es g ren a d es la crym og èn es fa ce à u n a t t rou p em en t a b solu m en t pas m en a ça n t . Nou s n ’a von s d ’a illeu rs con st a t é a u cu n la n cer d e p roject ile côt é m a n ifest a n t -e-s. Ce q u i est à l’im a g e d e cet t e jou rn ée d u 23 m a rs… An ecd ot e : q u a n d les ob serva t eu rs se reg rou p a ien t su r le b ou leva rd , a u m ilieu d es m a n ifest a n t s, p ou r se red isp a t ch er, le p olicier resp on sa b le d es CSI a t ra versé le b ou leva rd , s’est a p p roch é d ’eu x et les a in t erp ellés d irect em en t en leu r d isa n t (vid éo d isp on ib le) : « Vou s st a t ion n ez d e m a n ière illicit e. Nou s a llon s fa ire les som m a t ion s. On va rep ou sser. Pa rce q u e vou s êt es a u ssi su r la ch a u ssée, vou s ferez p a rt ie d e la va g u e d e refou lem en t ». Un ob serva t eu r fa it rem a rq u er : « Vou s n ou s ch a rg ez d e m a n ière licit e, a lors » et le p olicier d es CSI op in e d u ch ef en d isa n t « ou i » et a jou t e en p a rt a n t « M a in t en a n t , je vou s p révien s ». 23 m a rs 20 19 Policiers des CSI rejoignant leur position après avoir interpellé oralement les observateur-e-s. Les obser vat eur- e- s ci bl é- e- s et vi sé- e- s Les ob servat eu r-e-s visé-e-s Nou s som m es m on t rés d u d oig t p a r les p oliciers en civil et d a n s le viseu r d e l’u n d ’en t re eu x p ort eu r d ’u n LBD . Nou s som m es t ou s les q u a t re et ressen t on s u n e in q u iét u d e com m u n e. Nou s seron s a in si visés à d eu x rep rises a p rès a voir ét é d ésig n és d u d oig t , y com p ris a p rès q u e n ou s n ou s soyon s id en t ifiés a vec n os ch a su b les « ob serva t eu r.e » en n ou s ret ou rn a n t . 12 ja n vier 20 19 (g rou p e 1) D a n s u n a u t re lieu , u n p olicier vise n ot re g rou p e a vec u n fla sh b a ll. Nou s n e p ist olet som m es p a s t ra n q u illes et t ou rn on s le d os a fin d ’êt re id en t ifié-e-s… 12 ja n vier 20 19 (g rou p e 1) Un ob servat eu r visé à la t êt e p ar u n LBD 19h 27. On voit les ra yon s rou g es d es viseu rs d es LBD p oin t és su r n ou s. Nou s n ou s m et t on s à l’a b ri. Les q u olib et s et in su lt es con t in u en t (vid éo d isp on ib le). A 19h 29, les p oliciers t iren t d es g ren a d es la crym og èn es d a n s la ru e Riva ls (vid éo d isp on ib le). A 19h 31, on p eu t voir t rès n et t em en t su r la vid éo le p oin t eu r la ser d ’u n LBD su r la t êt e d e l’u n d es ob serva t eu rs, a u n ivea u d u cou (cf. p h ot o ci-d essou s, ext ra it e d e la vid éo su r la q u elle on voit cla irem en t le p oin t rou g e d u p oin t eu r la ser d a n s le cou d ’u n ob serva t eu r). Nou s n ou s ra p a t rion s en su it e vers Jea n n e d ’Arc ou u n im p ort a n t d isp osit if p olicier est en p la ce, p u is vers Jea n Ja u rès (id em ). VOIR LA VID ÉO 26 ja n vier 20 19 32 Le point rouge du laser de visée dans le cou d’un observateur à droite. Au fond, entouré, le point rouge du viseur indiquant la position du tireur. Au fur et à mesure du déroulement des manifestations et de notre contestation de la présence des BAC et des CSI dans le maintien de l’ordre (rencontre du 7 janvier 2019 et conférence de presse du 29 janvier 2019), nous avons ressenti une tension grandissante entre nous et ces policier-e-s. A l’inverse, par exemple dans l’acte XII (témoignage de M.), des CRS nous ont dit leur accord sur la demande d’exclure les polices pénales (dont la BAC) des dispositifs de maintien de l’ordre. 16h 57 […] Alors q u e n ot re g rou p e con t in u e, en ra sa n t les m u rs, d e d escen d re en d irect ion d e F. Verd ier, jet s d e la crym og èn es d a n s n ot re d irect ion , sa n s a u cu n e u t ilit é p u isq u ’il n e se p a sse rien à ce m om en t . Cla irem en t u n t ir p ou r n ou s p ressu riser. G. et J. ét a ien t en ob serva t ion a ssez p roch e et son t ob lig és d e recu ler. Un e g ren a d e la crym og èn e est jet ée d a n s leu r d irect ion . H., L., C. et B. reçoiven t ég a lem en t u n e g ren a d e en t re leu rs ja m b es et son t ob lig és d e recu ler ra p id em en t en rem on t a n t G. Péri. 2 février 20 19 Policier menaçant la foule avec son LBD, 2 février 2019. 18h 25 Pa la is d e ju st ice : Un fu m ig èn e est la n cé, q u i fa it b rû ler u n p a lm ier. Ut ilisa t ion m a ssive d e g ren a d es la crym og èn es en cloch e et ra sa n t es. Je su is d e l’a u t re côt é d e la p la ce et en p ren d s u n e q u i m e resq u ille su r la ch a u ssu re. 22 d écem b re 20 18 33 D u ra n t cet t e p rem ière séq u en ce d ’a ffron t em en t et fa ce à l’a m p leu r d u g a za g e, les ob serva t eu rs d e n ot re g rou p e se son t rep liés d a n s la ru e La fa ille. Il est 17h 22. Un e fois le n u a g e d isp ersé, n ou s n ou s som m es ra p a t riés vers le b ou leva rd , où n ou s a von s vu le secon d g rou p e d ’ob serva t eu rs a vec d es la crym og èn es à leu rs p ied s. Nou s les rejoig n on s et ils n ou s in d iq u en t a voir ét é p ris p ou r cib le ; ils en on t eu la n et t e im p ression en t ou s ca s, ca r ils form a ien t u n g rou p e « isolé » et p a rfa it em en t id en t ifia b le. On en t en d d a n s la vid éo p rise p a r u n ob serva t eu r d u g rou p e « t êt e d e m a n if » u n d es ob serva t eu rs d ire « en core u n e a u t re, on se fa it a t t a q u er en fa it ! ». Pu is d ire a p rès : « En voie les collèg u es, en voie les collèg u es. On est cla irem en t visés là ». Cet t e scèn e a ét é film ée (p a r les ob serva t eu r-e-s cib lé-e-s) et n ou s en a von s ext ra it q u elq u es p h ot os (voir ci-d essou s). Ce cib la g e d es ob serva t eu rs se t ra d u ira p a r d e n om b reu ses p ost u res d ’in t im id a t ion d es p oliciers t ou t a u lon g d e l’a p rès-m id i : u t ilisa t ion d ’u n e la m p e st rob oscop iq u e p ou r em p êch er la p rise d e vid éo lors d ’u n e in t erp ella t ion , p olicier q u i s’a va n ce vers l’ob serva t eu r q u i film e u n e in t erp ella t ion et vien t q u a sim en t se coller à lu i, ch effe d es CD I t ou ch a n t l’a p p a reil p h ot o d ’u n ob serva t eu r (q u i film e u n e in t erp ella t ion ) a vec sa m a t ra q u e et q u i, d eva n t sa p rot est a t ion , le m en a ce d ’u n e in t erp ella t ion . VOIR LA VID ÉO 2 m a rs 20 19 1 – La grenade arrive juste devant le groupe, isolé. 2 – La grenade explose. 3 – Les palets roulent sur le sol. 4 – On voit bien que le groupe est isolé. D e m an ière récu rren t e, les ob servat eu r-e-s on t d on c ét é la cib le d e lan cers d e g ren ad es lacrym og èn es alors q u ’ils ét aien t clairem en t id en t ifiés et n e p art icip aien t en au cu n cas au x affron t em en t s. VOIR LA VID ÉO 34 Le ca n on à ea u en t re d on c d e n ou vea u en a ct ion et n ou s som m es a lors cop ieu sem en t a rrosés…Voir la séq u en ce p h ot o ci-d essou s. On n e p eu t , d e n ou vea u , q u e s’in t errog er su r le fa it q u e le t ir d u ca n on à ea u soit d irig é su r le côt é d u b ou leva rd où st a t ion n en t d es b a d a u d s ou d es p a ssa n t s, d es m a n ifest a n t s ca lm es et d es ob serva t eu rs cla irem en t id en t ifia b les. Nou s en seron s q u it t es, p ou r d eu x d ’en t re n ou s, p ou r d es vêt em en t s t rem p és et d u m a t ériel m ou illé… VOIR LA VID ÉO 2 m a rs 20 19 L’engin lanceur d’eau démarre son action et son «canon » pivote vers le trottoir où nous sommes Le « jet d’eau sous pression » se dirige vers nous Nous sommes « collés » contre le mur et quittes pour terminer la soirée, fraiche, trempés jusqu’aux os… 35 Com m e le m on t re la p h ot o 1 (ci-con t re), n ou s som m es cla irem en t loca lisés su r le t rot t oir en d eh ors d e la m a n ifest a t ion ; et p a rfa it em en t id en t ifia b les. Les m a n ifest a n t s se sit u a n t loin d errière n ou s (p h ot o 2). Le ca n on à ea u en t re en a ct ion et n ou s n ’a von s p u éch a p p er à u n m ou illa g e com p let (com m e cela a ét é le ca s le 2 m a rs) q u e p a r la p résen ce d ’u n a rb re (n ou s n ou s som m es p osit ion n és en t re l’a rb re et le ca m ion …). Cf. p h ot o 3. Pa r la su it e, n ou s a llon s êt re p ris p en d a n t 2 m n en viron p ou r cib le p a r le ca n on à ea u , a vec son la n ceu r b ra q u é su r n ot re g rou p e. Un e lon g u e vid éo est d isp on ib le dans la q u elle on voit cla irem en t t ou t cela (les ob serva t eu rs fa cilem en t id en t ifia b les, isolés d e la m a n ifest a t ion a vec le ca n on à ea u cla irem en t b ra q u é su r eu x). 9 m a rs 20 18 1. Les observateur-e-s isolé-e-s et clairement identifiables 2. Les observateur-e-s loin des manifestants. 3. Un arbre « providentiel » entre le canon à eau et l’observateur qui filme Un obser vat eur bl essé au vi sage par un t i r de pol i ci er s pen dan t l ’ act e XI I La b lessu re d e Jérôm e 22 16h Un e p a rt ie im p ort a n t e d u cort èg e a rejoin t Jea n Ja u rès et se d irig e len t em en t vers le m on u m en t a u x m ort s. Je con st a t e à ch a q u e ru e a d ja cen t e d u b ou leva rd u n n om b re im p ort a n t d e p oliciers, BAC, et g en d a rm es. 16h 30 Le cort èg e est st op p é p a r u n e a va la n ch e d e la crym o m a is rest e su r p la ce. La p olice vien t a u ssi d e Jea n Ja u rès, n ou s som m es p ris en t en a ille. 2 février 20 19 Déploiement policier, 2 février 2019 22. Nous n’avons jamais cherché à construire des martyrs. Jérôme n’a pas été le seul blessé par les violences policières disproportionnées lors des manifestations Gilets Jaunes. Cet événement a, pour nous, ravivé la peur qui occupait déjà une partie de notre charge mentale depuis l’avènement d’affrontements violents inconnus à ce jour à Toulouse, en intensité et en durée. L’ensemble des observateur-e-s tient à souligner la dignité, le courage et la lucidité dont a fait preuve notre ami au cours de cette épreuve subie. Jérôme va bien, tous et toutes les blessé-e-s n’ont pas eu sa chance. 36 16h 4 5 Je vois Jérôm e, m e d ép la ce p ou r le rejoin d re, c’est a lors q u ’il est t ou ch é p a r u n p roject ile, vra isem b la b lem en t u n e p ièce d e la crym o. Il est im m éd ia t em en t p ris en ch a rg e p a r u n g rou p e d e m éd ics, il a le visa g e en sa n g . Je veu x rest er a vec lu i, les m éd ics m ’en joig n en t d e m ’éloig n er : « vou s êt es u n d a n g er p ou r n ou s ». Je vois q u ’ils l’em p ort en t d a n s u n m a g a sin . Jérôm e :« Là les m éd ics m e fon t sa voir q u 'ils on t g ra n d m a l, d ep u is d es sem a in es, à d ia log u er correct em en t a vec le service q u i cen t ra lise les a p p els p ou r les b lessés d a n s le ca d re d es m a n ifs !» D a n iel : 17 h eu res, je reçois u n a p p el d es st eet m éd ics ; Jérôm e va êt re h osp it a lisé. On a t t en d les p om p iers. Je le rejoin s a vec M a rie, et on le verra p a rt ir a u x u rg en ces. 2 février 20 19 Casque de Jérôme Blessure de Jérôme “ J'ét a is su r le Bd La za rd Ca rn ot , n on loin d u cen t re com m ercia l Sa in t -Georg es, d on t les ru es sit u ées d e p a rt et d 'a u t res ét a ien t b loq u ées p a r d es a g en t s (BAC + CSI ?). Tirs d e g ren a d es la crym o p ou r scin d er le cort èg e en d eu x. Je n 'ét a is p a s en p osit ion d e voir ce q u 'il s'est p a ssé a u m om en t exa ct où les p rem iers t irs on t eu lieu . Lorsq u e je m e ra p p roch e, les m a n ifest a n t s, p ou r la p lu p a rt , rest en t a ssez éloig n és d es forces d e l'ord re. Qu elq u es-u n s s'a p p roch en t p ou r leu r ren voyer les g a let s d e la crym o. Les t irs con t in u en t . Je su is a lors à u n e vin g t a in e d e m èt res d es m em b res d es forces d e l'ord re q u e je voya is à ce m om en t là , les g ren a d es la crym o n e m e sem b la n t p a s a rriver p roch e d e m oi. Pu is je su is t ou ch é... Gren a d e la crym o ou p lot d 'u n e g ren a d e d e d ésen cerclem en t ? Je n e sa u ra is d ire exa ct em en t , j'a i ét é t rop son n é su r le cou p p ou r a voir u n e a n a lyse cla ire d e la sit u a t ion . M a is p a s u n LBD , a p riori. Jérôme, Observateur de l'OPP, 2 février 2019 37 ” COMMUNIQUÉ DE PRESSE Tou lou se - Le 2 février 20 19 [ext ra it ] Ce samedi 2 février, des membres de l’Observatoire des pratiques policières étaient présents sur la manifestation qui s’est déroulée dans les rues de Toulouse dans le cadre de l’acte XII des gilets jaunes. Un des membres de l’OPP, Jérôme, également membre de la Ligue des droits de l’Homme, a été blessé au front par un projectile tiré par les policiers. ll se trouvait alors au milieu du boulevard Carnot, autour de 16h50, à moins de 100 mètres du centre commercial Saint Georges. Il a été atteint par un projectile au niveau du front qui lui a occasionné une blessure suffisamment importante pour qu’il soit pris en charge par une équipe de street médics et ensuite évacué par les pompiers vers l’hôpital. Son casque, qui a été fortement endommagé, lui a sûrement évité des dommages pires. D’autres observateurs se trouvaient devant l’entrée du centre commercial, observant un groupe de policiers, probablement membres des compagnies de sécurisation et d’intervention, positionné à l’angle entre le boulevard Carnot et la rue des Remparts Saint Etienne. Ils avaient constaté un usage disproportionné de lacrymogènes de la part de ces policiers en direction des manifestants présents sur le boulevard et quelques tirs de LBD. S’agissant des tirs de gaz lacrymogènes, les observateurs avaient constaté également à plusieurs reprises des tirs tendus réalisés par les policiers, visant notamment des manifestants qui cherchaient à rejoindre la tête de la manifestation qui avançait vers le Monument aux morts. L’Observatoire des pratiques policières a dénoncé mardi 29 janvier 2019, dans le cadre d’une conférence de presse, un usage disproportionné de la force par les services de police et notamment les policiers en civil, les membres des brigades anti-criminalité et les membres des compagnies de sécurisation et d’intervention. La blessure de notre camarade, observateur et identifié comme tel avec sa chasuble jaune et bleue, rappelle que les services de police, dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre, usent de manière disproportionnée et aveugle des armes de guerre en leur possession. Ils provoquent des blessures graves, cela quel que soit le comportement de la victime, y compris quand cette dernière n’est à l’origine d’aucun incident. Les réact ion s d e la p réfect u re « Rien n e d ém on t re, en l'ét a t d es in form a t ion s d on t n ou s d isp oson s, le lien en t re la b lessu re (d e cet ob serva t eu r) et l'a ct ion d es forces d e l'ord re ». La sous-préfète de permanence parle comme Castaner quand il s'agissait de J. Rodriguez, une figure médiatique des Gilets Jaunes, blessé à l’œil. Le même déni s’est manifesté avec le blessé de Paris. Serait-ce des « éléments de langage » fourni par le Ministère de l’Intérieur ? La question se pose sérieusement au vu des faits. Les réact ion s à la b lessu re d e Jérôm e Elles furent très importantes. Lors de la manifestation qui a suivi, le 5 février, par dizaines et dizaines, les Gilets Jaunes, les syndicalistes, les manifestant-e-s de différentes sensibilités politiques nous ont demandé des nouvelles de Jérôme, nous ont assuré-e-s de leur empathie, et beaucoup se sont contenté-e-s, comme dans les manifestations précédentes mais avec une ampleur inconnue, de nous remercier de notre présence. 38 Les réactions furent aussi virales sur le Net : le post annonçant la blessure de Jérôme sur la page Facebook de la LDH Toulouse a atteint 285 565 personnes, a suscité 7 828 réactions, commentaires ou partages et 32 622 internautes ont cliqué sur la publication. Les obser vat eur- e- s n ’ on t pas ét é l es seul- e- s ci bl es de cer t ai n- e- s pol i ci er - e- s Les m éd ics visés23 Un m éd ic n ou s in d iq u e q u e p en d a n t la ch a rg e, et a lors q u ’il est id en t ifia b le, il a ét é t a p é p a r u n cou p d e p ied d e p olicier et a reçu u n cou p d e m a t ra q u e su r le b ra s d roit (17h 30 ) 12 ja n vier 20 19 “ Un a u t om ob ilist e s’en est p ris à l’éq u ip e d e m éd ics, en les in su lt a n t . Il est en su it e sort i d e sa voit u re p ou r les p ren d re à p a rt i. Les CRS sera ien t in t erven u s en en voya n t u n e g ren a d e d a n s le g rou p e d e m éd ics, a ssort ie d ’a u m oin s 1 t ir d e LBD 4 0 q u i a exp losé le t élép h on e d e l'u n d 'eu x. Le g rou p e d e m éd ics n ou s d it q u e les b a lles en ca ou t ch ou c on t ét é la n cées p a r u n PENN a lors q u ’ils fu ya ien t . Témoignage d'un médic, 9 février 2019 ” Les m éd ics em p êch é-e-s En a t t en d a n t , d iscu ssion a vec p lu sieu rs "m éd ics" q u i on t d es t ém oig n a g es in t éressa n t s : Le 19 ja n vier, à 17h , ils on t a p p elé les p om p iers, il leu r a ét é rép on d u q u 'u n a rrêt é p réfect ora l leu r in t erd isa it l'a ccès a u cen t re-ville. Lors d e la m a n ifest a t ion d e n u it , à 21h 15, les p om p iers les on t fa it a t t en d re p ou r u n m a n ifest a n t b lessé à la t êt e ; a u b ou t d e 2h il a ét é em m en é à l'h ôp it a l p a r u n a m i. Un secou rist e m 'a m on t ré u n e p h ot o d e p lu sieu rs p oliciers m a t ra q u a n t u n m a n ifest a n t a u sol, je lu i a i d on n é m on m a il p ou r q u 'il m e l'en voie m a is je n 'a i rien reçu . Le 12 ja n vier, lorsq u 'ils soig n a ien t d a n s u n ca fé u n m a n ifest a n t , les p oliciers on t em b a rq u é son ép ou se p ou rt a n t t rès ca lm e a u p rès d e lu i. 29 ja n vier 20 19 • • • • Les journalistes aussi ont été blessé-e-s. Jou rn alist e visé M ais aussi de bons cont act s avec cer t ai n- e- s pol i ci er- e- s En dehors de ces incidents, sans doute facilités par le peu d’expérience d’observateur-e-s des pratiques policières en France24, d’autres réactions, plus sympathiques, ont eu lieu. 23. Nous l’évoquerons plus loin. Mais « street medics » est un terme générique englobant l’ensemble des différentes équipes de secouristes volontaires toulousain-e-s. 39 Bon accuei l des m an i f est an t - e- s Ce fut le cas avec le mouvement syndical dans la première phase de nos observations. Une fois avertie-s de notre présence25 et de nos objectifs, de nombreux témoignages de sympathie ont été reçus tout au long des manifestations de mai 2017 au 26 octobre 2018. Certaines personnes ont d’ailleurs imputé à notre présence le peu d’incident avec la police. Informé-e-s de nos objectifs, très vite, certaine-s journalistes nous ont interviewé-e-s. Seul bémol à cet accueil chaleureux, quelques regards moins sympathiques de la part de certain-e-s qui se nomment radicaux et radicales. Suite à la manifestation du 1er mai 2017, où nous avions réalisé une observation/test, certaines personnes autoproclamées radicales nous ont fait savoir leur volonté de ne pas être prises en photo ou filmées par l’Observatoire. L’Accu eil fa it a u x ob serva t eu r-e-s a , d e n ou vea u , ét é ch a leu reu x d e la p a rt d es m a n ifest a n t -e-s. Plu sieu rs p erson n es (en g én éra l con n u es d e n ou s) on t sou h a it é se join d re à l’Ob serva t oire. Nou s leu r a von s d on n é ren d ez-vou s à la p roch a in e réu n ion . Qu a n d on sa it q u e cert a in es d e ces p erson n es a va ien t d éjà ét é p réven u es p a r m a il, on m esu re « l’effet g ilet b leu » q u e p rovoq u e, en a ct es, n ot re p résen ce. La p résen ce d ’u n log o (LD H ou Cop ern ic) su r le d eva n t d u g ilet a fa vorisé n ot re id en t ifica t ion . 21sep t em b re 20 17 Soyez n os yeu x Ju sq u 'à Jea n Ja u rès, n ou s a u ron s l'occa sion d e b ea u cou p d iscu t er a vec d es m a n ifest a n t s q u i s’in q u ièt en t d e l’ét a t d e sa n t é d e Jérôm e, m a is a u ssi d e n ot re sécu rit é : « Prot ég ez-vou s ! Prot ég ez-vou s, ca r n ou s on n e p eu t p a s, on n ou s con fisq u e t ou t a va n t la m a n ifest a t ion , m êm e le séru m p h ysiolog iq u e. » « Ra con t ez t ou t , et film ez ! Il fa u t q u e vou s m on t riez les p reu ves, il fa u t q u e t ou t e la Fra n ce sa ch e ce q u 'on se p ren d su r la g u eu le à ch a q u e m a n if ! ». 5 février 20 19 On en t en d à ce m om en t -là d es excla m a t ion s et d es cris côt é Am érica in s. Le m a t ra q u a g e d éjà cit é vien t d ’a voir lieu . Il s’est p a ssé u n e vin g t a in e d e secon d es d ep u is l’a lt erca t ion . A ce m om en t -là , la ch effe d u g rou p e d es CD I se d irig e vers l’ob serva t eu r m a is s’a d resse à u n e p erson n e q u i film e, à côt é, en lu i d isa n t « En lève t on m a sq u e, t oi ! je p eu x vou s a rrêt er p ou r p a rt icip a t ion à u n e m a n ifest a t ion in t erd it e. Vou s n e p ou vez p a s d issim u ler vot re visa g e. En lève ça . » La p erson n e in crim in ée b a isse sa ca g ou le a va n t q u e la p olicière n e lu i a rra ch e…Cf. p h ot os ci-d essou s (u n e vid éo com p lèt e est d isp on ib le). Puis la policière repart et le groupe de CDI reprend sa position de type « on est assiégés » (ce qui n’est pas le cas). Beaucoup de tension chez ces policiers… Suite à cette scène, la jeune fem m e dira à l’observateur son soulagem ent que celui-ci ait été là. En l’occurrence, cela est sans doute vrai… 23 ja n vier 20 19 - 19h , a llées Fra n k lin Roosevelt Tentative d’arrachage de cagoule. La policière des CSI s’approche d’un pas rapide. La médiatisation de l’Observatoire, nos premiers constats sur nos incompréhensions des stratégies policières lors des manifestations Gilets Jaunes, a provoqué la multiplication des gestes et paroles de sympathie à notre égard. 40 2 LA POLI CE : COM POSI TI ON, DI SPOSI TI FS Les di sposi t i f s pol i ci er s Dès le départ de nos observations, nous avons vu un double dispositif policier organisé : • un dispositif fixe qui bloque l’accès au centre ville avec CRS et Gendarmes Mobiles, camions, puis canons à eau, blindés… • un dispositif que nous avons qualifié de « glissant », regroupant policiers des CDI et des BAC, qui se subdivise en deux groupes qui bloquent alternativement toutes les petites rues d’accès au centre-ville (le premier groupe se décale pour aller bloquer la rue se situant après celle bloquée par l’autre groupe ; et ainsi de suite tout le long du parcours de la manifestation). Un journaliste local avait comparé ce dispositif à la « défense glissante » du Stade toulousain. Di sposi t i f s f i xes Le d isp osit if p olicier « fixe » b loq u a it : le b a s d e la ru e d e Rém u sa t (u n e p et it e t ren t a in e d e p oliciers, d es CRS recon n a issa b les à leu rs ca sq u es d ot és d e liserés ja u n es – voir p h ot os ci-d essou s) les allées F. Roosevelt avec 6 est afet t es et , là aussi, une t rent aine de policiers (t oujours des CRS) la ru e d e M et z (a vec u n d isp osit if d e b a rrières a n t i-ém eu t e p la cé a ssez b a s – p lu s b a s q u e d ’h a b it u d e – et sa n s p oliciers visib les en a m on t ; n i en a va l d ’a illeu rs) et la ru e Bert ra n d d e l’Isle (d eu x est a fet t es et u n e q u in za in e d e CRS). Un « cort èg e » d ’est a fet t es (on ze) et d e ca m ion s d e CRS (cin q ) su iva it la q u eu e d u cort èg e syn d ica l à d ist a n ce. 10 sep t em b re 20 17 • • • Le d isp osit if p olicier « fixe » b loq u a it la ru e d e M et z et la ru e Bert ra n d d e l’Isle. Il s’a g issa it sa n s d ou t e, com m e d ’h a b it u d e, d e frein er t ou t e velléit é d es m a n ifest a n t s d ’a ccéd er à la p réfect u re. A n ot er la m ise en p la ce d es g rilles a n t i-ém eu t e ru e Bert ra n d d e l’Isle (ce q u i n ’est p a s le ca s d ’h a b it u d e). 1er février 20 18 Dispositif en haut de la rue de Metz 41 Di sposi t i f s gl i ssan t s La photo 1 montre un groupe « glissant » de policiers passant devant la grille anti-émeute et mixant BAC (au premier plan) et policier-e-s des CDI (au second plan). Il a été noté par plusieurs observateure-s que la plupart des policiers de la BAC ne portaient pas de brassards identifiants (cf. photo 2) et que certains d’entre eux (deux en tous les cas), vêtus en jean/polo et Photo 1. Manifestation syndicale, 10 octobre 2017. non identifiés, portaient leur pistolet très visible à la ceinture en se donnant ainsi une allure de « cow-boy ». On voit l’un d’entre eux sur la photo 2. photo 2. Un groupe mixte BAC/gendarmes avec bacqueux sans brassards, 10 octobre 2017 Le cas p art icu lier d e la m an ifest at ion « Parcou rs Su p » d e février 20 18 Le déroulé de cette manifestation et sa gestion par les forces de l’ordre semblent, avec le recul, déjà plein d’enseignements quant à la gestion complexe des manifestations des Gilets Jaunes qui auront lieu ensuite. Nous reproduisons ci-dessous un extrait assez long du rapport de suivi de cette manifestation. L’a ccès vers le Pa la is d e Ju st ice ét a it b loq u é p a r le d isp osit if g lissa n t a u g ra n d com p let . Le Gra n d Ron d ét a n t t ot a lem en t d ég a g é et a p rès u n t em p s d e la t en ce d ’en viron 30 à 4 5 m n la m a n ifest a t ion , réd u it e d es t rois q u a rt s, est p a rt ie, d a n s u n p rem ier t em p s en d irect ion d u M on u m en t a u x m ort s d e la Résist a n ce, p u is elle a b ifu rq u é à g a u ch e en d irect ion d u ca n a l. Le dispositif glissant déployé allées Jules Guesde. Le d érou lé d e cet t e p rolon g a t ion d e a fa it p en ser au m a n ifest a t ion com p ort em en t d ’u n « ca n a rd sa n s t êt e » … La manifestation « sauvage » (au milieu de laquelle flottait un drapeau FO) parcourant les rues entre allées F. Mistral et canal. 42 S’est a lors en g a g ée u n e sort e d e cou rsep ou rsu it e en t re p olicier-e-s et m a n ifest a n t -e-s, q u i on t ét é une p rem ière fois b loq u és a u n ivea u d e l’a ccès d u ca n a l vers la Ha lle a u x Gra in s (p lu s réa ct ifs, les m a n ifest a n t -e-s, a u ra ien t p u p a sser…), p u is, d e n ou vea u , le lon g d u ca n a l en d irect ion d e M a t a b ia u . Peu à p eu , le d isp osit if p olicier, q u i a va it sem b lé (ét a it ?) d ép a ssé a u d ép a rt d u Gra n d Ron d , se m et en p la ce. Le cort èg e se d ép la ce a lors vers la ru e D en is Pa p in , q u i lon g e la voie ferrée. Et là , ce q u i d even a it p révisib le a rrive : la t êt e d u cort èg e (d e p lu s en p lu s p et it ) se ret rou ve b loq u ée a u n ivea u d e l’a ven u e d e la Gloire et l’a rrière est b loq u é p a r les p olicier-e-s. Un e n a sse s’est d on c form ée… S’en su iven t a lors q u elq u es p et it es d iza in es d e m in u t es d ’éch a n g es verb a u x en t re p olicier-e-s et m a n ifest a n t -e-s. Les p olicier-e-s a u t orisen t les m a n ifest a n t -es à p a sser 4 p a r 4 . Rem a rq u e : u n e cert a in e con fu sion con d u it m êm e la p olicière en ch ef à n ou s in t erp eller p ou r q u e n ou s fa ssion s p a sser la con sig n e a u x m a n ifest a n t -e-s. Ce à q u oi n ou s lu i a von s rép on d u q u e n ou s n ’ét ion s p a s d es « a u xilia ires d e p olice » et q u e n ot re rôle se b orn a it à ob server le com p ort em en t d e ces m êm es p olicier-e-s. À n ot er u n e seu le b ou scu la d e lors d u p a ssa g e d ’u n e ca m ion n et t e, ca r cert a in s m a n ifest a n t s on t essa yé d e p a sser d a n s son silla g e… (à ce su jet , u n e vid éo est d isp on ib le). Pu is, il y a eu u n ch a n g em en t ch ez les p olicier-e-s et c’est u n e com p a g n ie d e CRS, en g ra n d éq u ip em en t , q u i a rem p la cé les p olicier-e-s q u i t en a ien t le b a rra g e (u n e vid éo est a u ssi d isp on ib le) ; « fin ie la rig ola d e…» Les d ern iers m a n ifest a n t -e-s se son t fin a lem en t d isp ersé-e-s p a r l’a rrière d a n s u n ra p p ort sa n s t en sion a vec d es p olicier-e-s « q u a si d éb on n a ires »… On p eu t con sid érer q u e d u ra n t le d ern ier q u a rt d ’h eu re, il y a va it p lu s d e p olicier-e-s (150 ?) q u e d e m a n ifest a n t -e-s (u n e p et it e cen t a in e). Ce n ’ét a it p lu s de l’en d ig u em en t d e m a n ifest a n t -e-s m a is u n e vérit a b le su b m ersion … 1er février 20 18 Les policiers (motards et BAC) précèdent les manifestant-e-s. Blocage rue du Pont Guilhemery. Face à face entre policiers et manifestant-e-s au niveau de l’avenue de la Gloire. 43 Deu xièm e m an ifest at ion con t re les ord on n an ces Macron et la « loi t ravail » : d isp osit if p olicier lég er, flu id e et « g lissan t » Le d isp osit if p olicier p ou r cet t e d eu xièm e m a n ifest a t ion p eu t êt re q u a lifié d e « g lissa n t ». D eu x g rou p es (4 CRS) et u n e q u in za in e d e p olicier-e-s d es CD I et BAC q u i, p a rfois, se son t d ivisé-e-s en d eu x) on t g lissé lit t éra lem en t le lon g d e la m a n ifest a t ion p ou r b a rrer les ru es d ’a ccès a u cen t re-ville, et en ca d rer p a rt icu lièrem en t d eu x seg m en t s d e la m a n ifest a t ion : in t erm it t en t -e-s d u sp ect a cle, D AL (D roit a u Log em en t ) et p réca ires d ’u n e p a rt , cort èg e a n a rch ist e et a n a rch o-syn d ica list e d ’a u t re p a rt . La p olice n ou s a sem b lé m oin s st a t iq u e et p lu s m ob ile q u e lors d e la m a n ifest a t ion p récéd en t e. En viron 10 0 p olicier-e-s ét a ien t m ob ilisé-e-s. En viron 5 est a fet t es, 5 voit u res b a n a lisées. Et , à la h a u t eu r d e la p réfect u re, en fin d e m a n ifest a t ion , u n e b a rrière q u i cou vra it la m oit ié d e la ru e d e M et z. Plu sieu rs p olicières sa n s p rot ect ion s p a rt icu lières, m a is d on t u n e p ort a it u n e b om b e la crym og èn e à son g ilet , on t ét é u t ilisées en b ord u re d u cort èg e p ou r fa cilit er le b loca g e d es voit u res. 21sep t em b re 20 17 Les ar m es ut i l i sées Nous avons analysé, tout au long de nos deux années d’observation, l’armement des différentes unités des forces de l’ordre. La photo ci-dessous, prise lors d’une manifestation toulousaine, montre un groupe de policier-e-s des CDI équipés. En examinant attentivement cette photo, on peut identifier : • Un premier policier, à droite de la photo, doté d’un Tonfa, d’un Taser (crosse jaune) • Un second policier, au centre de la photo, doté d’un bouclier et d’un masque à gaz • Derrière ce policier, on voit apparaître le canon d’un lanceur de grenades lacrymogènes de type « Cougar » • Enfin, à gauche de la photo, on voit dépasser la crosse d’un LBD tenu par un policier Tous ces policier-e-s sont doté-e-s de leur arme de service. On peut aussi noter que tous ces policier-e-s sont doté-e-s de cagoules, ce qui contribue à renforcer l'image menaçante du groupe. Cette autre photo (ci-dessous), montre un groupe de policiers « en civil ». On peut noter : • au centre, un policier avec un LBD dans les bras ; visiblement, il a sur le torse, au dessus du LBD, ce qui ressemble à une petite « Go pro » ; • au second plan, un policier, clairement identifié comme membre d’une BAC (écusson sur le torse) qui a des « Serflex » à la ceinture (liens plastique destinés à « menotter » les personnes interpellées) ; • à gauche, l’un des policiers porte un « tonfa » et un bouclier ; • à droite, un policier avec une matraque télescopique accrochée dans le bas du dos ; • seul le policier équipé d’un LBD, ne semble pas porter de cagoule. 44 Le synoptique, ci-dessous, montre la dotation en matériels des forces de l’ordre en France en indiquant leur niveau d’utilisation selon leur contexte (théorique, car nous avons souvent vu leur utilisation en dehors du cadre pré-défini…). Nous allons, dans les pages suivantes, illustrer l’équipement des forces de l’ordre tel que nous l’avons observé lors des manifestations toulousaines. En pr em ier , les m at r aques, dès qu’ ils/ elles sont au cont act Arme emblématique et ancienne des polices, presque partout dans le monde, la matraque est finalement peu présente dans l'équipement. Elle est remplacée par le bâton de défense (tonfa). La matraque télescopique, BTP (Bâton Télescopique de Protection – cf. photo ci-dessous) est également en dotation, même dans la police municipale. Les policiers des BAC utilisent largement ces matraques télescopiques . Un policier avec une matraque télescopique, mars 2019 45 Mat raq u ag e san s raison d ’u n m an ifest an t Les d eu x p a ssa n t s s’éloig n en t et on les ret rou vera su r les im a g es d u m a t ra q u a g e film ées p a r l’a u t re g rou p e d ’ob serva t eu r-e-s d e l’a u t re côt é d es a llées (à p roxim it é d u b a r « Les Am érica in s ») – voir le ra p p ort d es ob serva t eu r-e-s con cern é-e-s. On en t en d à ce m om en t -là d es excla m a t ion s et d es cris côt é Am érica in s. Le m a t ra q u a g e d éjà cit é vien t d ’a voir lieu . 23 février 20 19 On voit, au centre droit de la photo, le manifestant qui proteste contre la saisie de son téléphone prendre un coup de matraque sur la tête – Bilan : un séjour aux Urgences et 11 agrafes posées. A noter, un contexte et un environnement calmes… Les gaz l acr ym ogèn es Ceux-ci sont utilisés de manière très importante depuis le début des manifestations des Gilets Jaunes. Leur usage massif donne souvent le top départ de la « fin de la récréation », comme sur la photo ci-dessous (photo de gauche). Manifestation du 1er décembre 2018, 14h37, Gaz lacrymogènes place Jeanne d’Arc. Un observateur dans les gaz lacrymogènes, 12 janvier 2019. Les p oliciers ch a rg en t su r le b ou leva rd en d irect ion d ’Arn a u d Bern a rd , a vec u t ilisa t ion d e LBD , m a is les ob serva t eu rs d oiven t rest er à d ist a n ce ca r la con cen t ra t ion d e g a z est t elle q u ’elle n ou s im m ob ilise su r p la ce... (vid éo d isp on ib le). 19 ja n vier 20 19 Prem ières in t errog at ion s : com m e d ’au t res m an ifest an t -e-s… Grosse p lu ie d e la crym o q u i p iq u e t rès t rès fort m a lg ré les m a sq u es et les lu n et t es. Nou s p en son s a lors q u e le fa it q u e n ou s soyon s d a n s d es p et it es ru es a g g ra ve l’effet d es g a z. 12 ja n vier 20 19 46 Ressen t i d e violen ce et d éb at s su r CM3 et CM6 Je m e ret rou ve a vec J. a p rès a voir ét é g a zés. Le g a z est en t ré d a n s m es p ou m on s, cela b rû le à l’in t érieu r. On a là u n e b elle illu st ra t ion d u d éb a t su r les g ren a d es « CM 3 d on t l’in t en sit é en g a z est , en voyée d a n s les m êm es ru es ét roit es, six fois su p érieu re a u x g ren a d es CM 6 ». Qu a n d l’esp a ce est ét roit , la con cen t ra t ion est in t en se. Fa ce a u g a z, les m a n ifest a n t s se t ien n en t p a r l’ép a u le, cela évit e les ch u t es. Je n e vois p lu s rien , j’ét ou ffe, J. a u ssi…Je p ren d s la ru e d es Lois p ou r m ’a érer. Et je revien s p la ce d u Ca p it ole, où je ret rou ve les a u t res ob serva t eu r-e-s. 2 février 20 19 M om en t d ifficile q u a n d on n ’y voit p lu s rien , q u e les p ou m on s b rû len t et q u e la fou le reflu e : la cra in t e d e t om b er, les a p p els à n e p a s cou rir, à se d ég a g er « t ra n q u illem en t ». Les g a z n ou s p ren n en t ju sq u e sou s les a rca d es d e la p la ce, d es g en s se réfu g ien t d a n s la b ra sserie q u i est rest ée ou vert e. 2 février 20 19 Rem arq u e su r les g az lacrym og èn es u t ilisés p ar les forces d e l’ord re Durant le mois de janvier, de nombreux et nombreuses manifestant-e-s ont interpellé les observateur-e-s au sujet des gaz lacrymogènes, en se plaignant d’une augmentation très sensible de leurs effets directs et indirects (brûlures sur le visage et sur le corps, vomissements, diarrhées) se prolongeant bien après leur exposition au gaz (jusqu’à deux ou trois jours après). Des rumeurs parcouraient les manifestations sur la présence de cyanure ou bien encore de Zyklon B. Nous avons pris en compte ces remarques récurrentes et avons mené une enquête rapide sur les réseaux sociaux et auprès de certain-e-s de nos contacts. Nous avons aussi examiné les nombreux restes de grenades que nous avons collectés lors des manifestations. Il s’avère, in fin e, que la police a commencé à utiliser au mois de janvier des grenades lacrymogènes de type CM3, ce que la préfecture a implicitement confirmé par un communiqué durant le mois de février, indiquant que des grenades CM3 ont été fournies à certaines CRS (cf. article de La D ép êch e d u M id i du 2 février). À noter que l’usage de ces grenades CM3 est allé de pair avec l’utilisation massive des PGL 65 (LBD multicoups / multimunitions) par les CRS depuis le mois de janvier (voir par ailleurs dans le présent rapport). Nous reproduisons, ci-dessous, un extrait du site « Désarmons-les », qui fait le point sur ce type de matériel. « Si l’on p rocèd e à la com p a ra ison q u i su it , q u i va u t p ou r les g ren a d es d e SAE Alset ex (Nob el n e com m u n iq u e p a s su r la com p osit ion d e ses g ren a d es), on se ren d com p t e d e la d ifféren ce n ot a b le d e con cen t ra t ion d e g a z d a n s l’esp a ce selon q u ’il soit fa it u sa g e d u la n ceu r m on ocou p d e 56 m m Cou g a r ou d u n ou vea u la n ceu r m u lt icou p s d e 4 0 m m Pen n Arm s : • la CM 3 con t ien t 3 ca p su les d e 13 g ra m m es d e CS à 13% ém et t a n t d u ra n t 30 +/- 5 secon d es su r u n e su rfa ce d e 250 m 2 et 2 à 5 m èt res d e h a u t eu r. Tirées à l’a id e d ’u n la n ceu r m u lt icou p s PGL65, ce son t 6 g ren a d es t irées en m êm e t em p s, soit 18 ca p su les con t en a n t u n t ot a l d e 234 g ra m m es d e m a sse a ct ive rép a n d u e su r u n p érim èt re ég a l ou lég èrem en t su p érieu r à 250 m 2. • la CM 6 con t ien t 6 ca p su les d e 16 g ra m m es d e CS à 15% ém et t a n t d u ra n t 30 +/- 5 secon d es su r u n e su rfa ce d e 80 0 m 2 et 3 à 5 m èt res d e h a u t eu r. La n cée à la m a in ou à l’a id e d ’u n la n ceu r m on ocou p Cou g a r, c’est u n e seu le g ren a d e t irée, soit 6 ca p su les con t en a n t u n t ot a l d e 98 g ra m m es d e m a sse a ct ive rép a n d u e su r u n p érim èt re d e 80 0 m 2. En t erm es d e con cen t ra t ion d a n s l’a ir, on n ’est p a s d u t ou t d a n s d es p rop ort ion s sim ila ires. En p a rt icu lier d a n s u n e p et it e ru e (ce q u i est sou ven t le ca s à Tou lou se). 47 Les g ren a d es d e 4 0 m m son t d on c p lu s p et it es, m a is b ea u cou p p lu s cost a u d es ! Qu a n d les p oliciers t iren t a u PGL65 (6 g ren a d es t irées en 4 secon d es), l’a ir est im m éd ia t em en t sa t u ré d e g a z la crym og èn es, d e fa çon à ce q u ’il d evien n e t ot a lem en t im p ossib le d e resp irer. Ce n ’est p a s seu lem en t le syst èm e resp ira t oire q u i est a ffect é, m a is ég a lem en t le syst èm e d ig est if, q u i réa g it a lors com m e p ou r u n e in t oxica t ion a lim en t a ire : cra m p es d ’est om a c, n a u sées, vom issem en t s, et c. ». Les éléments d’information ci-dessus confirment donc l’augmentation des troubles constatés par les manifestant-e-s mais ne permettent pas, en l’état, de conclure, comme le signale d’ailleurs le site « Désarmons-les » (voir ci-dessous), à une modification de la composition chimique des gaz utilisés par la police. « Nou s essa yon s d e fa ire réa liser u n e a n a lyse ch im iq u e et t oxicolog iq u es d es d ifféren t s p a let s d e g ren a d es la crym og èn es, m a is n ou s n ’a von s h éla s p a s à ce jou r d ’élém en t s scien t ifiq u es p erm et t a n t d ’ét a b lir la com p osit ion exa ct e et le t a u x d e con cen t ra t ion en g a z CS d es d ifféren t es g ren a d es. C’est ce q u e n ou s t ra va illon s à ob t en ir…». Les Lan ceur s Cougar – Ch ouka Les lanceurs sont des engins permettant d'envoyer des grenades à une grande distance, définie selon le propulseur monté en dessous de la grenade (50, 100 ou 200 mètres). Ils peuvent également être utilisés pour lancer des fusées éclairantes. Théoriquement, le Chouka, moins encombrant, est réservé aux unités en civil. Les deux armes (4ème catégorie) peuvent tirer entre 6 et 8 coups par minute. Depuis que les projectiles « Bliniz » ne sont plus utilisés en maintien de l'ordre, les lanceurs ne doivent plus effectuer de tirs tendus. Sur la photo prise rue des Lois à l’angle de la place du Capitole, on voit un lanceur Cougar en action, avec un tir réglementaire « en cloche ». Au second plan sur cette photo prise à saint Georges, on voit un policier de la BAC équipé d’un lanceur Cougar. Les aér osol s (l acr ym ogèn e ou poi vr e) Ils ont une portée pouvant aller jusqu'à 8 mètres. Ils peuvent être conditionnés sous forme de gaz ou de gel et contiennent du gaz CS (lacrymogène) ou gaz OC (pour Oleoresin Capsicum), plus connu sous l'appellation de gaz poivre. Il faut noter la concentration extrême en produit actif de ces aérosols. Un policier des CDI utilisant sa gazeuse à main, 22 mars 2018 48 Les Taser s Il est 16h 50, n ou s a rrivon s ru e Ba ou r Lorm ia n et d écid on s d e su ivre u n g rou p e m ixt e CSI (14 h om m es)/Ba c (4 p oliciers) q u i se d irig e vers la ru e sa in t Pa n t a léon . Nou s n ou s p osit ion n on s u n p eu p lu s t a rd d errière (d a n s ?) u n ra n g d e p oliciers d es CD I d a n s leq u el est p résen t e leu r ch effe. Il est 16h 59. Nou s som m es ru e d e la Pom m e, t ou s p rès d u Ca p it ole. D a n s u n ét u i d e l’u n d es p oliciers, on voit d ép a sser u n e crosse ja u n e q u i sem b le êt re celle d ’u n t a ser (m od èle X26). 9 février 20 19 Policier des CSI équipé d’un Taser, rue de la Pomme, 9 février 2019. Nous n’avons pas observé l’utilisation de cette arme depuis le début de nos observations. Gr en ade assour di ssan t e (GLI F4) La grenade GLI F4, pour Grenade Lacrymogène Instantanée (ou SAE 810) est constituée d'une partie lacrymogène, d'environ 10g de CS en poudre et d'une partie explosive de 26g de Tolite (TNT). Elle provoque une très forte détonation d'environ 160 décibels (le seuil de douleur est de 120 décibels et au-delà de 100, un son peut être considéré comme dangereux). Cet effet de souffle s'accompagne de la libération d'un nuage lacrymogène. L’IGGN et l’IGPN écrivent que « les dispositifs à effet de souffle produit par une substance explosive ou déflagrante sont susceptibles de mutiler ou de blesser mortellement un individu ». Cette grenade serait responsable de nombreuses blessures (comme recensé par l'ACAT28 un médecin soignant des blessés de Notre Dame des Landes29, ou encore le collectif Désarmonsles30), car elle projette des éclats causant des blessures parfois très importantes31. Cette grenade ne serait plus fabriquée. Nous n’avons pas de photos de grenade GLI F4 en situation, mais ce type de matériel a été utilisé par les forces de police lors des manifestations toulousaines, puisque nous avons retrouvé plusieurs fois, au sol, des restes de ces grenades. Restes de grenade GLI F4 grenade GLI F4 49 Gr en ade de désen cer cl em en t (DDB : Di sposi t i f Bal i st i que de Di sper si on ) Les grenades « explosives », « de désencerclement », « Dispositif Balistique de Dispersion » ou encore « Dispositif Manuel de Dispersion » renvoient à la même grenade. Elle est souvent confondue avec la GLI F4 à cause de la forte explosion (150 décibels) qui désoriente fortement les personnes dans les 10 à 20 mètres. Son deuxième effet est la projection de 18 plots de caoutchouc, à plus de 120 km/h. Les conditions d'utilisation sont claires : « (…) susceptible d’être utilisée lorsque les forces de l’ordre se trouvent en situation d’encerclement ou de prise à partie par des groupes violents ou armés. Elle permet de déstabiliser un groupe d’agresseurs en le faisant se replier ou en le dispersant »32. Elle est donc conçue, à la différence des autres grenades, pour se défendre et non pour contrôler une foule. Son utilisation pose grandement question puisque les plots seraient responsables blessures, y de compris nombreuses lors des entraînements des forces de l'ordre (16 blessés lors d'un exercice avec une grenade)33. Restes d’une grenade de désencerclement ramassés dans une rue de Toulouse. On voit l’enveloppe qui indique que cette grenade doit être roulée au sol et non lancée, la tête de la grenade et trois des plots sur les dix-huit qu’elle projette. 1er décem br e 2018 : ar r i vée des f l ash - bal l / l an ceur s de bal l es de déf en se (LBD) Nou s rep a rt on s vers Jea n Ja u rès, les p oliciers b loq u en t les ru es vers Jea n n e d ’a rc et les b ou leva rd s. Je d em a n d e à u n p olicier et il m e rép on d q u e les ém eu t es g a g n en t en in t en sit é et ce su r t ou t le b ou leva rd . A W ilson , a va n cées d es jeu n es Gilet s Ja u n es et q u elq u es jeu n es d es q u a rt iers p op u la ires, et d es forces d e l’ord re q u i n e cessen t d ’a u g m en t er. Arrivée à Jea n Ja u rès, u n m a n ifest a n t m e d it q u e les flics son t p a ssés a u fla sh -b a ll. Effect ivem en t il en ra m a sse u n ju st e à côt é d e n ou s et m e le d on n e. Il m e sig n a le a u ssi q u ’u n jeu n e en a p ris u n su r le n ez et a l’oreille q u i sa ig n e. CR d u 1er d écem b re 20 18 recon st it u é à p a rt ir d ’éch a n g es d e m a ils À la différence notable de la période d’observation des manifestations avant la séquence des Gilets Jaunes, durant laquelle les policier-e-s n’étaient pas, visiblement du moins, équipé-e-s de LBD (nous n’avons pas trouvé sur nos photos et vidéos de l’époque la moindre trace de LBD dans l’armement des forces de l’ordre), les manifestations des Gilets Jaunes ont été caractérisées par un usage très important de LBD en provoquant, par leur usage offensif, de nombreux blessés, souvent graves. Courant janvier, nous avons aussi assisté à une utilisation massive et continue (jusqu’à 10 tirs successifs en quelques minutes) des PGL 65 pour générer d’importants et compacts nuages de 50 lacrymogènes. Ce qui a provoqué de nombreux malaises chez les manifestant-e-s (voir paragraphe sur la nature des gaz utilisés par les forces de l’ordre). Selon les informations fournies par le ministère de l’Intérieur lui-même, les LBD qui sont à l’origine de la majorité des blessés graves enregistrés dans les manifestations, sont principalement utilisés par des unités de maintien de l’ordre non spécialisées, très majoritairement (à plus de 80%) par les CDI et surtout les BAC34. CRS avec PGL 65, rue Kennedy. Policière en position de tir, rue de Rémusat, 23 février 2019. À la veille de l’Acte XII des Gilets Jaunes, les membres des forces de sécurité attendaient avec inquiétude la décision du Conseil d’Etat qui statuait en référé sur l’utilisation du lanceur de balles de défense dans le cadre des manifestations. Les policiers avaient probablement plus de raisons que les gendarmes de craindre une interdiction de ces armes. En effet, selon les chiffres obtenus par L’Essor, sur les 9228 tirs de balles de défense effectués dans le cadre du mouvement des Gilets Jaunes, 1065 l’ont été par des gendarmes. Les policiers sont donc à l’origine de 8.163 tirs de balles de défense, soit 90 % de l’ensemble.35 Les f usi l s d’ assaut Qu elq u es p oliciers d u d isp osit if d e m a in t ien d e l’ord re et q u i son t a u con t a ct d es m a n ifest a n t s son t a rm és d e fu sils m it ra illeu rs . Ce n ’est p a s en ra p p ort a vec la sit u a t ion ... Et rem a rq u e d evra en êt re fa it e en t em p s u t ile... 26 m a i 20 18 Son collèg u e a u n fu sil d 'a ssa u t . Nou s lu i en d em a n d on s la ra ison . Il rép on d , cou rt ois lu i a u ssi, q u e c'est d ep u is Vig ip ira t e, d a n s le ca d re d e la lu t t e con t re les a t t en t a t s. « Ce n 'est p a s p ou r t irer su r les m a n ifest a n t s… Vou s en verrez d 'a u t res… Ne m e p ren ez p a s en p h ot o…». Un syn d ica list e d e la CGT vien t lu i p a rler, lu i d isa n t q u e c'est n ou vea u et q u e c'est t rès in q u iét a n t . 26 ja n vier 20 18 51 Un e com bi n at oi r e d’ ar m es di f f ér en t es En fait nous avons chaque samedi assisté à des combinatoires d’outils et d’armes différentes. Ainsi le 23 février 2019 : • 17h50 - Jean Jaurès - Canon à eau et lacrymo + tentative d'interpellation. • 17h48 - une fusée de sommation est tirée à Jean Jaurès. • 17h50- utilisation du canon à eau sur les boulevards, au niveau de Jean Jaurès, pour disperser les manifestant-e-s. Beaucoup partent sur les allées Jean Jaurès, sous des tirs de grenades lacrymogène envoyées depuis l'entrée des allées, puis par des CDI/CSI remontant eux-aussi les allées. Un manifestant nous rapporte avoir reçu des grenades lacrymo tirées intentionnellement dans les jambes. • À 18h sur les allées Jean Jaurès toujours, tentative d'interpellation d'un manifestant de la part de deux CDI/CSI exigeant qu'il ouvre son sac. Échange houleux filmé : le manifestant, rejoint par une seconde personne, proteste avec véhémence et tente de s'opposer physiquement aux policiers. Coups de matraque en retour, puis des collègues leur disent de s'en aller. Les aut r es m oyen s des f or ces de l ’ or dr e Au-delà des équipements « individuels » décrits ci-dessus, les forces de l’ordre sont dotés de matériels roulant ou volant destiné à occuper l’espace. Nous allons maintenant les évoquer brièvement. Le can on à eau Le canon à eau est un véhicule, souvent blindé, sur lequel est monté un canon pouvant projeter de l'eau sous haute pression. L'eau peut également recevoir des additifs ou des émulsifs comme du lacrymogène, du bleu de méthylène36 ou encore un émulsif à base « d e p rot éin es d e via n d es m a cérées, m éla n g e d e sa n g séch é et d ’os b royés »37 pour éteindre les incendies. Les tout derniers modèles ELE seraient prêts à utiliser des produits de marquages « In od ores et in visib les, ils p eu ven t rest er ju sq u ’à t rois sem a in es su r la p ea u , b ea u cou p p lu s su r les vêt em en t s, et a in si m a t éria liser la p résen ce d ’u n in d ivid u d a n s u n e m a n ifest a t ion »38. Pour le moment, rien ne montre que ces marqueurs aient étés utilisés sur des manifestant-e-s. La présence de canons à eau dans le dispositif policier n’est pas nouvelle (cf. les manifestations de 2014 et 2015) suite au décès de Rémi Fraisse ou lors de la manifestation « Non à Val Tolosa » de décembre 2016. Par contre, ils sont intensément utilisés durant la séquence Gilets Jaunes. On constate même, depuis la fin du mois de février, qu’ils sont, avec les PGL65, une pièce maitresse du dispositif de quadrillage policier, par les CRS particulièrement, des manifestations. 52 Canon à eau boulevard de Strasbourg, 8 décembre 2018. Manifestation « Non à Val Tolosa », 17 décembre 2016. Les b lin d és Les blindés légers de la Gendarmerie mobile ont fait leur apparition dès le mois de décembre. Lors de la manifestation du 9 mars, les observateur-e-s ont constaté l’utilisation de ceux-ci pour lancer des gaz lacrymogènes. Manifestation du 9 février 2019, Blindés devant la cathédrale Saint-Etienne. Manifestation du 16 mars 2019 - Les blindés en position en haut de la rue de Metz. L’h élicop t ère L’hélicoptère de la gendarmerie fait aujourd’hui partie intégrante de l’ambiance des manifestations. Le début de ses rotations est même devenu, pour nombre de manifestant-e-s, le signal du début des affrontements. Ce qui provoque, en général, une chute sensible du nombre de personnes dans le cortège… Il sert à visualiser l’évolution de la manifestation mais aussi à repérer et photographier des manifestant-e-s pour interpellation immédiate ou ultérieure. Le sabre et le goupillon, 26 janvier 2019. 53 La m ot o com m e arm e : les « volt ig eu rs »39 D eu x m ot os a vec d eu x p oliciers su r ch a cu n e (fla sh -b a ll p ou r u n d es p a ssa g ers d ’u n e m ot o et p ist olet s p ou r l’a u t re p a ssa g er). 5 ja n vier 20 19 Policiers motocyclistes avec LBD, 5 janvier 2019. VOIR LA VID ÉO Au centre de la photo, une moto de police essayant de percuter une manifestante, 9 février 2019 (vidéo complète disponible de cette scène avec un magnifique cadrage/débordement de la manifestante). En t erm es d e d ot at ion et d e m at ériels, le p olice et la g en d arm erie fran çaise occu p en t u n e p lace à p art en Eu rop e Différents documents disponibles, en particulier un « tableau comparatif de la dotation en armes dans les polices européennes » élaboré par l’ACAT40, permettent de mettre en valeur l’ampleur du spectre des armes mises à disposition des policier-e-s et gendarmes en France dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre. Un rapport de mai 201541 restitué au nom de la « Commission d’enquête chargée d’établir un état des lieux et de faire des propositions en matière de missions et de modalités du maintien de l’ordre républicain, dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de 54 manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens », présidée par Noël Mamère et publié le 21 mai 2015, contient un paragraphe, pages 40 à 47, consacré aux exemples de doctrines de maintien de l’ordre dans d’autres pays européens. Ces deux documents montrent bien que la situation française présente une vraie particularité ; c’est celle du niveau très élevé de la dotation en armes des forces de police et de gendarmerie. Nous pouvons alors nous interroger pour savoir pourquoi, en Europe, des pays similaires au nôtre peuvent assurer la gestion de foules et de manifestations avec efficacité avec des moyens en armes plus restreints. Pas de lanceurs de balles de défense (sauf en Espagne), pas de grenades explosives GMD ou GLI F4 (aucun autre pays n’en est doté) et pourtant, ces différents pays gèrent, souvent avec efficacité, les différentes manifestations organisées sur le territoire. Polém ique sur les arm es police/m anifest ant et agressivit é envers les observat eur-e-s Un e fois l’a ir d even u d e n ou vea u resp ira b le, n ou s n ou s som m es a p p roch és d u p on t d es M in im es et a von s com m en cé à fa ire l’in ven t a ire d es a rm es u t ilisées p a r les p oliciers (n ou s a von s id en t ifié et récu p éré, ou t re d es rest es d e la crym og èn es, d es t ra ces d ’u t ilisa t ion d e LBD (b a lle) et d e GM D (p lot s en ca ou t ch ou c). Qu a n d n ou s p rocéd ion s à cet in ven t a ire, n ou s n ou s som m es fa it in t erp eller p a r d es p oliciers n ou s rep roch a n t d e n e p a s collect er les p roject iles d es m a n ifest a n t s. Nou s a von s essa yé d ’exp liq u er n ot re rôle, m a is u n d es p oliciers a sh oot é d a n s u n t esson d e b ou t eille p ou r l’en voyer d a n s n ot re d irect ion en n ou s in vect iva n t . Un d e ses collèg u es est a lors a rrivé et lu i a in t im é l'ord re d e se ret irer. Nou s a von s a lors ch em in é vers Arn a u d Bern a rd en con t in u a n t n ot re collect e. 19 ja n vier 20 19 Déb at s avec les p oliciers su r les arm es et la BAC Nou s a von s a lors d écid é d e n ou s ra p a t rier vers Esq u irol p ou r récu p érer q u i le m ét ro, q u i sa voit u re ou son vélo. Les 10 ob serva t eu rs rest a n t s se son t sép a rés vers 20 h à Esq u irol, n on sa n s a voir éch a n g é a vec d es CRS a u n ivea u d e la p réfect u re. L’u n d ’eu x n ou s a con firm é p a r d es h och em en t s d e t êt e t ou t le m a l q u ’on p ou va it p en ser d e la p résen ce d e p oliciers n on form és a u m a in t ien d e l’ord re, la BAC en p a rt icu lier, d a n s les m a n ifest a t ion s. M a is il n ou s a a u ssi d it q u e si on leu r en leva it les LBD , ils n ’a u ra ien t p lu s les m oyen s d e se d éfen d re con t re les m a n ifest a n t s les p lu s d a n g ereu x (le « d iscou rs » d e Ca st a n er...) en n ou s m on t ra n t u n e p h ot o d e g ros b ou lon s la n cés p a r d es m a n ifest a n t s su r eu x. Cet t e p h ot o, on n ou s l’a d éjà m on t rée. On p eu t d on c en d éd u ire q u e celle-ci circu le (à d essein ?) d a n s les ra n g s d es p oliciers (p ou r les m ot iver ? les effra yer ?). 19 ja n vier 20 19 17h 10 - La p réfect u re est p rot ég ée p a r d es g a rd es m ob iles n om b reu x. D es Gilet s Ja u n es fon t u n cord on d e sécu rit é en t re eu x et les m a n ifest a n t s q u i d escen d en t la ru e d e M et z. Un g a rd e m ob ile vien t n ou s p a rler. Il fa it a llu sion a u x BRI + BAC. Ce q u e n ou s com p ren on s a vec M a rie est q u 'il m et en d ou t e la « q u a lit é » d e leu r in t erven t ion d a n s les m a n ifest a t ion s. Il s'éloig n e en d isa n t "je vou s a i rien d it " a vec u n a ir com p lice ( !). 26 ja n vier 20 19 55 Les di f f ér en t - e- s pol i ci er - e- s 4 2 En ce qui concerne les tâches de maintien de l’ordre, celles-ci ont été confiées, au départ, à deux unités spécialisées : la Gendarmerie mobile, créée en 1921 et renforcée en 1945 par les CRS (Compagnies Républicaines de Sécurité). Ces unités bénéficient d’un enseignement spécialisé et respectent trois principes d’intervention (qui sont censés former la base de la doctrine, dite française, du maintien de l’ordre) : • la mise à distance de la foule et l'évitement des contacts physiques avec les manifestant-e-s ; • le respect des ordres par ces personnels qui sont formés et entrainés pour leur maîtrise dans l’usage de la force ; • le fait que l’usage de la force repose sur les principes de nécessité, de graduation ainsi que de réversibilité, conformément au code pénal et au code de la sécurité intérieure. Les CRS (Com pagn i es Républ i cai n es de Sécur i t é) Rappelons que c’est en décembre 1944 que naissent les premières Compagnies Républicaines de Sécurité (CRS). Elles sont créées par le Général de Gaulle suite à la dissolution des Groupes Mobiles de Réserve (GMR), qui avaient été mis en place par le régime de Vichy. Au début de leur existence, les CRS étaient réservées à un emploi régional. Créées pour contribuer au rétablissement de la légalité républicaine, les CRS sont des « unités mobiles formant la réserve générale de la Police nationale » spécialisées dans le maintien de l’ordre. CRS reconnaissable à leur casque à bandes jaunes. En novembre 1947, les CRS, mobilisées par le ministre de l’Intérieur Jules Moch, connaissent « leur baptême du feu » et interviennent lors de grèves et d’émeutes importantes. Elles deviennent alors des forces de réserve générale à vocation nationale. À la fin du 20ème siècle, les CRS interviennent principalement lors de conflits sociaux comme Mai 68. C’est à ce moment-là que le matériel des CRS se perfectionne afin de leur permettre d’intervenir sans danger. En août 2002, la Loi d’Orientation et de Programmation pour la Sécurité Intérieure (LOPSI) a modifié la doctrine d’emploi des CRS pour favoriser une déconcentration des forces mobiles. Depuis cette décision, c’est le préfet de zone de défense qui est l’autorité d’emploi des unités situées dans sa zone. En 2010, les effectifs de CRS ont été réduits lors de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Les CRS regroupent environ 14 000 fonctionnaires dont environ 10 000 sont affectés à des tâches sur la voie publique. Les EGM (Escadr on s de Gen dar m er i e M obi l e) La Gendarmerie mobile est une subdivision d'arme de la Gendarmerie nationale, spécialisée dans le maintien ou le rétablissement de l'ordre. Dans ses missions quotidiennes, elle participe à la sécurité publique générale aux côtés de la gendarmerie départementale. Enfin, elle effectue aussi un certain nombre de missions militaires, tant sur le territoire national qu'en opérations extérieures (OPEX) au sein des forces armées françaises. 56 Sa création en 1921 répond à la prise de conscience du besoin d’une force de gendarmerie spécialisée dans le maintien de l'ordre, pour compléter l’action de la police et surtout pour éviter l’emploi de l’armée, avec tous les risques que celui-ci comporte (fraternisation – comme lors de la révolte des vignerons en 1907 ou, à l'opposé, emploi d'un violence excessive). En 2009, la gendarmerie est rattachée au ministère de l'intérieur tout en conservant son statut militaire, des liens particuliers avec le ministère de la Défense et certaines missions à caractère militaire. Gendarme mobile avec un écusson en forme de flamme sur le casque. La Gendarmerie mobile est composée d'environ 13 000 personnels. Elle met en œuvre 109 escadrons, ainsi que des unités spécialisées dans les missions de sécurité ou de soutien. Les escadrons sont répartis entre 18 groupements de Gendarmerie mobile dont 1 groupement blindé de Gendarmerie mobile à Versailles Satory. Un groupement comprend entre 4 et 9 escadrons, sous le commandement d'un lieutenant-colonel ou d'un colonel. Pour le maintien de l'ordre, lorsque le dialogue ou la dissuasion ne suffisent plus, les moyens employés par la Gendarmerie mobile relèvent de deux catégories : • l'usage de la force seulement : barrage, charge, bond offensif et lancer de grenades lacrymogènes à main ; • l'usage des armes à feu : grenades lacrymogènes lancées par des dispositifs spéciaux (lanceurs Cougar), grenades à main de désencerclement (GMD), balles de défense (projectiles non-métalliques déformables), grenades à effet de souffle (dites grenades lacrymogènes instantanées ou GLI) lancées à la main ou par lance-grenades et, en dernier recours, en tir de riposte, fusil de précision. Les Com pagn i es Dépar t em en t al es d’ I n t er ven t i on et de Sécur i sat i on (CDI , CSI , CI ) Les compagnies d’intervention CDI, CSI, CI ont été créées le 8 décembre 2003 par Nicolas Sarkozy. Elles dépendent de la Police nationale et ont pour mission de maintenir ou de rétablir l’ordre public en complémentarité avec les CRS et les EGM. Les membres de ces compagnies sont formés aux violences urbaines à l’École Nationale de la Police de Nîmes. Bref h ist oriq u e De 2003 à 2008, elles se sont étendues à toutes les grandes villes françaises et ont été renforcées, à l’image de celles existantes à Paris. La CSI est pensée comme étant une unité opérationnelle plus réactive face aux violences urbaines sous l’impulsion de Michèle AlliotMarie43, alors ministre de l’Intérieur. En décembre 2018, un Dispositif d’Action Rapide - DAR est mis en place, composé par des membres de la BAC et de la CSI pour permettre d’arrêter des auteurs violents et d’aider les EGM et les CRS face aux émeutiers. 57 À Toulouse et dans les grandes villes de province, ces unités de police dépendent de la Direction Centrale de Sécurité Publique. Leurs missions se limitent au département. A Toulouse, nous avons la CSI-31 qui a fusionné avec la CDI. Les policiers des CSI portent un uniforme similaire à celui des CRS. Cependant, ils affichent généralement une double bande bleue sur leur casque, alors que celle des CRS est jaune. Ils ont aussi un équipement anti-émeute ignifugé. Certains policiers des CSI peuvent travailler en civil quand ils sont chargés de missions de surveillance, CDI / CSI reconnaissable avec leur casque à bandes bleues. d’interpellation, de filature et /ou d’infiltration. Les m ission s d e la CSI Les CSI sont spécialisées dans la lutte anti criminalité et les violences urbaines (VU). Elles viennent renforcer la sécurité au sein des quartiers, mais aussi seconder les autres services de police lors de manifestations sensibles. Il existe plusieurs sections ou groupes ayant des fonctions différentes. • Groupe Moto, parmi lequel trois sous-groupes qui agissent en tenue ou en civil. • Groupe de Soutien Opérationnel (GSO), spécialisé dans les interventions à risques et qui viennent sécuriser les interpellations. • Cellule d’Identification des Violences Urbaines (CIVU) : « le rôle de cette cellule est de repérer et de surveiller les personnes violentes qui sèment le trouble lors de manifestations sur la voie publique. Pour cela, ils s’infiltrent discrètement en civil dans la foule pour prendre des photos qui serviront de preuves pour interpeller et condamner les auteurs d’infractions et de délits ». • Section Delta : ces policiers ont pour mission de circuler en civil afin de mener des filatures, des opérations de surveillance, ou d’interpeller les délinquants en flagrant délit. • Cellule Mobile d’Assistance Technique (CMAT) ; ces policiers recueillent des informations avec l’aide de caméras pour récolter des preuves d’infractions afin d’interpeller les délinquants. • Nous pouvons aussi citer le Groupe de Lecture Automatique des Plaques d’Immatriculation (LAPI), une unité cynophile (maîtres-chiens) et une unité dédiée à la logistique. • Les CSI comprennent également 3 unités (ALPHA, BRAVO, CHARLIE) qui viennent en renfort de la police locale. Éq u ip em en t et arm es d e la CSI Les policier-e-s d’une compagnie CSI sont équipé-e-s des armes suivantes : pistolet semiautomatique modèle Sig-Sauer SP 2022, fusil d’assaut HK G3 et fusil de précision, Flash-Ball ou LBD40 avec visée holographique d’une portée de 40 mètres, bombes de gaz lacrymogène MP7 ou gaz/gel CS ou poivre, grenades à main de désencerclement, grenades à effet de souffle et lanceurs. 58 La Br i gade An t i Cr i m i n al i t é (BAC) de l a Pol i ce n at i on al e Bref h ist oriq u e La BAC a été créée en 1971 par un ancien haut fonctionnaire aux colonies, Pierre Boulotte. C’est une unité de la Police nationale qui intervient dans les quartiers sensibles pour veiller à l’ordre public ou le rétablir. Elle est spécialisée dans la petite et la moyenne délinquance. De 1994 à 1996, les BAC de nuit et BAC de jour ont été généralisées sur l'ensemble de la France, sous l'impulsion de Charles Pasqua, alors ministre de l'Intérieur. En 2003, avec la suppression de la police de proximité sous l’égide de Nicolas Sarkozy, les policiers de la BAC deviennent les principaux acteurs des interventions en zone urbaine sensible. En 2015, elle connait de grands changements au niveau de sa sélection et de la Policiers de la BAC procédant à une arrestation, pont Guilheméry, 23 mars 2019 formation de ses agents, qui est plus poussée avec le plan BAC-PSIG mené par Bernard Cazeneuve. De nouveaux moyens matériels lui sont affectés (véhicules, armement et équipements de protection) à hauteur de 17 millions. En 2016, elle participe au plan d’intervention d’urgence suite aux attentats terroristes. À Toulouse, nous avons une BAC locale travaillant en civil et rattachée au commissariat et une BAC départementale qui exerce en uniforme. Il y a environ 18 % de femmes rattachées à cette unité de police. Les m ission s d e la BAC Sa mission principale est la lutte contre les violences urbaines, les crimes et les délits mais d’autres missions peuvent lui être affectées, tel le maintien et le rétablissement de l’ordre public et l’aide aux services publics et le soutien aux officiers ministériels. Sa priorité reste la recherche des flagrants délits. Sect ion s Elle est composée de 3 sections. La première, composée d’experts en sports de combat et de tireurs d’élite, a pour mission d’intercepter des malfaiteurs. La seconde organise la logistique et le traitement et l’analyse des informations. La troisième s’occupe de la gestion des crises et peut remplacer un groupe d’intervention tel que le RAID ou le GIPN. Éq u ip em en t et arm es d e la BAC Chaque policier-e d’une BAC possède les armes suivantes : un pistolet semi-automatique modèle Sig-Sauer SP 2022, un Tonfa (BPL) ou une matraque télescopique (BTD), une paire de menottes. Chaque brigade a également à sa disposition des armes lourdes : des fusils à pompe Remington 870 calibre 12, des pistolets mitrailleurs Beretta M12, des fusils d’assaut HK G36. Mais aussi : des Flash-Ball ou LBD40 avec visée holographique d’une portée de 40 mètres, des Taser modèle X26, des casques de maintien de l’ordre, des boucliers anti-émeute, des bombes de gaz lacrymogène MP7, ou gaz/gel CS ou poivre, des grenades de désencerclement, des gilets tactiques. 59 Pol i ci er s m un i ci paux et pol i ci er s i n f i l t r és À ces corps de police s’ajoutent aussi les policiers municipaux, équipés pour le maintien de l’ordre mais qui ne sont pas réellement formés à ce type d’action. Il est tout de même à signaler que l’encadrement des manifestations et évènements peut aussi figurer dans leur mission. À Toulouse44, il y a trois brigades, celle d’intervention de jour liées à la tranquillité publique, celle d’intervention de nuit de 22h à 6h du matin qui contribuent à la lutte contre les nuisances sonores et les comportements dangereux et une brigade à moto composée de vingt membres et vingt motos qui assurent des missions de prévention et de répression. En 2014, une convention de coordination a été signée entre la police municipale et nationale visant à améliorer leur complémentarité. À n ot er la p résen ce d e p oliciers m u n icip a u x éq u ip és p ou r le m a in t ien d e l’ord re com m e d es b rig a d e d ’in t erven t ion . C’est a u ssi, à n ot re con n a issa n ce, u n e p rem ière. Cin q b a cq u eu x, g rim és en m a n ifest a n t s "ra d ica u x", se son t fa it éject er ca lm em en t m a is ferm em en t d u lieu d es a ffron t em en t s. Ra p p ort CR d u 1er d écem b re recon st it u é à p a rt ir d ’éch a n g es d e m a ils Rem arq u e Durant la rédaction du présent rapport, certains des observateurs se sont souvenus que, lors des différents rassemblements pour la défense des locaux syndicaux que la mairie de Toulouse voulait supprimer, en particulier la bourse du travail place Saint Sernin, la police municipale n’avait pas hésité à utiliser des gaz lacrymogènes contre les syndicalistes à proximité du square Charles de Gaulle. Equi pem en t s et aut r es si gn es di st i n ct i f s La cagoul e L’u n d es m em b res d e la BAC est p ort eu r d ’u n e ca g ou le b la n ch e q u i d issim u le t ot a lem en t son visa g e. 5 ja n vier 20 19 60 Policiers cagoulés en manifestation, 16 mars 2019. Lors de l’entretien avec le Directeur Départemental de la Sécurité Publique (DDSP), après les incidents du 22 mars 2018 (gazage ciblé des observateur-e-s), l’explication qui nous a été donnée au port de la cagoule, quasiment généralisé chez les policier-e-s, est que ces mêmes policier-e-s voulaient protéger leur anonymat depuis que deux des leurs avaient été tué-e-s chez eux, à Paris, au moment des attentats de 2015. Pas de m at r i cul e A Jea n n e d 'Arc, u n GJ en rollers n ou s fa it con st a t er q u e d es p oliciers sit u és d u côt é d es b u s n 'on t p a s leu rs m a t ricu les visib les. 12 ja n vier 20 19 Pour information, selon l’arrêté du 24 décembre 2013, « Les agents qui exercent leurs missions en tenue d’uniforme doivent être porteurs, au cours de l’exécution de celles-ci, de leur numéro d’identification individuel. Toutefois, en raison de la nature de leurs missions, sont exemptés de cette obligation de port : • les personnels chargés de la sécurité des sites de la direction centrale du Renseignement intérieur ; • les personnels chargés de la sécurité des bâtiments des représentations diplomatiques françaises à l’étranger ; • les personnels appelés à revêtir leur tenue d’honneur lors de « cérémonies ou commémorations. » ERI S 16h 17. Au b a s d e la ru e Alsa ce (m a n èg e) / le g rou p e BRI + b a cq u eu x cou p e la fin d e la m a n ifest a t ion et se p osit ion n e à côt é d u m a n èg e. Au p a ssa g e, com m e n ou s les film on s, u n b a cq u eu x t ra n ch e a vec les a u t res. Il est t êt e n u e, p ort e d es p a n t a lon s t reillis, b a sk et s ora n g es et u n b la son ERIS su r le sw ea t à ca p u ch e (j'a i ch erch é et t rou vé q u e cela veu t d ire « Eq u ip e Rég ion a le d 'In t erven t ion et d e Sécu rit é » en m ilieu p én it en t ia ire - sort e d e GIGN d es m u t in eries) se t ou rn e et n ou s in vit e à le p ren d re en p h ot o a vec u n t on sa rca st iq u e et u n a ir p rovoca t eu r. 26 ja n vier 20 19 61 Des l am pes st r oboscopi ques D u ra n t ce t ra jet , u n p olicier a llu m e u n e la m p e « su rp u issa n t e » en m od e st rob oscop iq u e ; ce q u i a p ou r effet d e ren d re t ou t e p h ot o ou t ou t e vid éo in exp loit a b le... (vid éo d isp on ib le). Rien n i p erson n e n e sem b le m en a cer les p oliciers ; ils n e fon t q u e « su b ir » d es q u olib et s et d es in su lt es (« en cu lés »). 26 ja n vier 20 19 D e lon g s m om en t s d ’ob serva t ion s’en su iven t . C’est l’occa sion p ou r les m ot a rd s d ’êt re fa cét ieu x... Et , a p rès éch a n g es en t re eu x, d ’éb lou ir les ob serva t eu rs q u i film en t à l’a id e d ’u n e la m p e d e fort e p u issa n ce en p osit ion st rob oscop iq u e. Il fa u t sa n s d ou t e voir d a n s cet t e a t t it u d e u n e référen ce à la con féren ce d e p resse d u 26 ja n vier, où l’a t t it u d e d es b a cq u eu x u t ilisa n t eu x a u ssi u n e la m p e en m od e st rob oscop iq u e a u x a b ord s d u m a rch é Vict or Hu g o a va it ét é ra p p ort ée. Com m e q u oi les p oliciers reg a rd en t les vid éos d e l’OPP... 16 février 20 19 VOIR LA VID ÉO Pas de Go Pr o A n ot er q u e cert a in s g en d a rm es m ob iles ét a ien t éq u ip és d e LBD , m a is p a s la m oin d re t ra ce d e ca m éra Go Pro (m êm e p ort ée p a r u n a u t re p olicier). 27 ja n vier 20 19 Le 22 janvier 2019, pour répondre aux critiques sur l'usage abusif du LBD40, Christophe Castaner a indiqué devant la commission des lois de l’Assemblée nationale qu’il a demandé que les forces qui utilisent ces LBD soient équipées de caméras-piétons : « J’a i d em a n d é q u e d a n s t ou t e la m esu re d u p ossib le, c’est -à -d ire d a n s les u sa g es d e d roit com m u n , n orm a u x, p a s d a n s les m om en t s d ’h yp erréa ct ion en ca s d ’a g ression , […] les forces q u i son t éq u ip ées d e LBD à p a rt ir d e sa m ed i p roch a in soien t syst ém a t iq u em en t éq u ip ées d e ca m éra s-p iét on s. Et q u ’a u m om en t d e l’u sa g e d u LBD , ils p u issen t a ct ion n er les ca m éra s-p iét on s p ou r q u e s’il y a u n d éb a t , u n e con t est a t ion , u n con t en t ieu x, on p u isse p rod u ire ces im a g es, y com p ris d a n s le ca d re ju d icia ire. […] Je sou h a it e q u ’à p a rt ir d e sa m ed i p roch a in , […] l’en sem b le d e n os forces d e sécu rit é q u i u t ilisen t le LBD soien t éq u ip ées d e vid éo et d e syst èm e d e ca m éra s-p iét on s et q u ’elles soien t a ct ion n ées à ce m om en t -là […] »45. Effet d'annonce ? À Toulouse, nous n'avons pas encore observé la mise en place systématique de cet équipement. Les écusson s Au gré de nos observations, nous avons été amené-e-s à repérer sur les uniformes de certains policiers des écussons qui reprenaient souvent un même type de dessin : un casque avec deux glaives croisés en dessous et, parfois, une devise (cf. photos ci-contre) : « Molôn labé » Historique : Molon labe ou Molôn labé (en grec ancien : μολὼν λαβέ), ce qui signifie « Viens les prendre », est une réplique célèbre du roi Léonidas Ier de Sparte lorsque les armées perses ont exigé des Grecs qu'ils déposent leurs armes à la bataille des Thermopyles. Il s’agit de la devise du 1er corps d'armée grec. Après quelques recherches, il s’est avéré que cette devise est un signe de ralliement des suprématistes blancs et des militants pro-armes étasuniens… 62 Photo prise le 19 janvier 2019 au niveau de la rue de Rémusat. Pet i t e an ecdot e pour t er m i n er en sour i an t : l es pol i ci er s « t r an scour an t s » Dans le compte rendu de la manifestation du 12 octobre, il était indiqué un moyen simple pour différencier les CRS (liseré jaune sur le casque) et les policier-e-s des CDI (liseré bleu). Eh bien, il existe maintenant des policiers « transcourants » (cf. photo ci-contre). Le p olicier a u cen t re d e la p h ot o a su r son ca sq u e u n liseré b leu et ja u n e. Vu d e p rès c’est u n b ricola g e p erson n el. Am u sa n t . 16 n ovem b re 20 17 Un e jour n ée par t i cul i èr e : l e 23 f évr i er 2019 Nous insérons de larges extraits de cette journée bien particulière parce que, de fait, elle l'a été. Elle illustre bien : • le besoin d’autocontrôle des policiers (cf. code de déontologie en fin de rapport) ; • les tensions à l’intérieur de la police, même en situation ; • les errements de certains policiers. Pa r con t re, a p rès, j'a i con t in u é à film er et su r m a vid éo on voit u n CD I t irer a u Cou g a r vers la p la ce d u Ca p it ole p u is, én ervé q u 'u n e p erson n e à côt é d e m oi « l'in t erp elle » (« c'est fa cile d e t irer su r d es civils, c'est b ien vou s êt es cou ra g eu x... »), a rech a rg é son Cou g a r et s'est m is à a va n cer vers n ou s, t rès d écid é et m en a ça n t . Il a ét é st op p é p a r sa h iéra rch ie (cf. p h ot os ci-d essou s). VOIR LA VID ÉO 63 2. Policier menaçant les observateurs avec son Cougar. 1. Tir de grenade rue du Taur. Ap rès ce g ren a d a g e, à 18h 58 à l’a n g le d es a llées F. Roosevelt et d u b ou leva rd (côt é Bu rg er Kin g ), u n e a lt erca t ion a ssez violen t e a lieu en t re u n p olicier d es CD I et d eu x p a ssa n t s (u n cou p le) q u i son t b ou scu lés p a r les p oliciers (p h ot o 3 ci-d essou s). Un d es p oliciers ca lm e u n d e ses collèg u es q u i m en a ce les p a ssa n t s a vec son Cou g a r (p h ot o 4 ci-d essou s, à d roit e su r la p h ot o). 4. Policier qui tire en arrière son collègue. 3. Altercation entre passants et CDI. Nou s d écid on s a lors d e rejoin d re n os d om iciles a vec u n d ét ou r p a r les b ou leva rd s et con st a t on s d es in cid en t s en t re m a n ifest a n t s (et p a ssa n t s) et p oliciers d es CD I. Nou s rem et t on s n os ch a su b les ja u n es et b leu es a in si q u e n os ca sq u es… Il est 20 h 11. Nou s con st a t on s u n fa ce à fa ce t en d u en t re q u elq u es « m a n ifest a n t s » et les p oliciers (p lu s n om b reu x). Pu is, d ’u n cou p , les p oliciers rep ou ssen t les m a n ifest a n t s sa n s m én a g em en t a vec leu rs b ou cliers (cf. p h ot os ci-d essou s). La t en sion est ext rêm e… Nou s som m es n ou sm êm e b ou scu lés p a r d es p oliciers (cf. p h ot o 6). 6. Observateur repoussé par un bouclier. 5. Manifestants bousculés. 64 Il est en viron 20h 20. Au m om en t où u n ob serva t eu r p la isa n t e a vec u n p olicier « Qu ’est -ce q u ’on fa it en core là , c’est l’h eu re d e l’a p éro ! », on en t en d u n e a lt erca t ion . Un d es ob serva t eu rs vien t d ’êt re b ou scu lé p a r u n p olicier. Un éch a n g e a ssez vif s’en su it en t re d eu x ob serva t eu rs et les p oliciers (cf. p h ot o 7). La ch effe d es CDI vien t s’in t erp oser (cf. p h ot o 8). 7. Altercation entre policier et observateur. 8. La cheffe des CDI s’interpose. Un p olicier t rès a g ressif vien t se m êler a u x éch a n g es. C’est ce m êm e p olicier q u i p ren a it ost en sib lem en t d es p h ot os d es ob serva t eu rs q u elq u es m in u t es a va n t (vid éo d isp on ib le) et q u i va d ’a illeu rs récid iver a p rès (voir d a n s la su it e d u ra p p ort ). Un d es ob serva t eu rs est a lors exfilt ré p ou r fa ire b a isser la t en sion . Les éch a n g es t en d u s con t in u en t en t re ob serva t eu rs et p oliciers (cf. p h ot o 9). VOIR LA VID ÉO 10. Un policier invective les observateur-es. Le p olicier « n e d ésa rm e p a s » et se m et à p ren d re d es p h ot os d es ob serva t eu rs en m a u g réa n t . À l’écou t e d e la vid éo, on en t en d q u ’il va « fa ire rem on t er les ch oses ». Il est t rès én ervé et in vect ive u n m a n ifest a n t a u su jet d es d roit s d es p oliciers et ceu x d es m a n ifest a n t s (cf. p h ot o 11). Sa ch effe est ob lig ée d e ven ir l’ext ra ire ca r il n e d écroch e p a s (cf. p h ot o 12). 11. Policier « faisant la leçon ». 12. La cheffe des CDI s’interpose de nouveau. 65 Les p oliciers se rep lien t en su it e ru e d es Trois Jou rn ées et se m et t en t en ra n g , b a rra n t a in si la ru e. Il d oit êt re en viron 20 h 25. C’est a lors q u e n ou s a llon s a ssist er à u n « a ffron t em en t » en t re d eu x p oliciers d es CD I. Nou s a von s u n e vid éo com p lèt e, u n p eu som b re cep en d a n t , d e la séq u en ce. Tou t com m en ce p a r u n éch a n g e « ca sq u e con t re ca sq u e » a ssez vif, a vec u n cou p d e b ou clier et p eu t êt re u n cou p d e p oin g , en t re les d eu x p oliciers. Un collèg u e vien t d u ra n g et les sép a re. Un d es d eu x p oliciers rep a rt su r le côt é d u g rou p e, côt é « sa lle d es ven t es ». Le secon d p olicier le su it , s’a p p roch e d e lu i, se p en ch e en a va n t et a ssèn e u n cou p d e ca sq u e à son collèg u e en se releva n t . Les d eu x p h ot os ci-d essou s n e son t p a s t rès b on n es, m a is la vid éo est , elle, t rès p a rla n t e. La b a st on en t re les d eu x p oliciers se sit u e a u m ilieu d es p h ot os. VOIR LA VID ÉO 13. Premier heurt entre policiers des CDI – au centre de la photo (extraite d’une vidéo OPP). 14. Second heurt – Un policier se penche et donne un coup de casque en se relevant – au centre de la photo. Les p oliciers, m a is a u ssi, iron ie d u sort , d es m a n ifest a n t s veu len t s’in t erp oser en t re les d eu x p oliciers. Les p oliciers rep ou ssen t les g ilet s ja u n es et se m et t en t en p osit ion . La sit u a t ion est con fu se d a n s les ra n g s d es p oliciers et on est p a s loin d e la m êlée…(cf. p h ot o 15). 15. Confusion dans les rangs des policiers. Les p oliciers m et t en t u n cou p d e g a zeu se su r les m a n ifest a n t s, p u is fon t rou ler a u sol u n e g ren a d e la crym og èn e (ils son t à t ou ch e-t ou ch e a vec les m a n ifest a n t s, m a is p eu t -on en core les a p p eler a in si ?). 16. Gazage à main des manifestants. 66 Les p oliciers p rocèd en t a lors à d es t irs d e g ren a d es la crym og èn es, d on t l’u n e a rrive a u m ilieu d ’u n g rou p e d e b a cq u eu x. D écid ém en t , « soirée d e m erd e » p ou r les p oliciers... Les b a cq u eu x vien n en t en su it e se m et t re en p osit ion . Nou s rem a rq u on s, a u m ilieu d ’eu x, d eu x p olicières, d on t l’u n e a m a rq u é « Sq u a d ra » su r son vêt em en t . Ce p ou rra ien t êt re d es p olicières it a lien n es en st a g e…La t en sion est m a in t en a n t t ot a lem en t t om b ée. Il est 20 h 35. VOIR LA VID ÉO “ . Ap rès le d éb riefin g , j'a i a u ssi p u ca p t er la scèn e où n ot re ca m a ra d e se fa it b ou scu ler, m a is d e l'a u t re côt é d e la lig n e d e CSI. À p a rt les m ot s d ou x h a b it u els ("Qu elle b a n d e d e g u ig n ols, ceu x-là ! "), rien d e p lu s à ra jou t er. Ap rès la b a g a rre en t re FD O, la BAC p ren d d on c u n e la crym og èn e d a n s leu rs lig n es et se p osit ion n e n on loin d e n ou s. J'en p rofit e p ou r film er u n b a cq u eu x, sou ven t éloig n é d u g rou p e, sa n s a u cu n sig n e id en t ifia b le (vêt em en t d e sp ort g ris ren forcé a u x cou d es et g en ou x) à p a rt son a rm e d e service. Il n 'a im e p a s q u e je le film e et m e d em a n d e "d 'a ssu m er p lu s" q u a n d je p ren d s d es p h ot os. Je ra n g e m on a p p a reil p ou r n e p a s a jou t er d e la t en sion , m a is je n e d is rien . D eva n t m on refu s d e p a rler, il est a lors d 'u n e su b t ilit é en core in con n u e p ou r m a p a rt : "Je sa is q u e t u en vies m on corp s et q u e t u a im era is a voir le m êm e, a voir d es m u scles t u con n a is p a s, h ein ?". Et en su it e, a lors q u e je m e ra p p roch e d u g rou p e d 'OPP : "M a is vou s en fa it es q u oi, d e t ou t es ces p h ot os, vou s vou s b ra n lez d essu s ?". Je ren t re d a n s le g rou p e, et il m e su it p ou r m e rép ét er d 'a ssu m er d e p ren d re d es p h ot os. À ceu x d e l'OPP q u i lu i exp liq u en t q u e n ou s en a von s le d roit , il rép on d ra sèch em en t "Toi, je t e p a rle p a s". Un p eu d ég oû t é p a r ce com p ort em en t , et d éçu d e n e p a s a voir p u ca p t u rer ce m om en t . Ce n 'est p a s la m eilleu re fa çon d e t erm in er m es ob serva t ion s... je ret ien d ra i d on c ce p olicier d e la BAC sou ria n t . Je n 'a i p a s en core com p ris son rôle, m a is il n ou s a p a rlé p lu s t ôt d a n s l'a p rès-m id i. ” 67 3 LES M ANI FESTATI ONS Les manifestations avant les Gilets Jaunes sont « classiques ». Nous avons choisi, dans ce rapport, de privilégier la présentation de ce mouvement particulier que sont, justement, les Gilets Jaunes. Mais nous ferons cependant régulièrement référence à des manifestations observées avant la séquence Gilets Jaunes ; ne serait-ce que pour mettre en valeur les invariants (par exemple dans l’organisation des forces de l’ordre et de leur armement) ou bien les différences (qui sont notables, ne serait-ce qu’en termes de violences). On trouvera, en fin de cette partie, une présentation spécifique sur la composition des manifestations Gilets Jaunes. Or gan i sat i on des m an i f est an t - e- s Cor t èges de t êt e dan s l a pr em i èr e ph ase (avan t l es m an i f est at i on s des Gi l et s Jaun es) La p résen ce d ’u n « cort èg e d e t êt e », u n e p rem ière cet a u t om n e, d ’u n m illier d e m a n ifest a n t -e-s, com p osé d e lycéen s (m a jorit a irem en t ), d e q u elq u es ét u d ia n t s et d e la fra n g e d it e « ra d ica le » (« a u t on om es », lib ert a ires, CNT) exp liq u e l’im p ort a n ce p lu s m a rq u ée d u d isp osit if p olicier « g lissa n t » p ou r cet t e m a n ifest a t ion q u e p ou r celles ob servées p récéd em m en t ; il y a va it sa n s d ou t e a u t ot a l p rès d e 75 p oliciers d a n s ce d isp osit if « g lissa n t », d on t u n e vin g t a in e d e b a cq u eu x. 10 sep t em b re 20 17 Ob serva t ion s a p rès le p on t d es Ca t a la n s : a u m ilieu d u p on t a p p roxim a t ivem en t , a u m ilieu d u cort èg e CGT, s’op ère u n p et it reg rou p em en t d e cou ra n t s ra d ica u x q u i va foca liser la p résen ce p olicière CRS+BAC, en t re 30 et 50 h om m es et fem m es. Si la p résen ce p olicière est b ien réelle, n ot on s q u e ju sq u ’à Arn a u d Bern a rd ,les p oliciers feron t en sort e d e se t en ir rela t ivem en t éloig n és d es m a n ifest a n t s. 22 m a i 20 18 Un p et it cort èg e d ’« a u t on om es » (q u a lifica t if g én ériq u e...) ét a it p résen t (u n e t ou t e p et it e cen t a in e d e m a n ifest a n t s ; soit u n p eu m oin s q u e le 22 m a i). Loca lisés a u n ivea u d u p rem ier t iers d e la m a n ifest a t ion lors d e son d ém a rra g e, ces m a n ifest a n t s se son t p ort és vers le d eva n t d e la m a n ifest a t ion en em p ru n t a n t les voies d u t ra m w a y, a llées Ju les-Gu esd e et on t essa yé d e p ren d re la t êt e d e la m a n ifest a t ion a u d éb u t d e la Gra n d e Ru e Sa in t -M ich el. Ils en on t ét é em p êch és p a r le SO d es org a n isa t eu rs. Leu r rem on t ée d e la m a n ifest a t ion a ét é su ivie d e p rès p a r les p oliciers en civil q u i son t ven u s, en su it e, se p la cer d eva n t la m a n ifest a t ion a u m om en t où ils essa ya ien t d e p ren d re la t êt e d u cort èg e ; et l’on t a in si p récéd é ju sq u ’à l’a rrivée a u t erm e d e la m a n ifest a t ion . « M a rée p op u la ire » d u 26 m a i 20 18 68 Ban der ol es Sen sib lem en t p lu s d e 1 0 0 0 (et m oin s d e 1 50 0 ) m a n ifest a n t -es selon les ob serva t eu rs d e l’OPP. Cort èg e d yn a m iq u e a vec u n fort con t in g en t d e jeu n es. Présen ce d ’u n p et it cort èg e « ra d ica l » d ’u n e cin q u a n t a in e d e p erson n es (jeu n es fem m es en m a jorit é) reg rou p ées a u t ou r d e d eu x b a n d eroles « ren forcées » (« Plu t ôt M olot ov q u e b ou q u et d e fleu rs » ét a it -il in scrit su r u n e b a n d erole a vec u n d essin en con séq u en ce). Ce p et it cort èg e a fa it l’ob jet d e t ou t e l’a t t en t ion d u d isp osit if g lissa n t d es p oliciers. M a n ifest a t ion d es fem m es, 8 m a rs 20 18 La b an d erole d e t êt e ap rès jan vier 20 19 En dehors des manifestations syndicales où la banderole de tête est d’abord un espace de représentation et de mise en scène du mouvement, nous avions déjà perçu des tensions autour des banderoles, notamment lors de présence de cortèges radicaux. “ On sa it t rès b ien q u e les ca sseu rs se serven t d es b a n d eroles p ou r se ca ch er et la n cer leu rs p roject iles con t re n ou s. Un of f icier d e p olice ” Dès que les cortèges Gilets Jaunes ont pu se déployer et/ou adopter de nouvelles organisations internes, les banderoles sont devenues des « repaires » et celles-ci ont permis de diriger les cortèges, mais aussi de servir de défense contre les charges policières. Ce que certain-e-s ont nommé les « banderoles renforcées » où des « récupérateurs » pour aller chercher et protéger des blessé-e-s. On est revenu à des formes plus classiques de manifestations. « La p rot ect ion con t re les ch a rg es » d ixit Alix 4 6 m on in form a t eu r q u e je ret rou ve sa m ed i a p rès sa m ed i d errière la b a n d erole ou à p roxim it é. Tou jou rs visa g e ca ch é…[…] Il a u n a m i q u i a p a rt icip é à la ch a rg e con t re la p olice p la ce d u Ca p it ole, celle q u e l’on a vu d ep u is le film réa lisé d a n s la sa lle d e com m a n d em en t d e la p olice. La "ca p t a t ion illég a le d 'im a g es et d e son s" a u sein d u Cen t re d e com m a n d em en t et d 'in form a t ion d e Tou lou se le 12 ja n vier » com m e l’a va it q u a lifiée la p olice. 9 février 20 19 La p rim au t é d e la Ban d erole A plusieurs occasions, les banderoles reprendront la tête. Et le SO des GJ demandera à tous, toutes, de rester derrière. Au jou rd ’h u i, 3 b a n d eroles. Text es : « Seu le la m ort n ou s a rrêt era », « C’est la p a n iq u e, M a cron a rm e ses flics », « D ém ocra t ie Sa n g la n t e ». Le t ext e est in q u iét a n t . Il évoq u e les « k a m ik a zes » ou le risq u e d e k a m ik a zes q u i corresp on d à u n e a u t re in t errog a t ion en t en d u e h ier ch ez u n p roch e : « Pou rq u oi les Gilet s Ja u n es n ’on t p a s en core t iré con t re les p oliciers ? » ... Fa ce à l’in t ra n sig ea n ce d u p ou voir, q u els son t les risq u es ? 16 février 20 19 46. Tous les noms ont bien sûr, été changés. Comme certains détails qui permettraient de les reconnaître. 69 Et ch a q u e fois, 20 0, 30 0 p erson n es se rem et t en t d eva n t ……Pa rm i ceu x-ci, celles-ci, d es g en s vou la n t en d écou d re, visa g e en t ièrem en t ca ch é… en t re 30 et 4 0 p erson n es, p a s p lu s. Et en core b ea u cou p d e jeu n es q u i sem b len t in exp érim en t é-e-s… Ils, elles ch a n t en t : « Il fa it b ea u , il fa it ch a u d …Sort ez les ca n on s à ea u …» 16 février 20 19 La b an d erole cen t rale sert d e refu g e, com m e p révu … Cet t e b a n d erole « D ém ocra t ie sa n g la n t e » sert d e p rot ect ion -rep ou ssoir d ’a t t a q u es. 16h 15 à n ou vea u , à l’a n g le d es 3 jou rn ées (p rès d u TNT), d es CRS p lu s p résen t s q u ’a u p rem ier p a ssa g e (a rm e PE2M , 6 cou p s), 5 ca m ion s à l’a n g le d e la ru e La b éd a , 10 b a cq u eu x à l’a n g le d e Ca rriera Ba u d is, + les b a cq u eu x à m ot os (u n e g rise, u n e rou g e), la t en sion q u i m on t e, u n e b ou t eille est jet ée en d irect ion d es CRS, u n CRS d ésig n e le la n ceu r d e cet t e b ou t eille, p u is t ir d e la crym os, n ou vea u x jet s d e p roject iles, t en t a t ive d ’in t ercep t ion d ’u n m a n ifest a n t p a r les CRS, m a is ch a rg e d es m a n ifest a n t s d errière la b a n d erole « D ém ocra t ie sa n g la n t e ». S’en su it u n d éferlem en t d e t irs : la crym os, g ren a d es d e d ésen cerclem en t , fla sh b a ll… 16 février 20 19 La b an d erole com m e ob ject if p ou r les p oliciers Selon les d ivers t ém oig n a g es reçu s et recou p és a vec ceu x d es ob serva t eu r-e-s p résen t -e-s, les in cid en t s on t écla t é lorsq u e d es p oliciers d es CSI et d e la BAC on t cou p é le cort èg e en d eu x p ou r se sa isir d ’u n e b a n d erole (!). Le g rou p e d ’ob serva t eu r-e-s « t êt e d e m a n if » ét a it p résen t à ce m om en t -là . Ils on t p u sa isir u n e g ra n d e p a rt ie d e cet t e séq u en ce. Un e vid éo est d isp on ib le. La p h ot o ci-d essou s, issu e d ’u n e vid éo p rise p a r u n ob serva t eu r, illu st re b ien cet t e ch a rg e d e p oliciers (BAC et CSI) a u cœ u r d e la t êt e d u cort èg e. VOIR LA VID ÉO 23 m a rs 20 19 Ar m es des m an i f est an t - e- s Dans les quelques échanges en direct et « à chaud » avec policier-e-s et gendarmes, il nous fut souvent reproché de ne pas nous intéresser aux projectiles que recevaient les forces de police. Chaque fois, ils nous ont désigné des cannettes en verre, des cailloux, des boulons… Nous en faisons état ici, et ajoutons nos propres observations. Nous avons voulu comprendre. Comprendre pourquoi certaines personnes qui se déclaraient pacifistes se retrouvaient à jeter des projectiles contre la police. Comprendre le sens des affirmations de la préfecture quand, par exemple le 29 décembre, elle affirme par communiqué officiel que la manifestation se composait de 1350 personnes dont 650 profils violents ; ou le 5 janvier 2019, 2000 personnes, dont 800 casseurs. Nous présentons ici les différentes « armes » utilisées par les manifestant-e-s que nous avons observées. 70 Sur les murs de Toulouse, en janvier 2019. Hu m ou r Sou ven t , a u p a ssa g e d e la p olice, d e n om b reu x m a n ifest a n t s en t on n en t la m u siq u e d e St a r W a rs (d u côt é ob scu r d e la force !) 16 février 20 19 La p arole est u n e arm e Une pancarte dans la manifestation du 26 janvier 2019. Les clow n s 23 février 2019 71 Les œ u fs et les p och es d e p ein t u re L’œuf a été souvent utilisé à Toulouse, avant même les Gilets Jaunes. Il est à n ot er q u e n ou s a von s ob servé t rois jet s d ’œ u fs su r les p oliciers en t re 17h 30 et 18h . A ce m om en t -là et à cet en d roit -là , les p oliciers ét a ien t d éjà t rès n om b reu x, en t re 70 et 80 ; u n d isp osit if p olicier p ou va n t êt re q u a lifié d e t ot a lem en t d isp rop ort ion n é p a r ra p p ort à l'ob ject if et a u n om b re d e m a n ifest a n t s. 22 m a rs 20 18 Les policiers des CDI en jaune, rue Merly, 29 décembre 2018. Œufs et peinture vont émailler les manifestations de décembre 2018 et janvier 2019. Les b ou t s d e b ois, m an ch es d e p ioch e et au t res ou t ils 17h 18 : D a n s la ru e d es lois, les CSI forcen t à m a rch er vit e, t rès vit e, et s’a rrêt en t à l’in t ersect ion ru e d es Sa len q u es/La u t m a n n , en u t ilisa n t 3 g ren a d es. D eva n t d es m a n ifest a n t s q u i revien n en t à cet en d roit , ils u t ilisen t 4 fois d es la n ceu rs Cou g a r p ou r les rep ou sser. Sou d a in , sa n s q u ’on com p ren n e p ou rq u oi, la BAC p rocèd e à u n e in t erp ella t ion (j’a i le film , m a is la p a g e St reet M ed ics Tou lou se l’a a u ssi d ’u n m eilleu r a n g le). L’in t erven t ion a ét é d éclen ch ée su it e à u n jet d e 2 ca n et t es et d ’u n g ros b â t on d e b ois. Ce g ros b ou t d e b ois a ét é la n cé a vec force p a r u n m a n ifest a n t et a p ercu t é le b ou clier d ’u n m em b re d e la com p a g n ie d e sécu risa t ion . 12 ja n vier 20 19 Les cou p s d e p ied À 18h , t rois voit u res d e p olices a rriven t p ou r p ren d re à revers la b a rrica d e. Un Gilet ja u n e s’éla n ce et en voie d es g ra n d s cou p s d e p ied su r la p rem ière et est a id é p a r d ’a u t res. 8 d écem b re 20 18 Les b ou lon s Qu elq u es m in u t es d e flot t em en t , p u is n ou s n ou s d irig eon s vers u n g rou p e d e CRS (q u i n ou s sem b la ien t les m oin s m en a ça n t s) b loq u a n t l’en t rée d e la ru e d u Poid s d e l’Hu ile. Nou s leu r d em a n d on s d e p a sser. Ils n ou s d isen t : « Vou s voyez ce q u ’ils n ou s la n cen t , on a p ris d es cou p s d a n s les ja m b es ». 12 ja n vier 20 19 17h 4 6 : n ou s som m es en b a s d e la ru e Sa in t Rom e. Nou s p ren on s u n e la crym o su it e à u n b ou lon d e d eu x cen t im èt res jet é a ssez loin d es forces d e p olice. Nou s le ra m a sson s. Nou s p a rt on s ru e Ga m b et t a vid e d e m a n ifest a n t s et n ou s ra m a sson s u n e q u a n t it é con sid éra b le d e p lot s d e ca ou t ch ou c d e g ren a d es d e d ésen cerclem en t ép a rp illés n ot a m m en t à l'en t rée d e la ru e M irep oix. 26 ja n vier 20 19 72 Au n ivea u d e Jea n Ja u rès, a u p ied d u rest a u ra n t M a cd on a ld , n ou s ob servon s u n e a lt erca t ion en t re u n g rou p e d 'a g en t s et d es m a n ifest a n t s. L'u n d 'en t re eu x jet t e u n e b ou t eille en verre (con t en a n ce 1L) su r les a g en t s, et ceu x-ci rép liq u en t a vec d es la n cers d e g ren a d es la crym og èn es. Nou s con st a t on s a lors q u 'u n e est la n cée a u sol et d eu x en l'a ir, con t ra irem en t a u x p ra t iq u es lég a les, d on t u n e ra se le cou d 'u n m a n ifest a n t . 2 février 20 19 Fu m ig èn es, fu sées, p ét ard s, feu x d ’art ifices et au t res p roject iles p yrot ech n iq u es Je n ’a i p a s con st a t é d e violen ces ven a n t d e m a n ifest a n t s, h orm is cin q la n cers d e fu sées feu x d ’a rt ifice p la ce d u Ca p it ole q u i n e m 'on t p a s p a ru p rovoq u er d e rep li d e la p a rt d es g en d a rm es. 2 février 20 19 Ils [les feu x d ’a rt ifice] son t a p p a ru s p rog ressivem en t . À l’a ct e XIII, su r les b ou leva rd s, a u M on u m en t a u x m ort s, ru e d e M et z p u is en t ir t en d u con t re les CRS p la ce d u Ca p it ole (ce q u i, vers 16h 30, a p rovoq u é u n e rép on se g ra d u ée et lim it ée d e ceu x-ci, y com p ris a vec le ca n on à ea u ). Alors q u e le risq u e ju d ica ire d ’êt re con t rôlé-e a vec d e t els m a t ériels est im p ort a n t , leu r u t ilisa t ion croissa n t e in t errog e. Ne sera it -ce p a s u n sig n e visib le d e résist a n ce fa ce à l’a rm em en t d e la p olice con sid éré com m e d ém esu ré ? Un e m a n ière d e d ire : n ou s a u ssi on est éq u ip é-e-s ? Un e con t rib u t ion à la « fêt e » vou lu p a r les GJ q u i on t écrit su r les m u rs : « Le n ou vel a n , c’est t ou s les sa m ed is…» ? 9 février 20 19 Caillou x, p avés… 14 h 4 5 : jet d ’u n ca illou su r les GM q u i g a rd en t (a vec d eu x b lin d és) la p réfect u re. En viron 12cm / 12cm . Les GM a p p a ra issen t p ou r la p rem ière fois sort i-e-s d e leu rs t ou relles (il fa it vra im en t ch a u d / 16 d eg rés). Les GM n e réa g issen t pas (j’a p p récie leu r p rofession n a lism e). Je m et s m on ca sq u e ! 9 février 20 19 Cock t ails Molot ov … Lu i m ’a exp liq u é a voir d éjà vu , à Tou lou se, u t ilisés d es cock t a ils M olot ov et a u t res in st ru m en t s « d e d éfen se ». 9 février 20 19 Il rest e a lors 50 m a n ifest a n t s ici, rejoin t s p a r le « cort èg e d e t êt e » u n e d iza in e d e m in u t es p lu s t a rd . Nou s en p rofit on s p ou r recu eillir d es t ém oig n a g es. Un m a n ifest a n t n ou s exp liq u e q u ’a u M on u m en t a u x m ort s, u n « b la ck b loc » a jet é u n cock t a il M olot ov su r d es CRS, p rovoq u a n t le g a za g e. 9 février 20 19 73 Cock t ail Molot ov et b arrière Qu elq u es secon d es a p rès, u n en g in in cen d ia ire (cock t a il M olot ov ?) est en voyé en d irect ion d e la p olice (voir p h ot os ci-d essou s). C’est la p rem ière fois q u e n ou s con st a t on s le la n cem en t d ’u n en g in in cen d ia ire d u ra n t la séq u en ce Gilet s Ja u n es. Su r la p rem ière p h ot o, on voit l’a rrivée en h a u t à g a u ch e (a u -d essu s d u feu t ricolore) d u p roject ile. Au vu d e sa t a ille et d e la h a u t eu r d e son p a rcou rs, on p eu t se d em a n d er s’il n ’a p a s ét é en voyé p a r u n syst èm e d e p rop u lsion . Su r les d eu x p h ot os su iva n t es, on p eu t se fa ire u n e id ée d e sa t a ille (p lu t ôt p et it e, g en re b ou t eille d e b ière) et con st a t er q u ’il se con su m e la rg em en t a va n t d ’a rriver a u sol. Su r la q u a t rièm e p h ot o, on le voit a u sol ; sa n s d ou t e à u n e d iza in e d e m èt res d es p oliciers. 16 février 20 19 1. apparition du cocktail Molotov 2. suite du parcours aérien 3. le cocktail poursuit son parcours 4. le cocktail atterrit à 10 m des CRS (…) on voit u n m a n ifest a n t jet er u n e b a rrière en d irect ion d es p oliciers à l’a n g le d u b â t im en t et se p ren d re vra isem b la b lem en t u n t ir d e LBD (p h ot o ci-con t re). Il est 16h 4 0. Il a en su it e d isp a ru sa n s d em a n d er son rest e et n e sera vra isem b la b lem en t ja m a is recen sé d a n s les b lessés... Not a b en e : cet t e in form a t ion n ou s a ét é con firm ée d ep u is par un sa u vet eu r volon t a ire q u i l’a p ris en ch a rg e et a in d iq u é q u ’il a va it refu sé d e la isser la m oin d re t ra ce. 16 février 20 19 Un manifestant se plie sous l’impact d’une balle de LBD reçue après avoir lancé une barrière 74 D éb u t d es a ffron t em en t s : effect ivem en t , n ou s a von s vu u n p roject ile en fla m m é. D e n om b reu ses vid éos su r in t ern et m on t ren t q u 'effect ivem en t , c'est b ien u n cock t a il M olot ov q u i a ét é la n cé. Si la réa ct ion d a n s les ra n g s d e la p olice a ét é im m éd ia t e, il fa u t cep en d a n t g a rd er en t êt e q u e le p roject ile est t om b é rela t ivem en t loin d es ra n g s d e la p olice. J'a i t rou vé su r in t ern et u n e vid éo d e ce m om en t :h t t p s://you t u .b e/AM d yffp -lb g ?t =637 23 février 20 19 Acid e ( ?) D’après la presse, lors de la seule journée de l’acte X, le procureur indique que de nombreuses exactions à l’encontre des policiers ont été relevées : « Sa m ed i d ern ier on t ét é recen sés d es p a vés d e p rès d ’u n kilo, d e la p ein t u re, d es écrou s, d es vis, d es p iles b â t on s, d es b ou t eilles d e verre, et m êm e d es b ou t eilles d ’a cid e et d es cockt a ils M olot ov, q u i on t a t t ein t d es p oliciers, ou en core d es ch a rg es con t re les p oliciers com m e le w eek-en d p récéd en t a u Ca p it ole et a illeu rs... ». Actu Toulouse, 25 janvier 201947 On nous a signalé, directement ou par presse interposée, des bouteilles d’acide [communiqué préfecture 22 décembre, bilan provisoire 20 heures] : on n'a jamais vu, ni entendu l’utilisation de telles armes. Mais on s'étonne que des manifestations de Sivens aux Gilets Jaunes, l’acide soit régulièrement invoqué, mais jamais prouvé. Un e h ach e ( ?) Sans nier la réalité de certains équipements, il semble qu’il y ait amalgame et confusion liés aux « contrôles préventifs » réalisés dans des contrôles routiers, en dehors de la manifestation. Quand des personnes qui habitent la campagne viennent manifester, est-ce que tous leurs outils trouvés dans leur voiture sont des armes par destination dans la manifestation ? Cela reste à prouver. Les forces d e l’ord re d an s le t ou rm en t d es m an ifest at ion s Tout au long des manifestations des Gilets Jaunes, nous avons souvent, mais pas toujours, été au plus près des policiers et gendarmes. Nous avons souvent, mais pas toujours, été mal accueillis et soumis à des injonctions contradictoires. « Allez, les droits de l’Homme, reculez, reculez » nous a-t-on dit dans le haut de la rue de Rémusat un samedi de février 2019, lorsque nous étions derrière les policiers pour voir ce qui se passait « vu de leur côté »… « Pourquoi vous ne venez pas avec nous, vous verrez vraiment ce qui se passe… » nous a dit un policier énervé, un autre samedi de février. Au-delà de cette difficulté à être au plus près et malgré le fait que nous dénonçons dans le présent rapport la totale asymétrie entre les moyens utilisés par les forces de l’ordre (voir le paragraphe sur l’armement) et ceux de certains manifestants (projectiles de petit calibre, la plupart du temps trouvés sur place et projetés à la main ; plus rarement des feux d’artifice utilisés en tir tendu et très rarement des cocktails Molotov), nous avons pu constater, d e visu , que les policier-e-s étaient aussi soumis à la violence des manifestations des Gilets Jaunes. Nous avons déjà évoqué les cocktail Molotov. Voici d’autres photos, extraites de vidéos prises dans le vif de nos observations, qui permettent de visualiser ce constat. Mais avant cela, nous pouvons aussi rappeler que les policier-e-s et gendarmes sont eux aussi soumis à la dureté du système dominant. Ils sont soumis à des injonctions paradoxales (faire plus, plus vite, avec des budgets toujours en baisse). Ils n’échappent pas, pour nombre d’entre eux et d’entre elles et à l’intérieur même de leurs unités, aux maux qui minent les rapports 75 sociaux (racisme, sexisme, machisme, culte de l’apparence et de la performance, pressions sans limite de la hiérarchie). Nous avons constaté, lors de nos observations, que cela pouvait parfois aboutir à des conflits (parfois violents) entre eux et entre elles. Sans compter aussi, comme nous le rappelait un gradé (anonyme), les peurs que leurs enfants et leurs familles en subissent des conséquences lorsqu’ils/elles sont identifié-e-s par le grand public. De plus, à l’écoute des syndicats de police, on se rend compte que la capacité à se défendre pour le respect de leurs droits est limitée par l’organisation même du ministère de l’Intérieur. Nettoyage de visière d’un CRS avec le bouclier souillé suite à un jet de peinture jaune – rue Pierre de Fermat 5 janvier 2019 Policier des CRS déviant un projectile lors d’un « repli » du dispositif – 23 février 2019 – Jean Jaurès Policiers des BAC en posture de protection contre un lancer de projectile suite à une interpellation en cœur de manifestation – boulevard de Strasbourg – 16 mars 2019 Un policier des BAC chutant sur un vélo lors d’un repli – boulevard de Strasbourg – 16 mars 2019 Policiers de la BAC en récupération après avoir été pris dans les gaz lacrymogènes – boulevard de Strasbourg – 2 mars 2019 VOIR LA VID ÉO 76 Nous nous devons d’ajouter que, si nous avons vu de très nombreux et nombreuses manifestant-e-s blessé-e-s durant toutes nos observations et malgré le fait que nous ayons été souvent au plus près des forces de l’ordre, nous n’avons pas vu de policier être blessé. Loin de nous le fait de laisser entendre qu’il n’y en aurait pas eu, mais force est de constater que leur nombre semble, in fin e, plutôt faible. Au 16 mars 2019, l’examen des communiqués de la préfecture permet d’évaluer à 179 les membres des forces de l’ordre blessés (blessures de toutes natures) lors des 18 manifestations des Gilets Jaunes du samedi. Et aucune communication n’a été faite (ce qui n’aurait à coup sûr pas manqué) sur l’existence de policier-e-s ayant eu de blessures graves. Les m an i f est at i on s Gi l et s Jaun es4 8 Depuis longtemps, les manifestations à Toulouse sont interdites d e fa ct o de centre ville. Les manifestations non déclarées, mais non interdites, des Gilets Jaunes ont bravé cet état de fait. Si, au départ, nous nous étions focalisé-e-s sur les manifestations négociées avec la préfecture, avec l’accord des association créatrices de l’Observatoire et de l’ensemble des observateur-e-s, nous nous sommes autosaisi-e-s, dès la fin du mois de novembre 2018, de l’observation des manifestations Gilets Jaunes. Convaincu-e-s d’être à la naissance d’un mouvement social particulier, certain-e-s observateur-e-s ont participé, dès le 17 novembre 2018, aux premières mobilisations sur les ronds-points ou près des centres commerciaux. Par la suite, nous avons couvert l’ensemble des manifestations des Gilets Jaunes. Persuadé-e-s que nos observations étaient à charge, de nombreux contacts pensaient que nous allions observer exclusivement la police et ses violences. Cela n’a jamais été l’option prise par les organisations créatrices de l’Observatoire, ni celle des chercheur-e-s y participant. Au contraire, nous avons voulu situer nos observations dans le cadre des interactions police/manifestant-e-s. Nous livrons ici des éléments recueillis au sein des manifestations de GJ pour en comprendre les dynamiques, y compris dans les résistances aux violences policières. Nous apportons donc ici quelques pierres au débat actuel sur les Gilets Jaunes et, en même temps, comme souvent les GJ nous l’ont demandé dans les manifestations, quelques bribes en miroir pour eux-mêmes et elles-mêmes ; une forme de restitution que l’on doit au mouvement social. La demande de réflexivité par les GJ est aussi, en soi, un élément du débat sur la volonté démocratique et compréhensive de ce mouvement. Les Gi l et s Jaun es qui m an i f est en t : un e popul at i on bi gar r ée et di ver se La composition sociologique de ceux et celles que l’on qualifie de Gilets Jaunes dans ce rapport a varié. Plusieurs signes nous l’ont montré. Le nombre de manifestant-e-s sans gilet jaune n’a cessé d’augmenter. D’environ 30% à l’acte 8, on est passé à environ 50% après l’acte 9 et acte 10, puis à peu près à 70% ensuite. Exceptés les 26 février et 3 mars où, vacances scolaires obligent, le nombre de jeunes scolarisé-e-s a baissé et où on a estimé les gilets jaunes à 50%. Après les vacances, nous sommes revenus à 70%. 77 Sans doute, comme nous l’ont indiqué plusieurs personnes sans gilet jaune, la peur d’être contrôlé et la facilité de passer inaperçu en quittant le cortège après les gazages expliquent le non-port de gilet. Mais les variations de pourcentage de gilets sont aussi confirmées visuellement par la part, plus ou moins importante, de personnes liées aux ronds-points, repérables aux gilets tagués, parfois avec le rond-point indiqué, mais toujours chargés en inscriptions et revendications. D’autres variations sont apparues, notamment des participations plus ou moins importantes de jeunes issu-e-s de quartiers populaires de Toulouse et de diverses associations. Que ce soit avec les handicapé-e-s et Handi-social ou bien avec les blouses roses des assistantes maternelles, ou encore avec les gilets rouges de la CGT. En fait, nous avons vu les manifestations Gilets Jaunes devenir une vitrine de la fusion des colères et des luttes sociales. Un p u b lic m ixt e en âg es …t ou s les â g es p résen t s et d e p lu s en p lu s d e jeu n es a u fu r et à m esu re d e l’a va n cem en t d e la jou rn ée (les vieu x d eva ien t êt re fa t ig u és...) ; Ra p p ort CR d u 1er d écem b re 20 18 recon st it u é à p a rt ir d ’éch a n g es d e m a ils Une mixité avec des variations, comme le retour de jeunes gens et d’enfants le 23 février 2019 (avant 16h30) alors qu’il faisait presque 18 degrés, ou l’influence des vacances scolaires. Pen d a n t ces va ca n ces scola ires, et le p eu d e p résen ce d es ét u d ia n t -e-s, u n e b on n e m oit ié d e la m a n ifest a t ion reg rou p e d es p lu s d e 55 a n s. Com m e n ot re Ob serva t oire. 9 m a rs 20 19 Un e com p osit ion sociolog iq u e q u i a ch an g é le sam ed i En viron 60 0 0 p erson n es com p t ées ce jou r su r les g ra n d s b ou leva rd s en t re 15 et 16 h eu res. On a a ssist é à u n e m a n ifest a t ion en rh izom e q u i, d ’u n g rou p e u n iq u e, s’est t rès vit e d isp ersée en u n e k yrielle d e sou s-g rou p es a p p a ra issa n t , d isp a ra issa n t p ou r d éjou er les st ra t ég ies p olicières. La com p osit ion sociolog iq u e a b ou g é. Pou r p reu ve, t ou s et t ou t es ces u rb a in -e-s sa n s g ilet s ja u n es (et sou ven t sa n s voit u re) q u i on t rejoin t la m a n ifest a t ion . Un t iers à la m oit ié d u cort èg e à cert a in s en d roit s…À côt é d es GJ h ist oriq u es, q u i ra p p ela ien t leu rs a ct ion s d ep u is le d éb u t , d es g en s d e la cla sse m oyen n e, p a rfois écolos, son t ven u -e-s m on t rer q u ’eu x/elles a u ssi se sen t a ien t p a rt ies p ren a n t es d u m ou vem en t . Ce n ’ét a it p a s q u e d e la solid a rit é, m a is d e vérit a b les (et d iverses) m a rq u es d ’a p p a rt en a n ce collect ive. Not a m m en t p a rm i « le p eu p le d e g a u ch e » q u e l’on con n a ît et recon n a ît d a n s la m a n if. 22 d écem b re 20 18 Des p arcou rs d e m an ifest at ion s at yp iq u es et aléat oires On rep a rt vers les a llées Ju les-Gu esd e…ét ra n g e ! Pa rcou rs in h a b it u el, com m e p ou r d ire : On est les GJ, on est in con t rôla b les…« Où va -t -on ? » p la isa n t e u n e m a n ifest a n t e, « il y a d es b a n q u es à ca sser, a u m oin s là -b a s? Sin on ça va u t p a s le cou p ... ». 16 février 20 19 « La m a n ifest a t ion s’est d érou lée d a n s d es con d it ion s d e p a rcou rs a léa t oire q u i ra p p ellen t les m a n ifest a t ion s d e d écem b re 20 18. D u ra n t 2 h eu res, celle-ci a p a rcou ru les ru es d e Tou lou se (Ja u rès, Ba ya rd , Alsa ce-Lorra in e, Pa la is d e ju st ice, Gra n d Ron d , b ou leva rd s, Jea n n e d ’Arc, Alsa ce-Lorra in e, Ca p it ole a vec a rrivée via la ru e d e Rém u sa t ) ». 23 février 20 19 78 De fait, l’ensemble des observateur-e-s, et ils/elles ne sont pas les seules, se sont habitué-e-s à cette marque de fabrique des Gilets Jaunes. Nous avons souvent entendu, surtout au début : « Tiens, cette rue est libre… Allons-y ! ». Quitte, parfois, à faire complètement demi-tour… En imposant le droit de manifester sans se déclarer (beaucoup de GJ ignoraient cette disposition au départ du mouvement, revendiquant juste « le droit de manifester »), et en se jouant des contrôles policiers par des parcours plus ou moins improvisés (souvent le parcours a été aussi pensé à la « commission actions » du mouvement), les GJ marquent leur différence. Un e volon t é fest ive et « b on en fan t » Act e X : u n a ir d e g a y Prid e a u d éb u t , p u is à 18 h eu res les m u sicien s p la ce d u Ca p it ole 19 ja n vier 20 19 À plusieurs reprises, les observateur-e-s ont noté ces expressions de joie, de bonheur, voire de jouissance d’occuper bruyamment les rues du centre-ville de Toulouse. La joie con t re la p eu r Au moment de la rédaction de ce rapport, un observateur a ajouté cela : « La p lu p a rt d es violen ces p olicières visen t à "fa ire p eu r", a vec p ou r con séq u en ces : la résig n a t ion , l'ob éissa n ce, l'a rrêt d e l'én erg ie à lu t t er, la d isp ersion . Cet t e a rch it ect u re d e la p eu r, a u sen s d 'u n e form e d a n s les ra p p ort s d e cu lt u re et d e d om in a t ion socia les, n 'est d 'a illeu rs p a s p rop re a u x p ra t iq u es d e la p olice, elle t ra verse l'en sem b le d es ra p p ort s d e p ou voir, t a n t socia u x q u e p rofession n els et m éd ia t iq u es. Or, je con st a t e ch ez les m a n ifest a n t s u n e joie q u i a va it d isp a ru d ep u is b elle lu ret t e d a n s les m a n ifest a t ion s a n t érieu res, u n b on h eu r à êt re en sem b le, à m a rch er, à se m on t rer, se ren d re visib le ; joie q u i effa ce la p eu r, a u m oin s en g ra n d e p a rt ie. » In t erp én ét rat ion Gilet s Jau n es (en m an ifest at ion ) et b ad au d s et p rise d ’im ag es p erm an en t e Autre particularité des manifestations Gilets Jaunes : une grande présence de badaud-e-s mélangé-e-s à la manifestation. Les photos ci-dessous permettent de constater « l’interpénétration » entre dispositif policier et « badauds ». Même si elle est spécialement notable dans la séquence Gilets Jaunes en cours, cette situation de mélange entre policiers équipés et curieux est souvent constatée ces dernières années. Des badauds et curieux « installés » dans le no man’s land entre camions de police et dispositif policier, 22 mars 2018 vers 17h40. Manifestation « Sivens » du 21 novembre 2014, avec mélange entre badauds, curieux et dispositif policier. L’irruption massive des smartphones dotés d’appareils photo intégrés change la donne. 79 Réalisations de « directs » via les réseaux sociaux, omniprésence d’appareils photo, de smartphones qui filment, de caméras… Aujourd’hui, la police est sans cesse dans le regard (et les films) des manifestant-e-s et des badaud-e-s. Cette nouvelle donne semble ne pas plaire au policier-e-s si l’on en croit les remarques, récurrentes et désobligeantes, à ce propos. Y compris contre les observateur-e-s de l’OPP. Les Gilets Jaunes vont largement utiliser les caméras intégrées dans les smartphones, notamment devant la police. Les cor don s de pol i ci er - e- s com m e aut an t de l i eux d’ expr essi on devan t l ’ œi l des m édi as 14 h 4 5 : p a ssa g e d eva n t u n cord on d e GM . Ils son t d even u s u n e exp ression d es p la in t es ou d e p erform a n ces a rt ist iq u es (p lu s t a rd d a n s la m a n ifest a t ion ). 9 février 20 19 Et cela se répétera plusieurs fois après janvier 2019. Mais avec la distance prise entre policier-e-s et manifestant-e-s, à l’acte XV, le 23 février 2019, un seul (petit) cordon de CDI près de Jeanne d’Arc pourra servir à ces expressions de colères. Face à face « décontracté » - 23 février 2019 On p eu t d ’a illeu rs q u a lifier l’a m b ia n ce d e « b on en fa n t », com m e on le voit a vec l’im a g e d e ce m a n ifest a n t d ist rib u a n t d es b on b on s a u x g en d a rm es ru e B. d e l’Isle. Bon b on s q u e ceu x-ci on t a ccep t é a vec le sou rire. 2 m a rs 20 19 Un manifestant offre des bonbons à un policier de la BAC muni de son LBD 80 Les p rises d e con scien ce : « Macron on t ’en cu le p as » Manifester ensemble permet aussi des prises de conscience, des transversalisations de connaissances surprenantes. Nous avons aussi assisté à de telles prises de conscience. Tém oig n a g e d ’u n ob serva t eu r : Je ven a is d e rejoin d re u n g rou p e d u La u ra g a is. Un e joyeu se b a n d e d e ron d -p oin t a vec d es p erson n es d e 18 à 75 a n s. Ils/elles ét a ien t 7 ou 8. Su r le g ilet d e p lu sieu rs d ’en t re eu x/elles, le n om d u ron d -p oin t . Ap rès a voir rép on d u à leu rs q u est ion s su r l’OPP, p a rt a g é u n e (b on n e) g org ée d ’u n vin rou g e loca l q u e m ’a g en t im en t offert e celle q u i sem b la it g érer les p rovision s, n ou s som m es p a ssé-e-s à côt é d ’u n e b a n d erole d ’Act Up . Su r celle-ci ét a it écrit « M a cron , on t ’en cu le p a s. La sod om ie, c’est en t re a m i-e-s. ». Ils/elles son t p a ssé-e-s à côt é en reg a rd a n t vit e fa it . Pu is se son t a rrêt é-e-s. se son t reg a rd é-e-s a vec d es m im iq u es d e su rp rise. Je sou ria is. Ils/elles m ’on t in t errog é d u reg a rd . J’a i a lors exp liq u é q u e cela vou la it sa n s d ou t e d ire q u ’il ét a it a b su rd e d e p rop oser à q u elq u ’u n q u ’on n 'a im e p a s u n a ct e q u e b ea u cou p d e p erson n es ressen t en t com m e a g réa b le. Qu e l’in su lt e « en cu lé », vérit a b le p on ct u a t ion d u la n g a g e à Tou lou se, ét a it h om op h ob e. « On n ’y a va it ja m a is p en sé », d it l’u n d eu x en rig ola n t . Tou t le m on d e s’est m is a lors à rire et à p ren d re la b a n d erole en p h ot o. 12 ja n vier 20 19 Af f r on t em en t i n t r a- Gi l et s Jaun es : an t i f as et ext r êm e dr oi t e Des affrontements ont eu lieu entre la mouvance d’extrême droite et les antifas (antifascistes). Comme lors des violences sur un journaliste indépendant, largement relatées par la presse, le 9 février ; nous les signalons rapidement ici, mais cela ne constitue pas l’objet de notre travail. Nous n’avons donc pas pris le temps de détailler ces incidents. Si ce n’est pour regarder les réactions, ici modérées, des policier-e-s. 49. Faf et antifa sont les termes utilisés pour désigner les militant-e-s d’extrême droite et ceux / celles qui les combattent. 81 4 LES AFFRONTEM ENTS Il est difficile de tirer des enseignements de la stratégie de la police, probablement parce qu’il n’y en a pas ; ou du moins que celle-ci nous est illisible... Depuis le début du mouvement social des Gilets Jaunes, les forces de l’ordre et leur commandement sont confrontés à une situation largement, mais pas totalement, inédite50 (pas d’organisateur-e-s identifié-e-s, pas de parcours déposé et d e fa ct o un parcours totalement improvisé) et donc difficile à déchiffrer pour des fonctionnaires du maintien de l’ordre. Ceux-ci sont habitués aux trajets entre un point A et un point B, sont en mesure de gérer les débordements entre A et B mais pas en capacité de gérer une situation où seul le point A est connu. Il semble que la seule alternative trouvée par la préfecture face à cette situation, au début du mois de janvier, soit de déterminer elle-même l’heure, aux alentours de 16h30, de la dispersion ; quitte à laisser quelques désordres (jets de projectiles entre autres) se produire sans réagir avant cette heure. Cette « stratégie de l’heure » n’avait pas cours durant les premières semaines de la mobilisation (cf. les déclenchements très rapides de l’action des forces de l’ordre, par exemple, les 1er et 8 décembre 2018 – nous y reviendrons). Et il semble qu’en cette fin mars, les forces de l’ordre aient décidé de ré-intervenir dès le début des manifestations, comme le montre l’agression du cortège dès 14h50 par des policiers des BAC et des CDI (agression dénoncée par un communiqué de l’OPP daté du 26 mars). Quoiqu’il en soit, aux alentours de l’heure fixée par l’autorité en charge du maintien de l’ordre, tout est mis en œuvre pour que la manifestation cesse, en déclenchant des affrontements à distance permettant un recours massif aux lancers de grenades de toutes sortes, aux LBD et à l’utilisation du canon à eau. A ce maintien de l’ordre à distance s’ajoute le travail de la BAC, qui consiste à aller chercher dans la manifestation un individu repéré à l’avance tout en profitant des nuages de lacrymogènes et de leurs effets sur les manifestant-e-s pour évacuer, plus ou moins violemment, ceux et celles qui sont sur leur chemin. Ces deux éléments du maintien de l’ordre sont tout à fait complémentaires : • en premier, les grenades et l’eau maintiennent à distance les manifestants ; et les mettent en condition… ; • puis, en second, les policier-e-s (souvent pré-positionnées pour les unités en civil) et les gendarmes qui savent, eux, à la différence des manifestant-e-s, l’heure et le lieu où les gazages initiaux vont démarrer, interviennent quand les manifestant-e-s toussent, pleurent, vomissent et ont perdu, pour ceux et celles qui ne sont pas équipé-e-s (la majorité) tout sens de l’orientation… Il faut avoir été pris, comme l’ont été les observateur-e-s ces dernières semaines, dans ces brouillards intenses de gaz lacrymogènes pour comprendre à quel point ceux-ci peuvent être une véritable arme, dangereuse pour la santé ; ceci bien loin des discours lénifiants sur leur « innocuité », que l’on entend ici et là. Toujours au sujet de l’utilisation des grenades lacrymogènes (et au-delà des bruits et polémiques qui courent sur la nature des gaz utilisés – voir par ailleurs dans le rapport), force est de constater que leur usage est extrêmement massif et conduit à rendre totalement 50. Voir la partie du document ou est traitée la manifestation « Parcours Sup » du 1er février 2018, durant laquelle nous avions vu des policiers « désemparés » par le déroulement imprévu de la manifestation… 82 irrespirables de très grandes surfaces. Cette stratégie du gazage massif est facilitée par l’utilisation, depuis début janvier et sans retenue, du PGL 65 (lanceur multi-coups qui lance 6 grenades de 4 palets de lacrymogènes en moins de deux secondes) par les CRS ; à tel point qu’à l’écoute des vidéos prises par les observateur-e-s, on peut se rendre compte que l’ambiance sonore de l’avancée des forces de l’ordre est littéralement rythmée par les 6 coups du lanceur… Le dépar t des af f r on t em en t s Comme nous venons de l’évoquer en préambule du présent chapitre, la question du début des affrontements ne lasse pas d’interroger les observateur-e-s. Nous allons détailler cette partie de nos observations du déroulement des manifestations. Sur la base des constats effectués par les observateur-e-s eux/elles mêmes et des informations de « première » main collectées sur le terrain par ces mêmes observateur-e-s, il est possible de mettre en avant les éléments suivants, en distinguant deux stratégies policières : l’une de novembre à décembre, puis une autre à partir de janvier 2019 jusqu’à la mi-mars. Lors des premières semaines, jusqu’au début du mois de janvier, les incidents démarrent très vite, quasiment dès le début de la manifestation. C’est par exemple le cas, nous le rappelons, pour les manifestations des 1er et 8 décembre. Décem b re 20 18 : les d éclen ch em en t s d e violen ces p rovoq u ées p ar le com p ort em en t in ad éq u at d es forces d e l’ord re – FDO51 Durant cette période, le lancement de gaz lacrymogènes génère surprise et sidération des participant-e-s au début des manifestations Gilets Jaunes. Puis déclenche la dislocation du cortège et des affrontements, qui vont se propager dans plusieurs lieux à la fois. C’est le cas pour la manifestation du 1er décembre, où les policiers (CDI principalement) ont lancé des grenades dès le début de la manifestation, au niveau du bas de la rue Bayard, en direction du boulevard de Strasbourg où se trouvait le gros des manifestants. D es a ffron t em en t s q u i d ém a rren t vers 13h 4 5, lorsq u ’u n e p a rt ie d u cort èg e essa ie d e p ren d re la d irect ion d e la g a re M a t a b ia u et se t rou ve b loq u ée t rès vit e p a r d es t irs n ou rris d e la crym og èn es ; sa m ed i 27, les a ccès à la g a re a va ien t a u ssi ét é b loq u és p a r la p olice, m a is a vec d es p oliciers "d éb on n a ires" et n on (p eu ) éq u ip és... Il n ’y a va it eu q u e d es frict ion s lég ères. Si les a u t orit és a va ien t vou lu p rovoq u er les a ffron t em en t s, ils n e s’y sera ien t p a s p ris a u t rem en t . Un seu l jet d e la crym og èn e et c’ét a it sû r q u e la m a n if a lla it p a rt ir en vrille... 1er d écem b re 20 18 D on c, à p a rt ir d e là , t ou t d éra p e et les a ffron t em en t s d u ren t t ou t l’a p rès-m id i et u n e g rosse p a rt ie d e la soirée (et p ou r ceu x q u i con n a issen t Tou lou se, d a n s u n "t ria n g le" Jea n Ja u rès, Jea n n e d ’Arc, ru e d e Rém u sa t - en cœ u r d e ville d on c). Les p oliciers on t b a la n cé d es g ren a d es p a r cen t a in es, u t ilisé d es g ren a d es a ssou rd issa n t es p a r d iza in es et u t ilisé d es fla sh -b a ll (à p a rt ir d e 19h ). Ra p p ort CR d u 1er d écem b re recon st it u é Après cette première phase, des incidents vont se poursuivre pendant plusieurs dizaines de minutes au niveau de la place Jeanne d’Arc, puis se reproduire en soirée. On assistera alors à ce qui sera une caractéristique notable des manifestations de Gilets Jaunes : le refus marqué de plusieurs milliers de manifestant-e-s de se disperser, malgré les moyens déployés et utilisés par les FDO. 51. Cet acronyme FDO pour forces de l’ordre sera souvent utilisé dans le rapport. Cette dénomination à l’avantage de ne pas alourdir le texte en ne différenciant pas, quand ce n’est pas éclairant, les différentes unités intervenant sur les manifestations (CRS, CDI et BAC relevant de la Police nationale et gendarmes mobiles relevant de l’armée). 83 La fin de cortège arrivant à Jeanne d’Arc, 1er décembre 2018 Les affrontements place jeanne d’Arc, 1er décembre 2018 Le 8 décembre, le départ des affrontements peut être sourcé au niveau de Compans Cafarelli dès 14h30 (pour mémoire, la manifestation « Pour le climat », rejointe par de nombreux Gilets Jaunes, a quitté la place Arnaud Bernard à 14h10). Selon les observateur-e-s présent-e-s, c’est un équipage mixte, CDI et BAC, qui a été à l’origine des affrontements en ripostant à quelques projectiles par des tirs de lacrymogènes depuis la rue Berjeaud, en direction du boulevard Lascrosses où passait la manifestation. Ce qui a eu pour conséquence de couper la manifestation en deux (la première partie partant en direction du pont des Catalans et la seconde restant derrière les policier-e-s et gendarmes entre le boulevard A. Duportal et Arnaud Bernard). En su it e, à 14 h 30, u n p et it g rou p e 10 à 15 p erson n es com m en ce à ca illa sser, côt é m a n if p ou r le clim a t […] Les CD I et /ou BAC rép on d en t d e fa çon sp on t a n ée en en voya n t d es la crym os su r la m a n if. Cert a in s jeu n es vien n en t en d écou d re. La m a n if est cou p ée en d eu x. D e fa it , cet t e a ct ion /réa ct ion va m od ifier le p a ysa g e d e la con t est a t ion p ou r t ou t l’a p rès-m id i, ob lig ea n t cert a in -e-s m a n ifest a n t -e-s à t rou ver u n a u t re p oin t d e lu t t e (le Ca p it ole). Ou vra n t les violen ces q u i se p rolon g eron t t a rd d a n s la n u it ... 8 d écem b re 20 16 Grenadage début de manifestation Charge d’un EGM (Escadron de gendarmes mobiles) Les manifestant-e-s refusant cette situation se sont alors réparti-e-s un peu partout dans Toulouse et ce ne sont pas moins de quatre lieux d’affrontement simultanés qui pouvaient alors être recensés en fin d’aprèsmidi (Saint Cyprien, Carmes, Esquirol / Pont Neuf et Jeanne d’Arc). C’est à cette occasion que les observateur-e-s constateront pour la première fois, via des échanges avec des manifestant-e-s et la collecte de restes de matériels utilisés par les FDO, l’utilisation Photo d’une balle de LBD prise à 19h11 sur le bld Carnot des LBD. 84 Nous avons aussi assisté, ce 8 décembre, à des situations qui déconstruisaient le discours policier sur la violence des manifestants. À 16h50, une partie notable de la manifestation avait « envahi » le centre-ville de Toulouse. Nous avons alors constaté qu’un groupe de policier-e-s de la BAC se dirigeait vers l’angle de la place du Capitole (côté théâtre) et s’est ensuite trouvé en situation de face à face avec les manifestants au début de la rue du Poids de l’Huile puis, bientôt, totalement cerné par les manifestant-e-s arrivant en masse derrière eux depuis la place du Capitole. On aurait dû alors assister, si l’on se réfère au discours sur les Gilets Jaunes « tous casseurs » et au vu du rapport de force qui était défavorable aux policier-e-s, à un « lynchage » de ceux-ci. Il n’en a rien été. Les manifestant-e-s se sont « contenté-e-s » d’entonner une vibrante Marseillaise, avant que les policier-e-s ne se replient (voir photos ci-dessous et une vidéo est disponible). Nous avons, en tant qu’observateur-e-s, été presque surpris-e-s du calme et de la détermination tranquille des manifestant-e-s alors que ces mêmes manifestant-e-s avaient été soumis-e-s en début d’après-midi à un traitement spécialement musclé par les policier-e-s. Policiers de la BAC encerclés, 8 décembre 16h50 Manifestants chantant la Marseillaise, 8 décembre Le déclenchement des incidents entre FDO et manifestant-e-s nous semble, dès le mois de décembre, aussi largement dépendant de la nature des unités des FDO déployées. Comme noté précédemment, les équipages policiers mixant policiers des CDI et des BAC sont la plupart du temps en première ligne, alors que ce sont les unités les moins adaptées au maintien de l’ordre et à la gestion des foules. Ces unités, et rien de nos observations tout au long de ces presque 4 mois de présence des observateur-e-s dans les manifestations ne l’infirme, ont un comportement mêlant fébrilité et agressivité. Nous ne prendrons comme exemple que le début des incidents lors de la manifestation du 29 décembre. Les photos ci-dessous (extraites d’une vidéo prise par un observateur) vont permettre de décomposer cette séquence emblématique du début des affrontements entre policiers et manifestants lors des différents actes des Gilets Jaunes. La m an ifest at ion d u 29 d écem b re La tête de manifestation arrive place SaintSernin, à l’angle de la rue du Taur. Il est 14h43. Les manifestant-e-s de la tête du cortège (tête non organisée autour d’une banderole) souhaitent visiblement prendre cette rue pour monter vers la place du Capitole. Face à eux, un groupe d’une dizaine de CDI. Les policier-e-s restent en place et un accrochage a lieu. La photo cicontre montre ce contact avec de la peinture jaune projetée sur les policiers. On peut noter, sur cette photo, les traces de peinture sur les policiers et que les manifestants sont en repli 85 Les manifestant-e-s ont reculé. Ils n’ont pas une attitude « menaçante » pour l’intégrité physique des policier-e-s. C’est alors qu’un policier motocycliste en civil (la vidéo dont sont extraites les photos montre sa moto stationnée un peu plus haut au milieu de la rue du Taur) lance une grenade sur les manifestants qui ont reculé. Il n’y a pas eu la moindre sommation. On voit au centre de la photo, derrière le bouclier d’un CDI, le policier en civil lançant sa grenade Très vite ensuite, les policier-e-s des CDI lanceront, à la main, plusieurs grenades lacrymogènes On voit au centre gauche de la photo un policier des CDI lançant une grenade vers les manifestants Le nuage de gaz lacrymogène issu du lancer des grenades Cet incident sera le point de départ des affrontements du 29 décembre, qui se prolongeront tout l’après-midi et jusque tard dans la soirée. Cette séquence pose un certain nombre de questions et peut nous permettre d’illustrer certains des constats de l’Observatoire. Pourquoi avoir empêché les manifestant-e-s de prendre la rue du Taur, alors que ceux-ci déambulaient dans le centre de Toulouse comme tous les samedis depuis le 24 novembre ? Surtout que le déploiement policier à cet endroit était spécialement restreint (une dizaine de policier-e-s des CDI et un motocycliste des CSI). Face aux manifestant-e-s, pourquoi les policier-e-s ne se sont-ils pas replié-e-s ou bien « effacé-e-s », comme nous l’avons constaté dans d’autres circonstances (cf. la manifestation du 5 janvier par exemple – voir ci-après). Qui a donné l’ordre au policier motocycliste de lancer une grenade sur des manifestant-e-s en repli (sur la vidéo, on voit des manifestant-e-s les bras levés face aux policier-e-s) qui, si on en juge par leur comportement en d’autres occasions, auraient sans doute continué leur chemin, leur déambulation, en direction de la place du Peyrou ou bien d’Arnaud Bernard ? La m an ifest at ion d u 5 jan vier Pour illustrer ce que nous venons d’écrire, nous avons été confronté-e-s, le 5 janvier, à une scène similaire mais sans les mêmes conséquences. Il est 15h35, ce 5 janvier 2019. La tête de manifestation arrive au niveau de l’angle des allées Roosevelt et du boulevard Carnot. Les premiers manifestant-e-s sont à « touche-touche » avec un cordon de policier-e-s, des CRS en l’occurrence (cf. la première photo ci-dessous). Sur la seconde photo (issue d’une vidéo prise par un observateur), on voit un projectile (une barre — 86 en métal ? — que l’on peut remarquer à gauche au milieu de la photo) être projetée en direction du groupe de CRS. Ceux-ci ne bronchent pas et, même, se replient pour laisser passer la manifestation. On peut voir à droite de la photo le projectile lancé sur les CRS. On peut voir à gauche de la photo le projectile lancé sur les CRS. Nous sommes donc dans la même situation que le 29 décembre mais là, les FDO s’effacent pour laisser passer les manifestant-e-s. Visiblement : • aucun ordre d’engager la confrontation n’a été, à cette heure-là, donnée aux FDO (CRS en l’occurrence) ; • les policier-e-s des CRS savent résister à la pression de la foule et s’effacer si nécessaire pour éviter la confrontation… Cela n’empêchera pas cette manifestation du 5 janvier de dégénérer, un peu plus tard, vers 16h25, au niveau de la rue du Languedoc. Le d isp osit if ap rès jan vier 20 19 : act e VIII, : n ou velle st rat ég ie, n ou velles d éfin it ion s d es « casseu rs » Faut-il y voir un effet des campagnes contre les violences policières ? Toujours est-il que la stratégie des pouvoirs publics change à partir de janvier 2019. Près d e la p réfect u re, d es od eu rs d e la crym o t rès fort es ; il sem b lera it q u ’il y a it d éjà eu les p rem ières esca rm ou ch es. Nou s d em a n d on s a u x p oliciers d e p a sser p ou r ob server, ils refu sen t et n ou s d isen t d e su ivre le cort èg e. Il est 16 h . M a is la rip ost e (sa n s d ou t e à u n jet d ’ob jet ) ét a it g ra d u ée et lim it ée. D a n s la ru e d e M et z, n ou s con t in u on s à sen t ir les la crym og èn es sa n s sa voir d ’où elles vien n en t . Nou s rem on t on s vers Esq u irol et p ren on s la ru e d u La n g u ed oc. Gros d isp osit if p olicier a vec n ot a m m en t le ca n on à ea u , d es p oliciers en t en u e et d es BAC. Présen ce d ’u n p olicier a vec a rm e fla sh -b a ll à six cou p s q u i se m et à côt é d u ca m ion à ea u . Au cu n e som m a t ion et t irs d e fla sh -b a ll en d irect ion d e GJ, les b ra s en l’a ir. Il est a u t ou r d e 16 h eu res 30. En su it e g rosse p lu ie d e la crym og èn es q u i son t en voyées d e p a rt ou t a vec fu sil la n ceu r ou à la m a in . Gros d isp osit if p olicier q u i b loq u e la ru e d u La n g u ed oc a p rès les Ca rm es. 5 ja n vier 20 19 87 On voit, à droite de la photo, une policière viser les manifestant-e-s avec un LBD Durant l’analyse des vidéos prises par les observateur-e-s ce 5 janvier, nous avons repéré un policier en civil dont la cagoule aura fait couler beaucoup d’encre. A droite le policier avec le masque à la tête de mort déjà évoqué plus haut Des photos de ce même policier seront publiées sur beaucoup de supports (réseaux sociaux, presse écrite et audiovisuelle). À l’a n g le d e la ru e d u La n g u ed oc et d u m a rch é d es Ca rm es, d es BAC a va n cen t et fon t u sa g e d e leu rs a rm es a lors q u ’elles n e su b issen t a u cu n e a t t a q u e. Un e g ren a d e d e d ésen cerclem en t ou GLI exp lose à p roxim it é d ’u n GJ d e d os (fla m m e visib le). Su r la p la ce Esq u irol, b ea u cou p d e la crym og èn es t irées d ep u is l’a n g le a vec la ru e d u La n g u ed oc. Un e g ren a d e a rrive à p roxim it é d es m éd ics q u i son t p osit ion n és d eva n t M id ica . Ta n d is q u e n ou s lon g eon s le ja rd in d errière les Au g u st in s, n ou s recevon s u n e p lu ie d e la crym og èn es, a lors q u ’il n ’y a a u cu n e violen ce ou m en a ce d e la p a rt d es GJ à p roxim it é d e n ou s. Ret ou r a u Ca p it ole p a r les p et it es ru es. Les b lin d és son t là … Les fou rg on s d e CRS se p osit ion n en t et la issen t a va n cer le ca m ion à ea u . Trois som m a t ion s et u sa g e d e la crym o + ca n on à ea u p ou r éva cu er la p la ce d u Ca p it ole. D es p a ssa n t s (n on GJ) n ou s d iron t p lu s t a rd q u ’ils n ’on t p a s com p ris l’u sa g e d e la force, a lors q u e t ou t se p a ssa it b ien su r la p la ce et q u ’a u cu n e violen ce n ’ét a it com m ise. 5 ja n vier 20 19 Les p rem ières g ren a d es la crym og èn es son t la n cées à 16h 35 (vid éo d isp on ib le) a u n ivea u d u m on u m en t a u x m ort s, q u elq u es p et it es m in u t es a p rès q u e l’h élicop t ère d e la p olice a com m en cé à su rvoler le cen t re-ville... 19 ja n vier 20 19 Au fu r et à m esu re d es m an ifest at ion s Gilet s Jau n es, u n e p olice d e p lu s en p lu s d iscrèt e avan t 16h 30 D eu x p h ot os, ci-d essou s, p ou r illu st rer cet t e sit u a t ion . Su r la p rem ière, on voit les CD I à côt é d u m a rch é Vict or Hu g o q u a n d la m a n ifest a t ion rem on t e la ru e Alsa ce. Su r la secon d e, on voit la ru e d e M et z d ésert e à 16h 11. 23 février 20 19 88 Des m an ifest an t -e-s q u i q u it t en t avan t 16h 30 , u n d isp osit if p olicier d e p lu s en p lu s resserré On sen t cep en d a n t q u e, p lu s le t em p s a va n ce : p lu s la m a n ifest a t ion d im in u e en n om b re a vec u n e b a isse sig n ifica t ive d u n om b re d e m a n ifest a n t s en t re le Pa la is d e ju st ice et le m on u m en t a u x m ort s – sa n s d ou t e u n t iers d e m a n ifest a n t s en m oin s vers 16h (d éb u t d e la ret ra n sm ission d u m a t ch d e ru g b y ? À n ot er a u ssi u n e rot a t ion d e 3 m n d e l’h élicop t ère vers 16h . On n e l’en t en d ra p lu s en su it e…) p lu s l’ét a u p olicier se referm e. 23 février 20 19 • • Un d isp osit if com p let Pen d a n t ce t em p s-là , les b a cq u eu x (en viron 25) son t p ré-p osit ion n és en n om b re et a t t it u d e d ’a t t en t e, b ra s croisés et p ied su r le m u r p ou r cert a in s, d a n s le h a u t d e la ru e Id ra c, a u croisem en t a vec la ru e Riq u et . Ils se p rép a ren t à p a rt ir en ch a sse ; a p rès d isloca t ion d e la m a n if, q u a n d les p rem ières la crym og èn es a u ron t exp losé a u m ilieu d es m a n ifest a n t s ? Ce q u i va a rriver à 16h 35. Tou t ceci sem b le d on c b ien org a n isé... Sin on , p ou rq u oi les b a cq u eu x sera ien t -ils p osit ion n és à cet t e h eu re et à cet en d roit ? Il en va d e m êm e p ou r les b a cq u eu x (u n e q u in za in e d on t p lu sieu rs éq u ip és d e LBD) p osit ion n és en h a u t d e la ru e Delp ech , a u n ivea u d u b ou leva rd Ca rn ot (p h ot o d isp on ib le, p u is vid éo a p rès les p rem iers la n cers d e g ren a d es). Il n ou s sem b le d on c, su it e à ces ob serva t ion s, q u e t ou t est coord on n é p ou r q u e la p olice in t ervien n e p ou r d isp erser / écla t er les m a n ifest a n t s a p rès 2h 30 d e d éa m b u la t ion p a cifiq u e, sa n s q u e rien n e ju st ifie cet t e in t erven t ion . 19 ja n vier 20 19 Un p an ach ag e BAC et CSI Nou s rep a rt on s vers le sq u a re Ch a rles d e Ga u lle où la sit u a t ion sem b le ca lm e. D es p oliciers en civil + CIS ou BRI (je n e sa is p a s les d ist in g u er) son t p osit ion n és. 12 ja n vier 20 19 Crit iq u es in t ern at ion ales d u m ain t ien d e l'ord re en Fran ce Le 29 janvier 2019, la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, exprimait son inquiétude lors d’une visite à Paris concernant le « grand nombre de personnes blessées, certaines très gravement, dans les manifestations ou en marge de cellesci ». Elle s’est dite « préoccupée par le nombre et la gravité des blessures résultant de l’usage de la force par les forces de l’ordre ». Le 14 février 2019, sans cibler l’Etat mais sur fond de débat sur la situation française, le Parlement européen a voté une résolution condamnant « le recours à des interventions violentes et disproportionnées par les autorités publiques, lors de protestations et de manifestations pacifiques. ». Les Etats membres sont invités à « veiller à ce que le recours à la force par les services répressifs soit toujours légal, proportionné et nécessaire et qu’il ait lieu en ultime recours » et à ce qu’il « préserve la vie et l’intégrité physique des personnes ». Il est également rappelé que « le recours aveugle à la force contre la foule est contraire au principe de proportionnalité. » Le même jour, un groupe d’experts des Nations Unies a dénoncé les restrictions graves aux droits des manifestants « Gilets Jaunes ». Constatant que « les restrictions imposées aux droits ont entrainé (...) des blessures graves causés par un usage disproportionné d’armes dites « nonlétales » telles que les grenades et les lanceurs de balles de défense ou « flash-balls », les experts ont souligné que « garantir l’ordre public et la sécurité dans le cadre de mesures de gestion de foules ou d’encadrement des manifestations implique la nécessité de respecter et de protéger les manifestants qui se rendent pacifiquement à une manifestation pour s’exprimer ». 89 I n t er act i on s et con f r on t at i on s pol i ce / m an i f est an t - e- s Avan t les Gilet s Jau n es Ci-dessous, les constats que nous avons développés lors de la réunion publique du 7 janvier 2019. • Déploiements policiers disproportionnés : jamais moins de 100 policiers équipés et quelquefois plus de 150, présence de grilles anti-émeute et de canons à eau (pas toujours) pour des manifestations « plan-plan » organisées par les syndicats. • Policiers non équipés de LBD (de manière visible en tous cas) ; plutôt équipés de gazeuses à main. À noter : quelques rares policiers équipés de fusils mitrailleurs à proximité des camions. •4 forces de police principalement présentes sur le terrain : CRS, Gendarmerie mobile, Compagnies d’intervention, BAC ; à noter aussi la présence de policiers motocyclistes en uniforme qui précèdent la manifestation pour bloquer d’éventuels automobilistes et, de temps en temps, de policiers municipaux. Une moto de grosse cylindrée montée par des policiers en civil a aussi été aperçue à proximité des manifestations. • Interdiction faite aux manifestants d’accéder au centre-ville, cantonnant de fait les manifestations sur les boulevards entre Arnaud Bernard et le monument aux morts. • Origine de cette interdiction d’accéder au cœur de ville : demande du maire de Toulouse lors du premier trimestre 2015, suite aux manifestations Sivens (cf. articles de la presse locale). • Identification du dispositif fixe + glissant (Cie d’intervention + BAC) sur le côté « centreville » de la manifestation. • Fouilles préventives de manifestants constatées. • Ciblage visible (mis en scène ?) de manifestants par les policiers en civil durant les manifestations. • Attitude « agressive – regards hostiles – et menaçante » des policiers des BAC • Policiers vite « dépassés » quand les manifestants sont mobiles et surtout imprévisibles (ex. manifestation universitaire du 1er février 2018 avec nassage final au niveau de l’avenue de la Gloire – cela éclaire ce qui s’est passé par la suite avec les Gilets Jaunes). Un seul incident notable : le 22 mars 2018, avec le gazage ciblé par des policiers de la BAC de membres de l’OPP, lors d’une dispersion un peu lente sans tension particulière ; gazage précédé de la prise à partie d’un observateur, en début de manifestation, par ces mêmes policiers en civil (voir plus haut). Rendez-vous demandé à la préfecture, courrier adressé à l’IGPN avec réponse le 3 mai et suspension des observations. Il a fallu attendre le 31 mai pour avoir un rendez-vous avec le DDSP et une représentante de la préfecture. Ch an g em en t s d e st yle d an s les con t act s Police/Man ifest an t s Fin ies les fra t ern isa t ion s verb a les en t re p oliciers et GJ a u xq u elles n ou s a ssist on s d ep u is le 17 n ovem b re ; ret ou r a u réel et à la rép ression Ra p p ort d u 1er d écem b re recon st it u é à p a rt ir d ’éch a n g es d e m a ils 90 La violen ce d es g az : n ou s avion s occu lt é le ressen t i d e violen ce face à d es t irs m assifs d e g az lacrym og èn es Les gaz lacrymogènes sont un élément de base utilisé par les forces de l’ordre. À tel point que cela apparaît basique pour tout-e militant-e rompu-e aux manifestations. Sauf que de mémoire de Toulousain-e-s, jamais autant de gaz n’avaient été utilisés. Face à ces gaz qui ont pour fonction de réguler les manifestations, les réactions des Gilets Jaunes nous ont surpris. Surtout pour une partie importante des manifestant-e-s, qui nous ont témoigné qu’ils/elles n’avaient jamais manifesté de leur vie. Outre la création d’un habitus de manifestant-e-s que nous reprendrons plus loin, les gaz ont provoqué une sidération des manifestant-e-s devant ce qui a été ressenti comme une violence extrême ; à Toulouse, comme sur les ronds-points dont étaient issu-e-s une part non négligeable des manifestant-e-s. Cette sidération a provoqué une colère spécifique qui elle-même a abouti à ce que de nombreux Gilets Jaunes rejoignent les affrontements qui ont eu lieu en marge des manifestations. Tu a s vu , ils t iren t ... Ils t iren t ... On n 'est p a s en g u erre ! Ici il y a d es fem m es, d es en fa n t , d es p a ssa n t s q u i n e son t p a s ven u -e-s m a n ifest er et on leu r t ire a u ssi d essu s…On n e lâ ch era rien ! Un m a n ifest a n t , la cin q u a n t a in e, a u d éb u t d u m ou vem en t (1er d écem b re 2019) Cette colère et sa riposte s’exprimeront aussi pour les urbains, souvent sans gilet jaune, qui rejoignent les manifestations à partir des Actes VII et VIII. Nou s, on n 'est p a s violen t s d u t ou t . M a is q u a n d on a vu t ou t cela , les g a z, les g ren a d es, les b a lles d e fla sh -b a ll, a vec m a fem m e on s’est ret rou vés a vec les ca sseu rs p la ce Rou a ix …On n e s’est m êm e p a s con su lt és, c’est ven u t ou t seu l…Alors q u e la veille en core, a vec d es a m is, on g u eu la it n ou s-m êm es con t re les ca sseu rs… Un cou p le d e m a n ifest a n t -e-s, 4 0/50 a n s, h a b it a n t -e-s d u cen t re-ville d e Tou lou se Le b ilan d e l’ob servat ion d es m an ifest at ion s d u m ois d e jan vier 20 19 À partir de janvier, les manifestations peuvent se dérouler tranquillement une partie de l’aprèsmidi. Les policier-e-s, BAC comprises, ne réagissent pas toujours violemment aux invectives ou aux lancers d’objets divers. Du moins avant 16 heures. 5 janvier 2019 (Acte VIII) • 15h35 : Les manifestants forcent le passage en allant au contact du cordon de CRS au niveau du boulevard Carnot, côté allées F. Roosevelt. Quelques jets de projectiles, dont une grande barre en métal léger. Les policiers s’effacent et laissent passer le cortège (voir précédemment). • 16h02 : Jets de peinture rue Pierre de Fermat, avec lancer de lacrymogènes. Les policiers interpellent un manifestant (vidéo et photos disponibles). • 16h25 : Lancer massif de grenades rue du Languedoc (photos et vidéo disponibles). 12 janvier 2019 (Acte IX) • 16h20 : Les manifestants arrivent au niveau des allées F. Roosevelt et de la place Wilson. Un groupe de la BAC est positionné place Wilson et recule sous la pression des manifestants. Dans le bas de la rue Lafayette, des manifestants courent en direction des policiers, qui reculent square Charles de Gaulle, puis rue du Poids de l’huile, côté Capitole. • 16h28 : Les premières grenades (lacrymogènes et explosives) sont lancées rue du Poids de l’Huile. L’Hélicoptère de la police commence son survol du centre-ville. 91 19 janvier 2019 (acte X) : 16h18 • Arrivée de la tête de cortège dans le haut de la rue de Metz, au niveau de la rue Malaret (accès à la place Saint-Etienne). Important dispositif policier mixte (CRS, CDI et BAC). Traces de peinture au sol et sur les grilles anti-émeute. • 16h20 : un CRS tire dans la foule pacifique avec un LBD, atteignant à la cuisse un manifestant âgé (70 ans) que les observateurs ont croisé deux ou trois minutes après dans le haut de la rue de Metz. Après ce tir (non filmé directement car l’observateur avait abaissé son appareil par crainte, mais on entend clairement le son du LBD) ; quelques instants après, le même CRS vise les manifestants à hauteur de tête (vidéo disponible). • 17h35 : lancer massif de grenades (lacrymogènes et explosives) au niveau du monument aux morts. La rotation de l’hélicoptère arrive en concomitance. 26 janvier 2019 (Acte XI) • Avant 16h30, pas de réels incidents, si ce n’est quelques projectiles, habituels dans ces manifestation, notamment des poches de peintures lancés sur les policiers. On a d’ailleurs vu vers 15h30, devant la préfecture, un bouclier de GM maculé de peinture sans qu’il y ait eu tir de gaz. Les policiers aguerris au maintien de l’ordre ont un seuil de tolérance à la poche de peinture. • 16h20 : La tête de cortège arrive à Arnaud Bernard en provenance de Jeanne d’Arc : « c’est l’heure, rentrez chez vous », crie un manifestant. « C’est l’heure », répète un autre en rigolant. • 16h33 : Les policiers tirent des grenades lacrymogènes dans la foule des manifestants. On entend le son assourdissant des grenades explosives. Vraisemblablement des GMD, car les observateurs ont récupéré sur place de très nombreux plots/projectiles en plastique. • 16h44 : Le canon à eau entre en action. Puis on retrouve peu ou prou les mêmes horaires après : Acte XII : 16 heures rue du Taur (voir ci-après), Acte XIII : 16h43, l’hélicoptère à 16h20. • « Mais il est où ? Mais il est où l’hélico ? » chantaient les GJ vers 16h 10... Acte XIV • Selon nos enregistrements, les policiers des CDI lancent leurs premières grenades à 17h05. Le 16h 30 an n on cé à la con féren ce d e p resse com m e n ou velle lim it e au x m an ifest at ion s, et ses variat ion s On l’a précisé à la conférence de presse du 27 janvier et cela s’est imposé à tous et toutes comme « heure fatidique ». 16h30 semble, en janvier, la limite horaire imposée par la préfecture pour laisser les policier-e-s réagir au moindre incident. Cela sera d’ailleurs un sujet de plaisanterie au sein des Gilets Jaunes. Voir exemple ci-après. 92 Variat ion d ’h oraire Ru e d u Ta u r : la t êt e d e m a n if h ésit e : g ren a d es la crym og èn es. Les m a n ifest a n t -e-s reflu en t su r la p la ce, elle-m êm e lou rd e d e g a z. Je p erd s d e vu e m on p et it g rou p e. C'ét a it vra im en t a sp h yxia n t . Ils on t a u ssi m a t ra q u é les m a n ifest a n t s q u i ét a ien t a u d eva n t d u cort èg e. J'a i vu d eu x a g en t s d e la BAC m et t re et m a t ra q u er u n m a n ifest a n t a u sol, sa n s voir ce q u 'il est a d ven u d e lu i en su it e (in t erp ella t ion ? b lessé ?) ca r je m e su is rep lié su r la p la ce d u Ca p it ole, com m e t ou t le m on d e. Au jou rd ’h u i, on a g a g n é ½ h eu re : il est 16 h eu res. 2 février 20 19 Pourquoi ce changement d’horaire ? Réponse pleine d’humour sur les réseaux sociaux : « Premiers gaz lacrymo à 15h59 (c'est la faute de la Ligue des Droits de l'Homme ; ils ont rigolé lors de leur conférence de presse, il y a quelques jours, que les forces de l'ordre gazaient toujours à 16h30. On a dû les vexer...). » VOIR LA VID ÉO Un d isp osit if avec d es variat ion s : l’h élicop t ère à 17h 30 au lieu d e 16h 30 L'h élico a p p a ra it à 17h 27. Tou jou rs ca lm e d e n ot re côt é. 26 ja n vier 20 19 Début mars, l’horaire va varier un peu pour atteindre souvent 17 heures. Nos an alyses d u 16h 30 En fait la préfecture met en scène une période calme, une manifestation ordinaire, puis décide quand elle doit s’arrêter… Et décide que ceux et celles qui restent sont des casseurs. Les casseur s Les débats sur les « casseurs » ont largement occupé l’espace médiatique. Nous avons exposé plus haut l’évolution historique de ce mot-valise, utile comme épouvantail pour opinion publique. Les réalités observées en situation sont nettement plus contrastées. Au d ép a rt d e la m a n if, d es m ot s d ’ord re t ou t d e su it e p olit iq u es (« A, An t i, An t ica p it a list es »). Je d iscu t e a vec m es in form a t eu rs, q u i s’a u t od éfin issen t com m e « p rot ect eu r-e-s d e la m a n ifest a t ion ». Ils/elles n ou s félicit en t …À cet t e h eu re-là , les visa g es son t visib les. Ils/elles son t u n e vin g t a in e. Je les reverra i t ou t e la m a n ifest a t ion , p lu s t a rd le visa g e ca ch é. Ils/elles son t jeu n es. Cert a in -e-s on t u n lon g p a rcou rs d a n s les ZAD . Ils/elles se con sid èren t com m e d es révolt é-e-s, en g u erre con t re le syst èm e. L’u n m ’a exp liq u é la st ra t ég ie d e la b a n d erole. À sa voir p ou voir résist er à u n e ch a rg e p ou r p rot ég er ceu x et celles q u i son t d errière. On les voit d ’a illeu rs su r les im a g es (p rises en sa lle d e com m a n d em en t ) p ost ées p a r le syn d ica t d e Police VIGI. Ce son t a u ssi eu x, p ou r p a rt ie, q u i son t à la t êt e d e la m a n ifest a t ion ru e d u Ta u r, q u a n d on sera g a zés a vec C. et J. 2 février 20 19 Outre le terme très politique de « casseurs », nous avons vu différentes sources de violences : • les violences contre la police ; • les violences contre le mobilier ou signes urbains. En approchant au plus près de ces personnes, il est possible de distinguer différents groupes qui habitent cette prénotion de casseur. Pour notre part, nous avons identifié trois groupes différents. 93 1. Les « g rou p es au t on om es » : les « act ivist es rad icau x » Ceux qui viennent organisés (plus ou moins) pour s’en prendre aux symboles et signes du capitalisme et/ou de la société marchande. La liste des vitrines cassées est relativement lisible : banques et distributeurs de monnaie, compagnies d’assurances, agences immobilières, agences d’intérim… Ceux-là, celles-là, autonomes des organisateurs et organisatrices de la manifestation (notamment de sa « commission action ») sont pour partie les mêmes qui s’affrontent avec la police dans un mélange de « haine anti-flics » et de romantisme révolutionnaire. Ceux et celles qui, aussi, font les tags, souvent de qualité en terme de texte. Ils et elles sont en général politisés. 2. Les révolt é-e-s p eu p olit isé-e-s Ceux et celles qui « craquent » pendant la manifestation, qu’ils/elles soient pris dans l’excitation (je jette un projectile parce que je suis énervé-e ou révolté-e) ou ceux (et nettement moins souvent celles) qui veulent aussi participer du regard. Ils/elles viennent voir, sentir, « être aux premières loges » du spectacle des affrontements. Ils/elles sont parfois arrêté-e-s par la police ou la gendarmerie ; parfois mêmes déféré-e-s devant un-e juge pour s’être révolté-e-s d’avoir été interpelé-e-s. Ils/elles ne sont souvent pas politisé-e-s (au sens d’un discours sociétal construit et partagé avec d’autres). Comme nous l’ont dit, différent-e-s manifestant-e-s : « n ou s n e som m es p a s violen t -e-s, » voire pour certain-e-s « Nou s n ’a von s ja m a is m a n ifest é », mais… « M a is fa ce à la violen ce d es flics (dans le discours, CRS, CDI et GM sont appelé-e-s « flics » ou « policier-e-s »), on a réa g i… » La stratégie des forces de police facilite de toute évidence la radicalisation de certaines personnes pacifiques. 3. Les « p rofit eu rs » Il y a aussi les casseurs/pilleurs. Les jeunes ou moins jeunes pauvres qui viennent « faire leurs courses en ville ». Ce phénomène est quasi totalement absent des manifestations Gilets Jaunes. Notons qu’au fur et à mesure que les manifestations/actes se sont déroulés, des Gilets Jaunes ont essayé de s’opposer à la casse de vitrines. Souvent avec un succès relatif dès que la police utilise les gaz lacrymogènes qui électrisent l’ambiance. Parfois aussi, des formes massives de solidarité sont apparues. La diversité de ceux et celles qui affrontent la police est d’ailleurs assumée par de nombreux et nombreuses Gilets Jaunes. Solid arit é avec ceu x, celles q u i affron t en t la p olice (les « casseu rs ») Les a ffron t em en t s on t ét é su ivis d e t rès p rès p a r d es cen t a in es et d es cen t a in es d e GJ q u i on t d on c ét é cop ieu sem en t g a zés. On a a ssist é a u m êm e com p ort em en t q u ’a u m om en t d e la loi t ra va il : p a s d e « d ésolid a risa t ion » n ot a b le en t re ceu x q u i on t a ffron t é les flics et la m a sse d es m a n ifest a n t s (a ffron t em en t s p a r p rocu ra t ion com m e on p a rla it à u n e ép oq u e d e « g rèves p a r p rocu ra t ion » ?) Un e a m b ia n ce ém eu t ière com m e on en a ra rem en t con n u à Tou lou se et d es a ffron t em en t s b ien su p érieu rs (en in t en sit é, en n om b re d e p oliciers et d e m a n ifest a n t s a ct ifs) a u m a n ifest a t ion s p ost Siven s (m ort d e Rém i Fra isse). L’a m b ia n ce en cœ u r d e ville ét a it u n p eu « su rréa list e » a vec u n com p let m éla n g e en t re b a d a u d s et m a n ifest a n t s m a is sa n s a n im osit é récip roq u e. Qu elq u es vit rin es exp losées m a is c’est rest é m a rg in a l. Ra p p ort CR d u 1er d écem b re recon st it u é à p a rt ir d ’éch a n g es d e m a ils 94 Les ch iffres ét on n an t s d es casseu rs d on n és p ar la Préfect u re d e Hau t e-Garon n e Ces chiffres des casseurs sont donnés à partir du 29 décembre : • 29 décembre (Acte VII) : 1350 personnes dont 700 Gilets Jaunes pacifiques et 650 profils violents • 5 janvier : 2 000 (Acte VIIII) manifestant-e-s à Toulouse parmi lesquels 800 casseurs. • 12 janvier (Acte IX) : 6000 manifestant-e-s dont 1000 casseurs…) ? Nous avons commencé, nous aussi à compter le nombre de manifestant-e-s53 : ils/elles étaient 3000 à 14h30 (OPP) • 19 janvier (Acte X) : 250 casseurs à 19h30, puis 500 dans le communiqué du lendemain midi en comptant le soir (deux fois les mêmes…) ; 5000 personnes à 14h30 (OPP) Com b ien d e p erson n es au look « casseu r » ? Nos con st at s Nous avons « accompagné » ceux et celles que l’on nomme « casseurs ». Nos chiffres sont obtenus en comptant les personnes à visage caché qui se tiennent en groupe et en tête de manifestation et veulent manifestement en découdre avec la police. Très souvent contre l’avis de ceux, celles qui pilotent (ou essaient de piloter…) la manifestation au nom de la commission action. • Acte VIII, ils/elles étaient 30 à 40 • Acte IX : de 80 à 100 • Acte X : environ 50 Le tableau présenté plus bas donne les détails après l’Acte X. Nous sommes donc très loin des chiffres donnés par la préfecture. Not re h yp ot h èse Conforme avec la saisine (sans récépissé et souvent sans fondement juridique) des masques, lunettes et autres matériels de protection pour motif que cela aide à échapper aux gaz lacrymogènes et donc supposément à attaquer la police, le comptage laisse supposer que toute personne qui ne fuit pas devant le gazage massif est un casseur ou un « profil violent » comme dit le communiqué de la préfecture le 29 décembre. On peut alors comprendre ces gazages massifs des actes I à VII qui divisaient les manifestations en deux parties assez similaires en termes de nombre de manifestant-e-s. Les violences, qui ne manquaient jamais alors de commencer, devenaient non des erreurs conceptuelles et stratégiques, mais un moyen de mettre en exergue les casseurs. Le communiqué de la préfecture suite à ce désastre pour le droit de manifester est alors venu légitimer une gestion déplorable de l’ordre public, puisqu’au lieu de calmer la situation, ces pratiques de gazages rapides tendent à radicaliser les gens en colère contre la violence de l’État. Or, un comportement qui nous a étonné est justement que les Gilets Jaunes — à la différence des urbains et des manifestant-e-s observé-e-s lors de la première phase de l’OPP — ont une forte tendance à ne pas vouloir reculer ou fuir face aux gaz lacrymogènes. 53. « Nos comptages » sont effectués à 14h30 (en général 10 à 15 minutes après le départ des manifestions. Les manifestations partent assez vite après l’heure de rendez-vous (les Gilets Jaunes sont ponctuels…). Beaucoup de personnes rejoignent les rangs de la manifestation par la suite. En conformité avec les évaluations de la préfecture, nous pouvons estimer que ce nombre double avant 16h00. Heure où beaucoup de manifestant-e-s quittent les cortèges pour ne pas subir les gazages. 95 Les m oyen s em pl oyés par l es pol i ci er - e- s : l es vi ol en ces pol i ci èr es Que dit la loi ?54 • Liberté fondamentale protégée aux plans constitutionnel (via l’article 10 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789) et conventionnel (art. 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales notamment), la liberté de manifester s’inscrit dans un régime juridique très précis. • Sauf usage local, « son t sou m is à l'ob lig a t ion d 'u n e d écla ra t ion p réa la b le t ou s cort èg es, d éfilés et ra ssem b lem en t s d e p erson n es, et , d 'u n e fa çon g én éra le, t ou t es m a n ifest a t ion s su r la voie p u b liq u e. » (art. L. 211-1 du code de la sécurité intérieure [CSI]). • La déclaration, réalisée auprès de l’autorité municipale ou préfectorale selon les situations, doit être réalisée « t rois jou rs fra n cs a u m oin s et q u in ze jou rs fra n cs a u p lu s a va n t la d a t e d e la m a n ifest a t ion » (art. L. 211-2 CSI). • « L'em p loi d e la force p a r les rep résen t a n t s d e la force p u b liq u e n 'est p ossib le q u e si les circon st a n ces le ren d en t a b solu m en t n écessa ire a u m a in t ien d e l'ord re p u b lic d a n s les con d it ion s d éfin ies p a r l'a rt icle L. 211-9. La f orce d ép loyée d oit êt re p rop ort ion n ée a u t rou b le à f a ire cesser et son em p loi d oit p ren d re f in lorsq u e celu i-ci a cessé » (R211-13 Code de sécurité intérieure). « Hors les d eu x ca s p révu s a u sixièm e a lin éa d e l'a rt icle L. 211-9, les rep résen t a n t s d e la force p u b liq u e n e p eu ven t f a ire u sa g e d 'a rm es à f eu p ou r le m a in t ien d e l'ord re p u b lic q u e su r ord re exp rès d es a u t orit és h a b ilit ées à d écid er d e l'em p loi d e la force d a n s d es con d it ion s d éfin ies à l'a rt icle R. 211-21. Cet ord re est t ra n sm is p a r t ou t m oyen p erm et t a n t d 'en a ssu rer la m a t éria lit é et la t ra ça b ilit é ». (R 211-14 CSI) Tout au long des premières manifestations de décembre, les observateur-e-s ont constaté l’usage immodéré des Lanceurs de Balles de Défense. Cette observation est corroborée par les contacts de terrain avec les groupes de secouristes volontaires qui ont traité, en décembre, plusieurs blessés par balles dont au moins 3 au niveau de la tête. À noter l’arrivée du lanceur Multi-coups / multi-munitions PGL 65 dans la dotation en arme des CRS (première observation le 5 janvier). Les policiers ont aussi fait un large usage des grenades explosives. En particulier des GMD (grenades manuelles de désencerclement). L’utilisation de grenades GLI F4 a sans doute eu lieu ; mais à la différence des GMD qui laissent des traces visibles (les nombreux plots en plastique), l’utilisation des GLI F4 est plus difficile à prouver. Nous avons cependant récupéré plusieurs « têtes » de GLI F4. À noter l’usage massif des GMD lors de la manifestation du 26 janvier 2019. Les observateurs constatent la moindre utilisation des LBD le 26 janvier (sans doute une conséquence de la « polémique » autour des son utilisation et des très nombreux blessés graves – plus d’une centaine à l’époque selon des sources concordantes) et son remplacement en termes d’armes par les GMD. Le canon à eau est désormais systématiquement utilisé par la police. Les blindés sont aussi présents. On peut noter que leur déploiement place du Capitole au niveau de la rue Lafayette le 19 janvier était largement provocateur (ce matériel aurait pu être mis en retrait dans la rue Lafayette). 54. Les textes juridiques utilisés dans ce rapport sont publiés en annexe dans la version internet du rapport. 96 Gaz l acr ym ogèn es et r égul at i on des m an i f est at i on s Nous avons assisté à deux stratégies différentes dans l’utilisation des gaz lacrymogènes et des LDB. De l’acte I à l’acte VIII, n’importe quel incident comme le jet d’une poche de peinture, des insultes (fréquentes lors du face à face entre manifestant-e-s et policier-e-s), le jet d’un œuf provoque l’envoie de gaz à profusion. Et disloque la manifestation. Ce gazage a eu lieu la plupart du temps moins de trente minutes après le début des manifestations, aboutissant à créer des manifestations en segments… Ce qui a à chaque fois facilité les débordements de personnes qui voulaient en découdre. Parfois aussi, une autre stratégie a été utilisée par les manifestant-e-s suite à ces jets de gaz rapides : la manifestation en rhizome. Après le gazage, les gens retirent leurs gilets pour de déplacer et se recomposer plus loin par petits groupes visibles. « Il faut être mobile et invisibles » expliquait un Gilet Jaune à ses « collègues ». Notons d’ailleurs que les consignes des GJ ont vite intégré cette forme de réaction policière. Il n’est pas donné de parcours dans les groupes Télég ra m [une messagerie instantanée utilisée par les Gilets Jaunes de Toulouse], mais « en cas de dispersion » des heures et des lieux de rendez-vous à partir de 16 heures, puis à 17heures et 18 heures... Qu i g aze et p ou rq u oi ? Le seu il d e t oléran ce d es p olicier-e-s Ce sont souvent les groupes BAC + CDI qui lancent les gaz et utilisent les LDB rapidement. Estce dû à leur non formation au maintien de l’ordre ? À des ordres de la hiérarchie ? À partir des actes VIII, IX et X, les gazages massifs ont eu lieu près de 2h30 après le départ des manifestant-e-s, après le passage de l’hélicoptère (symbole de la mise en place du processus de dispersion des manifestants par les FDO). Cela laissait alors le temps pour la manifestation de se structurer et évitait ainsi l’éclatement en sous-groupes divers. À ces manifestations, les BAC + CDI furent moins visibles pour « contrôler » les manifestations au début de celles-ci. Est-ce à dire que les CRS et GM sont plus tolérants aux poches de peinture, insultes et autres gestes d’hostilité ? Nous avons souvent vu ces professionnel-le-s du maintien de l’ordre simplement ajuster leurs boucliers suite aux jets divers de projectiles. En tout cas, l’hypothèse que nous faisons est que la police, selon sa réactivité aux petits incidents, ses seuils de tolérance (au jet de poche de peinture notamment), décide quand vont avoir lieu les affrontements. Act e IX, je su is u n g rou p e d e t êt e à côt é d e p erson n es ca g ou lées et b ien éq u ip ées p ou r les a ffron t em en t s. Ils son t en t re 30 et 50. Nou s effect u on s d es a llers-ret ou rs d a n s les ru elles com m erça n t es d u cen t re-ville. La p olice est m a ssivem en t à Esq u irol, a vec u n e b on n e d iza in e d e ca m ion s. À p lu sieu rs rep rises, les p erson n es ca g ou lé-e-s ch erch en t à en t ra în er la m a n ifest a t ion vers Esq u irol. Ch a q u e fois, u t ilisa n t le m ég a p h on e, d es p erson n es q u i se récla m en t d u « g rou p e a ct ion » les em p êch en t en d irig ea n t les b a n d eroles et la m a n ifest a t ion vers d ’a u t res ru elles. L’u n icit é d u cort èg e, sa st ra t ég ie d e con t ou rn em en t d u d isp osit if p olicier a em p êch é les a ffron t em en t s. Ceu x-ci in t ervien d ron t p lu s t a rd , a p rès 16h 30. 12 ja n vier 20 19 97 La réact ivit é d es Gilet s Jau n es au x g az : se créer u n h ab it u s55 d e m an ifest an t -e-s Nous l’avons évoqué plus haut, les premières réactions des GJ furent la surprise devant la violence ressentie face au gazage massif et à l’utilisation des grenades de désencerclement. Puis nous avons vu arriver dans les cortèges des personnes en gilets jaunes nous montrant leur masque à gaz, leur sérum physiologique et autre lunettes de plongée en expliquant : « Aujourd’hui, on s’est équipé-e-s ». Cette attitude, que l’on peut qualifier d’habitus, s’est prolongée et s’est progressivement élargie à une partie significative des manifestant-e-s. Les Gilets Jaunes ont pris acte des formes de régulation policière et se sont adapté-e-s. Notons d’ailleurs qu’ils/elles ne furent pas les seul-e-s. Nous, observateur-e-s, avons agi de même pour pouvoir mener nos observations sans l’inconfort des effets des gaz lacrymogènes. Ce que nous avons d’ailleurs signalé aux autorités en indiquant dans nos déclarations de présence l’équipement des observateur-e-s (voir plus haut). Habitus des manifestant-e-s, et habitus des observateur-e-s ont varié de concert. Le fait de se sentir obligé-e-s de porter masque et lunette pour circuler dans ou autour des manifestation le samedi à Toulouse n’est pas anodin dans la perception politique des affrontements avec la police. Comme l’utilisation de blindés — ce qui ne s’était jamais vu à Toulouse —, de camions à eau, cela a laissé aux personnes impliquées une impression de guerre civile en train de se faire. Ajouté aux blessé-e-s, dont le nombre est à l’évidence sousévalué par les autorités (voir plus bas), cela ne peut que favoriser l’escalade des affrontements et des violences. En cela aussi il y a eu dispositif policier disproportionné dans cette deuxième phase d’observation. Cet habitus de manifestant-e-s s’est d’ailleurs articulé avec d’autres pratiques : ne pas fuir après un gazage. « On ne court pas », entendait-on en permanence en décembre après l’envoi de gaz ou une charge policière. En février et mars, plus personne ne reprend ce slogan, car tout le monde l’a intégré. Les con t r ôl es Que dit la loi ? L’article 78-2 du code de procédure pénale : « Les officiers d e p olice ju d icia ire et , su r l'ord re et sou s la resp on sa b ilit é d e ceu x-ci, les a g en t s d e p olice ju d icia ire et a g en t s d e p olice ju d icia ire a d join t s p eu ven t in vit er à ju st ifier, p a r t ou t m oyen , d e son id en t it é t ou t e p erson n e à l'ég a rd d e la q u elle exist e u n e ou p lu sieu rs ra ison s p la u sib les d e sou p çon n er q u 'elle a com m is ou t en t é d e com m et t re u n e in fra ct ion ou q u 'elle se p rép a re à com m et t re u n crim e […] » • La fouille dans un lieu public dans les affaires d’une personne est assimilée à une perquisition. Seul un OPJ ou un gendarme peut fouiller dans les effets personnels, en cas de flagrant délit, ou de commission rogatoire. En cas d’enquête préliminaire, l’accord expresse de la personne est nécessaire. En application des dispositions de l’article 78-2-2 du code de procédure pénale, le procureur de la République peut prendre des réquisitions écrites pour permettre aux OPJ et sur leurs ordres ou leur responsabilité aux agents de police judiciaire de réaliser des fouilles dans des lieux précis et pour une durée 55. L’habitus, pour les sociologues (Bourdieu, Elias…) est le savoir social incorporé, créé par l’expérience et l’’habitude de cette expérience ; qui se sédimente au cours du temps et façonne, telle une « seconde nature », un « allant-de-soi », l’identité tant individuelle que collective des membres d’un groupe humain. 98 qui ne peut excéder 24h, renouvelable sur décision expresse et motivée, aux fins de recherche et de poursuite de certaines infractions (actes de terrorisme, infractions en matière d’armes, d’explosifs, de vol, de recel et trafic de stupéfiants notamment). • En pareille hypothèse, les OPJ, APJ et gendarmes peuvent procéder à la fouille de véhicules ou de bagages. Les propriétaires des véhicules et bagages ne peuvent être retenus que le temps nécessaire aux opérations de contrôle et de fouille. « En cas de découverte d'une infraction ou si le propriétaire du bagage le demande, il est établi un procès-verbal mentionnant le lieu et les dates et heures de début et de fin de ces opérations. Un exemplaire en est remis à l'intéressé et un autre exemplaire est transmis sans délai au procureur de la République. » 13h 50, su is a vec R., on ch erch e à a ller p isser, on n ou s p révien t q u e le m ilit a ire (a vec u n b ra ssa rd ja u n e), t ou jou rs en t êt e d e m a n if d ep u is q u elq u es t em p s, est con t rôlé p a r les CRS (a n g le ru e d es 3 jou rn ées + 8 ca m ion s d e CRS). 16 février 20 19 Les policier-e-s contrôlent en fait tout ce qui n’a pas une apparence « normale » (au sens de Goffman56) en faisant du faciès un délit de fait ; jeunes colorés (racisés), look manifestant, style urbain à sac à dos rempli… L’antithèse des contrôlés (très peu de femmes, sans doute à cause des stéréotypes et de la palpation…) nous décrit le normal non contrôlable ; BCBG, en costume cravate, des gens qui saluent la police, qui lui sourient, des gens avec des sacs de marque, ou des poches siglées des grands magasins… bref, de vrais consommateurs, adaptés au samedi après-midi. Fou illes d e sac Le d éb u t d e la m a n if d 'Arn a u d Bern a rd ju sq u ’à Ja u rès ét a it a u x m a in s d es g a rd es m ob iles, a vec u n d isp osit if en a m on t (m ét ro Com p a n s). Ils on t effect u é d es fou illes d e sa c à d os, d e jeu n es en p a rt icu lier. Au cu n in cid en t à sig n a ler. 9 oct ob re 20 18 Les ob serva t eu rs on t ét é t ém oin s, vers 13h 4 5, d e fou illes p réven t ives a u n ivea u d u sq u a re d e Ga u lle, a vec p oliciers (CRS) éq u ip és d e LBD (sa n s Go Pro...). 26 ja n vier 20 18 Fouilles préventives avec saisie de matériel de protection sans PV, 9 février 2019, 14h20 56. Goffman Erving, La mise en scène de la vie quotidienne. 1, La présentation de soi, Ed. de Minuit, 1966. 99 Saisin e d e jou rn au x lég au x Au cou rs d e la m a n if, u n jeu n e h om m e m ’in t erp elle : « Je vois q u e vou s êt es ob serva t eu r, je veu x vou s d ire q u e lors d e la m a n if d u 26 ja n vier d ern ier, u n g rou p e d e p oliciers d irig é p a r son com m a n d a n t , m ’a p ris les 4 0 0 n °2 d u Vila in Pet it An a r’, a u p rét ext e q u e c’ét a it d e la p rop a g a n d e ». Je lu i d em a n d e s’il a ccep t e d e t ém oig n er, il d it ou i. Ses coord on n ées : xxxxx février 20 19 Les t i r s de gr en ades et de LBD Tirs t en d u s Que dit la loi ? « L'em p loi d e la force p a r les rep résen t a n t s d e la force p u b liq u e n 'est p ossib le q u e si les circon st a n ces le ren d en t a b solu m en t n écessa ire a u m a in t ien d e l'ord re p u b lic d a n s les con d it ion s d éfin ies p a r l'a rt icle L. 211-9. La f orce d ép loyée d oit êt re p rop ort ion n ée a u t rou b le à f a ire cesser et son em p loi d oit p ren d re f in lorsq u e celu i-ci a cessé » (R211-13 Code de sécurité intérieure). La règle principale étant que la force doit être déployée graduellement, de manière proportionnée au trouble, et sur ordre expresse des autorités habilitées. Le Conseil d’État (CE, avis, 15 déc. 2016, n° 392480), ainsi que le Défenseur Des Droits (Défenseur Des Droits, avis, 24 janv. 2017, n° 17-02) et la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH, avis, 23 févr. 2017) ont rappelé que l'usage des armes devait faire expressément référence aux deux conditions découlant notamment de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme, à savoir nécessité et proportionnalité, à laquelle il conviendrait d’ajouter la simultanéité. Nou s a ssist eron s à l’en voi d ’u n e g ren a d e en t ir t en d u fa ce à q u elq u es p erson n es (p a s sû r q u e ce soien t d es m a n ifest a n t s a u vu d e n ot re vid éo). Su r les p h ot os ci-d essou s, u n p eu flou es, m a is « p a rla n t es » et ext ra it es d e la vid éo, on voit cla irem en t , a u m ilieu d es p h ot os et en b a s d e celles-ci, le p olicier t irer en t ir « sem i-t en d u » (p a s en cloch e en t ou s les ca s…) d a n s la ru e Belleg a rd e. À n ot er q u e n ou s con st a t eron s p a r u n e a b sen ce d e b ru it q u e cet t e g ren a d e n ’a p a s exp losé. Qu a n d n ou s iron s essa yer d e la récu p érer, n ou s n e la t rou veron s p a s, elle a va it d û , d éjà , êt re récu p érée p a r q u elq u ’u n … VOIR LA VID ÉO 2 m a rs 20 19 2. La trace des étincelles au bout du Cougar 1. Au bout du Cougar, la lumière du tir 100 Les lan ceu rs d e b alles d e d éfen se « M êm e si le t ireu r resp ect e les p roh ib it ion s et in jon ct ion s d e la d oct rin e d ’em p loi t ech n iq u e, l’u t ilisa t ion d ’u n e t elle a rm e à l’occa sion d ’u n e m a n ifest a t ion est su scep t ib le d e p rovoq u er d e g ra ves b lessu res com m e la p ert e d ’u n œ il, p ossib ilit é q u i con fère à cet t e a rm e u n d eg ré d e d a n g erosit é d isp rop ort ion n é a u reg a rd d es ob ject ifs d u m a in t ien d e l’ord re », estime le Défenseur Des Droits. Fran ce in t er, 12 m ars 20 19 À 16h 20, u n CRS t ire d a n s la fou le p a cifiq u e (seu ls d es p och on s d e p ein t u re ja u n e a va ien t ét é la n cés) a vec u n LBD , a t t eig n a n t à la cu isse u n m a n ifest a n t â g é (70 a n s) q u e les ob serva t eu rs on t croisé d eu x ou t rois m in u t es a p rès d a n s le h a u t d e la ru e d e M et z. Ap rès ce t ir (n on film é d irect em en t ca r l’ob serva t eu r a va it a b a issé son a p p a reil, m a is on en t en d cla irem en t d e son d u LBD ), le m êm e CRS vise les m a n if est a n t s à h a u t eu r d e t êt e (vid éo d isp on ib le et p h ot os ext ra it es d e cet t e m êm e vid éo d isp on ib les). VOIR LA VID ÉO 19 ja n vier 20 19 Lan cem en t d es g ren ad es 16h 50 : ru e d u Rem p a rt Sa in t -Et ien n e, a lors q u e le cort èg e se ren d en d irect ion d e Fra n çois Verd ier, u n e éq u ip e d e p oliciers t rès éq u ip és (q u el service ?) t ire u n e q u a n t it é colossa le d e la crym og èn es su r la m a n if est a t ion . D es t irs t en d u s d e g ren a d es la crym og èn es son t con st a t és en d irect ion d es m a n if est a n t s q u i veu len t a va n cer su r le b ou leva rd en d irect ion d u m on u m en t a u x m ort s. Le LBD est u t ilisé p lu sieu rs fois. 2 février 20 19 [là où Jérôm e sera b lessé] Pen d a n t ce t em p s-là , n ou s som m es con fron t és à u n e séa n ce d ’én ervem en t d e la p a rt d e p oliciers d es CD I q u i va se t ra d u ire, d a n s u n p rem ier t em p s, p a r la m en a ce d ’en voi d ’u n e g ren a d e à m a in d a n s la ru e Belleg a rd e. D eva n t les p rot est a t ion s d es p erson n es p résen t es « Non , n on , t irez p a s, M on sieu r ! », le p olicier a rrêt era son g est e (cf. p h ot o 1) p u is m en a cera les p erson n es p résen t es a vec u n e g a zeu se à m a in en a rg u a n t q u e « les som m a t ion s on t ét é fa it es ». Il se fera visib lem en t rep ren d re p a r u n a u t re p olicier (u n su p érieu r h iéra rch iq u e ?) q u i lu i d em a n d e d e se rep osit ion n er d a n s le d isp osit if ; ce q u e fa it le p olicier. 16 février 20 19 2. Le même policier menaçant avec sa gazeuse 1. Policier menaçant de dégoupiller une grenade 101 Les a ffron t em en t s se fon t à d ist a n ce. Project iles d ivers d ’u n côt é et g ren a d es d e l’a u t re. À 16h 36, n ou s sa isisson s l’en voi et l’exp losion d ’u n e g ren a d e de d ésen cerclem en t . (cf. ci- d essou s la p h ot o a u m om en t d e son exp losion ). La vid éo m on t re q u e celle-ci n ’est p a s en voyée con form ém en t aux recom m a n d a t ion s d ’u sa g e q u i d em a n d en t q u e celle-ci soit en voyée en rou la n t su r le sol. Elle reb on d it su r le sol a va n t d ’exp loser... 16 février 20 19 Explosion d’une grenade de désencerclement, 16 février 2019 Les ar r est at i on s vi ol en t es, i n di gn es et at t en t at oi r es aux dr oi t s h um ai n s Le Défenseur Des Droits a signalé le nombre « jamais vu » d’interpellations et de gardes à vue intervenues « de manière préventive », par exemple entre les 7 et 8 décembre. Le dispositif d’ordre public mis en place, le cadre juridique de ces interventions et les directives données semblent s’inscrire dans la continuité des mesures de l’état d‘urgence. Il en est de même concernant la légalité de ces mesures au regard des règles fixées par notre droit et la Convention européenne des droits de l’Homme. […] Dans plusieurs affaires dont le Défenseur Des Droits est actuellement saisi, il relève la mise en œuvre d’un nombre exceptionnel d’interpellations et de procédures judiciaires. De même, dans le cadre des manifestations des « Gilets Jaunes », un usage massif de lanceurs de balles de défense et de grenades explosives, ainsi qu’un nombre important d’interpellations, ont été pointés. Le Défenseur Des Droits est particulièrement attentif à ces affaires, dans lesquelles il souhaite pouvoir rendre ses conclusions au cours de l’année 2019. d ’a p rès le ra p p ort 20 17, D éfen seu r D es D roit s Arrivés a u ron d -p oin t d ’Arn a u d Bern a rd , n ou s voyon s les volt ig eu rs a va n cer vers u n GJ, q u ’ils ch erch en t à in t erp eller. Il a rrive à leu r éch a p p er et se fa it a rrêt er p a r u n g rou p e d e p oliciers en t en u e d es BRI (je crois…) (d eu x b a n d es b leu es su r le ca sq u e) a u t ou t d éb u t d e la ru e d e Tou l. Plu sieu rs p oliciers lu i a ssèn en t d es cou p s d e p ied s a lors q u ’il est à t erre et p a rfa it em en t m a it risé. C’est u n e in t erp ella t ion ext rêm em en t violen t e, a vec u t ilisa t ion illég it im e d e la force, con t re u n e p erson n e d éjà m a ît risée. Nou s n ou s a va n çon s p ou r leu r crier d e cesser d e le fra p p er et n ou s p oser en ob serva t ion . D es m em b res d es BRI n ou s fon t recu ler d e l’a u t re côt é d e la voie et n ou s n ou s exécu t on s. 12 ja n vier 20 19 Notons cependant que lorsque les observateur-e-s sont présent-e-s et repéré-e-s, il semble y avoir moins d’interpellations violentes. Au regard des nombreuses scènes d’arrestations violentes qui « inondent » les réseaux sociaux, y compris pour des faits se passant à Toulouse, et le fait que nombre d’arrestations auxquelles nous avons assistées étaient « musclées » voire violentes, mais pas brutales, nous ne pouvons qu’en déduire (supputer) que la présence des observateur-e-s, repéré-e-s en tant que tel-le-s par les Interpellation musclée d’un manifestant, 16 mars 2019 policier-e-s, influe sur leur comportement. VOIR LA VID ÉO 102 Le m en ot t ag e Que dit la loi ? L’article 803 du code de procédure pénale définit les conditions dans lesquelles une personne peut être menottée ou entravée par une formulation restrictive supposée protéger la liberté individuelle : « Nu l n e p eu t êt re sou m is a u p ort d es m en ot t es ou d es en t ra ves q u e s'il est con sid éré soit com m e d a n g ereu x p ou r a u t ru i ou p ou r lu i-m êm e, soit com m e su scep t ib le d e t en t er d e p ren d re la fu it e. D a n s ces d eu x h yp ot h èses, t ou t es m esu res u t iles d oiven t êt re p rises, d a n s les con d it ion s com p a t ib les a vec les exig en ces d e sécu rit é, p ou r évit er q u 'u n e p erson n e m en ot t ée ou en t ra vée soit p h ot og ra p h iée ou fa sse l'ob jet d 'u n en reg ist rem en t a u d iovisu el. » Il sera noté que le texte évoque les menottes et entraves, permettant ainsi l’usage de liens de serrage rapide en plastique. La dangerosité ou le risque de fuite étant laissés à l’appréciation des agents interpellateurs, le recours aux menottes ou entraves semble banalisé et quasiautomatique. Act e X, d evan t l’UGC : u n h om m e « d ig n e » arrêt é À 16h 4 0, les m a n ifest a n t s on t rejoin t la p la ce d u Ca p it ole via la ru e La fa yet t e et d es in cid en t s écla t en t à l’a n g le d u Ca p it ole et d e la ru e d u Poid s d e l’Hu ile. D e t rès n om b reu ses g ren a d es son t la n cées p a r la p olice, m a is le ven t d éfa vora b le ren voie les g a z la crym og èn es vers la ru e d u p oid s d e l’h u ile et d on c vers les p oliciers. La visib ilit é est d even u e q u a sim en t n u lle d a n s cet t e ru e (vid éo d isp on ib le). Les p oliciers in vest issen t vers 16h 50 la p la ce d u Ca p it ole, a vec d e t rès n om b reu x la n cers d e g ren a d es d e t ou s t yp es. Nou s reflu on s a lors vers la p la ce W ilson p ou r p ou voir d e n ou vea u x resp irer n orm a lem en t . Nou s n ou s p osit ion n on s a lors, vers 17h 0 7, à p roxim it é d ’u n g rou p e d e p oliciers en civils (éq u ip és et d ot és d e LBD ) p osit ion n é a u n ivea u d e la ru e d ’Au st erlit z. Nou s n ou s in t errog eon s a lors su r la ra ison d e leu r p résen ce et con st a t on s q u ’il n ’y a rien d errière eu x d a n s la ru e et q u e m êm e les b a d a u d s p eu ven t p a sser. Un d es p oliciers est éq u ip é d ’u n e Go Pro fixée su r son t orse. Qu elq u es m in u t es p a ssen t et les p oliciers se son t lég èrem en t a va n cés su r la p la ce. D ’u n seu l cou p , p lu sieu rs d ’en t re eu x se m et t en t à cou rir sa n s q u ’a u cu n e m en a ce n ’a it ét é p roférée n i a u cu n p roject ile la n cé. Sou s les p rot est a t ion s d es m a n ifest a n t s, les p oliciers p rocèd en t a lors à l’in t erp ella t ion d ’u n e p erson n e le lon g d ’u n k iosq u e d es a llées Roosevelt et se m et t en t en p osit ion a u t ou r d e ceu x d ’en t re eu x q u i on t a t t ra p é cet t e p erson n e, q u i n ’op p ose d ’a illeu rs a u cu n e résist a n ce. Les p oliciers se fon t a lors m en a ça n t s en visa n t les p erson n es p résen t es vers le h a u t d u corp s a vec leu r LBD . Tou t a u lon g d e son in t erp ella t ion , ce m a n ifest a n t est rest é t rès ca lm e, m a lg ré u n e t en sion évid en t e. Horm is d es q u olib et s et p rot est a t ion s, les m a n ifest a n t s n e son t p a s m en a ça n t s. Il p a ra ît a lors d ifficile d e com p ren d re p ou rq u oi l’u n d es p oliciers d écid e a lors d e jet er u n e g ren a d e la crym og èn e en p lein m ilieu d es a llées Roosevelt . À ce m om en t -là seu lem en t , q u elq u es p roject iles son t la n cés su r le g rou p e d e p oliciers q u i reflu e vers le b ou leva rd . Pu is les p oliciers u t ilisen t leu rs la n ceu rs Cou g a r et la n cen t d e n om b reu ses g ren a d es la crym og èn es. Ce g rou p e d e p oliciers se d irig e a lors vers u n EGM p osit ion n é en b a s d es a llées Jea n Ja u rès. La fu m ée d es la crym og èn es em p êch e a lors d e sa voir si, in fin e, le g rou p e d ’in t erp ella t ion a u ra rejoin t ou p a s l’esca d ron d e GM . 12 ja n vier 20 19 103 Commentaire Nous sommes là dans un cas devenu classique de rapports entre policier-e-s de la BAC (terme générique nous le rappelons) et manifestants (voire même de simples passants) qui dégénèrent parce que les policier-e-s veulent procéder à une interpellation en cours de manifestation. On se demande pourquoi, sachant qu’ils sont équipés de moyens photographiques et de renseignement et qu’ils pourraient très bien attendre que la manifestation soit terminée (ou bien même le lendemain) pour éventuellement appréhender cette personne, si tant est qu’elle ait quelque chose à se reprocher. Ce comportement n’est pas du ressort du maintien de l’ordre et contribue largement à générer des tensions aboutissant à des affrontements généralisés entre manifestants et policiers. Deux vidéos complètes de plusieurs minutes de cet épisode, prises par M. et P., sont disponibles. Cet épisode est corroboré par un autre groupe d’observateur-e-s qui était aussi présent (ils sont visibles sur la vidéo) et qui l’a relaté de son côté. Les photos ci-dessous décrivent cette séquence : Les policiers chargent au milieu de la foule. Les policiers de la BAC place Wilson. Les policiers en position. Les policiers évacuent leur position. Les policiers refluent vers le boulevard. Les policiers lancent des grenades. Les allées Roosevelt après le grenadage. 104 H yper vi ol en ce i n just i f i ée d’ apr ès l es spéci al i st es In t en sit é d es violen ces d e d écem b re Un ét u d ia n t a u ra it jet é u n œ u f rem p li d e p ein t u re et d ’a u t res q u elq u es b ou t eilles, m a is n ou s n e l’a von s p a s vu … La n cem en t d e g ren a d es la crym os su ivi d e t irs d e ca n on s à ea u et cela p en d a n t t rois q u a rt s d ’h eu res. Un e in com p réh en sion t ot a le, la f ou le n e sa va it p lu s où a ller, il y a va it d es en f a n t s, d es p ou sset t es et d es p erson n es â g ées. Un g rou p e s’est a ssis d eva n t les CRS : ils et elles on t ét é a sp erg é-e-s p a r le ca n on à ea u … Un e im p ression d ’in ju st ice én orm e fa ce à cet t e rép ression p olicière. D es p erson n es q u i d isa ien t n e p lu s rien y voir et on t n écessit é d ’êt re a id ées p ou r sort ir d e là , d ’a u t res t rem p ées ! Qu elq u es t irs d e fla sh -b a ll… Les st reet s m éd ics son t a sp erg és d ’ea u p a reillem en t p a r le ca n on ! […] Les forces d e l’ord re jet t en t d es g ren a d es la crym o d a n s cet t e ru e, d on t u n e t om b e en cloch e su r u n b a lcon ! D eu x p ou b elles q u i b rû len t su r u n e t ou t e p et it e b a rrica d e ! 15 d écem b re 20 18 Ap rès d écem b re Un GJ est en t ra in d ’êt re soig n é p a r d es m éd ics. Il est 19h 10 et u n d es m éd ics n ou s d it q u e le GJ a ét é fra p p é il y a en viron cin q m in u t es p a r u n p olicier q u i lu i a m is u n cou p d e m a t ra q u e su r la t êt e « d e m a n ière g ra t u it e ». 12 ja n vier 20 19 16h 57 : in t erp ella t ion d ’u n m a n ifest a n t q u i se p la in t d ’u n m en ot t a g e t rop serré et à q u i il est rép on d u d e ferm er sa g u eu le. 2 février 20 19 17h Ob serva t ion d e D . en d eh ors d u g rou p e : à p a rt ir d e la p la ce W ilson , à l'en t rée d e la ru e La fa yet t e, j'ob serve sou d a in , créa n t u n m ou vem en t d e f ou le in t en se com p ren a n t f a m illes et en f a n t s, u n e f u m ée d en se d e g a z la crym og èn e ; je vois le jet d u ca n on à ea u a u n ivea u d u Ca p it ole, j'en t en d s les b a lles sif f ler. Je rep a rs et ren con t re p lu sieu rs GJ a b solu m en t ef f a rés, n 'a ya n t p a s com p ris p ou rq u oi la p olice a d éclen ch é si b ru t a lem en t et violem m en t sa « rip ost e » (m a is à q u oi ?), a lors q u 'elle a va it la issé les m a n ifest a n t s a rriver p ou r la t roisièm e fois su r la p la ce d u Ca p it ole (l'a p rès-m id i a va it com m en cé p a r u n p iq u e-n iq u e et d es éch a n g es a vec la p op u la t ion ) ; leu r h yp ot h èse : u n p ièg e. Ils son t t rès m ot ivés p ou r reven ir sa m ed i p roch a in .... 16h 15, à l’a n g le d e la ru e d u Th éâ t re d e la Cit é, d es ?? (je crois q u e ce son t d es BRI) vien n en t a rrêt er u n h om m e d a n s la m a n if. Son seu l t ort : h u rler d es in ju res, fa ire d es g est es d e m en a ce. D eu x p oliciers se d ét a ch en t d e leu r g rou p e, s’em p a ren t d u m ec, ils son t im m éd ia t em en t p rot ég és p a r six a u t res p oliciers q u i rep ou ssen t a vec leu rs m a t ra q u es d es m a n ifest a n t s q u i veu len t récu p érer le leu r. Pu is jet s d e la crym os / a ffron t em en t s loca lisés / jet s d e p ierre… 16 février 20 19 Un GJ a ét é ferm em en t b ou scu lé à cou p d e p ied et d e b ou clier. Il a eu la lèvre en sa n g . Il n ’ét a it p a s d a n g ereu x p ou r les p oliciers. 12 ja n vier 20 19 Nou s reven on s en su it e vers Jea n Ja u rès, où n ou s a ssist on s là a u ssi à d es g ren a d a g es in t en sifs d ep u is le b ou leva rd Ca rn ot vers les a llées Roosevelt , m a is a u ssi d ep u is ces a llées vers les a llées J. Ja u rès. D ifficile d e com p ren d re com m en t on p eu t a voir d es t irs en d irect ion d es a llées Roosevelt et en m êm e t em p s d es t irs d ep u is Roosevelt vers le b a s d es a llées Jea n Ja u rès !? (vid éo d isp on ib le). Il est 20 h 13. D ifficile d e com p ren d re la ra ison d e ces g ren a d a g es, sin on u n e volon t é d e la p olice d e d isp erser les m a n ifest a n t s et les b a d a u d s m éla n g és. L’h élicop t ère d e la p olice n ou s su rvole. (vid éos d isp on ib les) 26 ja n vier 20 19 105 À la lim it e d e la b avu re 17h 33 : la p erson n e in t erp ellée d eva n t le Glou , à p roxim it é d e la ru e Ba ya rd , est p rise d e con vu lsion s a lors q u ’elle est m a in t en u e a u sol et m en ot t ée. Les p erson n es p résen t es com m en cen t à d em a n d er l’in t erven t ion d es m éd ics, q u i a rriven t et son t d a n s u n p rem ier t em p s refou lés p a r les p oliciers, q u i leu r d isen t q u e l’in t erp ellé fa it sem b la n t . Fa ce à l’in sist a n ce d es p erson n es p résen t es q u i s’a t t rou p en t a u t ou r, u n d es p oliciers h u rle GLI, m a is d e t ou t e évid en ce, a u cu n d es p oliciers n ’en a su r lu i. Les p oliciers fin issen t d on c p a r la isser in t erven ir les m éd ics p ou r ca lm er les p erson n es p résen t es, q u i n ’ét a ien t p a s violen t es ou a g ressives, m a is q u i leu r fa isa ien t lég it im em en t com p ren d re q u e l’a t t it u d e d e la isser u n e p erson n e m en ot t ée a u sol con vu lser sa n s rien fa ire p ou va it p oser p rob lèm e. Nou s a von s p a s m a l d e vid éos d e ce m om en t , q u i ét a it a ssez ch oq u a n t . 12 ja n vier 20 19 La p resse au ssi cib lée et risq u e d e b avu re 17h 0 5-10 : ju st e a va n t F. Verd ier, u n g rou p e d e p oliciers su r u n e p erp en d icu la ire, t irs en m a sse d e la crym og èn es et d e g ren a d es a ssou rd issa n t es ( ? d ét on a t ion t rès fort e) a in si q u e d e d ésen cerclem en t , a lors q u e les p oliciers n e son t p a s d u t ou t en cerclés. Un e p erson n e a vec u n ca sq u e p resse, à l’éca rt d u g rou p e d e m a n if est a n t s rép on d a n t a u x f orces d e l’ord re, voit u n e g ren a d e a ssou rd issa n t e exp loser a u n ivea u d e sa t êt e ; in t erven t ion d es m éd ics. 2 février 20 19 Réflexion d ’u n ob servat eu r su r l’ab u s d e violen ces L’u sa g e d e la force est d isp rop ort ion n é p a r ra p p ort a u x m a n ifest a n t s. Ce q u i d on n e l’id ée q u ’ils on t la issé rela t ivem en t a ller, p ou rrir et t olérer les in cid en t s le sa m ed i 8 d écem b re. Et là , le 15 d écem b re, c’est u n e d ém on st ra t ion d e force p ou r rép rim er et vou loir d ég a g er les m a n ifest a n t -e-s d es b ou leva rd s. Ce q u i p ose la q u est ion d ’u n e violen ce st ra t ég iq u e et com m a n d it ée. La lib ert é d ’exp ression et d e m a n ifest a t ion en p ren d u n cou p . 15 d écem b re 20 18 Nou s reven on s d ’u n e ob serva t ion d e la m a n if d es Gilet s Ja u n es, la violen ce m on t e. Cet t e a p rès-m id i a ét é violen t e com m e le 15 et le 22, u t ilisa t ion m a ssive d e g ren a d es et t irs d e fla sh -b a ll et les forces d e l’ord re sem b len t êt re m oin s d éb ord ées et p lu s offen sives… a vec p eu t -êt re l’id ée d e d ég a g er les ru es et b ou leva rd s le p lu s vit e p ossib le d es m a n ifest a n t -e-s. 29 d écem b re 20 18 Pas d e som m at ion 15h 15 su r les a llées à Fra n çois Verd ier : le cort èg e a g rossi, jet d e p ein t u re et d e feu x d ’a rt ifice, p eu t -êt re q u elq u es b ou t eilles. Nou s n ’a von s p a s en t en d u les som m a t ion s et ét ion s d eva n t . Grosse sa lve d e g ren a d es et jet s d e la crym os su r la t êt e d e la m a n if. 22 d écem b re 20 18 Le g rou p e d ’ob serva t eu rs se t rou ve d a n s le p rem ier t iers d u cort èg e. Le ron d -p oin t d ’Arn a u d Bern a rd est visib le q u a n d écla t en t les p rem ières la crym og èn es a in si q u e d es g ren a d es exp losives (GM D ou GLI-F4 ). Au cu n e som m a t ion n ’a ét é en t en d u e à n ot re n ivea u et les la crym og èn es t om b en t a u m ilieu d e la fou le, à 10 0 m d u ron d p oin t - p h ot o ci-d essou s et vid éos d isp on ib les. Il est 16h 32. Les m a n ifest a n t s reflu en t vers Jea n n e d ’Arc. Le ron d -p oin t d ’Arn a u d Bern a rd est n oyé sou s les la crym og èn es et on en t en d les g ren a d es exp losives. VOIR LA VID ÉO 26 ja n vier 20 19 10 6 Gren ad es d an s la fou le san s som m at ion . Au cen t re d roit d e la p h ot o, u n p alet d e lacrym og èn e. 26 jan vier 20 19 Avec som m at ion Parfois aussi, nous avons entendu et vu les sommations. À 19h 4 9, les p oliciers von t en fin se m et t re d a n s u n ca d re lég a l en p rocéd a n t à d es som m a t ion s p lu s d e 20 m n a va n t d ’a voir com m en cé à t irer d es g ren a d es – voir la p h ot o ci- d essou s ou u n p olicier d es CD I, cein t d ’u n e éch a rp e t ricolore, effect u e une som m a t ion à l’a id e d ’u n (p et it ) m ég a p h on e. Ap rès les som m a t ion s, u n e fu sée rou g e sera u t ilisée p u is les p oliciers ch a rg en t . 9 février 20 19 Policier ceint d’une écharpe tricolore procédant aux sommations, 9 février 2019 La question des sommations fait débat. Parfois, nous les avons vues mises en scène : mégaphone, fusée éclairante. Parfois, quand nous étions devant les policier-e-s, nous avons constaté l’absence de sommation. Parfois, surtout lorsque les observateur-e-s se situaient à distance des policiers, il y a eu doute. Il semble cependant que le recours aux sommations réglementaires soit plus fréquent depuis la mi-février 2019. Quand les grenades sont tirées à 200 mètres, comment entendre, même si les sommations existent ? Dans certains pays comme l’Allemagne, d’immenses sonorisations sont présentes. En France, non. Les BAC pr en n en t des di st an ces avec l es codes et l es l oi s On p eu t a u ssi n ot er l’a t t it u d e d es p oliciers d e la BAC p ren a n t ost en sib lem en t d es p h ot os d e m a n ifest a n t s d u « cort èg e d e t êt e » : u n p olicier m on t re d u d oig t le ou les m a n if est a n t s et u n a u t re p ren d d es p h ot os a vec ce q u i sem b le êt re u n sm a rt p h on e. Cet t e a t t it u d e (« on se m et en scèn e », d e m a n ière visib le p a r t ou s, p ou r p ren d re d es p h ot os d e m a n ifest a n t s) en t re d a n s u n e st ra t ég ie p lu s g lob a le d ’in t im id a t ion et d e créa t ion d ’u n clim a t d élét ère a u t ou r d es m a n ifest a t ion s. Le fa it q u e ces p h ot os soien t p rises à l’a id e d ’u n sm a rt p h on e (q u i est en t ou t e log iq u e u n a p p a reil p rivé, les p oliciers officiellem en t en ch a rg e d e ce t ra va il d ’id en t ifica t ion d a n s les m a n ifest a t ion s t ra va illen t a vec d u m a t ériel p h ot og ra p h iq u e p lu s « cla ssiq u e ») n e p eu t q u ’in t errog er su r le d even ir d e ces p h ot os… Pou r q u el u sa g e son t -elles p rises ? 22 m a i 20 18 Un policier utilisant un smartphone pour prendre des photos de manifestants. Au m om en t où la m a n if a va n ce et p a sse d eva n t Air Fra n ce, les p oliciers en civil son t les p rem iers à la n cer d es g ren a d es la crym og èn es a u m ilieu d e la m a n ifest a t ion . Cela crée u n m ou vem en t d e p a n iq u e, a vec la m a n if q u i est cou p ée en d eu x. Les GM fon t a lors t rois som m a t ion s en su iva n t et en voien t à leu r t ou r d es g ren a d es la crym og èn es. En core u n e fois, ce son t les p oliciers en civil q u i d ég ou p illen t en p rem ier. Je n e p eu x p a s l’a ssu rer, m a is je n ’a va is p a s l’im p ression q u e les GM sem b la ien t p rêt s à en voyer les g a z à ce m om en t -là . La p lu ie d e la crym og èn es est im p ression n a n t e, p lu sieu rs g ren a d es a t t errissa n t su r la t erra sse d u b a r « Les Am érica in s » à côt é d e la FNAC. Un e g ren a d e a m êm e t ou ch é le b a lcon d ’u n im m eu b le, a u 2èm e ét a g e d u b â t im en t , côt é b ou leva rd . 12 ja n vier 20 19 107 Des p rat iq u es illég ales : les b rassard s Que dit la loi ? L'article 435-1 du Code de sécurité intérieure dispose : « D a n s l'exercice d e leu rs fon ct ion s et revêt u s d e leu r u n iform e ou d es in sig n es ext érieu rs et a p p a ren t s d e leu r q u a lit é, les a g en t s d e la Police n a t ion a le et les m ilit a ires d e la Gen d a rm erie n a t ion a le p eu ven t , ou t re les ca s m en t ion n és à l'a rt icle L. 211-9, fa ire u sa g e d e leu rs a rm es en ca s d 'a b solu e n écessit é et d e m a n ière st rict em en t p rop ort ion n ée. » 17h 33, n ou s ob servon s d eu x p oliciers sa n s b ra ssa rd d a n s u n g rou p e d e BAC. 17h 4 5, n ou s ob servon s d es CSI d on n er d es cou p s d e m a t ra q u e à u n secou rist e volon t a ire. 18h 0 8, p rem ière a p p a rit ion d e l'h élicop t ère. 18h 21, n ot re g rou p e est p osit ion n é ju st e à côt é d 'u n g rou p e d e BAC. A la ra d io n ou s en t en d on s : « On va p ist on n er vers Arn a u d B, et en su it e on les p ou rsu ivra d a n s les p et it es ru es ». 18h 38, n ou s ob servon s à n ou vea u q u e d a n s u n g rou p e d e BAC, a u m oin s 3 n 'on t p a s d e b ra ssa rd . 2 février 20 19 Con fiscat ion d e b an d erole À 17h 12, n ou s a ssist on s à la con fisca t ion p a r les p oliciers d es CD I d ’u n e g ra n d e b a n d erole, q u e l’on p ou rra it a t t rib u er à d es m ilit a n t s d ’ACT-UP, p la ce d u Ca p it ole. On se d em a n d e p ou rq u oi et si c’est b ien là le rôle d e p oliciers d es CD I d a n s les m a n ifest a t ion s... 16 février 20 19 La di sper si on des m an i f est at i on s Dès la première phase d’observation, nous signalions dans les rapports un problème de gestion de la dispersion : « La police a un vrai problème de dispersion » écrivions-nous. On s’en était déjà rendu compte près du monument aux morts dans la première phase d’observation (avant les Gilets Jaunes). Quand le parcours des manifestations allait de la place Arnaud Bernard au monument aux morts. Souvent des intermittent-e-s du spectacle et des jeunes s’asseyaient, chantaient, jouaient des musiques amplifiées. Deux attitudes différentes avaient été observées : • La police les laissait tranquilles et une heure plus tard, ils/elles quittaient le lieu ; • La police gazait pour faire rétablir la circulation et des affrontements violents avaient lieu (par exemple le 22 mars 2018). (vidéo disponible). Dispersion musclée de la manifestation du 22 mars 2018, CDI au contact. 108 Mais là, dans cette seconde phase d’observation, les Gilets Jaunes ne veulent pas se disperser. Pourquoi ? Les motifs sont divers : • Refus d’un cadre traditionnel et demande de respect du « d roit à m a n ifest er où on veu t , q u a n d on veu t » disaient certain-e-s. Les mêmes qui ont été étonné-e-s quand on leur a appris le dispositif de déclaration, puis de négociation du parcours avec la préfecture. Au passage et devant les fausses informations sur la légalité de telles manifestations véhiculées parfois par la presse et certain-e-s élu-e-s (voir ci-après), les Gilets Jaunes ont réussi à dépoussiérer un droit mis à mal par certaines négociations forcées. • La volonté de passer la journée entière à manifester à Toulouse par des personnes, regroupées sur des ronds-points, venues de loin. « On est ven u -e-s d e xxx. Ça fa it u n e t rot t e. On est en t re a m i-e-s. On veu t en p rofit er ce soir a u ssi » (une Gilet Jaune de l’Ariège, janvier 2019). La forme non-conventionnelle de la protestation Gilets Jaunes a bouleversé le rapport au temps: « On a pas de fric, mais on a du temps », disait un retraité à qui voulait l’entendre sur le parking de Gramont, le 17 novembre 2018 ; ce que diront et répéteront les Gilets Jaunes tout au long de nos contacts. Ils/elles auraient pu ajouter que le temps Gilets Jaunes est un temps de lien social, de rencontres, où on n'a plus honte d’être pauvre, un temps de plaisirs partagés, pour des personnes qui, souvent, étaient seules et isolées chez elles. Bref, la protestation est devenue « mouvement social » au sens fort du terme, un mouvement qui transcende les divisions et oppositions entre catégories d’appartenance : pauvres / jeunes / vieux / chômeur ou chômeuse /ouvrier-e /employé-e / petit-e-s patron-ne-s… Un mouvement social où le collectif est supérieur à l’addition de ses membres. À partir de février 2019, les dispersions ont eu lieu place du Capitole, y compris avec le canon à eau et les blindés de la gendarmerie. Mais ces dispersions ont entraîné des affrontements violents une partie de la soirée. 109 Pla ce d u ca p it ole : q u elq u es m in u t es p lu s t a rd , les a g en t s CRS com m en cen t u n p rocessu s d e « n a ssa g e », ils b loq u en t les q u a t re a n g les p rin cip a u x m en a n t à et p a rt a n t d e la p la ce d u Ca p it ole, n e la issa n t q u e la ru e St Rom e et la Ru e Ga m b et t a d e lib res. Nou s som m es a lors p osit ion n és à l'in t ersect ion en t re la ru e d u Poid s d e l'Hu ile et l'en t rée d e la ru e d e la Pom m e (u n e d es q u a t re voies p a rt a n t d e la p la ce, d on c), où n ou s ob servon s l'a rrivée, d a n s le p rocessu s, d e t rois ca m ion s p ort a n t le b la son « CRS » et d 'u n e q u in za in e d 'a g en t s q u i seron t b ien t ôt rejoin t s p a r u n n om b re im p ort a n t d 'a g en t s su p p lém en t a ires. La m ise en p la ce d u « n a ssa g e », d u b loca g e d es ru es, n e p ren d q u e q u elq u es m in u t es, a u b ou t d esq u elles les p rem iers la n cers d e la crym og èn es se f on t en t en d re, p u is ra p id em en t ressen t ir a u n ivea u d e la p la ce. Un m ou vem en t d e f ou le s'en su it , a vec d es cris, d es p a roles d e colère d e la p a rt d e q u elq u es m a n if est a n t s à l'en con t re d es CRS. Nou s a llon s n ou s réfu g ier con t re la d eva n t u re d 'u n m a g a sin , le t em p s d e n ou s éq u ip er : ca sq u es, lu n et t es et m a sq u es, a fin d e n e p a s êt re a t t ein t s p a r les g a z la crym og èn es. La p lu p a rt d es m a n ifest a n t s p ren n en t la ru e Ga m b et t a . À 16h 0 4 , la p la ce est éva cu ée ; n ou s n e ret rou von s, a u m ilieu , q u e le g rou p e d e St reet M éd ics, occu p é à soig n er u n n ou vea u b lessé. 2 février 20 19 Des d isp osit ifs d ém esu rés À 17h 0 6, les p oliciers fon t m ou vem en t su r la p la ce. Il y a en core b ea u cou p d e m on d e, m êm e si la p a rt ie su d d e la p la ce est d ég a g ée. Nou s som m es ju st e d errière les p oliciers et a u cu n p roject ile n e sem b le êt re la n cé en leu r d irect ion , q u a n d p a rt u n e p rem ière g ren a d e via u n Cou g a r. Un e vid éo p erm et d e su ivre ce q u i va se p a sser. Les p oliciers a rrosen t a lors cop ieu sem en t la p la ce. Un g rou p e d e CRS se m et en p la ce a u n ivea u d u sq u a re C. d e Ga u lle et les b a d a u d s-m a n ifest a n t s son t rep ou ssés d a n s les p et it es ru es. À 17h 13, les p oliciers son t la rg em en t d ép loyés su r la p la ce d u Ca p it ole, la rg em en t vid ée su it e a u x p récéd en t s t irs n ou rris d e la crym og èn es (le ven t sou ffla it d e l’est ...). À d roit e, n ivea u ru e La fa yet t e, u n g rou p e d e CRS a vec u n ca m ion à ea u est p osit ion n é. Les p oliciers con t in u en t à g ren a d er a u n ivea u d e la ru e d u Ta u r et d e la ru e Pa rg a m in ières. Il y a à ce m om en t -là a u m oin s 150 p oliciers d es q u a t re corp s (CRS, EGM , CD I et BAC) q u i son t d ép loyés. Il n ’y a p lu s a u cu n m a n ifest a n t su r la p la ce. Seu ls q u elq u es-u n s st a t ion n en t en core a u n ivea u d e la ru e Pa rg a m in ières. Selon la vid éo, le g rou p e In d ia d es EGM , st a t ion n é sou s les a rca d es d e la p la ce, est rem p la cé p a r la CRS 15. Un g rou p e d e 15 à 20 b a cq u eu x s’en g ou ffre ru e d u Ta u r en d irect ion d e Sa in t -Sern in . S’en su it a lors u n lon g fa ce à fa ce en t re m a n ifest a n t s, b a d a u d s et p oliciers. À 17h 29, les CRS p ren n en t p osit ion et les p oliciers d es CD I q u it t en t la p la ce en ca m ion n et t es. Com m e on p eu t le voir su r la p h ot o cid essou s, u n CRS est éq u ip é d ’u n PGL 64 (la n ceu r m u lt i-cou p s). 9 février 20 19 110 Dém esu ré au ssi d an s les lan cem en t s d e g ren ad es La question de la dispersion 16h 39 : La m a n ifest a t ion va « log iq u em en t » p la ce d u Ca p it ole. Nou s som m es la rg em en t p lu s d e 10 0 0 0 p erson n es en core (cert a in -e-s son t p a rt i-e-s à 16 h eu res « On n e sa it ja m a is… Qu i s’occu p era it d e m on p et it ? » m ’a d it u n e con n a issa n ce). La fou le est d en se. On a d éjà fa it d eu x fois le t ou r : b ou leva rd , ru e d e M et z, ru e Alsa ce…Tou t est ca lm e. La t êt e d e m a n if, d eva n t la b a n d erole, fa it en t re 10 0 0 et 20 0 0 p erson n es…Où a ller ? Pou r les m a n ifest a n t -e-s, com m e p ou r la p olice, sem b le se d ég a g er u n con sen su s : la cen t ra lit é p olit iq u e d e Tou lou se d ’u n e p a rt , u n e p la ce fa cile à d ég a g er d ’a u t re p a rt . Un e p la ce où est d éjà le ca m ion à ea u et d e n om b reu x et n om b reu ses CRS. Vers 18h50, suit e au lancem ent de quelques project iles lég ers, les policiers procèdent à des t irs de g renades. Les g az envahissent les allées Roosevelt , la rue Labéda, ainsi qu’une part ie de la place W ilson. À 19h 30, les p oliciers la n cen t d e n om b reu ses g ren a d es, y com p ris d es g ren a d es exp losives (GM D ou GLI) d ep u is la p la ce W ilson en d irect ion d e Jea n Ja u rès. Voir cid essou s u n e p h ot o d e l’exp losion d ’u n e g ren a d e d e d ésen cerclem en t ext ra it e d ’u n e vid éo (a u m om en t où la vid éo m on t re la g ren a d e q u i exp lose, on en t en d cla irem en t le b ru it d e l’exp losion ; il s’a g it d on c b ien d ’u n e g ren a d e exp losive et , vu la d isp ersion d es m orcea u x a u t ou r d e l’im p a ct , il s’a g it vra isem b la b lem en t d ’u n e GM D – ra p p elon s q u e les p oliciers n e son t n u llem en t m en a cés d e p rès à ce m om en t -là ...). 9 février 20 19 Une grenade de désencerclement explose au milieu des gaz lacrymogènes. Une riposte graduée... 16h 4 5 : Un g rou p e d e Bla ck b loc, d errière u n e b a n d erole, vise les CRS a vec u n e fu sée d ’a rt ifice…Rép liq u e m od érée et seu lem en t cen t rée su r la b a n d erole : g ren a d es et ca m ion à ea u (d e d ésen cerclem en t rou lées a u sol et la crym os en cloch e). 9 février 20 19 ... puis démesurée À 16h 50, 7 ca m ion s d escen d en t la ru e St Rom e et p ren n en t p osit ion , p u is p ou ssen t la fou le vers la ru e d es Lois. D u côt é d u ca n on à ea u , les p oliciers in d iq u en t q u ’il fa u t p a rt ir p a r la ru e d es Lois. 17h 0 5 : les p oliciers q u i p ou ssen t , a in si q u e ceu x p ost és a u ca n on à ea u , t iren t sim u lt a n ém en t a u PENN. L’a n g le d e la p la ce d u Ca p it ole vers la ru e d es Lois est en t ièrem en t n oyé sou s les la crym og èn es. Les m a n ifest a n t s son t cou p és en 2 et ceu x q u i n ’on t p a s p u fu ir vers la ru e d es Lois et son t com p rim és en t re la crym os et cord on CRS/ CSI son t t rès, t rès én ervés. Plu sieu rs p erson n es vom issen t . Les FDO a rrêt en t d e p ou sser, et n ou s a t t en d on s la d isp ersion d es g a z p ou r con t in u er. Pu is, à p ein e 5 m in a p rès, u n en va h issem en t d e la crym os. Pa rt ou t …Pa rt ou t …La p la ce est p lein e d e g a z. On se ret rou ve a vec H., p u is je le p erd s d e vu e. Les g a z en va h issen t t ou t es les p et it es ru es a u t ou r. Reflu x g én éra l. 9 février 20 19 111 M a n ifest a t ion s d es GJ fém in ist es et d es GJ h a n d ica p é-e-s (d écla rée en p réfect u re). Nou s p ou von s con sid érer q u e p ou r u n e m a n ifest a t ion d e 150 p erson n es (a u p lu s fort ), ce son t en viron 50 p oliciers q u i ét a ien t m ob ilisés d e m a n ière visib le : u n e t ren t a in e d e CRS a vec 7 ca m ion n et t es, u n e d ou za in e d e p oliciers n a t ion a u x (n on éq u ip és p ou r le m a in t ien d e l’ord re) a vec 3 ca m ion n et t es et 7 m ot a rd s. Pa s d e t ra ces d es BAC. 10 février 20 19 Un exem p le d ’essai d e d isp ersion 18h 30 : on red escen d p a r la ru e Ga b riel Péri. Nou s seron s cet t e fois d ép a ssés p a r u n g ros m on osp a ce b a n a lisé p lein d e CSI. Nou s n ou s d irig eon s vers W ilson – Jea n Ja u rès... Ét on n em en t , ici, règ n e u n e a m b ia n ce b on en fa n t côt é m a n ifest a n t s : m u siq u e et d a n se ; p lu s t en d u e côt é force d e l’ord re, q u i b a rren t l’a ccès à W ilson . Nou vea u jet d e p roject ile et rip ost e n ou rrie t ou s a zim u t s d es CRS, ça cou rt d a n s t ou s les sen s, les b a cq u eu x fon t d es in t erp ella t ion s, les sa u vet eu rs volon t a ires son t t rès sollicit és. Les m a n ifest a n t s son t p ou ssés vers Alsa ce-Lorra in e ; q u a n t à n ou s, c’est rep a rt i, n ou s cou ron s d errière la BAC q u i se d irig e vers la p la ce Sa in t -Georg es p u is ob liq u e ru e Pélissié vers le M on op rix (ça d evien t t rès sp ort if !), p u is on t ou rn e vers le Ca p it ole, a vec cet t e fois les CSI d errière n ou s. Bon , q u i fa it q u oi ? 19h 15 : p la ce d u Ca p it ole, à l’a n g le d u M cD o, CRS et ca n on à ea u . D écid és à fa ire éva cu er la p la ce, la p olice som m e les p erson n es p résen t es d e ret irer leu r g ilet et d e p a rt ir, sin on …Ga z la crym o et p ist on n a g e ru e Rom ig u ère (h eu reu sem en t , les sa u vet eu rs son t en core là ). 16 février 20 19 Les bl essé- e- s Lorsq u e je p a rs a vec les p om p iers, je su is a vec u n a u t re b lessé. Lu i a ét é t ou ch é à l'œ il. Les p om p iers sem b la ien t t rès in q u iet s. Je l'a i recroisé à l'h ôp it a l : p la ie ou vert e 1 cm sou s l'œ il et p rob a b le fra ct u re d e l'a rca d e, m a is son g lob e ocu la ire est en fa it ép a rg n é. Il m 'a d it a voir reçu u n p roject ile a lors q u 'il ét a it isolé a u m ilieu d u b ou leva rd . 2 février 20 19, b lessu re d e Jérôm e (ob serva t eu r) Au m om en t d u g ren a d a g e m a ssif d e la p la ce d u ca p it ole, ce g rou p e d e m a n ifest a n t s est p a rt i se réfu g ier ru e d es Lois, en lon g ea n t les t erra sses. Ils on t su b i, à revers, u n e ch a rg e écla ir t rès violen t e d e la p a rt d es forces d e l'ord re. Nou s a von s p u a ssist er à cet t e a g ression et a von s vu u n b lessé à t erre, a u ssit ôt p ris en ch a rg e p a r les m éd ics. 23 février 20 19 Un e fois q u e le cort èg e a reflu é d e la p la ce d u Ca p it ole et q u e les p oliciers l'on t ég a lem en t q u it t ée, n ou s y t rou von s d e n om b reu x rest es d e g ren a d es la crym og èn es, m a is a u ssi 2 b a lles d e LBD a u m oin s. Un e p erson n e, b lessée a u t ib ia p a r LBD , est en t ra in d 'êt re soig n ée d eva n t la m a irie p a r d es m éd ics. Un e a u t re p erson n e vien t n ou s voir p ou r n ou s m on t rer u n h ém a t om e a u d os, a p p a rem m en t ca u sé p a r u n a u t re t ir d e LBD . 23 février 20 19 M ai n t i en de l ' or dr e et bl essur es Selon le Code européen d'éthique de la Police, « le recours à la force [...] doit toujours être considéré comme une mesure exceptionnelle […]. Lorsque ce recours s’impose, l’usage de la force ne doit pas aller au-delà de ce qui est absolument nécessaire. En d’autres termes, la force utilisée doit être proportionnée à l’objectif légitime à atteindre par ce moyen. Il convient donc de trouver un juste équilibre entre le recours à la force et la situation dans laquelle il intervient. Concrètement, cela veut dire, par exemple, que l’on n’utilisera pas la force physique si elle n’est 112 pas absolument indispensable, que les armes ne seront utilisées qu’en cas de "nécessité absolue" […].57 » Le Code de déontologie de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale indique quant à lui : « Le policier ou le gendarme emploie la force dans le cadre fixé par la loi, seulement lorsque c’est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace, selon le cas. Il ne fait usage des armes qu’en cas d’absolue nécessité et dans le cadre des dispositions législatives applicables à son propre statut.58 » Compte tenu de ces principes fondamentaux, l'existence de blessé-e-s lors d'opérations de maintien de l'ordre suscitent de nombreuses interrogations, même s'il peut s'avérer en certains cas que les blessures résultent de circonstances conformes aux règles éthiques précitées. Les blessé-e-s sont un indicateur possible du degré de violence dans les rapports entre les forces de l'ordre et la population, et nombre de cas pourraient laisser penser à une augmentation de leur nombre au cours des dernières années59. Cette tendance a trouvé une expression culminante lors des manifestation des Gilets Jaunes depuis novembre 201860 ; si bien que les blessé-e-s sont devenu-e-s une caractéristique majeure de ce mouvement social, à l'échelle nationale. Ainsi, selon les chiffres communiqués par le ministère de l’Intérieur à la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe dans le cadre de la rédaction d'un mémorandum rendu le 26 février 2019, 2 060 blessé-e-s ont été recensé-e-s parmi les manifestant-e-s à la date du 4 février 2019, dont 69 « urgences absolues » et 1 325 parmi les forces de l’ordre. Le journaliste David Dufresne, qui tient un décompte des blessé-e-s depuis le début du mouvement et dont le travail, largement médiatisé et reconnu, a été utilisé par la Commissaire aux droits de l’Homme, dénombre quant à lui, à la date du 11 mars 2019 : 1 décès, 215 blessures à la tête, 22 éborgnements, 5 mains arrachées, parmi des manifestant-e-s essentiellement mais aussi des passant-e-s et des journalistes. Enfin, sur 59 éborgnés par les forces de l'ordre depuis 1999 recensés par le collectif « Désarmons-les », 19 l'ont été depuis le mois de novembre 201861. Si les sources sont plurielles, faire une synthèse au sujet des blessé-e-s provoqué-e-s par les forces de l'ordre est une tâche complexe, car il n'existe pas de chiffrage exhaustif, pas de base de données officielle, et parce que les décomptes disponibles, selon qu'ils proviennent de l'État, d'associations, des secouristes ou de journalistes, ne sont pas établis selon les mêmes méthodes et avec les mêmes finalités. Il est néanmoins possible de tirer des informations différentes de ces décomptes et de les confronter. 113 Les bl essé- e- s l or s des m an i f est at i on s Gi l et s Jaun es à Toul ouse Plusieurs sources dont aucune ne peut prétendre à l'exhaustivité permettent d'évoquer les blessé-e-s lors des opérations de maintien de l'ordre qu'a suivi l'Observatoire des Pratiques Policières : les chiffres communiqués par la préfecture de Haute-Garonne dans les communiqués publiés après chaque manifestation ; les décomptes réalisés par certains groupes de secouristes ; le recensement de David Dufresne. Les ch iffres d e la p réfect u re À la date du 2 mars 2019 et en comptabilisant à partir du 1er décembre 2018 (Actes III à XVI des Gilets Jaunes + manifestations lycéennes et Marches pour le climat), la préfecture dénombre 60 blessé-e-s parmi les manifestant-e-s pour 169 blessé-e-s parmi les forces de l'ordre. La préfecture mentionne dans ses communiqués des « blessés », des « blessés légers », et des « blessés en urgences relatives », les blessé-e-s légers étant les plus nombreux sans que ne soit défini clairement ce que recouvrent médicalement ces distinctions. Au regard d'une comparaison avec les chiffres des secouristes ci-après, ce décompte de la préfecture apparait fortement sous-estimé, mais il offre la possibilité d'une comparaison avec d'autres mouvements sociaux et manifestations antérieures, sur la base d'une source identique. Ainsi, à titre de comparaison, sur une période allant de novembre 2014 à novembre 2018 et incluant plusieurs mouvements sociaux locaux et nationaux à Toulouse62, la préfecture de HauteGaronne ne communique à travers ses communiqués de presse que de l'existence de 2 blessé-e-s. Les d écom p t es d es secou rist es Selon J. resp on sa b le d es secou rist es volon t a ires d a n s cet t e jou rn ée, il y a eu u n e q u a ra n t a in e d e b lessé-e-s, d on t 13 g ra ves. 15 d écem b re 20 19 À 19h ce soir, d es secou rist es volon t a ires n ou s d isen t q u ’u n jeu n e Art h u r, 24 a n s, vien t d e p ren d re u n t ir d e fla sh -b a ll su r l’œ il a u Fer à Ch eva l, vers 18h . Ils et elles s’a ccord en t à d ire q u ’il n ’ét a it p a s u n ca sseu r. Les CRS les on t a p p elés et ét a ien t b lêm es. 29 d écem b re 20 19 Depuis l'acte III des Gilets Jaunes, le 15 décembre 2019, des organisations informelles de « médics » se sont mises en place afin d'apporter les premiers soins aux blessé-e-s dans les manifestations. Au fur et à mesure du mouvement social, le nombre de volontaires intervenant dans les manifestations a augmenté et plusieurs formations se sont créées. Ainsi, à l'heure actuelle, on peut recenser : • les « Volontaires Toulouse – Premiers soins » • les « Secours toulousains » • les « Croix Bleues » (devenues ensuite « Croix Violettes ») • les « Street Medics », issus du mouvement historique antérieur au mouvement des « Gilets Jaunes ». 62. Manifestations pour l'annulation du projet de Sivens en 2014, manifestations contre la « Loi travail » en 2016, occupation de l'université Toulouse Jean Jaurès contre un projet de fusion universitaire puis manifestations contre Parcoursup en 2018, etc. 114 Les deux premières organisations de secouristes (« Volontaires Toulouse » et « Secours toulousains ») réalisent depuis l'acte XII (2 février 2019) un décompte commun de leurs interventions, dont l'un des secouristes a bien voulu produire une synthèse pour l'OPP. Les bilans ainsi produits pour les actes XII à XVI du mouvement proposent deux catégories de classement des interventions : 1. Par gravité des blessures, selon deux critères objectivables : • l'évacuation : la personne blessée a été envoyée aux urgences suite aux premiers soins ou a dû être évacuée du cortège de la manifestation ; • la blessure que les « Secours volontaires toulousains » appellent « médico-psychologique » ; dans la pratique de ces équipes volontaires, un-e « blessé-e médico-psychologique » représente un individu en état de choc ou « perdu » dans la manifestation, qui ne possède pas nécessairement de blessure physique mais qui nécessite une prise en charge (état de peur, de perdition). Il peut s'agir de passant-e-s n'ayant pas pour intention de participer à la manifestation. 2. Par origine des blessures ; les données ne permettent pas d'en établir de manière systématique la cause mais, en revanche, il est possible pour certaines manifestations d'établir le nombre de blessures provenant de l'armement policier. Parmi les origines possibles des blessures, on retrouve les catégories suivantes dans les données communiquées : • coups de matraque, • tir de LBD , • éclats de grenade lacrymogène, de grenade de désencerclement ou GLI F4, • malaises et vomissements dus aux gaz lacrymogènes, • accidents routiers, • chutes, • autres (cas particuliers de projectiles artisanaux). Les données ne précisent pas : • si la personne blessée est un-e manifestant-e ou s'il s'agit d'un-e simple passant-e se retrouvant dans le cortège sans intention de manifester ; • si la personne est allée aux urgences lorsque le conseil lui en a été donné après l'acte de premier secours (notamment pour les blessures à la tête ou pour les individus ayant des antécédents médicaux) ; en cas de doute, l'individu n'a pas été considéré comme « évacué ». 115 On peut donc recenser, sur ces 5 manifestations ayant eu lieu à Toulouse, 151 personnes blessées physiquement, dont 23 ayant dû être évacuées, c'est-à-dire davantage de blessé-e-s que la préfecture de Haute-Garonne n'en recense pour l'ensemble des manifestations qui se sont déroulées depuis le mois de novembre 2018. Près de deux fois supérieurs au chiffrage de la préfecture à la date de l'acte XVI (2 mars 2019), nous pouvons pourtant affirmer objectivement que ces chiffres sont très sous-estimés ; et ceci pour plusieurs raisons : • seules 5 manifestations sont comptabilisées ; • il peut y avoir des blessés pris en charge par d'autres organisations de premiers secours qui ne recensent pas leurs interventions ; • il peut y avoir des blessés qui n'ont été pris en charge par aucune des 4 organisations de premiers secours ; • il peut y avoir des évacuations ou des envois aux urgences qui n'ont pas été précisés dans les données et qui ont donc été classés comme « absence d'évacuation » ; • il peut y avoir un oubli dans le recensement d'une ou plusieurs interventions du fait des conditions d'intervention : le soin prime sur la collecte de données pour les intervenants. Le recen sem en t d u jou rn alist e David Du fresn e Depuis le début du mouvement des Gilets Jaunes, le journaliste indépendant David Dufresne compile les violences policières sous forme de signalements de centaines de faits qui sont regroupés, contextualisés et consultables sur Médiapart63. 116 Très loin d'être exhaustif, puisqu'inférieur aux chiffres de l'État et des préfectures, ce recensement s'est néanmoins imposé comme un travail de référence en quelques semaines, en raison de sa régularité et de sa rigueur. Pour chaque cas sont indiqués la date, le lieu, la nature des blessures et les armes les ayant causées, ainsi souvent que leurs circonstances. Pour 53 signalements concernant Toulouse à la date du 9 mars 2019, 24 personnes blessées sont recensées, avec des blessures multiples dans 8 cas : 22 manifestant-e-s, 1 membre de l'Observatoire des Pratiques Policières, 1 photojournaliste. On peut dénombrer plus précisément, en ce qui concerne la nature des blessures : • 3 blessures à l'œil dont 1 éborgnement, • 12 blessures à la tête (contusions ou plaies), • 2 fractures (main / tibia), • 11 cas d'hématomes et de lésions aux membres inférieurs ou supérieurs. En ce qui concerne les causes de ces blessures : • 11 cas de blessures causées par LBD 40, • 3 cas de blessures causées par grenade de désencerclement ou grenade lacrymogène, • 9 cas de blessures par matraquage, • 1 cas de blessures par coup de genou. La list e d u collect if Désarm on s-les Tém oig n ag es d irect s à l’OPP Enfin, une des sources d’information sont les faits collectés par les observateur-e-s eux/ellesmêmes et les témoignages spontanés reçus par l’OPP. Nou s a ssist on s a lors à u n e scèn e d e p rép a ra t ion d e « t ir a u p ig eon ». Il est 17h 17. Les m a n ifest a n t s son t a u m ilieu d e la p la ce. Un p olicier a p p elle u n e p olicière m u n ie d ’u n LBD et lu i m on t re la fou le a vec son t élép h on e. Pu is, d u ra n t u n b on m om en t , la p olicière va viser la fou le ; m a is n ou s n ’a von s p a s p u sa voir si le LBD a ét é in fin e u t ilisé. Nou s p ou von s sim p lem en t d ire q u e q u elq u es m in u t es a p rès, n ou s a von s vu d es sa u vet eu rs volon t a ires q u i soig n a ien t , le lon g d u m u r d u Ca p it ole côt é La fa yet t e, u n m a n ifest a n t q u i a va it p ris u n e b a lle d e LBD d a n s le t ib ia . 23 février 20 19 Photo envoyée à l'OPP. Trace de LBD dans le bas du dos d’un manifestant. 23 février 2019, 17h23. Le manifestant a recontacté l’OPP depuis lors. 117 Parfois aussi, la presse a été le relais des plaintes. Frappé à la mâchoire, un homme « a perdu 11 dents » « D’après les informations que j’ai, il y a eu trois, voire quatre victimes » recensées samedi dans les rues de Toulouse, témoigne l’avocate Claire Dujardin, qui a fait des violences policières et de l’usage des fameux flash-ball un cheval de bataille. Pour l’acte X, elle évoque au moins trois victimes de violences policières à Toulouse : les deux membres d’un couple qui ont été « victimes de coups de matraque sur le crâne et sur le visage ». L’homme a même dû être évacué aux urgences, alors qu’il avait été placé en garde à vue. Et un autre homme « qui a pris un coup à la mâchoire et a perdu 11 dents, d’après un constat de médecine légale », soulève l’avocate. Sur son compte Facebook, Yann a en effet posté des photos de son « nouveau sourire », avec ses dents cassées ou arrachées. Il pensait en avoir 8 de cassées, en réalité, il y en avait 11, a-t-il indiqué à Actu Toulouse. Il raconte que des policiers « sont juste passés à mon niveau, j’ai levé les bras, et là, matraque dans les dents, matraque dans les côtes, vidage de lacrymo dans la bouche et KO. Ils ont continué leur chemin et en ont envoyé deux autres à l’hôpital (fracture du crâne pour un, nez et front cassé pour l’autre, laissé comme moi à terre). Pas d’interpellation ». Actu Toulouse, 23 janvier 2019 Typol ogi e des bl essur es par m i l es m an i f est an t - e- s Les informations de la Préfecture ne donnent aucune précision sur la nature et les causes des blessures. En revanche, si l'on croise les données des secouristes et les signalements de David Dufresne, ainsi que les propres observations de l'OPP, il est alors possible d'établir une typologie des blessures qui ont été provoquées par les forces de l'ordre à Toulouse, en mettant en évidence leur nature et leurs causes (armes utilisées). 118 Bl essé- e- s par m i l es m an i f est an t - e- s et l es f or ces de l ' or dr e Le tableau ci-dessus fait le point sur les blessé-e-s, sur la base des communiqués publiés par la préfecture depuis le début de la séquence des Gilets Jaunes. Si l’on s’en tient à ces chiffres, il y aurait donc eu trois fois plus de blessé-e-s dans les rangs des forces de l’ordre que dans ceux des manifestant-e-s. S’il n’était la gravité de ce que recouvrent ces chiffres, on ne pourrait que sourire face à l’évidente sous-estimation du nombre de blessé-e-s chez les manifestant-e-s ; tout en sachant que le chiffre des blessé-e-s chez les membres des forces de l’ordre doit être, lui, exhaustif… Rappelons que, pour mémoire et rien que pour la manifestation du 8 décembre 2018, les groupes de sauveteurs volontaires ont comptabilisé pas moins de 54 blessé-e-s du côté des manifestant-e-s ; et ceci sans pouvoir compter ceux et celles qui ont été pris-e-s en charge par d’autres moyens ou bien encore ceux et celles qui ne se sont pas fait, pour diverses raisons, connaître. Pour syn t h ét i ser De nombreux et nombreuses blessé-e-s marquent le mouvement des Gilets Jaunes, dans une proportion qui ne cesse d'interroger, et ces blessures sont dans leur très grande majorité de cause policière comme en attestent les bilans des secouristes. Il faut souligner ici plusieurs points : • Parmi les blessé-e-s recensé-e-s à Toulouse se trouvent des passant-e-s, un journaliste et un membre de l'OPP, qui ne sauraient être suspecté-e-s d'avoir eu un comportement justifiant un usage « nécessaire » de la force, au point d'entrainer des blessures qui plus est. • Si l'existence d'une blessure provoquée par les forces de l'ordre n'est pas systématiquement la preuve d'une faute commise par ces dernières, nombre de cas documentés, observés ou appuyés par des témoignages attestent d'un usage disproportionné de la force ou d'un usage non réglementaire de leurs armes par les forces de l'ordre : coups et tirs à la tête, tirs tendus ou trop rapprochés, usage offensif des armes, réponses disproportionnées. • L'augmentation tendancielle du nombre de blessé-e-s causé-e-s par les forces de l'ordre et l'ampleur considérable de leur nombre lors des manifestations des Gilets Jaunes s'observent simultanément à une évolution de la doctrine française du maintien de l'ordre, dans un contexte de dysfonctionnements divers que le présent rapport décrit par ailleurs. 119 Récapi t ul at i f : évol ut i on des m an i f est at i on s et des vi ol en ces pol i ci èr es Rappel : l’OPP a été lancé le 4 mars 2017, 47 manifestations ont été observées au 23 mars 2019. Nous reprenons ici nos constats faits publiquement à la rencontre du 7 janvier sur « La répression du mouvement social » organisée par les Amis du Monde Diplomatique, la LDH, la fondation Copernic, le SAF, ATTAC, la CGT et la FSU. Ph ase 1 (avan t l a séquen ce Gi l et s Jaun es) : un e gest i on l ocal e à l a t oul ousai n e Nonobstant les dispositifs disproportionnés en nombre de policier-e-s qui ont entraîné la création de l’Observatoire des Pratiques Policières, le dispositif local semblait relativement stabilisé. Nous l’avons expliqué précédemment, les constats étaient les suivants : • Déploiements policiers disproportionnés • Policiers non équipés de LBD (de manière visible en tous cas) • 4 forces de police principalement présentes sur le terrain : CRS, Gendarmerie mobile, Compagnies d’intervention (CDI), BAC ; • Interdiction faite aux manifestants d’accéder au centre-ville • Identification du dispositif fixe + glissant (Cie d’intervention + BAC) sur le côté « centre-ville » de la manifestation • Ciblage visible de manifestants par les policiers en civil durant les manifestations • Attitude « agressive – regards hostiles et menaçante » des policiers des BAC • Un seul incident notable : le 22 mars 2018, avec le gazage ciblé par des policiers de la BAC de membres de l’OPP. Comparé aux manifestations Gilets Jaunes, outre l’incident de mars 2018 avec gazage des observateur-e-s, l’attitude des policier-e-s, en particulier ceux, celles de la BAC et des CDI était relativement réservée. Un e g est ion calm e, t ou lou sain e (locale) d e l’ord re Au t re élém en t à n ot er et q u i con firm e le ressen t i d e cert a in s d es ob serva t eu rs les p lu s exp érim en t és : il sem b le b ien q u e les ord res d on n és a u x p oliciers son t d ’évit er les in cid en t s. En effet , a u ssi b ien lors d e la m a n ifest a t ion d es p erson n els d e l’u n iversit é Jea n Ja u rès le 1er février (la m a n ifest a t ion a va it con t in u é d e m a n ière « sa u va g e » et a va it ét é n a ssée en b a s d e l’a ven u e d e la Gloire) q u e p ou r celle fa isa n t l’ob jet d u p résen t ra p p ort , les p oliciers a u ra ien t , il y a en core p eu d e t em p s et d a n s d es sit u a t ion s voisin es, a g i d e m a n ière p lu s « m u sclée ». M êm e si les g a zeu ses n e son t p a s loin (n ou s a von s vu u n p olicier la serrer a ssez « n erveu sem en t » lors d u fa ce à fa ce a vec le cort èg e d es fem m es), n ou s d evon s con st a t er p ou r l’in st a n t q u e les p oliciers « rest en t d a n s les clou s ». Nou s som m es loin d e la p ériod e d es m a n ifest a t ion s « El Kh om ri ». M a n ifest a t ion d es fem m es d u 8 m a rs 20 18 120 Des d isp osit ifs lég ers et variés D isp osit if ferm e, lég er et flu id e p ou r cet t e p rem ière m a n ifest a t ion con t re la loi t ra va il. M a n ifest a t ion in t ersyn d ica le, 9 oct ob re 20 18 Pendant cette première période d’observation, au vu du peu d’incidents violents observés à Toulouse — dans d’autres métropoles cela se passait nettement différemment —, nous en venions à nous interroger sur le contenu du rapport de l’Observatoire à venir et le sens même de notre présence. De nombreux manifestant-e-s attribuaient le calme policier à notre présence : les dispositifs policiers étaient peu disproportionnés64, les forces de police – excepté quelques cas que nous précisons — traitaient les manifestant-e-s avec respect. Les ordres de la chaîne de commandement semblaient ajustés. Il y avait bien sûr, à chaque manifestation, un pôle qualifié de « radical » par la presse. C’est ce pôle qui recevait toute l’attention des BAC dans le dispositif glissant. Mais à part quelques œufs envoyés, quelques problèmes lors des dispersions, peu d’incidents sérieux. La police faisait la preuve qu’elle pouvait réguler des manifestations de manière citoyenne en respectant le droit de manifester. Ph ase 2 : depui s l e m ouvem en t des Gi l et s Jaun es De décembre 2018 à janvier 2019, 7 manifestations couvertes à la date du 29 décembre. Les constats que nous avons effectués et développés durant la conférence de presse du 27 janvier étaient les suivants : • Les BAC et les CDI remodèlent les manifestations par des tirs de gaz ; aucun seuil de tolérance à une poche de peinture, voire à une canette de bière. • Une montée en puissance impressionnante des dispositifs policiers (plusieurs centaines de policiers mobilisés) avec présence de blindés et utilisation des canons à eau ; dispositif cumulé le plus nombreux le 15 décembre (600 policiers mobilisés selon les informations presse) pour environ 5 à 6 000 manifestants. • Utilisation continue d’un hélicoptère avec prise de photos et transmission instantanée au sol pour interpellations. • Gazage massif des manifestant-e-s dès le moindre incident ; exemple le 15 décembre, quand les gendarmes mobiles ont jeté des grenades lacrymogènes après avoir reçu un sac de peinture sur un blindé et trois projectiles. Sachant le degré de formation de ce corps de police, riposter avec ampleur après ce type d’agression (bénigne, en fait) laisse à penser que l’ordre leur a été donné de réagir de manière disproportionnée pour casser la manifestation. • Utilisation massive des gaz lacrymogènes et de LBD en cœur de ville, jusque sous les arcades du Capitole (manifestation du 15 décembre). • Utilisation de tout l’arsenal militaire disponible : gaz lacrymogènes, grenades GLI-F4, grenades de désencerclement, lanceurs de balles de défense (flash-ball). • Aux quatre corps de police déjà cités, se sont ajoutés le 8 décembre et après des policiers municipaux équipés pour le maintien de l’ordre. 64. Cette notion de disproportion est de facto relativisée par les constats effectués durant la séquence Gilets jaunes. 121 • Des comportements différenciés selon le corps de police : ‒ CRS et gendarmes mobiles « conformes » à leur rôle et à leur formation (voir les scènes filmées place du Capitole le 15 décembre). ‒ Compagnies d’intervention (Police nationale équipée pour le maintien de l’ordre) souvent fébriles et agressives ; elles sont « à l’origine » des démarrages d’incidents qui ont contribué à faire « dégénérer les manifestations » le 1er décembre rue Bayard et le 8 décembre au niveau de la rue Bergeaud. ‒ BAC et policiers en civil faisant la chasse aux manifestant-e-s pour faire des interpellations et utilisant massivement des LBD. À noter la présence de policiers en motos banalisées (l’un conduit et l’autre est armé d’un LBD) qui, dans certains cas, fendent la foule des manifestant-e-s ; la présence de motos de police banalisées avait déjà été constatée sur les trottoirs avant les manifestations des GJ mais le passager n’était, à l’époque, pas armé. • Des forces de police qui semblent peu ou mal coordonnées ; en tous cas, pas prêtes à des manifestations aussi mouvantes et dispersées, imprévisibles en fait, que celles des Gilets Jaunes (cela rappelle les constats faits lors de la manifestation universitaire du 1er février 2018, déjà évoquée). Le 8 décembre, le centre-ville de Toulouse était entre les mains des Gilets Jaunes et il n’y a eu aucun incident en cœur de ville, les forces de police s’étaient largement repliées pour intervenir à Saint-Cyprien (à noter des « contacts physiques » entre manifestants et policiers ayant conduit les policiers à reculer plusieurs fois – phénomène constaté au niveau du Pont Neuf, place du Capitole et rue Lafayette). • Des attitudes de « cow-boy » des BAC les conduisant, quelques fois, à se retrouver isolés au milieu de manifestant-e-s, « pacifiques heureusement » (le 8 décembre par exemple, rue du Poids de l’Huile, face à l’hôtel de l’Opéra). • Pas de référent de terrain identifié (au moins identifiable) au niveau de la police auquel il serait possible de se référer. • Des manifestant-e-s de plus en plus équipés pour manifester (lunettes, masques, protections diverses) et se protéger des gaz lacrymogènes mais non équipés pour les confrontations directes avec la police. • Les manifestant-e-s refusant de se disperser (une rage certaine s’exprime via cette attitude de refus de dispersion). • Des attitudes insultantes et des provocations verbales de la part de policiers (voir témoignages). • De nombreuses fouilles « préventives » et l’obligation d’enlever les gilets jaunes faite à de nombreux manifestants. • De très nombreux et nombreuses blessé-e-s dont certain-e-s grièvement (coma pendant 15 jours), doigts arrachés (suite à utilisation de GLI-F4 ?), blessures par LBD au niveau de la tête, du torse, du dos, blessures par grenades de désencerclement) ; sans doute plusieurs centaines de blessés en comptant les traumatismes de toutes natures (chocs, accès de panique avec perte de contrôle, suffocations, évanouissements, etc…). Nous notions aussi une difficulté importante à couvrir les manifestations pour l’OPP, liée à l’éclatement des manifestants en plusieurs cortèges avec simultanéité des incidents ; le 22 décembre par exemple, incidents simultanés rue de Rémusat, alentours du métro Jean Jaurès, environs d’Esquirol. 122 Nous en tirions le bilan suivant : L’objectif de la préfecture (ordre gouvernemental ?), dès le 1er décembre, a été d’utiliser massivement les forces de police avec la manière forte (grenadages massifs de toutes natures, charges, interpellations et chasse aux manifestants) pour faire peur (une stratégie de la peur, voir plus loin) en espérant dissuader les Gilets Jaunes de manifester. C’était sousestimer la rage profonde des manifestants dont le nombre (chiffres très prudents vu la difficulté de comptage) a doublé à chaque manif (1 500 le 1er décembre, 3 000 le 8, 6 000 le 15) ; et ceci malgré la montée en intensité de la répression (et le bombardement médiatique…). Nous sommes donc en présence d’un échec du gouvernement à faire rentrer les choses dans l’ordre par la violence policière. À noter aussi que badauds et manifestant-e-s se sont croisé-e-s cinq samedis d’affilée dans une sorte, au mieux, de connivence et, au pire, d’indifférence. Les attitudes de rejet des gilets jaunes ont été rares (un seul cas constaté de visu). Entre la période avant le 17 novembre 2018 et celle d’après, pas de différence notable dans les déploiements policiers. Ce n’est qu’une question de nombre de policier-e-s et d’intensité dans leur action. Le seul fait notable : à partir du 24 novembre, équipement des policiers en LBD et utilisation de ceux-ci de manière massive à compter du 1er décembre. Ph ase 3 : pr i m aut é aux pr of essi on n el - l e- s du m ai n t i en de l ’ or dr e avan t 16 h 30 Ce sont les CRS et les EGM qui, jusqu’à 16h30 environ, encadrent, mais de loin, les manifestants. Et quand les rangs de BAC et de CDI, souvent discrets à ce stade de la manifestation, se retrouvent au contact, ils/elles font preuve de retenue. Depuis lors et jusqu’à la date de la dernière manifestation prise en compte dans le rapport (23 mars 2019), nous avons effectué un certain nombre de constats ; on s’aperçoit à la lecture des différents comptes rendus d’observation que si certaines choses évoluent, tant dans le comportement des forces de l’ordre que dans celui des manifestant-e-s, des invariants restent notables : • la présence policière pendant les deux/trois premières heures est, en grande partie, discrète, si on en juge par rapport à la situation qui prévalait en janvier et début février. Même si, en mars, cette « discrétion » a pu varier ; • des manifestations toujours sans cohérence en terme de cortège avec des parcours largement aléatoires ; • un haut niveau d’engagement et de violence des policiers et ceci quelle que soit leur appartenance ; • un comportement toujours aussi obscur de la police en termes de positionnement géographique (du moins pour les observateur-e-s et les manifestant-e-s) ; • et, surtout, des observateur-e-s pris pour cibles par les forces de l’ordre à de nombreuses reprises (grenades jetées volontairement dans les pieds des observateur-e-s, arrosage par le canon à eau, bousculade par derrière des observateur-e-s lors de charges, insultes et agressions verbales répétées, coups sur les appareils photo par deux fois…). 123 Certaines évolutions sont cependant notables : • un engagement plus marqué et nettement plus « musclé » des CRS dans le déroulement des manifestations, avec un balayage systématique des boulevards entre Jeanne d’Arc et le monument aux morts, couplé à l’utilisation systématisée des PGL65 ; • l’utilisation de plus en plus massive des gaz lacrymogènes, avec des tirs croisés destinés à rendre irrespirable de grandes surfaces de terrain, comme sur les allées Roosevelt ou bien au monument aux morts ; • des tensions entre policiers allant jusqu’à la violence physique entre eux, avec des supérieurs, voire de simples policiers obligés de reprendre en main certains de leurs collègues. La j udi ci ar i sat i on Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Le collectif Camé (Collectif AutoMédia étudiant) recensait : « 495 interpellations, 312 gardes à vue, 117 déferrements, 204 mois de prison avec sursis et 135 mois de prison ferme (incluant les peines aménageables comme le port du bracelet électronique), 12 000€ de dommages et intérêts, 6 050€ de frais de justice, 64 ans d’interdiction de séjour ou manifestation sur Toulouse au 17 février 2019 ». Et le collectif Camé ajoute : « pour comparaison, en 2016 contre la Loi Travail à Toulouse : plus de 120h d’interdictions de séjour pendant les manifestations, 745h de Travaux d’Intérêts Généraux, 30 mois de prison dont 6 mois fermes, 9600 € de dommages et intérêts ».65 Nous sommes étonné-e-s de l’ampleur de cette judiciarisation qui participe, de plein droit, à la « stratégie de la peur » mise en place par les autorités. 124 CONCLUSI ON Ordre public : gestion locale / gestion nationale Nous avons observé deux types de maintien de l’ordre : • une gestion locale avant décembre 2018 • une gestion nationale après décembre, pour les Gilets Jaunes La gestion « locale » De mai 2017 à novembre 2018, la préfecture de Toulouse dirigeait, il nous semble, le maintien de l’ordre. Nonobstant des dispositifs souvent disproportionnés, quelques incidents « rituels » au moment de la dispersion, les observateur-e-s n’ont pas noté d’actions attentatoires aux libertés fondamentales, notamment au droit d’expression et aux droits de manifester. Nous avons même eu l’impression que notre présence, qui contrariait cependant déjà certain-e-s fonctionnaires des BAC, amenait une certaine prudence des pouvoirs publics. Une politique nationale À l’aide de différents observatoires situés à Nantes, Bordeaux et Montpellier, nous avons rapidement comparé les méthodes des policier-e-s pour maintenir l’ordre dans les manifestations Gilets Jaunes66. En commun, on retrouve : • Une place spécifique pour les BAC et les CSI (qu’il semble difficile de distinguer dans certaines villes). Non seulement les BAC/CSI, du fait de leur équipement léger, pour les BAC particulièrement, sont plus mobiles, mais surtout ces policiers-e-s sont plus agressifs et agressives. Leur fonction pénale, les interpellations au milieu des manifestations, rendent selon l’Observatoire nantais des libertés « (…) cette pratique particulièrement dangereuse car elle favorise les chocs brutaux, elle stupéfie les manifestants pacifiques et provoque éventuellement des gestes de défense qui sont alors qualifiés de rébellion ». Cet Observatoire ajoute : « (…) les BAC sont souvent utilisées dans une stratégie de la tension en les mettant bien en évidence (alors qu’elles devraient être derrière et non devant les CRS/GM). Et lorsque les forces de l’ordre sont en retard d’un déplacement pour barrer un accès au centre-ville, les BAC se retrouvent souvent en première ligne et ne se retirent pas assez vite, dans une attitude de virilité mal gérée. Cela ne manque pas de provoquer la réponse en miroir de manifestants ». • Sur l’utilisation des armes : « les BAC passent de grands moments à braquer leurs lanceurs de balle ; le doigt se crispe alors facilement sur la gâchette. La BAC est nettement plus agressive et tire souvent sur des manifestants pacifiques et/ou alors qu’ils ne sont pas mis en danger au sens de la circulaire applicable aux lanceurs de LBD » dit la legal team (LDH) de Montpellier. À Bordeaux : « les BAC et CDI sont plus agressives et font un usage immodéré des LBD 40, pourchassent souvent les manifestants. » • Des CRS et des gardes mobiles qui apparaissent « souvent plus respectueux des formes », même si à Bordeaux, ils/elles font un usage des grenades de tout type avec parfois peu de retenue (notamment les 1er et 8 décembre). Ils/elles « utilisent de manière nettement plus massive les lanceurs Cougar de lacrymogène » nous disent les Nantais-e-s. 66. Nous remercions l’Observatoire Nantais des Libertés (ONL), la Ligue des Droits de l'Homme - Legal Team de Montpellier et L'Observatoire girondin des libertés publiques de Bordeaux pour leurs collaborations. 125 Cette situation est différente de la campagne de reconquête de Notre Dame des Landes, où ce sont les gendarmes mobiles qui ont fait un usage massif de lacrymogènes, de grenades de désencerclement et de GLI F4 (la revue L’essor de la Gendarmerie notant que les gendarmes sont plus « friands » de cette munition que les unités de police). À Bordeaux, il est parfois arrivé qu’un groupe de CRS pourchasse des manifestants et fasse usage de LBD (15 décembre), tirant d’ailleurs sur des personnes n’étant pas pourchassées par le groupe mais s’étant mises à fuir en voyant les CRS tirer dans tous les sens. 126 La stratégie de la peur Les peurs exprimées dans ce rapport, celles des manifestant-e-s, celles des observateur-e-s font écho à l’ensemble des témoignages que nous avons reçus de proches et de personnes inconnues qui se sont adressées à nous pour dire : « J’ai peur, je n’ose plus venir aux manifestations » ou bien « Moi je pars vers 16h ou 16h30, j’ai une famille qui m’attend… ». La peur s’est donc invitée dans la tête et le corps de nombreux et nombreuses sympathisant-e-s du mouvement. D’autres manifestant-e-s, par leur seule présence, malgré la menace d’être blessée-s, démontrent que cette « stratégie de la peur » a échoué. Face aux violences policières, ils/elles se sont adapté-e-s et équipé-e-s en masques à gaz, en lunettes de protection et se sont rempli les poches de sérum physiologique…. Quitte à rejoindre le cortège après son départ, pour éviter les fouilles préventives. D’autres, cependant, ne viennent plus ou hésitent à revêtir le gilet jaune pendant les manifestations. Ces peurs répondent à la politique actuelle du maintien de l’ordre. Il s’agit là de l’un des enseignements les plus notables de nos observations et des analyses qui en découlent. En effet, dès le début du mouvement social des Gilets Jaunes, l’utilisation massive et coercitive, offensive pouvons-nous dire sans excès, de l’armement des policier-e-s et gendarmes semble avoir été mise en œuvre de manière débridée. Nous pensons qu’il s’agit là d’une erreur majeure, liée à l’incompréhension qu’a eu (et qu’a encore) le gouvernement en place de la nature et des ressorts de ce mouvement. Erreur qui s’appuie sur ce que l’on peut appeler, sans trop se tromper, un mépris de classe (« (…) des gars fumeurs de clopes et qui roulent au diesel », comme l’a dit Benjamin Griveaux, tout en finesse, pour caractériser des Gilets Jaunes en décembre…). Le pouvoir en place, ainsi que nombre des médias importants, ont considéré que ce mouvement pouvait être assimilé à une sorte de « jacquerie » et que quelques bons coups de bâton allaient « faire rentrer ces gueux dans leur tanière ». Surtout qu’ils osaient venir manifester au cœur de la capitale, sur l’avenue la « plus célèbre du monde » (qui est aussi d’ailleurs l’une des plus luxueuses…). Or, rien ne s’est passé comme prévu et ces « néo-manifestant-e-s » (pour la très grande majorité d’entre eux/elles, il/elles n’avaient encore jamais manifesté — cf. les différentes analyses de ce mouvement) ont été sidéré-e-s puis révolté-e-s d’être traité-e-s de la sorte. Et ce sentiment, très puissant, perdure encore largement aujourd’hui (tous les contacts que nous avons dans les rues de Toulouse le prouvent largement). La saillie du Président de la République sur « les porte-voix d’une foule haineuse » lors de son allocution du 31 décembre montre aussi l’incompréhension de la nature de ce mouvement, jusque dans les plus hautes sphères de la République. Mais au-delà de cette cécité politique, il est aussi question ici de la mise en place d’une véritable « stratégie de la peur » visant à dissuader les citoyen-ne-s d’utiliser librement leur droit à manifester (venir manifester, c’est « accepter » de se mettre en danger, c’est envisager qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique et psychique). Cette posture hautement menaçante, ne date pas des Gilets Jaunes ; et les observateur-e-s avisé-e-s du mouvement social avaient déjà pointé cette politique répressive et violente lors des mobilisations contre la loi Travail en 2016, avec l’utilisation massive, déjà, de tout l’arsenal en armes de toutes natures par les forces de l’ordre. La création de l’Observatoire toulousain des pratiques policières découle aussi de ces différents constats. En faisant pression sur les citoyen-ne-s pour qu’ils/elles n’assistent pas aux manifestations au vu des risques possibles de blessures, d’invalidité, cette politique menée actuellement par le ministre de l’Intérieur, comme par ses précédents collègues les années passées, est attentatoire aux libertés publiques. 127 La question des violences en manifestation Nous avons évoqué dans ce rapport les violences qui émaillent les dispersions. Ce qui a contribué à ce que certains médias associent Gilets Jaunes et violences. Les observations que nous avons réalisées depuis bientôt deux ans, avant et après l’irruption des Gilets Jaunes dans l’espace public, nous amènent à nuancer, à contredire même, ces affirmations. Mais on ne peut pas comprendre les fins de manifestation, le passage de « La police avec nous », mot d’ordre scandé par les Gilets Jaunes jusqu’au milieu du mois de janvier, à « La police déteste tout le monde » ou « Tout le monde déteste la police » scandé depuis lors, si on extirpe cette violence d’une vision globale de la société dans laquelle nous vivons et de l’irruption du mouvement social des Gilets Jaunes dans l’agenda politique. François Cusset, cité plus haut, explique ce qu’il nomme « la nouvelle sauvagerie » du capitalisme avancé. Il la lie au tournant libéral de la fin du 20ème siècle, avec l’irruption des nouvelles technologies, l’hyper consommation et la productivité comme unique objectif. Il avance dans une interview à la revue Regards (Eté 2018) que : « L’Ét a t et les a u t ocon t ra in t es in d ivid u elles, q u i ét a ien t les d eu x rég u la t eu rs h ist oriq u es d e la violen ce, n ’op èren t p lu s, (…) sou m is [q u ’ils son t ] d ésorm a is à la log iq u e d u m a rch é : a u lieu d e servir d e con t rep oid s à la violen ce d u m a rch é, l‘Ét a t [en ] est d even u le vect eu r, voire le g en d a rm e a t t it ré ». Comment ne pas mettre en relation ces réflexions et l’état de la « France des ronds-points et des fins de mois difficiles » que nous avons rencontrée le samedi après samedi ? Nous ne cherchons pas à justifier les jets de projectiles, les destructions de vitrines (le plus souvent de banques, agences immobilières et compagnies d’assurance) mais nous essayons de comprendre à quels ressorts elles obéissent. D e « la p olice a vec n ou s » à » la p olice d ét est e t ou t le m on d e » Les études réalisées par le LERASS67 montrent de façon indiscutable deux choses : les Gilets Jaunes n’ont pas de boucs émissaires (immigrés, juifs, homosexuels, ni même policiers…) et les Gilets Jaunes ne sont pas partisans de la violence. Ce changement de perception de la police s’opère à partir de 3 faits distincts, mais indissociables les uns des autres : • l’apparition des blessé-e-s, qui ne sont pas seulement issu-e-s des bosses ou hématomes possibles dans des opérations de maintien de l’ordre, mais dont les blessures relèvent de mutilations (yeux crevés, visages fracturés et dentitions détruites, mains et pieds arrachés…) ; • l’irruption de la gravité de ces blessures dans les médias (bon nombre de journalistes constatent cette gravité sur la base des violences dont ils sont, eux ou elles-mêmes, les victimes) ; • les acquis salariaux gagnés par les fonctionnaires de police (primes) sont bien supérieurs aux acquis des Gilets Jaunes ; ces primes apparaissent alors, pour beaucoup, comme le prix à payer d’un maintien de l’ordre musclé. À ce moment-là, passée la sidération, la police et la gendarmerie sont perçues comme le dernier rempart d’un pouvoir aux abois. Les Gilets Jaunes qui, parfois, pour certains, ont des liens amicaux et/ou familiaux avec certain-e-s policier-e-s, découvrent que la police ne sera jamais avec eux ou avec elles, que jamais les policier-e-s ne poseront leur bouclier ; même si, ici et là, on a vu que des rangs de CRS ont préféré s’ouvrir et laisser passer la foule. 67. La d ilu t ion d es Gilet s ja u n es d a n s l’a g en d a m éd ia t iq u e et p olit iq u e, op. cit. 128 D e q u elle violen ce est -il q u est ion ? Les études citées plus haut montrent sans ambigüité le rejet de la violence par les Gilets Jaunes et les comportements dans les manifestations observées à Toulouse confirment totalement l’étude du LERASS déjà citée. Nous avons montré dans le présent rapport en quoi consistaient les violences des Gilets Jaunes : • tout jet de projectile en direction des forces de l’ordre, aux alentours de 16h30 et de l’arrivée de l’hélicoptère, déclenche des tirs nourris de grenades lacrymogènes, dont l’objectif est d’annoncer la fin de la manifestation (la fin de la « récréation » disent certain-e-s) ; • les projectiles jetés sur les forces de l’ordre sont, pour l’essentiel, des projectiles trouvés sur le parcours de la manifestation (matériels de chantiers du bâtiment, poubelles et containers) ; • la grande majorité des manifestant-e-s reste sur place, n’obtempère pas à l'ordre de dispersion que constitue le 1er jet de grenades ; mais ceux qui restent ne participent pas pour autant aux lancers de projectiles ; les manifestant-e-s ne sont pas tous d’accord, et loin s’en faut, mais comprennent. Nous savons bien que quelques cocktails Molotov ont été lancés. Nous l’avons vu et décrit dans le présent rapport. Mais il n’y a jamais eu des centaines de casseurs dans les rues de Toulouse ; sinon le bilan humain et matériel serait autrement plus lourd. Samedi après samedi, manifestation après manifestation, nous constatons que la population continue à faire ses courses dans le centre-ville, continue à circuler entre manifestant-e-s et policiers, que les terrasses des cafés sont toujours bondées et vidées seulement par les gaz lacrymogènes, que certains badauds raffolent des selfies avec scènes croustillantes en arrièreplan… On peut trouver déplacé cette espèce de tourisme « gazeux » mais il confirme que, pour la population présente dans ces lieux-là et à ces moments-là, rien ne laisse supposer que des « hordes de casseurs » menacent la tranquillité des promeneurs. Les chiffres et analyses de la préfecture sur les centaines de casseurs qui écumeraient le centreville de Toulouse sont soit erronés, soit malveillants envers les Gilets Jaunes (voir notre tableau en fin de ce rapport). On se demande comment la préfecture peut faire état d’une telle quantité de casseurs et en même temps faire circuler des policier-e-s au milieu des manifestant-e-s, comment les policiers de la BAC peuvent venir faire du maintien de l’ordre en jeans et basket alors qu’ils répètent à qui veut l’entendre qu’ils sont victimes de toutes sortes de projectiles, dont de l’acide et des cocktails Molotov. La b ru t a lit é d e la p olice Depuis la « loi travail » de 2016, la police a franchi un seuil dans la violence. Les policiers ne sont pas seulement violents, ils sont brutaux : ils gazent à bout portant, ils visent la tête, ils frappent des manifestant-e-s par derrière, souvent aux articulations, ils frappent à terre, ils frappent des personnes menottées, ils empêchent très souvent les « street medics » de porter secours. C’est la brutalité de ceux et celles qui veulent revenir sur le droit de manifester. C’est la brutalité d’un pouvoir qui veut imposer sa politique par la matraque et la grenade. C’est la brutalité de ceux et celles qui se sont arrogés le droit de mutiler des citoyen-ne-s. Ce que les observateur-e-s de la Ligue des Droits de l’Homme, de la fondation Copernic et du Syndicat des Avocats de France relatent dans le présent rapport, mais aussi les nombreuses scènes de violence et de brutalité publiées sur les réseaux sociaux et qui ne souffrent aucune contestation dans leur existence (comme l’agression d’un couple âgé au début du mois de mars, le gazage en plein visage d’un homme handicapé sur un fauteuil roulant, qui font l’objet 129 de plaintes) montrent que la police est, c'est le moins que l’on puisse dire, loin d’être exemplaire dans son comportement ; et comment s’effectue le passage de la violence à la brutalité. Dans une démocratie, la police ne peut pas disposer d’une autonomie qui l’exonère de rendre des comptes, non seulement à sa hiérarchie mais aussi à la population et ses relais démocratiques (élus du peuple, syndicats, associations). En particulier sur les questions du maintien de l’ordre. À Toulouse, nous constatons que des groupes de policier-e-s en civil ou en uniforme bénéficient de parcelles d’autonomie qui doivent inquiéter tous ceux et celles qui estiment que la police, comme l’armée d’ailleurs, doivent faire l’objet de toute l’attention que mérite leur statut : celui de porter les armes. À laisser la police s’autonomiser du pouvoir, exercer sa violence sans retenue et sans déontologie, on court le risque de changer subrepticement de régime ; et de glisser vers des formes totalitaires de maintien de l’ordre. Maintien de l’ordre : la doctrine française qui se transforme ? Dans le cadre d’une société démocratique et d’un État de droit, la doctrine française du maintien de l’ordre concilie la liberté de manifester, qui est une garantie constitutionnelle, et le maintien de l’ordre. Elle traduit une volonté de pacifier les rapports entre les forces de l’ordre et les manifestant-e-s. Elle est définie dans le rapport du Défenseur Des Droits68 « com m e l’en sem b le d es op éra t ion s d e la p olice a d m in ist ra t ive et ju d icia ire m ises en œ u vre p a r d es forces d e sécu rit é à l’occa sion d ’a ct ion s org a n isées ou sp on t a n ées, h ost iles ou b ien veilla n t es, violen t es ou p a cifiq u es, à ca ra ct ère reven d ica t if ou fest if, se d érou la n t su r la voie p u b liq u e ou d a n s d es lieu x p u b lics. » Elle a été confiée au départ à deux unités spécialisées : les gendarmes mobiles créés en 1921 et renforcée en 1945 par les CRS. Ils bénéficient, nous l’avons vu plus haut, d’un enseignement spécialisé et respectent des principes d’intervention. Selon le rapport de l’ACAT, déjà cité par ailleurs, CRS et gendarmes utilisent des tactiques d'intervention majoritairement collectives pour éviter le corps à corps. Ils développent un répertoire d’actions visant, idéalement, à causer le moins de dommages physiques possibles : armes de mise à distance, moyens qui agressent les sens (notamment gaz lacrymogènes), et recherche d’intimidation par des manifestations symboliques de force empreintes de théâtralité. L’idée était aussi que leur intervention ne devait pas générer des désordres plus grands que ceux auxquels elle tentait de mettre fin. Il s'agit alors de « m on t rer sa force p ou r n e p a s a voir à l’exercer »69. Le Défenseur Des Droits ajoute : « C’est d a n s ce ca d re q u e les m a n ifest a n t -e-s son t a u t orisé-e-s à exp rim er leu r con t est a t ion , d a n s les lim it es d u resp ect d e l’ord re p u b lic ou d ’u n cert a in d ésord re, et q u e les forces d e l’ord re sp écia lisées son t form ées et en t ra in ées à su b ir d es p rovoca t ion s d es p a rt icip a n t -e-s a u x m a n ifest a t ion s »70. Il semblerait que cette approche a évolué depuis les années 2000 et vienne contredire l’idée d’une pacification croissante avec une réduction des violences. Depuis les manifestations dans les banlieues de 2005, celles du CPE, les manifestations contre la loi travail et l’occupation du site de Sivens, la doctrine du maintien de l’ordre a opéré un tournant majeur. Nous pouvons citer le développement des logiques d’interpellation avec l’apparition de la brigade anti criminalité (BAC - police pénale à la différence des CRS et EGM qui relèvent de la police 68. Rapport du Défenseur des droits sur « Le maintien de l’ordre au regard des règles de déontologie », décembre 2017 p.12. 69. ACAT, Pra t iq u es et con séq u en ces d u m a in t ien d e l’ord re en Fra n ce, Note d’analyse adressée au Défenseur des droits dans le cadre de sa mission d’enquête relative au maintien de l’ordre, juillet 2017. 70. Rapport Défenseur des droits, 2017, op cit.. 130 administrative) et des compagnies de sécurisation (CDI/CSI). Il est aussi à noter la transformation de l’armement ; en 2016, les policiers de la BAC sont équipés de LBD 40, « lanceurs de balles de défense ». C'est cette année-là également que l'on commence à parler de la nouvelle « doctrine policière » que dénonce depuis David Dufresne : « Tantôt membres d'une BAC, tantôt reliés à des "compagnies de sécurisation", ces agents sont chargés d'infiltrer les cortèges en loucedé, en quête de flagrants délits. Cette méthode remonte aux émeutes de 2005. À ce moment de mutation des doctrines policières, la police ne se contente plus d'encadrer : face à des dizaines de milliers de manifestants, à travers les débordements, elle interpelle. "La solution a été de mettre en place des dispositifs de policiers en civil, dont la culture est complètement différente de la culture des unités de maintien de l'ordre […] Ce sont des unités de BAC, des policiers judiciaires, dont l'objectif est de faire du chiffre : il faut qu'on arrête des délinquants."»71. Ce panorama ne serait pas complet si nous ne prenions pas en compte l’évolution des mouvements protestataires eux-mêmes. Dans les nouveaux mouvements sociaux qui émergent depuis une quinzaine d’années maintenant et dont celui des Gilets Jaunes est une expression particulière, les manifestant-e-s n’ont pas de rapport avec la police avant, pendant et après les manifestations, comme c’était le cas traditionnellement depuis des dizaines d’années. Fini le temps où les organisateur-e-s discutaient, de manière aimable ou bien tendue selon les situations, avec leurs interlocuteur-e-s de la préfecture ou de la police. Pas de porte-parole, pas de chefs, pas de représentant-e-s légaux (nous nous appelons tous et toutes « Camille » comme se plaisaient à dire les « zadistes » de Notre-Dame-de-Landes…). Et pour ce qui concerne les Gilets Jaunes, on peut aussi ajouter l’absence quasi totale de déclaration préalable, avec des parcours de manifestation improvisés au fur et à mesure du déroulement de celles-ci… Même pour les observateur-e-s, cette absence de lisibilité complique éminemment la tâche de ceux et celles qui veulent suivre le déroulement des manifestations, voire même la rejoindre en cours de déroulement… Cette situation est donc de nature à compliquer la tâche des autorités pour réguler les flux et les rendre compatibles avec la vie de la cité. Nous avons souvent eu l’impression (c’est un euphémisme), et ce malgré les importants moyens à leur disposition (réseaux de caméras, policier-e-s aux abords de la manifestation ou bien infiltré-e-s dans celleci, hélicoptère), que les forces de l’ordre étaient « larguées ». Cela se traduit par des mouvements incessants de véhicules aux abords immédiats des manifestations, souvent toutes sirènes hurlantes, qui contribuent à générer une ambiance sonore pesante. La présence menaçante (ou perçue comme telle) des policiers en moto banalisée (« les voltigeurs » comme les appellent les manifestant-e-s) avec, la plupart du temps, un LBD bien visible porté par le passager, et leur capacité récurrente à traverser, sous les quolibets, insultes et cris de colère, les cortèges à grande vitesse (sans que les manifestant-e-s ne cherchent d’ailleurs à les renverser…) ainsi que leur attitude non professionnelle dans leurs rapports avec les manifestant-e-s (attitudes souvent provocatrices) ne contribuent pas non plus à pacifier les rapports policier-e-s / manifestant-e-s. On constate cependant, depuis quelques petites semaines, à Toulouse, que les forces de l’ordre essaient de s’adapter à cette situation. On peut observer, par exemple, la présence de quelques policiers ou policières, des CDI (trois la plupart du temps), non équipé-e-s, qui ouvrent le parcours en marchant quelques dizaines de mètres devant les manifestant-e-s ; ceci d’ailleurs sans qu’ils et elles ne subissent la moindre agression… Le rôle de ce rapport n’étant pas de 131 donner des conseils à l’État en termes de maintien de l’ordre, nous ne formulerons pas de préconisations ; mais il semble urgent que les personnes en charge de la mise en œuvre opérationnelle du droit à manifester des citoyen-ne-s s’interrogent sur l’organisation et les moyens à mettre en œuvre pour (re)venir à des rapports « pacifiés » entre manifestant-e-s et forces de police et de gendarmerie ; ceci en tenant compte de la nouvelle donne découlant de ces nouveaux mouvements sociaux et de leurs pratiques. Nous assistons indéniablement, à Toulouse comme partout ailleurs, à une dégradation des relations entre les manifestant-e-s et les forces de l’ordre, avec une perte de légitimité de part et d’autre. Comment en sommes-nous venu-e-s à faire jouer à la police ce rôle de garante de l’ordre social au service d’un gouvernement plutôt que de l’ordre public ? Selon, Didier Fassin72, « La fon ct ion socia le d es BAC n 'est d on c p a s la lu t t e con t re l'in sécu rit é, m a is la con st it u t ion d 'u n ord re socia l d a n s leq u el ch a cu n d oit sa voir la p la ce q u i est la sien n e et a p p ren d re à la resp ect er, q u e ce soien t les jeu n es d es cit és, les m in orit és et h n iq u es…. », et nous pouvons peutêtre rajouter certain-e-s manifestant-e-s. L’évolution du maintien de l’ordre ne s‘est pas construite de manière linéaire et doit être pensée dans la durée. Pour Fabien Jobard73, depuis la Restauration jusqu’à la IIIe République : « S’il y a u n e leçon à ret en ir d e cet t e h ist oire d ’a va n t l’h ist oire d u m a in t ien d e l’ord re, c’est b ien celle d e son cou rs con t in g en t , d e ses ret ou rs su r elle-m êm e et d e son im p révisib ilit é fon d a m en t a le. Les a p p a riem en t s con cep t u els (in st it u t ion n a lisa t ion /p a cifica t ion , p rofession n a lisa t ion /con t en t ion , m ilit a risa t ion /rép ression ou les a n t in om ies (n ég ocia t ion /in jon ct ion ) son t a u jou rd ’h u i les ou t ils p a r lesq u els on p en se les évolu t ion s d e la g est ion p olicière d es p rot est a t ion s. S’ils on t p ou r a va n t a g e d ’ord on n er les sca n sion s d e l’h ist oire a u ssi b ien q u e ses césu res, ils m en a cen t t ou jou rs d e d on n er d e l’évolu t ion d e la violen ce d ’Et a t u n cou rs t rop lin éa ire, q u i t a it sou s l’ord re d u m ou vem en t g én éra l le d ésord re d es évèn em en t s sin g u liers q u i en form e p ou rt a n t la ch a ir. » L’analyse qui peut être faite de nos observations, comme celles des autres observatoires consultés (Bordeaux, Montpellier, Nantes…) est que les manifestations des Gilets Jaunes sont aujourd’hui l’occasion de modifier fondamentalement la doctrine française du maintien de l’ordre. La nouvelle loi anti-casseur venant de son côté institutionnaliser les dérives sécuritaires expérimentées depuis plusieurs années dans les quartiers, puis lors de mouvements sociaux, et systématisées avec une ampleur sans précédent depuis les manifestations de décembre. En créant la peur, peur de manifester, peur de protester, peur d’être blessé-e ou mutilé-e, le gouvernement participe à refonder une théorie du maintien de l’ordre qui constitue une nouvelle restriction de nos libertés démocratiques. Les dernières mesures, annoncées lors de la fin de rédaction de ce rapport (28 mars 2019) en sont d’autant plus inquiétantes. 132 Comme nous l’avons annoncé lors de la réunion publique du 7 janvier 2019, salle « Barcelone » à Toulouse, après un peu plus de 2 mois d’observation des manifestations des Gilets Jaunes, puis le 27 janvier, lors d’une conférence de presse, nous demandons l’interdiction définitive dans la dotation des policiers destinés à assurer le maintien de l’ordre des grenades GMD et GLIF4, ainsi que des LBD simples ou multi-coups. Nous sommes, en plus, littéralement, scandalisé-e-s (le mot n’est pas trop fort) par l’utilisation offensive qui est, quasi systématiquement, faite de ces armes dites de défense comme leur dénomination l’indique d’ailleurs (lanceurs de balles de défense, grenades manuelles de désencerclement). Celles-ci sont conçues pour aider les policiers et gendarmes à se sortir de situations délicates (encerclement par des manifestant-e-s hostiles, danger d’atteinte avéré, et non supposé, à leur intégrité physique). Elles ne devraient jamais être utilisées comme armes d’attaque. Nous exigeons que le respect de l’intégrité physique et psychique des citoyen-ne-s en manifestation soit au cœur de la formation et de l’action des forces de police. Nous demandons aussi, sur la base de deux années d’observation des pratiques des forces de police et de gendarmerie en manifestation à Toulouse, que les unités utilisées pour le maintien de l’ordre soient des unités formées et préparées spécifiquement à cette tâche. Nous demandons : • Le retrait de la police pénale, en particulier des Brigades Anti-Criminalité, des dispositifs destinés à encadrer les manifestations (leurs interventions sont totalement contreproductives en termes de pacification des rapports police/manifestant-e-s) ; cette demande se double d’une véritable interrogation sur le niveau de contrôle qu’exerce la hiérarchie policière sur ces groupes de policier-e-s74 qui nous semblent jouir d’une autonomie de comportement et d’action sans rapport avec les enjeux d’un maintien de l’ordre pacifié. De plus, l’image dégagée par ces unités (attitudes de « cow-boys », tenues vestimentaires « douteuses » — pourquoi les membres de ces unités ne seraient-ils pas dotés d’uniformes identifiables, légers et souples, en lieu et place des tenues faussement banalisées ?) contribue à générer des biais notables dans les rapports entre manifestant-e-s, mais aussi badauds et passant-e-s. Qui sont-ils ? Que font-ils ? Pourquoi sont-ils là ? A qui obéissentils ? Voilà les questions que peut se poser n’importe quel-le citoyen-ne qui croise ces unités de police déployées dans les rues de nos villes. • Qu’un audit indépendant soit réalisé sur la formation et le déploiement des Compagnies de Sécurisation / Compagnies Départementales d’Intervention dont nous avons maintes fois constaté (cf. présent rapport) le comportement souvent fébrile et le manque, corollaire, de sang-froid ; ceci dans des situations très souvent « banales » dans des manifestations de rue un peu « animées ». Une remise à plat profonde de la doctrine (pouvons-nous d’ailleurs encore parler de doctrine ?) du maintien de l’ordre en France doit être très rapidement initiée au risque, bien réel, de devoir un jour constater le passage à une autre nature de confrontation entre manifestant-e-s et forces de l’ordre. Que se passera-t-il quand nombre de manifestant-e-s ne supporteront plus les visages éborgnés ou fracassés, les membres arrachés, les os brisés, les ami-e-s ou camarades emprisonné-e-s dans le cadre de la politique judiciaire d’abattage issue des consignes du ministère de la Justice ? 74. À ce sujet, se reporter au rapport du Défenseur Des Droits de décembre 2016 – op. cit. 133 Nous ne pouvons clore ce rapport sans évoquer un document bien particulier ; il s’agit du « Code de déontologie de la Police nationale et de la Gendarmerie ». Plusieurs articles de ce code résonnent tout particulièrement à l’aune de ce que nous avons constaté tout au long de ces deux années d’observation des pratiques policières en manifestation. Nous citerons en premier l’article R. 434-14 – Relation avec la population : « Le p olicier ou le g en d a rm e est a u service d e la p op u la t ion . Sa rela t ion a vec elle est em p rein t e d e cou rt oisie et req u iert l’u sa g e d u vou voiem en t . Resp ect u eu x d e la d ig n it é d es p erson n es, il veille à se com p ort er en t ou t e circon st a n ce d ’u n e m a n ière exem p la ire, p rop re à in sp irer en ret ou r resp ect et con sid éra t ion . » Nous citerons en second l’article R. 434-18 – Emploi de la force : « Le p olicier ou le g en d a rm e em p loie la force d a n s le ca d re fixé p a r la loi, seu lem en t lorsq u e c’est n écessa ire, et d e fa çon p rop ort ion n ée a u b u t à a t t ein d re ou à la g ra vit é d e la m en a ce, selon le ca s. Il n e fa it u sa g e d es a rm es q u ’en ca s d ’a b solu e n écessit é et d a n s le ca d re d es d isp osit ion s lég isla t ives a p p lica b les à son p rop re st a t u t . » Face aux nombreuses critiques formulées, y compris par des représentants syndicaux de la police, nous citerons un extrait de l’article R. 434-24 – Défenseur Des Droits : « La Police n a t ion a le et la Gen d a rm erie n a t ion a le son t sou m ises a u con t rôle d u D éfen seu r D es D roit s, con form ém en t a u rôle q u e lu i con fère l’a rt icle 71-1d e la Con st it u t ion . » Nous terminerons enfin par un appel au sens civique des policiers, en rappelant les termes de l’article R.434-26 – Contrôle des pairs : « Les p oliciers et g en d a rm es d e t ou s g ra d es a u xq u els s’a p p liq u e le p résen t cod e en son t d ép osit a ires. Ils veillen t à t it re in d ivid u el et collect if à son resp ect . » 134 ANNEXES 135 An n ex e 1 : n os ch i f f r es LA MÉTHODE DE CALCUL La sociologie particulière des manifestations Gilets Jaunes explique en partie les modes de calcul des estimations du nombre de participants : départ assez tôt (14h10, avec horaire en général respecté), contrôles préventifs avant Jean Jaurès… Beaucoup de personnes rejoignent la manifestation après le départ, notamment pour éviter les saisines (non légales) du matériel préventif, dont les masques à gaz. Beaucoup de personnes partent vers 16 heures, avant les premiers jets massifs de gaz lacrymogènes et ses effets de suffocations depuis l’utilisation des CM6. Les 11 et 19 janvier nous avons remarqué que nos comptages de début de manifestation (vers 14h20-14h30), en comptant le nombre de rangs et le nombre approximatif de personnes par rang, correspondaient à la moitié de la fourchette (qu’on imagine basse) de la préfecture. Quand elle communiquait encore ses estimations. Nous avons repris cette méthode par la suite, en confrontant vers 15h30 nos estimations aux réalités des manifestations. Quant aux personnes au « look casseur » (visage masqué, sac à dos chargés, casques, masques à gaz et lunettes… ils sont souvent en tête et/ou derrière la ou les banderole(s) de tête (en général, ils déclarent assumer un rôle de défenseur de la manifestation), puis se retrouvent devant les policier-e-s après les premiers jets de gaz. COMMENTAIRES DE LA PRÉFECTURE DANS LES COMMUNIQUÉS [1] 5 ont été hospitalisés et sont ressortis après l'évaluation de leurs blessures. [2] Le nombre d'interpellations s'élève à 16 dont 4 suite au pillage de 2 magasins en centre-ville. [3] 1300 lycéens se sont mobilisés sur l’ensemble du département de la Haute-Garonne, concernant une vingtaine d’établissements scolaires, dont 650 sur la commune de Toulouse. [4] 39 personnes interpellées avec différentes armes (bombes artisanales, armes blanches, marteaux, gourdins, liquides inflammables...) dont 34 toujours en garde à vue pour participation à un attroupement avec armes. [5] 18 personnes interpellées avec différentes armes (dont une hache), pour des dégradations et/ou des violences à l’encontre des forces de l’ordre. [6] Le nombre de manifestants a rapidement baissé à 4600 lors des premiers incidents et dégradations. Il demeure actuellement quelques groupes épars en centre-ville (bilan à 19h15). [7] La préfecture a cessé de communiquer ses estimations dès le 26 janvier après une demande du Ministère de l’Intérieur (info la Dépêche). Un grand nombre de personnes a quitté les lieux lorsqu’ont éclaté les premiers incidents, à partir de 16h30. Il demeure actuellement quelques groupes épars en centre-ville (bilan 18h). [8] La dispersion s’est effectuée aux alentours de 17h30. [9] UR, pour blessé-e en « urgence relative ». 137 Dates Estimation lÜPP Estimation Préfecture Estimation casseu rs OPP Estimation casseurs Préfecture Estimation blessés Préfecture Police Estimation blessé- e-s Préfecture manifestant—e-s Estimation streets medias % de gilets jaunes Heure des premiers gaz massifs Interpellations [garde à vue] 01/12/18 acte 3 48111 9 1511 16 [2] 03/12/18 lycée ns 1300 131 7 +1 pompier 11 04/12/18 lycéens 500 4 20 08/12/18 acte 4 (climat) 28 12 14 1130 39 (34) [4] 15/12/18 acte 5 21 15h05 31 [26] 22/12/18 acte 6 2500 16h {181 151 29/12/1 8 acte 7 1 350 dont 650 profils violents 1511 21 05/01/19 acte 8 2 000 dont 800 casseurs 30/40 800 50 / 70% 16h 28 (20) 12/01/19 acte 9 6 000 début de nos comptages 6000 1000 casseurs 80 /100 1000 19 13 50% 161135 4? (4?) 19/01/19 acte 10 10 000 10 000 500 casseurs 50 500 50% 1'Ÿh35 60 (4e) 26/01/19 acte 11 10 000 Plrs milliers [T’] [8] 50/80 30% 16h31 31 {28} 02/02/19 a cte 12 8 000 /10 000 quelques milliers 30 4UR 84 161150 20 1171 9/02/19 acte 13 15 000 quelques milliers 50 {bcp de solitaires) 1UR 34 10/20% 17h05 17 (141 16/02/19 acte 14 8 000 quelques milliers 30/40 {bcp de jeunes) 2UF! 36 20 / 25% 16h15 19 (17) 26/02/19 acte 15 7 000 Baïsse sensible 100 35 50% 161155 5 (51 2/03/1 9 acte 16 '? 000/8 000 quelques milliers 100 /150 [bcp de trèsjeunes] 38 50% 1711 201201 09/03/19 6 000 30 20/30% 17h30 9 16/03/19 12 000 10/20 40% 161130 12 au 16/03/19 1'76 385 (292)