16189000087 jugement n°2 Tribunal de Grande Instance de Paris 17e chambre correctionnelle Jugement du : 17/09/2019 N° minute : 2 N° parquet : 16189000087 Plaidoiries le 21 mai 2019 Prononcé le 17 septembre 2019 COPIE DE TRAVAIL Jean-Claude VRAIN C/ Maxime SAADA / Donatien LEMAITRE /Frédéric CASTAING MOTIFS Faits et procédure Le 5 juillet 2016 Jean-Claude VRAIN, libraire et expert en livres anciens et manuscrits, déposait plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction de ce tribunal pour diffamation publique envers un particulier à raison de propos tenus par le journaliste Donatien LEMAITRE et par Frédéric CASTAING, Président de la Compagnie Nationale des Experts, interviewé par ce journaliste, dans un reportage intitulé « ARISTOPHIL, à la recherche de manuscrits perdus », diffusé pour la première fois le 25 avril 2016 sur Canal+, dans le cadre de l'émission « Spécial investigation ». Une information judiciaire était ouverte et les investigations menées sur commission rogatoire par la Brigade de Répression de la Délinquance à la Personne (BRDP) permettaient de confirmer la date de diffusion de ce reportage et d'identifier le directeur de la publication en la personne de Maxime SAADA, lequel reconnaissait sa qualité et était mis en examen le 3 juillet 2017 du chef de diffamation publique envers particulier, tandis que Donatien LEMAITRE et Frédéric CASTAING reconnaissaient être les auteurs des propos qui leur étaient attribués, au terme de leurs interrogatoires de première comparution et étaient mis en examen du chef de complicité de diffamation envers particulier, puis renvoyés devant ce tribunal à la suite d'une ordonnance de renvoi en date du 18 octobre 2017. Jean-Claude VRAIN exposait dans sa plainte qu'il était gravement mis en cause dans le reportage dont les passages le concernant sont poursuivis, dans le sillage de la mise en cause de la société ARISTOPHIL ayant pour objet et principale activité l'achat et la vente de manuscrits anciens et d'autographes, créée en 1990 par Gérard LHERITIER, lequel était mis en examen le 15 mars 2015 pour des faits qualifiés d'escroquerie en bande organisée, la société ARISTOPHIL ayant été placée en redressement puis en liquidation judiciaire, et JeanClaude VRAIN lui-même ayant été mis en examen du chef d'escroquerie en bande organisée. Il estimait que le reportage incriminé d'une durée de 56 minutes relatait sans aucune prudence le « scandale ARISTOPHIL » et sa prétendue implication dans cette affaire et reprochait aux propos tenus par Donatien LEMAITRE, à l'exception des propos identifiés comme tenus par Frédéric CASTAING, de porter atteinte à son honneur et à sa considération et d'être diffamatoires en lui imputant de ne pas avoir respecté les bonnes pratiques des experts de l'art, à commencer par l'indépendance en effectuant des expertises de complaisance surévaluant les œuvres et contribuant de la sorte à flouer les épargnants dont les investissements étaient adossés à ces œuvres, à des fins personnelles, imputation que venait appuyer son confrère l'expert Frédéric CASTAING, le journaliste exposant que la contrepartie de sa complaisance d'expert résiderait dans l'achat massif de livres vendus par Jean-Claude VRAIN à la société ARISTOPHIL. Jean-Claude VRAIN considérait que les propos incriminés avaient été tenus de mauvaise foi, le journaliste n'ayant fait que reprendre sans prudence, de manière univoque et sans la moindre investigation personnelle et réelle les éléments partiels de l'enquête, sans véritable contradictoire, sur la base des déclarations d'un expert, Frédéric CASTAING, dont l'animosité personnelle envers la société ARISTOPHIL était notoire. A l'audience, le conseil de la partie civile développait ses conclusions par lesquelles JeanClaude VRAIN maintenait les termes de sa plainte et sollicitait la condamnation solidaire des prévenus à lui verser la somme de 30 000 euros de dommages-intérêts ainsi que la somme de 8000 euros sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale. Il faisait valoir que la preuve de la vérité des accusations diffamatoires portées à son encontre n'était pas rapportée par les offres de preuve de Donatien LEMAITRE et de Maxime SAADA. Il soulignait que les faits dont les prévenus entendaient rapporter la preuve faisaient l'objet d'une information judiciaire et que les seules pièces communiquées étaient les procès-verbaux de police et non, à l'exception de la mise en examen de Jean-Claude VRAIN, des pièces d'un juge d'instruction instruisant à charge et à décharge, qu'il restait présumé innocent. Il se prévalait de la mauvaise foi des prévenus, au vu d'une base factuelle lacunaire, auxquels il reprochait de ne pas faire la distinction entre la « valeur d'assurance », à laquelle étaient fixées les estimations de l'expert, et la valeur vénale, « réelle » ou « commerciale » des manuscrits, de surestimer le nombre d'expertises réalisées et le rôle des ventes à ARISTOPHIL dans le chiffre d'affaires de la librairie VRAIN, ses estimations n'ayant en tout état de cause pas servi à la vente à des souscripteurs, étant postérieures aux ventes, comme de présenter les faits de manière orientée sur la base des seuls procès-verbaux de police et de l'interview d'un expert concurrent lui vouant une animosité personnelle, sans aucune prudence ni respect du contradictoire, la fausse tentative à cet égard ne devant pas faire illusion, quel que soit l'intérêt général s'attachant à l'évocation d'une affaire judiciaire ayant connu un retentissement médiatique. La représentante du ministère public estimait que jusqu'à la minute 10'02'', les propos constituaient des éléments de contexte, des généralités et ne contenaient aucun fait précis de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de Jean-Claude VRAIN ; qu'à partir de la minute 10'24'' les propos poursuivis présentaient bien un caractère diffamatoire, Donatien LEMAITRE et Maxime SAADA s'étant rendus coupables des faits qui leur étaient reprochés ; que les propos de Frédéric CASTAING, expert réagissant spontanément à partir de documents qu'on lui montrait, étaient constitutifs d'un jugement de valeur et non d'une diffamation. Elle s'en remettait à la sagesse du tribunal concernant l'offre de preuve et l'exception soulevée de la bonne foi. Le conseil de Donatien LEMAITRE et Maxime SAADA plaidait leur relaxe conformément aux conclusions déposées au motif de l'absence de caractère diffamatoire des propos, et à titre subsidiaire, de ce qu'ils rapportaient la preuve des faits allégués, encore plus subsidiairement de ce que le bénéfice de la bonne foi devait leur être accordé, par application de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, au vu de l'intérêt général du sujet et de la base factuelle dont ils disposaient comme par application du régime de l'interview s'agissant des propos tenus par une personne dont ils n'avaient pas déformé les propos, eu égard également à l'absence d'animosité personnelle envers la partie civile, aux tentatives du journaliste pour que le contradictoire s'exerce, à la prudence dont il avait fait preuve dans l'expression. Il sollicitait le débouté de Jean-Claude VRAIN de ses demandes. Le conseil de Frédéric CASTAING sollicitait également sa relaxe et le débouté des demandes formulées à son encontre par Jean-Claude VRAIN, au vu de l'absence de caractère diffamatoire des propos qui étaient prêtés, subsidiairement au vu de la preuve de la vérité qu'il estimait rapporter au terme de son offre de preuve conformément aux articles 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881, très subsidiairement au bénéfice de la bonne foi, faisant valoir à ce titre qu'il justifiait dans le cadre d'un débat d'intérêt général d'une base factuelle suffisante consistant en des éléments qui lui étaient présentés pour la première fois, sur lesquels il lui était demandé de réagir instantanément et sans qu'il ait pu avoir connaissance d'échanges qui auraient eu lieu en amont entre Jean-Claude VRAIN et Gérard LHERITIER. Il contestait toute animosité personnelle envers Jean-Claude VRAIN et estimait que son propos n'avait pas dépassé les limites admissibles de la liberté d'expression. Sur le caractère diffamatoire des propos: L’article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme “toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé” ; il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure -caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait”- et, d’autre part, de l’expression d’une opinion ou d’un jugement de valeur, autorisée par le libre droit de critique, celui-ci ne cessant que devant des attaques personnelles. L'honneur et la considération de la personne ne doivent pas s'apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l'allégation litigieuse, que le fait soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises. La diffamation, qui peut se présenter sous forme d'allusion ou d'insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant le contenu même des propos que du contexte dans lesquels ils s'inscrivent. Étant préalablement rappelé que : – les propos poursuivis s'insèrent dans un reportage de 56 minutes consacré au « scandale ARISTOPHIL » lequel, s'il cherche à donner la parole à Jean-Claude VRAIN, qui apparaît dans le reportage, refusant de répondre au journaliste et s'il la donne à Frédéric CASTAING interrogé par Donatien LEMAÎTRE, journaliste d'investigations non spécialisé dans le domaine de l'art, est centré sur la personne de Gérard LHERITIER, fondateur de la société ARISTOPHIL ; – ce reportage met en perspective ce qui est présenté comme un « naufrage retentissant », « une escroquerie de grande ampleur », sur laquelle la justice enquête, reposant sur « la vente de manuscrits à une valeur déconnectée de la réalité », à partir de laquelle des épargnants vont investir (850 millions d'euros d'investissements) sur la base d'évaluations effectuées par de grands libraires jusqu'à l'éclatement de la bulle spéculative, en contrepartie de « rendements mirifiques » de 8% l'an, d'une part, avec le passé qualifié de « sulfureux » de Gérard LHERITIER, d'autre part avec la complaisance, la naïveté ou l'aveuglement, l'emballement ou le « laxisme » du Tout-Paris, de personnalités du monde des médias, du spectacle et de la politique ainsi qu'avec le traitement dont il paraîtrait avoir bénéficié de la part d'institutions telles que l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) ou le service de lutte contre le blanchiment de la Société Générale, au sein desquelles des alertes avaient sonné, allant de la part de l'AMF d'un communiqué en 2003 soulignant que l'appel public à l'épargne réalisé par la société ARISTOPHIL n'avait pas été autorisé, déclenchant une action en justice ayant abouti à sa relaxe en 2006 jusqu'à un signalement en décembre 2012 n'ayant pas prospéré pour des raisons laissées ouvertes ; – il était en particulier rappelé au titre du passé de Gérard LHERITIER qu'il avait mis en place à Nice un système de placement financier dans les timbres de Monaco qui n'était pas sans rappeler le modèle qui lui est reproché actuellement par la justice pénale jusqu'au logo présentant des similitudes avec celui de la société ARISTOPHIL, fondé sur une surcotation des timbres et des plus-values réalisées sur la base d'évaluations d'experts, les épargnants étant assurés que les prix ne retomberaient pas jusqu'à la faillite de la société d'investissement philatélique et sa mise en examen en 1996 suivie de la déclaration de culpabilité de Gérard LHERITIER pour démarchage en 2007 et sa relaxe du chef d'escroquerie, alors qu'il était devenu le patron d'ARISTOPHIL ; son ancien collaborateur, interviewé à ce sujet, JeanClaude SIMOE, évoque à ce propos des « cotes déconnectées du marché réel » ; – la société ARISTOPHIL s'est développée à compter de 2002 sur la base d'un modèle consistant à acquérir des œuvres originales d'auteurs célèbres, puis à les revendre soit à un acheteur unique, soit à plusieurs acheteurs regroupés en indivision, la vente portant alors sur des parts d'indivision et sa renommée s'étant accrue en 2004 avec la création du Musée des Lettres et Manuscrits, situé boulevard Saint-Germain à Paris où se trouvait exposé le stock; – le système mis en place par Gérard LHERITIER est évoqué comme pouvant s'apparenter à un système de cavalerie de type « Pyramide de Ponzi », consistant à financer les intérêts versés aux investisseurs souhaitant récupérer leur mise avec l'argent de nouveaux entrants attirés par les mêmes taux attractifs, avec cette particularité soulignée par le témoin Gilles DUTEIL, Directeur du Groupe de Recherche Européen sur la Délinquance Financière et organisée (DELFICO), lequel avait saisi l'AMF en raison du rendement anormal, consulté par Donatien LEMAÎTRE au moment du montage, que le mécanisme n'était pas seulement fondé sur de nouveaux venus mais également sur une spéculation financière du marché de l'art pariant sur le fait que l'écrit se raréfiant, le cours des écrits ne cesserait de monter, un intervenant dans le reportage considérant qu'il ne pouvait être vraiment qualifié de « Pyramide de Ponzi », dès lors qu'il était basé ainsi sur un patrimoine réel ; – Jean-Claude VRAIN, libraire spécialisé dans les livres anciens et les manuscrits s'étant constitué au fil de ses trente années de métier, une clientèle française et étrangère comptant des milliers de clients parmi lesquels non seulement des particuliers mais également des marchands, des musées, des institutions publiques, des entreprises, jusqu'à être devenu une figure incontournable du marché des livres anciens et des manuscrits, par ailleurs régulièrement missionné par de grandes maisons de vente ou institutions publiques pour estimer ou authentifier des manuscrits précieux, a commencé à compter Gérard LHERTIER parmi la clientèle de sa librairie à compter de fin 2009 et a effectué pour son compte entre 2012 et 2014 dix neuf estimations, dont 14 qu'il indique avoir été destinées aux assurances de la société ARISTOPHIL à la suite d'une inondation des berges de la rive gauche de Paris, admettant avoir perçu des commissions en qualité d'apporteur d'affaires, à deux reprises seulement ; – c'est à raison de questionnements sur la « valeur déconnectée de la réalité » des estimations de manuscrits qu'était entendu dans le reportage Frédéric CASTAING, auquel il était demandé de commenter les courriels qui lui étaient soumis par le journaliste échangés entre l'assistante de Gérard LHERITIER et Jean-Claude VRAIN ; – il ressort des débats et des explications non contredites de Frédéric CASTAING, président de la Compagnie Nationale des Experts ( l'une des trois principales compagnies d'expert) et organisateur des assises nationales de l'expertise, de celles de Jean-Claude VRAIN, expert luimême, que le titre d'expert en art n'est pas protégé par la loi et résulte essentiellement d'une forme de cooptation par les pairs sur la base d'un certain nombre d'exigences, notamment d'ancienneté et d'expérience au regard en particulier de ventes publiques et de l'établissement de catalogues ; que l'expertise d'une œuvre d'art, et particulièrement d'un manuscrit, qu'il s'agisse de son authentification ou de son estimation, repose sur des critères difficiles à cerner, ( le témoin M. Oyens de Marez, expert durant 53 ans à Amsterdam, New-York, Paris, Londres, ayant dirigé le département des livres et photographies chez Christie's pendant dix ans, faisant état d'« incertitude et de subjectivité des valeurs », lesquelles ne se déterminent qu'à un « instant T » ), impliquant à tout le moins une vérification de la provenance et des revendications éventuelles et parmi lesquels également s'agissant d'évaluer sa valeur commerciale, l'offre et la demande, la spéculation sur la raréfaction, la nature de l'œuvre, et la personne de son auteur, le prix de documents comparables, l'importance objective du fond mais également la subjectivité de l'expert, une estimation étant par essence aléatoire ; – l'estimation en « valeur d'assurance », que Frédéric CASTAING considère comme source de toutes les dérives, y introduisait selon Jean-Claude VRAIN une « valeur de remplacement », confirmée par le témoin M. Oyens de Marez, ainsi que par de multiples attestations versées aux débats, tenant compte du caractère unique ou original du bien, c'est à dire de son caractère précisément irremplaçable à l'identique et de l'affect de son acquéreur pouvant conduire à multiplier par deux ou trois la valeur commerciale ou vénale du bien ; qu'il existe bien un code de déontologie en la matière commun aux diverses compagnies d'expert (pièce n°4 de Frédéric CASTAING faisant du reste état d'une distinction entre valeur de négociation et valeur de remplacement ( page 5) ; – il ressort également des débats et particulièrement du témoignage de Serge PLANTUREUX, mathématicien de formation ayant développé une activité de libraire de livres rares, spécialisé dans l'histoire de la photographie, que le monde des libraires a été impacté par la financiarisation de l'époque et que sous l'effet d'un désir mimétique envers l'art contemporain, les estimations se sont mises à augmenter ; que dans ce cadre la société ARISTOPHIL a conféré une forme d'énergie au secteur de la librairie sur la place de Paris, alors que beaucoup de librairies fermaient dans le monde ; – le tribunal n'a à connaître que des propos poursuivis au titre de la diffamation publique, sans que sa décision ne préjuge de l'existence ou non d'une infraction telle que soumise à la juridiction pénale , dans ce contexte singulier et complexe, dans le cadre duquel Jean-Claude VRAIN soutient qu'il n'est pas établi qu'un seul des souscripteurs se soit déterminé sur la base de l'une de ses estimations et que si Gérard LHERITIER les a utilisées pour convaincre des souscripteurs, ce serait à son insu . – Sur ce, S'agissant des propos par lesquels s'exprime Frédéric CASTAING : Il ressort des propos poursuivis tenus par Frédéric CASTAING interviewé par le journaliste Donatien LEMAITRE et publiés sous la responsabilité du directeur de publication Maxime SAADA, qu'ils imputent, dans le contexte dans lequel ils interviennent, à Jean-Claude VRAIN, identifiable par la mention dans les propos poursuivis qui les précèdent, non attribués à Frédéric CASTAING, selon laquelle « Comment faisait ARISTOPHIL pour justifier ces prix ? Pour sa défense, l'entreprise affirme qu'elle s'appuyait sur des experts indépendants de livres anciens, notamment Jean-Claude VRAIN », ainsi nommément mis en cause en sa qualité d'expert, d'avoir enfreint les règles de son art, « les bonnes pratiques des experts de l'art » en délivrant des « estimations », comme énoncé dans les propos qui précèdent, représentant « LA NÉGATION MÊME DU MÉTIER D'EXPERT». C'est ce qui résulte de l'avis par lequel Frédéric CASTAING confirme, lorsqu'il est interrogé sur l'échange de courriels le 6 décembre 2012 entre l'assistante de Gérard LHERITIER et Jean-Claude VRAIN relatif à l'expertise du manuscrit d'Helen CHURCHILL CANDEE pour un montant d'1 100 000 euros: « BON JE CROIS QU'IL SUFFIT SIMPLEMENT DE VOIR LE MESSAGE QUI DEMANDE UNE EXPERTISE. IL EST DATÉ DU 6 DÉCEMBRE, ET LA RÉPONSE EST DATÉE DU 6 DÉCEMBRE. AUTREMENT DIT, ÇA A ÉTÉ FAIT IMMÉDIATEMENT À PARTIR D'UN RAPIDE DESCRIPTIF. C'EST-À DIRE SANS AVOIR VU L'ORIGINAL. OR, ON NE DONNE JAMAIS UNE EXPERTISE SANS AVOIR VU L'OBJET. VALEUR 1.100.000 Euros. ET L'AUTRE RÉPOND 1.100.000 Euros. DONC c'EST BON EUH... ABSURDE...C'EST LA NÉGATION MÊME DU MÉTIER D'EXPERT», La portée de ce propos étant accentuée par le fait qu'il émane du «PRÉSIDENT DE LA COMPAGNIE NATIONALE DES EXPERTS » et prend place après le propos suivant : «JE VOUS MONTRE UN DOCUMENT. RETOUR CHEZ FRÉDÉRIC CASTAING, LE PRÉSIDENT DE LA COMPAGNIE NATIONALE DES EXPERTS. QUAND IL DÉCOUVRE LES ÉCHANGES DE MAILS ENTRE ARISTOPHIL ET JEAN-CLAUDE VRAIN , IL TOMBE DES NUES» . Ce grief, reposant sur le fait d'avoir donné une réponse estimative qui se contente d'entériner ce qui est demandé et d'avoir ainsi délivré une expertise de complaisance, sans examen de l'original, impute bien à l'expert un fait précis, susceptible d'un débat sur la preuve de sa vérité, relatif aux conditions dans lesquelles il a estimé un manuscrit particulier, au mépris des règles déontologiques les plus élémentaires de sa profession, et présenté comme tel, et non un simple jugement de valeur, contrairement à ce que soutient LE Prévenu, dès lors de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération d'homme de l'art qu'est LA PARTIE CIVILE, en contravention avec les règles morales communément admises et avec la probité d'un expert dont on peut attendre qu'il évalue un objet qu'il a examiné en prenant le temps de certaines vérifications permettant de l'estimer et de l'authentifier en connaissance de cause, sans que cette estimation ne lui soit dictée ou suggérée par quiconque. Ces propos présentent ainsi un caractère diffamatoire. S'agissant des propos par lesquels s'exprime Donatien LEMAITRE Il ressort des autres propos poursuivis, globalement analysés, au vu du contexte du reportage dans lequel ils s'insèrent, qu'il est imputé à Jean-Claude VRAIN, mis en cause en sa qualité d'expert et de libraire, par le journaliste Donatien LEMAITRE, et publiés sous la responsabilité du directeur de la publication Maxime SAADA : – une participation à des faits d'escroquerie en bande organisée, pour lesquels Jean-Claude VRAIN a été « mis en examen », « après la faillite d'Aristophil », comme précisé à la fin des propos poursuivis, selon les moyens évoqués dans le passage pour lesquels les prévenus sont renvoyés, insinuant ainsi, au-delà du simple rappel objectif de cette réalité procédurale, qu'il existerait des soupçons fondés de la commission de cette infraction, le « système ARISTOPHIL », « l'un des plus grands scandales du marché de l'art depuis des années », qui aurait « consisté à revendre ces manuscrits à un prix beaucoup plus élevé que leur vraie valeur », s'étant « appuyé sur des experts indépendants de livres anciens, notamment JeanClaude VRAIN ...ce dernier lui ayant prêté sa crédibilité : « référence dans le milieu de la bibliophilie...ses estimations étaient un gage de sérieux », et l'entreprise ayant mis « le libraire très en avant », en lui demandant « fréquemment d'estimer le prix de ses manuscrits sur sa chaine Youtube », « selon l'enquête judiciaire, Jean-Claude VRAIN a expertisé plusieurs centaines de manuscrits d'ARISTOPHIL », ces estimations n'étant « faites en toute indépendance » qu' « en théorie », puisque « dans la réalité, le libraire ne semblait pas respecter les bonnes pratiques des experts de l'art », comme en atteste l'exemple de l'expertise du manuscrit d'Helen CHURCHILL CANDEE pour un montant d'1 100 000 euros, à partir de la confrontation des courriels échangés le 6 décembre 2012 entre l'assistante de Gérard LHERITIER et Jean-Claude VRAIN. Il aurait bénéficié d'autre part de ce que « la société ARISTOPHIL ne demandait pas que des estimations de prix à Jean-Claude VRAIN. A partir de 2009, elle achetait aussi au libraire des manuscrits, jusqu'à devenir son meilleur client », « résultat : le chiffre d'affaires de JeanClaude VRAIN atteint un record en 2011, 23 millions d'euros. Énorme pour une si petite librairie », cette participation à l'infraction d'escroquerie en bande organisée au terme d'un supposé échange de bons procédés constituant un fait précis portant atteinte à l'honneur et à la considération de Jean-Claude VRAIN ; – d'avoir enfreint les règles de son art, « les bonnes pratiques des experts de l'art », tel qu'illustré de l'exemple singulier de l'estimation du manuscrit d'Helen CHURCHILL CANDEE : « J'AI MIS LA MAIN SUR DES ÉCHANGES D'E-MAILS QUI ATTESTENT QUE, DANS DE NOMBREUX CAS, C'ÉTAIT EN FAIT LE PATRON D'ARISTOPHIL, GÉRARD LHÉRITIER, QUI SUGGÉRAIT À JEAN-CLAUDE VRAIN LES PRIX AUXQUELS IL VOULAIT FAIRE ESTIMER SES MANUSCRITS. » «EXEMPLE: LE 6 DÉCEMBRE 2012, EN FIN D'APRÈS-MIDI, L'ASSISTANTE DE GÉRARD LHÉRITIER, ÉCRIT À JEAN-CLAUDE VRAIN : «BONJOUR MONSIEUR VRAIN, À LA DEMANDE DE M LHÉRITIER, JE ME PERMETS DE VOUS DEMANDER UNE FICHE D'EXPERTISE POUR LE MANUSCRIT DE HELEN CHURCHILL CANDEE, AU SUJET DU NAUFRAGE DU TITANIC (VALEUR: 1 100 000 EUROS). C'EST ASSEZ URGENT. » «LE SOIR MÊME, JEAN-CLAUDE VRAIN ADRESSE SON EXPERTISE DE VALEUR» « JE SOUSSIGNÉ, JCV, LIBRAIRE À PARIS, ... DÉCLARE AVOIR EXPERTISÉ CE JOUR LE MANUSCRIT D’HELEN CHURCHILL CANDEE, relatif au NAUFRAGE DU TITANIC POUR UNE VALEUR D'ASSURANCE DE 1.100.000 € (UN MILLION CENT MILLE EUROS). CERTIFIÉ SINCÈRE ET VÉRITABLE.» «JE VOUS MONTRE UN DOCUMENT. RETOUR CHEZ FRÉDÉRIC CASTAING, LE PRÉSIDENT DE LA COMPAGNIE NATIONALE DES EXPERTS. QUAND IL DÉCOUVRE LES ÉCHANGES DE MAILS ENTRE ARISTOPHIL ET JEAN-CLAUDE VRAIN , IL TOMBE DES NUES». Cette imputation est relative à un fait précis susceptible d'un débat sur la preuve de sa vérité, portant atteinte à l'honneur et à la considération de Jean-Claude VRAIN en sa qualité d'expert dont le respect des règles déontologiques de sa profession et la probité sont mises en cause, au vu notamment du très court délai entre la demande d'expertise faite dans l'urgence comportant l'indication d'un montant élevé et l'estimation correspondante. Cette mise en cause de l'indépendance de l'expert était soulignée par l'emploi d'une formulation opposant « théorie » et « réalité », précisant « en fait », « En théorie, les estimations de Jean-Claude VRAIN étaient donc faites en toute indépendance. Mais dans la réalité, le libraire ne semblait pas respecter les bonnes pratiques des experts de l'art », par le rapprochement entre la demande faite « le 6 décembre 2012, en fin d'après-midi... » et le fait que « le soir même, Jean-Claude VRAIN adresse son expertise de valeur », par la mention surtout selon laquelle : « Dans de nombreux cas, c'était en fait le patron d'ARISTOPHIL, Gérard LHERITIER, qui suggérait à Jean-Claude VRAIN les prix auxquels il voulait faire estimer ses manuscrits ». Les propos imputant à la partie civile des faits d'escroquerie en bande organisée par le moyen d'expertises de complaisance et de méconnaissance par l'expert des règles de l'art et de sa déontologie sont dès lors diffamatoires. Sur les offres de preuve L’article 55 de la loi du 29 juillet 1881 dispose notamment que, quand le prévenu voudra être admis à prouver la vérité des faits diffamatoires, il devra, dans le délai de dix jours après la signification de la citation, faire signifier au ministère public ou au plaignant au domicile par lui élu, suivant qu’il est assigné à la requête de l’un ou de l’autre, les faits articulés et qualifiés dans la citation, desquels il entend prouver la vérité, la copie des pièces, les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire la preuve. Cette signification contiendra élection de domicile près le tribunal correctionnel, le tout à peine d’être déchu du droit de faire la preuve. En outre, pour produire l’effet absolutoire prévu par l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881, la preuve de la vérité des faits diffamatoires doit être parfaite, complète et corrélative aux imputations dans toute leur portée et leur signification diffamatoire. Aucune décision définitive n'étant à ce stade intervenue d'ordre déontologique ou judiciaire à l'encontre de Jean-Claude VRAIN et les faits qui lui sont reprochés à travers les propos poursuivis étant soumis à l'instruction dans le cadre de sa mise en examen du chef notamment d'escroquerie en bande organisée, aucune preuve parfaite ni corrélative aux imputations dans toute leur portée et signification diffamatoire ne se trouve rapportée par les prévenus. Les exceptions de vérité soulevées par les prévenus seront en conséquence rejetées. Sur la bonne foi Les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos. Ces critères s’apprécient différemment selon le genre de l’écrit en cause et la qualité de la personne qui s’y exprime et, notamment, avec une moindre rigueur lorsque l’auteur des propos diffamatoires n’est pas un journaliste qui fait profession d’informer, mais une personne elle-même impliquée dans les faits dont elle témoigne. Ces critères s'apprécient également à la lumière des notions "d'intérêt général" s'attachant au sujet de l'information, susceptible de légitimer les propos au regard de la proportionnalité et de la nécessité que doit revêtir toute restriction à la liberté d'expression en application de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de "base factuelle" suffisante à établir la bonne foi de leur auteur, supposant que l'auteur des propos incriminés détienne au moment de les proférer des éléments suffisamment sérieux pour croire en la vérité de ses allégations et pour engager l'honneur ou la réputation d'autrui et que les propos n’aient pas dégénéré en des attaques personnelles excédant les limites de la liberté d’expression, la prudence dans l'expression étant estimée à l'aune de la consistance de cette base factuelle, et de l'intensité de l'intérêt général. La partie civile n'établit pas en l'espèce d’animosité personnelle des prévenus à son égard, celle-ci s'entendant en matière de presse d’un mobile dissimulé au lecteur et de considérations extérieures au sujet traité, autant d’éléments qui ne sont pas réunis dans la présente procédure quoique des différends aient pu opposer Gérard LHERITIER et Frédéric CASTAING, et que ce dernier ait publiquement critiqué le principe consistant à faire de manuscrits un produit financier, la qualité de concurrents de Frédéric CASTAING et de Jean-Claude VRAIN, au demeurant nullement dissimulée, ne permettant pas de déduire une telle animosité envers Jean-Claude VRAIN, pas même cité par Frédéric CASTAING, aucune animosité personnelle n'étant davantage établie, ni même invoquée de la part de Donatien LEMAITRE et de Maxime SAADA. Le contradictoire ne s'imposait pas à Frédéric CASTAING, non plus qu'une enquête sérieuse, dans la mesure où il était interviewé en direct et devait répondre au journaliste dans l'immédiat en réagissant spontanément à partir de documents qui lui étaient présentés pour la première fois. Le journaliste Donatien LEMAÎTRE a quant à lui cherché à plusieurs reprises, vainement, comme il ressort du reportage même, et d'un courriel (pièce n°23) à mettre en œuvre le principe du contradictoire en essayant de s'entretenir avec Jean-Claude VRAIN, lequel le renvoyait vers la police. Les propos poursuivis s'inscrivent dans le cadre d'un sujet d'intérêt général relatif au rôle d'un expert en manuscrits réputé dans le processus d'une possible escroquerie en bande organisée soumise à la juridiction pénale à la suite de la déconfiture de la société ARISTOPHIL, fortement médiatisée, comme l'avait été la société elle-même, et de la mise en examen de son dirigeant Gérard LHERITIER ainsi que de Jean-Claude VRAIN, dans le cadre d'un scandale financier au préjudice d'épargnants s'étant engagés, apparemment sur la foi de la valeur de manuscrits, l'intérêt général de ce sujet tenant également à la protection de l'épargne publique et au fonctionnement du marché de l'art. S'agissant de la base factuelle dont disposait Frédéric CASTAING, il s'agit tout d'abord des courriels échangés le 6 décembre 2012, (pièce n°1 de l'offre de preuve de Frédéric CASTAING) au vu desquels il pouvait légitimement marquer son étonnement concernant le rapprochement dans le temps d'une demande d'expertise à 16H20 comportant un montant et de la réponse quasi immédiate à 18H46 faisant une estimation à hauteur de ce même montant dont il déduisait « ça a été fait immédiatement à partir d'un rapide descriptif. C'est à dire sans avoir vu l'original. Or, on de donne jamais une expertise sans avoir vu l'objet...c'est la négation même du métier d'expert ». Il ne pouvait connaître les objections de Jean-Claude VRAIN telles que ce dernier les fait valoir dans le cadre de la présente procédure, alors qu'il lui avait pourtant été donné l'occasion de les exprimer, sur des échanges qui auraient eu lieu avec Gérard LHERITIER en amont de ces courriels, lesquels ne ressortent d'aucun élément de la procédure, sur une connaissance préalable de l'objet, laquelle, en toute hypothèse, d'après ses propres dires, remontait à deux mois, (voir pièce n°3-1 2193/29). Frédéric CASTAING pouvait dès lors légitimement s'interroger sur les conditions de réalisation de l'expertise de ce manuscrit, comportant quarante feuillets, (comme l'a également souligné le témoin Jean-Michel RENARD, expert à la Chambre Nationale des Experts spécialisés en objets d'art et de collections, à la Confédération Européenne des experts d'arts). Il ne peut lui être reproché de ne pas s'être attardé sur la distinction entre valeur d'assurance et valeur réelle, sans mentionner lui-même une « valeur d'assurance de 1 100 000 euros », la précision, laquelle ne figurait pas davantage dans la demande d'expertise, ne changeant rien au fait que le montant coïncidait dans la demande et dans la réponse, ni à l'immédiateté de cette réponse sur la base d'un descriptif de sept lignes et ne modifiant pas la manière dont les propos étaient susceptibles d'être reçus par le spectateur moyen (dès lors non initié relativement à la différence subtile entre valeur réelle, vénale ou commerciale d'une œuvre d'art et « valeur de remplacement » d'une œuvre originale par hypothèse irremplaçable à l'identique qualifiée de « valeur d'assurance », comportant une dimension affective et subjective, cette valeur pouvant selon plusieurs attestations versées aux débats d'acteurs du monde de l'art, et témoignages, constituer un multiple de la valeur de négociation de l'œuvre).Cette circonstance n'était au demeurant pas de nature à changer le sens ou la portée du propos de Frédéric CASTAING, lequel ne critiquait pas le montant de l'évaluation mais les conditions dans lesquelles elle avait été effectuée . Frédéric CASTAING justifie en outre de l'existence d'une charte de déontologie de la librairie ancienne (sa pièce n°2), d' « us et coutumes » de l'antiquaire (sa pièce n°3), d'un code de déontologie de l'expert d'art de la Confédération Européenne des Experts d'Art (CEDEA) (sa pièce n°4) prévoyant notamment que « l'expert doit exercer sa fonction avec honnêteté, probité et équité, en toute indépendance de jugement vis-à-vis des personnes physiques et morales avec lesquelles il est en rapport professionnel » et qu'il s'interdit d'accepter une mission dans le cas où « il aurait un conflit d'intérêt... des intérêts personnels ou patrimoniaux..., de recevoir toute ristourne ou commission en dehors du mode de paiement en usage dans la profession, de rédiger des documents d'expertise de complaisance », autrement que « dans des conditions techniques et matérielles lui permettant d'assumer pleinement son rôle », d'obligations de l'expert généraliste (sa pièce n°5 : Dalloz action-Droit du marché de l'art 2016/2017), parmi lesquelles la « vérification de l'état de conservation des œuvres qu'il expertise » (page 4). Dans ces conditions Frédéric CASTAING n'a pas excédé les limites admissibles de la liberté d'expression et ne peut se voir reprocher un manque de prudence, alors qu'il s'exprime comme annoncé dans le propos du journaliste conformément au bandeau de présentation inséré dans le documentaire en sa qualité de «Président de la Compagnie Nationale des Experts », et qu'il préparait les « Assises Nationales de l'Expertise » devant se tenir le 8 juin 2016 au Petit Palais (sa pièce n°7), et se trouvait à ce titre particulièrement sensibilisé aux questions de déontologie et interpellé par les conditions de réalisation de l'expertise qui lui était soumise, objectivement troublantes, quelle que soit la difficulté pour Jean-Claude VRAIN, compte tenu de son expérience et de sa renommée dans le milieu des acheteurs de livres et manuscrits anciens, de la passion avec laquelle il déclare exercer ses activités de libraire et d'expert, de la connaissance qu'il allègue du manuscrit en particulier d'Helen CHURCHILL CANDEE qu'il indique connaître par cœur, de la fascination qu'il affirme éprouver devant certains manuscrits, de s'entendre dire par l'un de ses confrères qu'il procédait à la négation de son art . Frédéric CASTAING disposait ainsi d'une base factuelle suffisante pour s'exprimer comme il l'a fait et peut dans ces conditions se voir accorder le bénéfice de l'exception de bonne foi. Il sera en conséquence renvoyé des fins de la poursuite. Maxime SAADA bénéficie, en sa qualité de directeur de la publication, de cette exception de bonne foi et sera renvoyé des fins de la poursuite à raison des propos tenus par Frédéric CASTAING. S'agissant de la base factuelle de Donatien LEMAITRE, il disposait pour sa part, : – des courriels échangés le 6 décembre 2012 relativement à l'estimation du « manuscrit d'Helen CHURCHILL CANDEE relatif au naufrage du Titanic pour une valeur d'assurance de 1 100 000 euros... », à la suite d'une demande portant sur une valeur de 1 100 000 euros ; – de la réaction spontanée de Frédéric CASTAING au vu de cet échange de courriels, interviewé par ses soins, dont il n'est pas allégué qu'il ait déformé ses propos, pour lesquels Donatien LEMAITRE n'est en conséquence pas personnellement renvoyé ; – de l'aveu même de Jean-Claude VRAIN, qui déclarait n'avoir pas examiné l'original du manuscrit au moment où il réalisait son expertise mais l'avoir vu physiquement lors d'une exposition au Musée des Lettres et Manuscrits le 9 septembre 2012 et avoir disposé d'une reproduction complète en fac-simile (D2193/41), cette reconnaissance venant confirmer sur ce point les éléments dont disposait le journaliste au moment où le reportage était réalisé ; – d'extraits de la procédure pénale à laquelle il fait référence dans le propos poursuivi, et produite conformément à l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 dernier alinéa dont il résulte, ce qui n'est pas démenti par Jean-Claude VRAIN, qu'il est bien mis en examen pour escroquerie en bande organisée aux côtés de Gérard LHERITIER (procès- verbal d'interrogatoire de première comparution du 5 mars 2015 pièce n°19 de l'offre de preuve- D 923/1 à D923/4 ; procès-verbal d'interrogatoire de Jean-Claude VRAIN du 8 juin 2015- pièce n°2 de l'offre de preuve, D1185/1 à D1185/17); Il ressort également des procès-verbaux d'enquête de la Brigade de Répression de la Délinquance Économique (BRDE), particulièrement du procès-verbal du 6 février 2014- pièce n°1 de l'offre de preuve, D3/1 à D3/26) que les collections ARISTOPHIL avaient été commercialisées sous forme d'indivisions, à des prix apparus comme « totalement déconnectés du marché », en donnant aux lettres et manuscrits des valeurs largement supérieures - de 147% en moyenne- à leur prix d'achat par la société ARISTOPHIL, cette survalorisation dépassant parfois 300% (D3/15), la société se réservant par le biais d'une promesse de vente, consentie par l'investisseur, d'éviter que les biens ne soient par la suite confrontés à la réalité du marché, tant que de nouveaux acheteurs étaient convaincus. Il ressort encore de ces procès-verbaux : – que Jean-Claude VRAIN a effectué nombre d'estimations pour le compte de la société ARISTOPHIL (pièce n°2 et 3, 4, 5 et 6 de l'offre de preuve-D731/1 à D737/72, D1068/1 à D1068/135, D1009/1 à D1009/11 analysant les travaux d'expertise effectués par Jean-Claude VRAIN, y compris l'analyse faite en 2 heures 26 du manuscrit relatif au Titanic, (D1008/1 à D1008/4, D1438/1 à 1438/2, D1068/81 D1068/82), qu'il a parfois estimé des manuscrits en valeur d'assurance pour des montants excédant le montant pour lequel ils avaient été estimés peu de temps auparavant, et à des valeurs préalablement suggérées par la société ARISTOPHIL et son président Gérard LHERITIER (procès-verbal du 8 septembre 2015 D1438/1 à D1438/2, D1009/2, D1068/35, s'agissant d'une lettre autographe relatant la bataille de Waterloo, D1068/110 : Malempin de Simenon estimé 85 000 euros le 11 mai 2013 comme demandé le 3 mai 2013), parfois par lui même lorsqu'ils avaient été vendus à la société ARISTOPHIL (ainsi du manuscrit du Titanic acquis 215 000 euros en novembre 2006, estimé en 2012 500 000/ 600 000 euros en valeur commerciale et donc 1 100 000 euros en valeur d'assurance ou des lettres de Romain GARY expertisées 300 000 et 400 000 euros par les plus grandes maisons de vente mais valant selon Jean-Claude VRAIN incontestablement plus, qu'il avait estimé que l'acheteur pouvait acquérir 800 000 à 900 000 euros ou encore du manuscrit d'Einstein-Besso acquis chez Christies en 2002 pour 550 000 euros et estimé par ses soins 24 millions en valeur d'assurance en 2012 (D737/9) avant d'être vendu 42 fois moins cher), y compris lorsqu'il avait exprimé auparavant des réticences (ex : Edgard Jacobs pièce n°4, D1009/8, 1068/109, 1068/112, 1068/115 ou Romain GARY pièce n°5 D1008/2 : Jean-Claude VRAIN ayant révisé son estimation la faisant passer à 7,2 millions d'euros le 7 juillet 2012 (D737/13) alors qu'elle n'était que de 845 000 euros deux ans auparavant ), les pièces 3 à 6 de Donatien LEMAÎTRE étant susceptibles d'avoir interpellé le journaliste sur l'indépendance de Jean-Claude VRAIN ; – qu'en 2011 un peu plus de 50 % du chiffre d'affaires de sa librairie était réalisé avec la société ARISTOPHIL, les liens d'affaires entre ARISTOPHIL et Jean-Claude VRAIN ressortant des pièces n°2,3,4,8 à 18 de l'offre de preuve de Donatien LEMAÎTRE, faisant en particulier ressortir que de 2009 à 2014 les achats d'ARISTOPHIL auprès de Jean-Claude VRAIN s'élevaient à près de 80 millions d'euros représentant 33% de l'ensemble des achats effectués par ARISTOPHIL (pièces n°11 et 17), avec cette particularité que les expertises de Jean-Claude VRAIN avaient porté dans de nombreux cas sur des lettres et manuscrits qu'il avait lui-même vendus ou qui avaient été vendus par son intermédiaire à ARISTOPHIL en estimant ces pièces à des valeurs largement supérieures aux prix auxquels elles avaient été vendues à ARISTOPHIL, d'où les policiers avaient conclu au caractère complaisant des expertises; – que la question de la compatibilité entre le rôle de l'expert et celui du vendeur était posée de même que la question de savoir si les estimations réalisées notamment par Jean-Claude VRAIN n'étaient pas destinées, avant ou après la vente des manuscrits aux épargnants, à crédibiliser l'ensemble du modèle économique et à rassurer les souscripteurs et les courtiers ou conseillers en gestion de patrimoine (pièce n°3 de Donatien LEMAÎTRE D1068/59-D1068/60, D1009/4 : faisant apparaître qu'au moment où Jean-Claude VRAIN vend à ARISTOPHIL une indivision comportant plusieurs manuscrits, il les expertise pour son client au double de son prix de vente, comme le lui a demandé Gérard LHERITIER la veille par courriel en indiquant : « ton expertise est plus urgente. Dès qu'ils sont en sa possession ils signent », pièce n°25-5 de Donatien LEMAÎTRE, pièce n°22-1 : dossier d'information remis aux souscripteurs évoquant la détermination des prix grâce à des experts indépendants, pièce n°21-2 : article du 1er février 2013 intitulé : « Aristophil gavé en lettres d'or », évoquant JeanClaude VRAIN comme participant à la promotion des produits financiers de Gérard LHERITIER). Au vu de ces éléments de base factuelle, ne se limitant pas aux procès -verbaux de police mais résultant également d'une enquête dont Donatien LEMAITRE a précisé qu'elle avait duré 6 mois, et qui ne se focalise pas sur la personne de Jean-Claude VRAIN, deux autres libraires ayant été entendus par lui ainsi que des courtiers, des souscripteurs, des personnalités ayant fait la promotion de la démarche d'ARISTOPHIL, le responsable du service blanchiment de la banque ayant hébergé les comptes de Gérard LHERITIER, un responsable de la communication de l'AMF, Jean-Claude VRAIN étant en outre visible sur Youtube s'exprimant sur la valeur des manuscrits de grands écrivains, comme il ressort du reportage lui-même, le journaliste n'a pas manqué de prudence ni excédé les limites de la liberté d'expression, étant observé qu'il emploie le conditionnel ou une formulation laissant place au doute : « le système Aristophil aurait consisté à revendre ces manuscrits à un prix beaucoup plus élevé que leur vraie valeur », « que penser d'une telle inflation des prix ? », « le libraire ne semblait pas respecter les bonnes pratiques des experts de l'art », les éléments qu'il évoque de manière affirmative ressortant par ailleurs des documents en sa possession. Le bénéfice de la bonne foi peut dans ces conditions bénéficier à Donatien LEMAITRE. La bonne foi de Donatien LEMAITRE bénéficie au directeur de la publication Maxime SAADA. Donatien LEMAITRE et Maxime SAADA seront en conséquence renvoyés des fins de la poursuite. Sur l'action civile. Jean-Claude VRAIN est recevable en sa constitution de partie civile. Il sera débouté de ses demandes au vu des relaxes prononcées PCM par jugement contradictoire Renvoie Frédéric CASTAING, Donatien LEMAITRE et Maxime SAADA des fins de la poursuite ; Reçoit Jean-Claude VRAIN en sa constitution de partie civile ; Le déboute de ses demandes en raison des relaxes prononcées. Page 1 / 14