Bureau enquêtes accidents pour la sécurité de l’aéronautique d’État Rapport d’enquête de sécurité A-2019-03-I Date de l’évènement Lieu Type d’appareil Organisme 20 mars 2019 Base aérienne 113 de Saint-Dizier (Haute-Marne) Rafale B Armée de l’air AVERTISSEMENT UTILISATION DU RAPPORT L’unique objectif de l’enquête de sécurité est la prévention des accidents et incidents sans détermination des fautes ou des responsabilités. L’établissement des causes n’implique pas la détermination d’une responsabilité administrative civile ou pénale. Dès lors, toute utilisation totale ou partielle du présent rapport à d’autres fins que son but de sécurité est contraire à l’esprit des lois et des règlements et relève de la responsabilité de son utilisateur. COMPOSITION DU RAPPORT Les faits, utiles à la compréhension de l’évènement, sont exposés dans le premier chapitre du rapport. L’identification et l’analyse des causes de l’évènement font l’objet du deuxième chapitre. Le troisième chapitre tire les conclusions de cette analyse et présente les causes retenues. Le BEA-É formule ses recommandations de sécurité dans le quatrième et dernier chapitre. Sauf précision contraire, les heures figurant dans ce rapport sont exprimées en heure légale française. CRÉDITS Figure 1 Figure 2 Figure 3 Figure 4 Figure 5 Figure 6 Figures 7 et 8 Figures 9 et 10 Figures 11 et 12 Figures 13 et 14 Figure 15 Figure 16 Figures 17 à 19 Figure 20 Figure 21 SIRPA Air DGA EP/RESEDA et BEA-É BA 113 BEA-É BA 113 DGA EP/RESEDA BEA-É BA 113 DGA TA BEA-É BA 113 DGA TA et BEA-É DGA TA DGA EV BA113 et DGA TA BEA-É BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 2 Page de garde 8 9 11 12 15 16 17 18 19 20 et 21 21 22 23 24 26 TABLE DES MATIÈRES GLOSSAIRE ................................................................................................................................................. 4 SYNOPSIS.................................................................................................................................................... 5 1. Renseignements de base ...................................................................................................................... 7 1.1. Déroulement du vol.................................................................................................................... 7 1.2. Dommages corporels.................................................................................................................. 8 1.3. Dommages à l’aéronef ............................................................................................................... 9 1.4. Autres dommages ...................................................................................................................... 9 1.5. Renseignements sur l’équipage .................................................................................................. 9 1.6. Renseignements sur l’aéronef .................................................................................................... 9 1.7. Conditions météorologiques .................................................................................................... 10 1.8. Télécommunications ................................................................................................................ 10 1.9. Renseignements sur l’aérodrome ............................................................................................ 10 1.10. Enregistreurs de bord ............................................................................................................... 11 1.11. Constatations sur la zone de l’incident ..................................................................................... 11 1.12. Renseignements médicaux ....................................................................................................... 11 1.13. Questions relatives à la survie des occupants .......................................................................... 12 1.14. Essais et recherches ................................................................................................................. 13 1.15. Renseignements sur les organismes......................................................................................... 13 1.16. Techniques spécifiques d’enquête ........................................................................................... 14 2. Analyse................................................................................................................................................ 15 2.1. Résultats des expertises ........................................................................................................... 15 2.2. Séquence de l’évènement ........................................................................................................ 28 2.3. Recherche des causes de l’évènement ..................................................................................... 29 3. Conclusion .......................................................................................................................................... 35 3.1. Éléments établis utiles à la compréhension de l’évènement ................................................... 35 3.2. Causes de l’évènement ............................................................................................................ 35 4. Recommandations de sécurité ........................................................................................................... 37 4.1. Mesures de prévention ayant trait directement à l’évènement .............................................. 37 4.2. Mesures n’ayant pas trait directement à l’évènement ............................................................ 37 ANNEXE .................................................................................................................................................... 40 BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 3 GLOSSAIRE BA Base aérienne CAM V Circulation aérienne militaire à vue CEA Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives CEMPN Centre d’expertise médicale du personnel navigant CFA Commandement des forces aériennes DCSSA Direction centrale du service de santé des armées DGA EP Direction générale de l’armement – Essais propulseurs DGA TA Direction générale de l’armement – Techniques aéronautiques DGA TT Direction générale de l’armement – Techniques terrestres EMA État-major des armées ETR Escadron de transformation Rafale IRBA Institut de recherche biomédicale des armées SATER Sauvetage terrestre VTH Visualisation tête haute BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 4 SYNOPSIS Date et heure de l’évènement : 20 mars 2019 à 12h52 Lieu de l’évènement : base aérienne (BA) 113 Organisme : armée de l’air Commandement organique : commandement des forces aériennes (CFA) Unité : escadron de transformation Rafale (ETR) 3/4 Aéronef : Rafale B n° 358 Nature du vol : entraînement Nombre de personnes à bord : 2 Résumé de l’évènement selon les premiers éléments recueillis Le mercredi 20 mars 2019 à 12h50, une patrouille de trois avions Rafale décolle de la BA 113 de Saint-Dizier pour une mission d’entraînement. Le décollage s’effectue avec un décalage de 30 secondes entre chaque avion. Après son envol, le pilote du dernier avion rentre le train d’atterrissage et accélère. Il affiche une assiette de plus de 30° pour monter à 2500 ft. À la réduction d’assiette pour la mise en palier, le passager en place arrière est éjecté. Composition du groupe d’enquête de sécurité  un directeur d’enquête de sécurité du bureau enquêtes accidents pour la sécurité de l’aéronautique d’État (BEA-É) ;  un directeur d’enquête de sécurité adjoint du BEA-É ;  un médecin breveté supérieur de médecine aéronautique ;  un officier pilote ayant une expertise sur Rafale ;  un parachutiste d’essais ayant une expertise sur le siège éjectable du Rafale ;  un officier mécanicien ayant une expertise dans les systèmes pyrotechniques du Rafale ;  un sous-officier mécanicien ayant une expertise sur Rafale ;  un enquêteur de première information. Autres experts consultés       direction générale de l’armement - Techniques terrestres (DGA TT) ; direction générale de l’armement - Essais propulseurs (DGA EP) ; direction générale de l’armement - Techniques aéronautiques (DGA TA) ; commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ; institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) ; Dassault Aviation. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 5 Date de l??v?nement 20 mars 2019 1. RENSEIGNEMENTS DE BASE 1.1. Déroulement du vol 1.1.1. Mission Type de vol : CAM V1 Type de mission : entraînement Dernier point de départ : Saint-Dizier (LFSI) Heure de départ : 12h50 Point d’atterrissage prévu : Saint-Dizier (LFSI) 1.1.2. Déroulement 1.1.2.1. Contexte du vol Le vol est un vol d’entraînement d’une patrouille de trois avions Rafale. Il présente la particularité d’embarquer un passager civil en place arrière du dernier avion de la patrouille. L’autorisation d’embarquement du passager a été demandée par la direction de sa société et accordée par les autorités militaires. 1.1.2.2. Préparation du vol Le passager obtient le matin même son aptitude médicale spécifique à l’embarquement sur avion équipé de sièges éjectables. À l’issue, le passager suit une séance d’habillement et d’équipement spécifique et une formation aux systèmes de sécurité-sauvetage centrée sur le siège éjectable au sein de l’ETR 3/4. Le pilote, commandant de bord, se charge de cette dernière formation et de l’accompagnement du passager. Ensuite, le passager participe brièvement à une partie du briefing de la mission avec les autres membres d’équipage de la patrouille. À l’issue, le pilote, son passager et ses quatre accompagnants déjeunent. 1.1.2.3. Description du vol et des éléments qui ont conduit à l’évènement Après la prise en compte de l’aéronef et le tour avion, le passager est installé en place arrière et le pilote se charge de l’ajustement des différentes sangles de retenue du passager sur le siège. Ensuite, le pilote s’installe en place avant. L’installation du passager est contrôlée par le mécanicien de piste. À la demande des accompagnants, le mécanicien de piste pose une caméra de type Go-Pro™ appartenant à la société du passager sur la cloison verticale séparant le cockpit avant et arrière, à l’endroit autorisé à cet effet par l’armée de l’air. Le mécanicien de piste contrôle ensuite la bonne installation du pilote en place avant. Après la mise en route et le roulage, l’avion s’aligne en piste 29 en échelon refusé2 derrière les deux autres avions de la patrouille pour un décollage espacé de 30 secondes entre les avions. 1.1.2.4. Reconstitution de la partie significative de la trajectoire du vol La phase de roulement au décollage est réalisée conformément à l’attendu. Après l’envol, le pilote rentre le train d’atterrissage pour accélérer. Il réalise ensuite une mise en montée avec une assiette importante (47°), qui occasionne un facteur de charge proche de 4 g, suivie d’une mise en palier entrainant un facteur de charge proche de - 0,6 g. L’éjection du passager a lieu lors de cette manœuvre. Le pilote n’est pas éjecté et reste aux commandes de l’avion. Bien que confronté à cette situation tout à fait anormale (non-éjection de la place avant, verrière découpée, etc.), il réalise les actions de sauvegarde et repose l’aéronef sur la piste. Il évacue l’avion sans assistance. 1 2 CAM V : circulation aérienne militaire à vue. Échelon refusé : positionnement des aéronefs de façon décalée latéralement sur la largeur de la piste derrière le leader. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 7 La figure 1 retrace la trajectoire de l’avion avec l’identification du moment de l’éjection (flèche jaune). Figure 1 : reconstitution de la trajectoire au moment de l’éjection 1.1.3. Localisation  Lieu :  pays : France  département : Haute-Marne (52)  commune : Saint-Dizier  coordonnées géographiques : N 48°38’24,90’’ – E 004°53’03,68’’  hauteur du lieu de l’évènement : 650 ft environ  Moment : jour 1.2. Dommages corporels Le pilote et le passager sont légèrement blessés. Le pilote souffre de légères contusions au niveau du visage. Le passager éjecté est évacué vers l’hôpital de Saint-Dizier. Son visage présente des traces laissées par les résidus de poudre pyrotechnique du cordon de découpe verrière. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 8 1.3. Dommages à l’aéronef Figure 2 : cliché de l’aéronef après le poser et l’évacuation par le pilote L’aéronef ne dispose plus de ses surfaces transparentes de verrière et présente des traces de résidus de poudre. Le cadre de la verrière est déformé et des conduites de désembuage de la place arrière se sont rompues. Le siège arrière est manquant. 1.4. Autres dommages Néant. 1.5. Renseignements sur l’équipage 1.5.1. Commandant de bord     Âge : 35 ans Unité d’affectation : ETR 3/4 Fonction dans l’unité : commandant en second Formation :  qualification : chef de patrouille  école de spécialisation : école de l’aviation de chasse (2008)  Heures de vol comme pilote : Total sur tout type Total (h) 2 000 dont Rafale 905 Dans le semestre écoulé sur tout dont type Rafale 61 61 Dans les 30 derniers jours dont sur tout type Rafale 16 16  Date du précédent vol sur l’aéronef, de jour : 19 mars 2019 1.5.2. Passager civil Le passager est âgé de 64 ans. Il s’agit de sa première expérience sur un aéronef autre qu’un avion de ligne. 1.6. Renseignements sur l’aéronef  Organisme : armée de l’air  Commandement d’appartenance : CFA  Aérodrome de stationnement : BA 113 BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 9  Unité d’affectation : ESTA 15.004  Type d’aéronef : Cellule Moteur 1 Moteur 2 Siège Avant Siège Arrière Type-série Rafale B M88-2 M88-2 MK16F MKF16F Numéro 358 WM000453 WM000452 286 287 Heures de vol totales 49 72 72 49 49 L’aéronef est équipé d’un réservoir pendulaire de 1 250 litres. 1.6.1. Maintenance L’examen de la documentation de maintenance témoigne que l’aéronef a été entretenu selon les directives en vigueur. 1.6.2. Performances L’aéronef ne fait l’objet d’aucune restriction d’emploi et les performances sont dans les normes. 1.6.3. Masse et centrage  Masse au décollage : 15 900 kg  Masse lors de l’évènement : 15 800 kg  Le centrage est dans les normes. 1.6.4. Carburant  Type de carburant utilisé : F-34  Quantité de carburant au décollage : 5 000 kg  Quantité de carburant au moment de l’évènement : 4 900 kg 1.7. Conditions météorologiques 1.7.1. Prévisions La prévision météorologique diffusée à 10h est la suivante :  Vent de secteur 90° pour 5 kt ;  CAVOK3. 1.7.2. Observations L’observation diffusée à 12h30 est la suivante :  Vent variable de 3 kt ;  CAVOK ;  Pression QNH de 1 034 hPa ;  Température au sol 12 °C. 1.8. Télécommunications Au moment de l’évènement, l’équipage est en liaison avec la tour de contrôle en VHF4. 1.9. Renseignements sur l’aérodrome Le jour de l’évènement, aucune restriction particulière n’est relevée sur l’aérodrome. 3 4 CAVOK : « Ceiling and visibility OK », nébulosité et visibilité satisfaisantes sans phénomène particulier. VHF : very high frequency - très haute fréquence. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 10 1.10. Enregistreurs de bord L’avion est équipé d’un enregistreur de données de vol et de l’enregistrement en cabine de la visualisation tête haute (VTH) et du téléphone de bord. 1.11. Constatations sur la zone de l’incident La zone a fait l’objet d’une inspection minutieuse à partir de la mi-piste. La structure du siège éjectable et sa poignée sont retrouvées le plus loin de la zone d’éjection en limite de la base aérienne. L’examen de zone a révélé la présence de nombreux débris de verrière de taille variable sur la piste et les bords de piste. Le casque du passager est retrouvé à bonne distance de son point d’atterrissage. Une cartographie des plus gros éléments et de la position du passager à l’atterrissage est présentée ci-après. Figure 3 : cartographie de la zone 1.12. Renseignements médicaux 1.12.1. Commandant de bord  Dernier examen médical selon instruction n° 4000/DEF/DRH-AA/SDERH-HP/BPECA du 20 avril 2017 :  type : visite médicale d’aptitude le 4 décembre 2018  résultat : apte (validité 6 mois)  Examens biologiques : effectués  Blessures : légères BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 11 1.12.2. Passager  Dernier examen médical selon fiche diffusée par lettre n° 1814 DCSSA/AST/ME du 13 octobre 2011 :  type : visite médicale d’aptitude au vol occasionnel sur aéronef doté de siège éjectable (passager civil ou militaire)  date : 20 mars 2019  résultat : « Apte à la réalisation d’un vol occasionnel sur avion de chasse muni de siège éjectable sous réserve d’un vol avec limitation du facteur de charge < 3 G et facteurs de charge non soutenus »  Examens biologiques : effectués  Blessures : légères 1.13. Questions relatives à la survie des occupants 1.13.1. Abandon de bord Un schéma des différentes phases d’une éjection en cas d’activation de la poignée arrière est présenté en annexe.  Éjection en vol :  type de siège éjectable : Martin Baker MKF16F  Données morphologiques :  taille : 1,65 m  poids : 73 kg  Éléments au moment de l’éjection :  Hauteur : 650 ft  Vitesse : 280 kt  Conséquences : La séquence d’éjection du siège arrière MKF16F n° 287 est initiée par l’activation de la poignée d'éjection. La découpe des deux demi-verrières (arrière et avant) s’effectue correctement. Lors de l’éjection, le passager perd son casque Gallet LA 100 (taille GM) et son masque ULMER UA 21S (Taille 3). La séparation siège/pilote est effective. La libération automatique du paquetage de survie s’effectue automatiquement. Cependant, l'embarcation gonflable monoplace ne se gonfle pas. La descente sous une voilure stable dure environ une minute et quatre secondes. L’atterrissage s’effectue à faible vitesse verticale. Figure 4 : clichés de l’aéronef et du passager juste après l’éjection et avant atterrissage BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 12 Quant au pilote, il reste à bord, la séquence d’éjection automatique s’étant interrompue à la dernière phase (annexe). Il est en mesure de piloter et poser l’avion sur la piste. 1.13.2. Évacuation de bord Après le poser et l’arrêt de l’avion sur le taxiway, le pilote coupe les moteurs. Craignant une éjection intempestive, il évacue l’avion très précautionneusement sans avoir toutefois remis le siège en sécurité et sans assistance extérieure. La non mise en sécurité du siège a imposé la mise en place d’un périmètre de sécurité autour de l’aéronef jusqu’à la sécurisation du siège intervenue 24 heures après. 1.13.3. Organisation des secours Les secours de la base étaient pré-positionnés à mi-piste en vue de l’entraînement de l’équipe de présentation « Rafale – solo Display » qui devait décoller quelques minutes plus tard. Dès l’arrivée au sol du passager, les secouristes ont pratiqué les premiers examens et soins, puis l’ont transféré à l’hôpital de Saint-Dizier pour des examens complémentaires. Le pilote est également pris en charge par l’équipe d’intervention. 1.14. Essais et recherches Les éléments suivants ont été prélevés pour être expertisés au sein de DGA TA :  siège éjectable avant ;  siège éjectable arrière ;  verrière ;  casque du pilote ;  casque du passager ;  équipements de vol du passager ;  débris récupérés ;  circuit pyrotechnique « fuselage » de l’avion assurant la transmission entre les différents éléments pyrotechniques (verrière, sièges, boîtier relais, etc.). Les éléments suivants ont été expertisés au sein de DGA EP :  enregistreur de données de vol ;  enregistrement vidéo de la VTH et du téléphone de bord ;  enregistrements embarqués nécessaires à la maintenance et à la mission ;  caméra Go-Pro™ installée en place arrière ;  montre connectée portée par le passager. À l’issue d’un examen par neutronographie réalisé au sein du CEA de Saclay, le sélecteur de séquence et la ligne pyrotechnique n’ayant pas fonctionné ont été expertisés au sein de DGA TT pour la partie pyrotechnie et à DGA EP pour la partie métallurgique. Le concepteur du système (Dassault Aviation) a été associé lors de ces investigations. 1.15. Renseignements sur les organismes 1.15.1. Base aérienne 113 La base aérienne 113 est une base opérationnelle de l’armée de l’air. Elle est constituée de plusieurs escadrons équipés d’avion Rafale. Parmi ces escadrons, l’un d’entre eux est dédié à la transformation des équipages Rafale. 1.15.2. Escadron de transformation Rafale (ETR) La mission principale de l'ETR 3/4 « Aquitaine » est la formation des équipages Rafale pour l'armée de l’air, la marine nationale, l’établissement DGA Essais en vol et les pays étrangers. L'unité est responsable de la transformation dans les phases basiques vecteur et système de tout le personnel navigant français ou étranger ainsi que des phases de récupération de qualification des pilotes étrangers. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 13 L’escadron participe également au renfort des unités pour la tenue de la « police du ciel », des opérations extérieures en vol et au sol ainsi qu’au renfort de structures de commandement. Parallèlement, l'unité apporte son expertise dans le développement et la mise en œuvre de scénarios complexes au centre de simulation Rafale (CSR) et contribue, dans le domaine tactique, à l'instruction et l'entraînement des forces. L’ETR assure des vols d’information au profit de personnes extérieures (civile ou militaire). 1.16. Techniques spécifiques d’enquête La neutronographie est une méthode de contrôle non destructif permettant de révéler les composants pyrotechniques (organiques) alors que la radiographie à rayons X révèle plus particulièrement les composants métalliques. Dans le cadre d’une investigation mettant en œuvre un système pyrotechnique ces deux techniques distinctes doivent être réalisées. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 14 2. ANALYSE 2.1. Résultats des expertises 2.1.1. Exploitation des paramètres L’exploitation des différents paramètres (enregistreur d’accident, vidéo tête haute, téléphone de bord, caméra et montre connectée) a été réalisée au sein de DGA EP/RESEDA. Les résultats montrent que :  la caméra « Go-Pro » n’était pas en fonctionnement au moment de l’évènement ;  les enregistrements effectués pour la maintenance et la mission ont été automatiquement effacés en raison de l’éjection ;  l’exploitation des autres supports de données est présentée ci-après. Un capteur supplémentaire inattendu a pu être exploité : la montre personnelle connectée du passager. Elle enregistre les pulsations du cœur du passager au niveau du poignet. Du départ du point de stationnement au parking jusqu’à son éjection, la fréquence cardiaque enregistrée pour le passager se situe entre 120 et 145 pulsations par minute. L’examen des conversations de bord indique :  l’existence d’un dialogue entre le pilote et son passager, principalement orienté vers le rappel des consignes de sécurité et l’anticipation des actions aux commandes ;  une verbalisation du passager lors de la mise en puissance qui fait suite aux accélérations ressenties ;  un arrêt de sa verbalisation lors de la mise en montée. L’exploitation des données de vol a permis d’extraire les paramètres suivants : altitude, vitesse, assiette et accélération verticale (ou facteur de charge). Les quatre courbes sont regroupées dans la figure ci-après. Figure 5 : paramètres issus de l’enregistreur d’accident L’éjection survient après une manœuvre d’une durée de 4 secondes environ entrainant :  un facteur de charge positif compris entre 3,5 et 4 g entretenu pendant 3 secondes environ ;  un facteur de charge négatif de – 0,63 g entretenu pendant 1 seconde environ. L’éjection survient dans une phase de vol sous facteur de charge négatif faisant suite à une phase sous facteur de charge positif. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 15 2.1.2. Sièges éjectables Sur le Rafale B358, l’expertise du système de transmission pyrotechnique de l’avion a été réalisée. Un schéma illustratif résumant les différents constats est présenté ci-après. Figure 6 : schéma illustratif des constats sur le système de transmission pyrotechnique de l’avion 2.1.2.1. Place avant L’examen du siège avant montre que :  seule la ligne pyrotechnique en provenance du sélecteur de séquence et à destination du système de rappel de harnais du siège a fonctionné. La partie siège en lien avec cette information pyrotechnique a fonctionné de manière optimale, et toutes les lignes pyrotechniques siège concernées par cette séquence ont fonctionné nominalement ;  la ligne en provenance du sélecteur de séquence et à destination de l’initiateur de la cartouche principale du siège avant n’a pas fonctionné et est arrachée de son emplacement physique sur le corps du sélecteur de séquence. Le siège n’ayant pas reçu l’information pyrotechnique nécessaire à son éjection n’a donc pas fonctionné et toutes les lignes et équipements pyrotechniques du siège sont intègres (à l’exception du système de rappel de harnais cité supra) ;  le système de découpe verrière ainsi que les centrales et lignes pyrotechniques afférentes ont fonctionné. NB : Les autres lignes pyrotechniques du siège avant (qui n’ont pas été activées suite à la non-transmission de l’ordre et la non activation de la poignée d’éjection) seront testées dans le laboratoire pyrotechnique du détenteur du certificat de type au titre du retour d’expérience. 2.1.2.2. Place arrière L’examen général montre que :  le siège a fonctionné de façon nominale ;  l’ordre d’éjection fait suite à une action sur la poignée d’éjection ;  le boîtier de tête présente un endommagement inhabituel (figure 6) et le dosseret n’est plus en place ;  le système de découpe verrière a fonctionné de manière optimale (la centrale et les lignes pyrotechniques) ;  les transmissions pyrotechniques vers la place avant ou les centrales arrières ont fonctionné nominalement y compris au travers du boîtier relais place arrière. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 16 Figure 7 : endommagement du boîtier de tête Les examens des différents composants sont détaillés ci-après. 2.1.2.2.1. Poignée d’éjection La poignée d’éjection a été retrouvée anormalement séparée du siège sur le site de l’accident. Cette séparation est consécutive à la rupture de la biellette de liaison entre la poignée et la centrale à percussion. L’expertise métallurgique indique une rupture de type statique qui est consécutive à un effort supérieur à son dimensionnement (effort supérieur à 500 daN, non réalisable par la force humaine). Figure 8 : cliché de la poignée d’éjection et du siège sur le site de l’accident BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 17 Figure 9 : détail de la poignée et de la biellette du siège arrière L’examen approfondi de la poignée montre la présence de fibres à l’intérieur de la boucle (flèche rouge sur la figure 10). Les fibres prélevées et analysées indiquent qu’elles proviennent de l’intérieur pelucheux des gants du passager. Figure 10 : localisation sur les gants des fibres similaires retrouvées à l’intérieur de la poignée d’éjection La poignée d’éjection a été activée par la main du passager puis elle a été séparée du siège par un effort supérieur à 500 daN. 2.1.2.2.2. Paquetage de survie Lors de l’éjection, le paquetage de survie s’est correctement détaché mais le canot ne s’est pas gonflé (Cf. figure 4 – p. 13). L’examen montre que la ligne « SATER (sauvetage terrestre) » (de couleur orange) s’est correctement déployée jusqu’au sac contenant le paquetage. L’ouverture du sac indique une certaine rigidité de ses parois et dévoile un cheminement avec un blocage de la boucle de liaison de la ligne « SATER » avec le jonc de BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 18 percussion permettant l’activation du gonflage du canot dans les replis de l’enveloppe. L’activation de la cartouche de gonflage n’a pas pu être effective. Figure 11 : examen du paquetage avec son canot non gonflé Le canot ne s’est pas gonflé en raison d’un blocage de la boucle « SATER » dans les replis du sac de conditionnement. 2.1.2.2.3. Harnais de retenue Les constatations faites sur le harnais après l'éjection montrent des décousures partielles du harnais au niveau des épaules. Figure 12 : décousures visibles sur le harnais du passager après éjection Ces décousures proviennent d’un glissement des élévateurs du parachute lors de la mise en tension pendant la phase d’éjection. Ce glissement est la conséquence d’un serrage du harnais trop faible pour la morphologie de l'éjecté. L’exploitation des clichés réalisés lors de l’embarquement du passager (figure 13) indique un serrage très faible pour les sangles d’épaule du harnais siège (écart entre trait plein et trait pointillé), avec la boucle métallique de réglage se situant en arrière de la clavicule du passager. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 19 Figure 13 : vue de l’installation du passager avant le vol Le harnais du passager était faiblement serré en partie supérieure. 2.1.3. Casques 2.1.3.1. Casque du pilote Le pilote était équipé de son casque MSA Gallet LA 100 en dotation. L’examen n’apporte pas de commentaire particulier à l’exception des endommagements dus à la projection de résidus de poudre pyrotechnique incandescents sur la visière et le haut du casque. 2.1.3.2. Casque et masque du passager Le tour de tête du passager étant de 57 centimètres, il est équipé d’un casque MSA Gallet LA 100 Taille GM et d’un masque Ulmer UA 21 S Taille 3 issu d’un stock commun. L’adaptation du casque à la tête du passager est réalisée au moyen de mousses de réglage. Elles sont toutes conformes à l’attendu mais en limite des tolérances. Les traces laissées par les résidus de poudre pyrotechnique sur le casque indiquent que les deux visières du casque étaient relevées lors de la découpe verrière. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 20 Figure 14 : vue du casque passager retrouvé sur la piste La crémaillère droite (vue du porteur du casque) est enfoncée jusqu’à la butée et la crémaillère gauche en extension maximale. Normalement, le masque doit être ajusté symétriquement. Des essais au banc « WindBlast » de DGA TA ont été réalisés avec différentes configurations avec la vitesse au moment de l’éjection. En l’absence de jugulaire et avec une visière levée, le casque se soulève de près de 10 centimètres sous l’effet du vent relatif. Figure 15 : positionnement du casque sur la tête du mannequin avant l’essai (gauche) et pendant l’essai (droite) Au vu des essais réalisés, de l’examen du casque et du masque ainsi que du compte-rendu médical suite à l’éjection, la jugulaire du casque n’était pas attachée. Le casque du passager n’était retenu que par le système d’attache du masque mal ajusté et ses deux visières étaient relevées au moment de la découpe verrière. La perte du casque fait suite à ces écarts. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 21 2.1.4. Autres équipements de vol du passager Lors de la prise en charge du passager après son atterrissage, ses équipements de vol ont été localement découpés pour pratiquer les premiers soins. Le pantalon anti-g a été découpé en plusieurs endroits interdisant son test d’étanchéité en laboratoire. La fermeture éclair du soufflet d’aisance de la jambe droite a été retrouvée ouverte. Les gants et la combinaison de vol ont permis d’identifier l’origine des fibres emprisonnées dans la poignée d’éjection arrière (Cf. 2.1.2.2). Aucun constat particulier n’a été réalisé sur le blouson de vol et les chaussures. DGA TA a identifié sur le gilet de combat de légers endommagements symétriques au milieu des sangles inguinales. Figure 16 : marquages des sangles inguinales du gilet de combat La recherche de l’origine des endommagements sur les sangles inguinales a été réalisée par maquettage au sein de DGA EV sans pantalon anti-g et avec une combinaison de couleur orange pour une meilleure compréhension (figures 16 à 18). BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 22 Tout d’abord, le gilet de combat est ajusté en position debout comme préconisé dans la notice. Figure 17 : ajustement du gilet de combat en position debout Lors de l’installation à bord, en position assise sur le siège, un mou apparaît inévitablement. Figure 18 : apparition du mou en position assise À ce stade, le passage des sangles sous la poignée d’éjection n’est pas possible. Lors de l’action de traction sur la poignée, un espace se crée en dessous de la poignée permettant le passage des sangles. Figure 19 : passage des sangles sous la poignée possible qu’après la traction BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 23 Le maquettage réalisé permet :  de comprendre l’origine des endommagements visibles sur les sangles inguinales du gilet de combat du passager ;  de confirmer que la poignée d’éjection a été tirée ;  d’identifier la cause de la rupture de la biellette de la poignée d’éjection par traction sur sa base par les sangles inguinales lors de l’ouverture du parachute du passager. Ce dernier constat est aussi à l’origine de l’endommagement du boîtier de tête du siège éjectable par une tension élevée des élévateurs. Les sangles inguinales du gilet de combat sont passées sous la poignée d’éjection après la traction de cette dernière. Cette configuration a permis d’appliquer un effort supérieur à 500 daN lors de l’ouverture du parachute du passager et la rupture de la biellette de la poignée d’éjection ainsi que l’endommagement du boîtier de tête du siège éjectable. 2.1.5. Verrière L’examen de la verrière révèle que le système de découpe a fonctionné de façon nominale. Les traces laissées par la ventouse de fixation de la caméra de sport sont visibles sur la vitre verticale séparant le cockpit avant de celui de l’arrière. Son installation a été réalisée dans une zone autorisée par l’armée de l’air. Des prélèvements ont été réalisés dans l’environnement de cette zone. L’analyse montre que les dépôts sont des résidus pyrotechniques du cordon de découpe verrière. Aucun dépôt pyrotechnique n’est présent à l’intérieur de l’emplacement de la ventouse. Figure 20 : emplacement de la caméra au parking et traces visibles laissées par la ventouse de fixation La ventouse de fixation de la caméra embarquée était correctement « collée » au moment de la découpe de la verrière. 2.1.6. Examen de la caméra de sport L’examen de la caméra et de son système de fixation a révélé la présence de résidus pyrotechniques sur le boîtier et le système de support de la caméra. Aucun résidu n’a été identifié sur la caméra elle-même qui a été retrouvée séparée de son support sur la zone d’éjection. Au moment de la découpe verrière, la caméra était à l’intérieur de son boîtier relié à son support ventousé. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 24 2.1.7. Éléments pyrotechniques de l’avion Les éléments pyrotechniques concernent :  les boîtiers et centrales pyrotechniques ;  les lignes pyrotechniques ;  le sélecteur de séquence. 2.1.7.1. Boîtiers pyrotechniques L’ensemble des boîtiers pyrotechniques ont fait l’objet d’une radiographie qui a permis de constater un fonctionnement nominal des boîtiers. 2.1.7.2. Lignes pyrotechniques Toutes les lignes pyrotechniques du cockpit arrière (siège arrière et ligne avion) ont correctement fonctionné et transmis l’ordre vers le cockpit avant. Cet ordre est arrivé dans le sélecteur de séquence situé dans le cockpit avant. De ce dernier, seule une ligne n’a pas été activée et concerne la liaison avec le siège avant (mise à feu de la cartouche canon du siège). La ligne non activée a été expertisée et les résultats indiquent qu’elle n’a pas reçu d’ordre pyrotechnique provenant du sélecteur de séquence. Les autres lignes du cockpit avant ont correctement fonctionné et les systèmes pyrotechniques terminaux aussi. 2.1.7.3. Sélecteur de séquence Le sélecteur de séquence de l’avion Rafale biplace permet la sélection d’une des deux configurations suivantes :  départs séquencés des deux sièges à partir du déclenchement de l’éjection d’un siège (Position « TWO ») ;  départs non séquencés des deux sièges (Position « SOLO »). Chaque poste déclenche l’éjection de son siège. Les expertises menées sur le sélecteur montrent que :  le sélecteur était en position « TWO » ;  le dysfonctionnement est interne au sélecteur. Ce dysfonctionnement interne est d’origine pyrotechnique. L’onde de détonation n’a pas été transmise d’un composant interne vers d’autres. Ainsi l’ordre pyrotechnique n’a pas permis d’activer la ligne entre le séquenceur et le siège avant (Cf. paragraphe 2.1.7.2) et a occasionné le déplacement interne d’une pièce qui en prenant appui sur la ligne et sous l’effet de la déflagration a occasionné la rupture du carter du sélecteur à l’endroit où la ligne est maintenue. Cette rupture a eu lieu en raison d’un serrage incomplet de la vis de retenue de la ligne dans le corps du sélecteur. Le dysfonctionnement interne est lié à un fonctionnement non nominal d’un composant pyrotechnique qui a évolué suite à l’adoption de deux amendements mineurs approuvés en 2007 et 2008. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 25 Figure 21 : cliché de la ligne et du sélecteur de séquence L’origine du dysfonctionnement interne du séquenceur réside dans l’adoption de deux amendements approuvés en 2007 et 2008. La rupture du carter fait suite à ce dysfonctionnement et à un serrage incomplet de la vis de retenue de la ligne dans le corps du sélecteur. 2.1.8. Expertise médicale Une expertise médicale a été réalisée conjointement par l’IRBA et l’expert médecin du groupe d’enquête, sur la base des données du vol, des résultats de l’aptitude médicale, de l’état physiologique du passager et de son installation à bord. 2.1.8.1. Activation volontaire de la poignée d’éjection L’hypothèse d’une action volontaire de la poignée d’éjection a été étudiée par l’IRBA et l’expert médecin. Lors de l’écoute du téléphone de bord, le passager apparaît d’abord enthousiaste puis impressionné par la poussée au décollage avant d’être brusquement silencieux. Cette modification soudaine du comportement peut s’expliquer par une perte soudaine de conscience ou un niveau de stress extrêmement important. Or chacun de ces deux cas de figure interdisent l’activation volontaire de la poignée d’éjection. L’hypothèse d’une action volontaire sur la poignée d’éjection par le passager est rejetée. 2.1.8.2. Hypothèse d’une perte temporaire de conscience Sous facteur de charge positif l’être humain peut dans certaines situations quasiment perdre conscience (A-LOC5) ou perdre conscience (G-LOC6). Pour éviter de subir une perte de conscience les pilotes adoptent des techniques en complément du pantalon anti-g afin de maintenir un débit sanguin cérébral suffisant. Sans ces techniques, à partir de +4,5 g le risque de perte de conscience est présent. Bien qu’informé de ces techniques, le passager ne les maitrise pas. Cette absence de maitrise a conduit à leur inefficacité, diminuant ainsi la capacité de résistance du passager au facteur de charge positif. Cependant, les études menées pour comprendre la perte de conscience soudaine sous facteur de charge positif, sans apparition préalable d’un voile gris ou noir, ont montré un temps de latence entre l’exposition à 5 6 A-LOC : Almost G induced lost of consciousness – quasi perte de conscience sous facteur de charge. G-LOC : G induced lost of consciousness - perte de conscience sous facteur de charge. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 26 un haut facteur de charge et la perte de conscience. Équipé d’un pantalon anti-g, en deçà de 5 secondes d’exposition à un facteur de charge positif, le risque de perte de conscience est considéré comme hautement improbable. Par ailleurs, une perte de conscience entraine généralement une incapacité absolue de 5 secondes minimum. Aucune action n’est alors possible durant cette phase. Ainsi, bien qu’il existe une forte variabilité individuelle dans la tolérance au facteur de charge positif, le temps d’exposition (environ deux secondes) et l’intensité supérieur à +3 g rend très improbable la survenue d’une perte de conscience sous facteur de charge de type A-LOC ou G-LOC. L’hypothèse d’une perte de conscience soudaine et temporaire du passager est rejetée. 2.1.8.3. Activation involontaire de la poignée d’éjection sous situation de stress Le passager a été maintenu dans un niveau de stress important tout au long de la matinée. Ce stress a continué une fois dans l’avion. Le passager portait une montre capable de mesurer et d’enregistrer la fréquence cardiaque. Les données indiquent que son cœur était en pleine tachycardie avec une fréquence cardiaque enregistrée qui variait entre 136 et 142 bpm7 alors que sa fréquence cardiaque maximale théorique est de 156 bpm pour son âge. Les mesures de fréquence cardiaque enregistrées indiquent donc des valeurs proches de sa fréquence cardiaque maximale avant même le début du décollage. Il est très probable que son niveau de stress ait encore augmenté au décollage notamment à cause de la forte sensation de poussée des réacteurs et de la prise rapide de facteur de charge. À l’origine de ce niveau de stress extrêmement important, on trouve plusieurs contraintes auxquelles la passager a été exposé. La première de ces contraintes est une exposition à des variations de la gravité (hypergravité puis gravité réduite et gravité inversée) entraînant des réactions physiologiques et cognitives inattendues pour le passager. Pendant toute la première phase du décollage, le passager a probablement ressenti les effets dus à l’exposition à des facteurs de charge positifs :  +1 g : sensation habituelle de la pesanteur terrestre ;  +2 g : sensation de compression modérée sur le siège, sensation de lourdeur de la tête et des membres et difficulté à se mouvoir ;  +3 g : sensation de grande lourdeur des membres et du corps en général ;  entre +3 g et 4,5 g : apparition possible d’un voile gris (rétrécissement du champ visuel périphérique associé à une vision floue et un assombrissement de la vision) ;  au-delà de 4 g : apparition d’un voile noir (perte totale de la vision). S’agissant de son premier vol en avion militaire, le passager ne connaissait pas ces symptômes (en particulier la grande lourdeur de son corps et de ses membres ainsi que la survenue d’un voile gris) qui ont pu générer une situation de stress. À la phase d’hypergravité a succédé une phase de décélération rapide de l’aéronef associée à un passage en microgravité puis en gravité inversée (-0,63 g). Au sol, l’être humain n’est jamais exposé à un facteur de charge négatif. Il s’agit donc de sensations totalement inconnues pour le passager. L’absence de gravité entraîne la sensation d’élévation et de montée dans les bretelles. La combinaison des effets successifs d’un facteur de charge positif et négatif en quelques secondes a probablement été génératrice de stress et peut expliquer que le passager ait tiré de façon involontaire la poignée d’éjection afin de s’accrocher à son siège et de contrer la sensation d’élévation et de montée dans les bretelles. Cette sensation d’élévation a pu être renforcée par le fait que le harnais du passager n’était pas parfaitement ajusté. Par ailleurs, l’état de stress du passager a été également induit par le contexte de réalisation du vol. En effet, compte tenu des délais restreints pour chaque étape de la matinée, le passager n’a pas assisté au briefing 7 bpm : battements par minute. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 27 complet des pilotes et son pilote n’a pas eu le temps de lui expliquer le déroulement de la mission, du décollage à l’atterrissage. Le passager n’était pas préparé aux conditions précises du décollage. Il a donc été surpris par la prise de facteur de charge et son inversion rapide. Ainsi, le stress déjà extrême du passager et le passage inattendu en facteur de charge négatif ont été à l’origine d’une sensation de « chute vers le haut » entrainant la saisie de la poignée et son activation. L’action involontaire du passager sur la poignée d’éjection est liée à un défaut de compréhension et de préparation à certains effets inhérents au vol en avion de chasse. 2.1.9. Synthèse des expertises Les expertises des différents éléments montrent que, lors de l’évènement :  le facteur de charge varie entre +3,5 et +4 g avant de descendre à -0,6 g pour stopper la montée ;  la caméra de sport n’était pas en fonctionnement et était en place lors de la découpe verrière ;  la fréquence cardiaque mesurée du passager par la montre connectée est comprise entre 136 et 142 pulsations par minute ;  le siège éjectable arrière a fonctionné correctement et l’éjection fait suite à l’activation manuelle de la poignée par le passager ;  la poignée du siège arrière retrouvée séparée fait suite à la rupture d’une biellette nécessitant un effort de plus de 500 daN ;  au niveau du passager, des écarts à l’attendu ont été identifiés :  visières du casque non baissées,  soufflet d’aisance droit du pantalon anti-g non fermé,  jugulaire du casque non attachée expliquant sa perte lors de la phase d’éjection,  masque à oxygène ajusté asymétriquement,  serrage faible des sangles de retenue ;  l’action involontaire du passager sur la poignée d’éjection est liée à un défaut de compréhension et de préparation à certains effets inhérents au vol en avion de chasse ;  l’arrêt de la séquence automatique est dû à un dysfonctionnement interne du sélecteur de séquence ;  le canot ne s’est pas gonflé en raison d’un cheminement bloquant la ligne « SATER » dans le paquetage « tempéré ». 2.2. Séquence de l’évènement Au vu des résultats obtenus, la séquence de l’évènement amenant à l’éjection du passager a été établie comme suit :  le passager soumis à un certain stress s’installe dans le cockpit :  avec son soufflet d’aisance droit du pantalon anti-g non fermé,  en effectuant un serrage des sangles de son harnais d’épaule sans rattrapage du « mou » dans le dos,  en revêtant son casque sans baisser de visière ni fixer la jugulaire mais juste les attaches du masque, elles aussi mal ajustées ;  lors du décollage réalisé :  le facteur de charge supérieur à +2 g amène le passager à s’avachir légèrement sur son siège,  l’application d’un facteur de charge négatif entraine automatiquement un soulèvement du haut du corps du passager rendu plus important par le rattrapage du « mou »,  ce mouvement occasionne une incompréhension du passager qui cherche à se « raccrocher »,  le passager s’agrippe alors à la poignée et déclenche le système d’éjection. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 28 Suite à cette éjection commandée involontairement de la place arrière :  la verrière découpée occasionne une dépression suffisante pour « décoller » la ventouse de fixation de la caméra de sport (avec la possibilité de rentrer dans le volume d’éjection) ;  l’arrivée du passager dans le vent relatif occasionne la perte de son casque ;  l’ouverture du parachute occasionne :  la rupture de la biellette de la poignée qui est accrochée à la sangle inguinale du gilet de combat et endommage le boîtier de tête par tension des élévateurs,  les décousures visibles sur le harnais ;  lors de la libération du paquetage, suite à un « bourrage » du jonc de percussion dans les replis de l’enveloppe de conditionnement, le blocage de la ligne SATER empêche l’activation de la bouteille de gonflage du canot. L’arrêt de la séquence automatique, dû à une interruption de transmission interne au sélecteur de séquence du signal pyrotechnique, a permis au pilote de ramener l’avion dans des conditions dégradées. 2.3. Recherche des causes de l’évènement Les résultats des expertises montrent que les causes de l’éjection du passager ne relèvent pas du domaine technique ni du domaine environnemental. Les recherches sont effectuées dans le domaine relevant des facteurs organisationnels et humains. 2.3.1. Nature du vol 2.3.1.1. Mission Le vol est une mission d’entraînement d’une patrouille de trois aéronefs. L’aéronef concerné par l’évènement est le troisième et dernier avion à décoller. La mission programmée est un vol simulant successivement trois phases comportant entre autres des combats aériens. Les équipages ne réalisent qu’exceptionnellement des vols dédiés pour les passagers. Le jour de l’évènement, le passager autorisé à voler à bord d’un Rafale est donc programmé sur un vol d’entraînement opérationnel. En fin de matinée, le pilote reçoit un appel du médecin l’informant de la nécessité de ne pas faire un vol trop intense pour son passager. À partir des informations obtenues lors de cet entretien téléphonique, le pilote décide d’alléger le programme de son vol et de ne maintenir que le début de la mission jusqu’à la première phase briefée et d’annuler le reste de la mission pour réaliser une navigation simple avant de retourner se poser à Saint-Dizier. Le début de la mission reste donc inchangé. Comme convenu lors du briefing les trois aéronefs effectuent successivement le même type de décollage dans le but de se rassembler par la suite et de débuter la mission. C’est lors du décollage que le passager s’éjecte. Le vol n’est pas dédié au passager ; il s’agit d’une mission d’entraînement pour les équipages. Compte tenu des informations transmises par le médecin, le pilote projette de réduire l’intensité du vol d’entraînement. Le début du vol reste inchangé. 2.3.1.2. Décollage Le type de décollage réalisé par le pilote est celui habituellement réalisé par les équipages de Rafale lors d’un vol en patrouille comme prévu lors du briefing. Ce type de décollage permet au premier avion de décoller et de s’établir à une certaine altitude avant d’être rejoint par le numéro deux. Les mêmes décollages sont ensuite réalisés par les deux avions suivants qui rejoignent ensemble les deux premiers avions et ainsi de suite. Malgré l’absence d’un quatrième avion, le décollage de l’aéronef concerné par l’éjection est similaire au décollage du premier avion. Ce type de décollage est réalisé quotidiennement. Il est totalement routinier pour les pilotes. Leur attention se porte sur l’extérieur, le principal paramètre surveillé est l’altitude pour la mise en palier à 2 500 ft. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 29 Les pilotes ne se préoccupent jamais du facteur de charge associé à leur décollage. Par ailleurs, pour un pilote de chasse Rafale, un facteur de charge de +4 g est extrêmement courant. Le décollage réalisé par le pilote est un décollage standard lors d’un vol en patrouille. Ce type de décollage entraine un facteur de charge supérieur à +3 g. Ce niveau de facteur de charge est routinier pour un pilote de Rafale. 2.3.2. Composition de l’équipage L’équipage est constitué d’un pilote commandant de bord et d’un passager civil extérieur au ministère des armées. Le pilote commandant de bord est le commandant en second de l’ETR. C’est un pilote expérimenté ; il est qualifié chef de patrouille. Il totalise près de 2000 heures de vol dont 905 sur Rafale. Le passager, âgé de 64 ans, est responsable des équipes d’essais au sein d’une société d’armement ; il n’a aucune expérience aéronautique militaire. Cet équipage correspond à la configuration des vols d’information qu’il est possible de réaliser au sein de l’armée de l’air. L’ETR est particulièrement sollicité pour réaliser ce type de vol qui est considéré par les personnels navigants comme faisant partie de leur mission. Cet équipage spécifique correspond à la composition normale pour un vol d’information. 2.3.3. Capacité décisionnelle du passager 2.3.3.1. Effet de surprise Ce vol a été organisé par des collègues proches du passager sans l’en avertir afin d’obtenir un effet de surprise. Ce dernier n’a jamais fait état d’une envie de réaliser ce type de vol et en particulier sur Rafale. Avec ses collègues, il s’est rendu la veille au soir à Saint-Dizier sans connaissance du programme des jours suivants. La volonté de conserver la surprise jusqu’au moment du vol a eu pour conséquence de réduire au maximum les délais de chaque étape de préparation au vol : visite médicale, habillement et briefing siège éjectable. Cette situation a généré un sentiment de stress pour le passager, ce qui s’est particulièrement fait ressentir lors du briefing siège éjectable où il a dû assimiler un grand nombre d’informations en très peu de temps. De plus, le stress lié à la surprise a été amplifié par l’absence totale d’expérience aéronautique militaire. Le passager a en effet dit avoir une méconnaissance complète de l’environnement aéronautique et de ses contraintes, n’ayant jamais volé sur un avion militaire. L’effet de surprise associé à une absence d’expérience aéronautique militaire a donc eu pour conséquence de créer et maintenir un stress important chez le passager toute la matinée. Cette situation favorise particulièrement la réduction des capacités décisionnelles du passager. Mis devant le fait accompli le jour du vol, il lui a été très difficile de refuser de participer au vol. La surprise et l’absence d’expérience aéronautique militaire du passager sont à l’origine d’un stress maintenu toute la matinée. Les marges de décision laissées au passager pour éventuellement refuser le vol sont perçues comme quasi inexistantes par ce dernier. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 30 2.3.3.2. Pression sociale sur le passager L’organisation de ce type de vol par des collègues de travail, alors que cela est extrêmement rare pour le personnel de cette société, peut créer un sentiment d’exception. La pression sociale de l’entreprise, représentée par un nombre important de collègues présents et notamment un ancien pilote de l’armée de l’air à l’origine du vol, a empêché tout refus. L’autorisation exceptionnelle de ce type de vol et la présence des collègues lors de cette journée génèrent une forte pression sociale interdisant la possibilité d’un refus de la part du passager. 2.3.4. Capacité décisionnelle du pilote Le vol de l’évènement a été autorisé par l’état-major de l’armée de l’air par délégation de la ministre des armées. L’autorisation donnée est alors perçue comme un ordre par le personnel de la base qui cherche à répondre positivement. Ce type de vol est fréquent au sein de cet escadron et est perçu comme une mission à part entière pour les pilotes, qui ont une forte motivation à réussir toutes les missions qui leur sont confiées. Par ailleurs, contrairement à la majorité des vols avec des passagers réalisés par l’escadron, le programme de cette journée fait l’objet d’une note de service qui stipule un repas avec le commandant de base, la présence de nombreux accompagnants et d’un reportage photo assuré par la cellule communication de la base. Cette personne est donc considérée comme « un passager VIP (Very Important Person) ». De plus, la rédaction de la note de service ne prévoit aucune solution secondaire en cas d’impossibilité de faire le vol comme par exemple un vol au simulateur, accentuant davantage la volonté de mener à bien la mission comme prévue. Cette situation conduit le personnel de l’escadron à tout mettre en œuvre pour réussir la mission jusqu’à s’empêcher de remettre en cause l’embarquement du passager. La formalisation de l’embarquement du passager à plusieurs niveaux hiérarchiques génère, pour le pilote, un impératif de réalisation du vol d’information au profit du passager. 2.3.5. Capacité décisionnelle du médecin 2.3.5.1. Planification de la visite médicale La visite médicale pour l’aptitude au vol sur aéronef équipé de siège éjectable constitue un acte d’expertise complet qui vise à vérifier si l’état physique et psychique du passager est compatible avec le vol sur ce type d’aéronef. En raison de la recherche d’un effet de surprise pour le passager et contrairement aux préconisations de la fiche technique8 rédigée par la directrice du CPEMPN (centre principal d’expertise médicale du personnel navigant) et validée par la DCSSA le 13 octobre 2011, aucune visite médicale n’a été envisagée avant le jour du vol. L’expertise a donc dû se dérouler le matin du vol dans un créneau de 35 minutes, moins de quatre heures avant l’heure prévue de départ à l’avion. Or, les recommandations faites au médecin aéronautique stipulent qu’une visite médicale pour un vol occasionnel sur aéronef doté de siège éjectable doit avoir lieu « au moins 10 jours avant le vol, pour permettre la réalisation d’un bilan complémentaire ou d’une visite en CEMPN ». La demande de rendez-vous pour cette aptitude a été formulée le 6 mars 2019, soit 14 jours avant l’évènement par le commandant de base de Saint-Dizier. Il avait été précisé au médecin que ce vol était une surprise pour le passager. Dans ce contexte, le médecin a accepté de planifier une visite d’aptitude hors des délais recommandés pour satisfaire à la demande du commandant de base. Cette planification de la visite médicale à quelques heures du vol conduit le médecin à la réaliser sous pression temporelle. Il est alors difficile pour le médecin de remettre en cause le plan d’action initialement prévu par l’organisation. Par ailleurs, une telle contrainte temporelle rend incompatible la réalisation du vol en cas de volonté du médecin de réaliser des examens complémentaires potentiellement nécessaires au regard de l’âge 8 Lettre n° 1814/DEF/DCSSA/AST/AME du 13 octobre 2011. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 31 du passager. Le médecin est donc incité à délivrer une aptitude, ou à défaut une aptitude avec limitation, afin de permettre le bon déroulement de la mission. La planification de l’expertise médicale le matin du vol ne respecte pas les recommandations du service de santé des armées. Elle incite le médecin à ne pas remettre en question le plan d’action initialement prévu et à autoriser le vol pour le passager. 2.3.5.2. Migration des pratiques Les entretiens réalisés lors de cette enquête révèlent que les visites médicales le jour du vol semblent être devenues courantes. Cette migration des pratiques devient petit à petit la norme au sein du centre médical des armées (CMA) de Saint-Dizier. Or, le respect d’un délai de 10 jours pour la réalisation de la visite médicale pour les aptitudes au vol occasionnel sur les aéronefs dotés de sièges éjectables a été établi par la DCSSA en fonction de risques identifiés pour la sécurité aérienne. Le non-respect de cette recommandation est préjudiciable à la sécurité aérienne. La normalisation progressive du non-respect du délai de 10 jours pour ce type de visite est préjudiciable à la sécurité aérienne. 2.3.6. Interface médecin-personnel navigant 2.3.6.1. Transmission de l’information Afin de réaliser son expertise, le médecin a cherché à obtenir des informations complémentaires sur l’état de santé du passager notamment par la demande de résultats médicaux antérieurs. Le médecin a également décidé de demander conseil auprès d’un médecin spécialiste de médecine aéronautique du CEMPN, compte tenu des spécificités de ce passager, comme recommandé par le service de santé des armées. Cette recherche d’informations complémentaires exige un délai supplémentaire pour évaluer l’aptitude du passager. Le départ à l’avion est prévu à 12h45 ; le planning de la matinée est donc très dense. Compte tenu des contraintes temporelles, le passager a quitté le CMA avant que le médecin ait pu contacter le CEMPN. Le passager quitte donc le centre médical avant que le médecin ait pu conclure son expertise. Au regard de son expertise, le médecin a délivré une aptitude de vol au passager sous réserve de ne pas dépasser +3 g de facteur de charge. Cette information n’a jamais été transmise au passager. Pour des raisons informatiques, le certificat n’est pas rédigé immédiatement et l’information est transmise par téléphone au pilote sans que la notion de limitation à +3 g ne soit explicitement signalée. Ainsi, ni le passager ni le commandant de bord n’a eu connaissance d’une valeur limitative du facteur de charge à +3 g. Une planification inadaptée associée à une panne informatique le jour de l’évènement ont conduit à une transmission imprécise de la restriction d’aptitude du passager au commandant de bord. Ni le commandant de bord ni le passager n’ont connaissance de la limitation du facteur de charge à +3 g. 2.3.6.2. Mise en œuvre de la restriction médicale L’enquête a mis en évidence des discordances entre les restrictions médicales et leurs applications opérationnelles dans le cas d’un vol d’information pour un passager. L’aptitude demandée par l’armée de l’air est délivrée de manière générique pour un type d’aéronef et non pour un type de vol. Dans la fiche technique visite médicale d’aptitude au vol sur aéronef doté de siège éjectable, il n’est jamais précisé aux médecins d’adapter leur expertise médicale au type de vol réalisé. Seul est mentionné le caractère facultatif des vols occasionnels auxquels le principe de précaution s’applique. Par ailleurs, l’enquête a mis en évidence que le médecin n’avait pas connaissance des spécificités des vols d’informations. Le médecin croyait que les vols d’information avec passager étaient des vols dédiés et non des BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 32 vols d’entraînement pour les pilotes. Pour le médecin, le pilote était donc en mesure d’adapter totalement le vol aux restrictions prescrites. Or, pour les pilotes de Rafale, il est impossible de réaliser un vol non dédié en se limitant à un facteur de charge à 3 g. La limitation de facteur de charge à 3 g est incompatible avec les vols d’information programmés sur les séances d’entraînement des pilotes. La limitation de facteur de charge à +3 g est inadaptée aux conditions actuelles de réalisation des vols d’information sur Rafale lors d’entraînement. La limitation de facteur de charge à +3 g impose la réalisation d’un vol dédié. 2.3.7. Contrôle des équipements et du brêlage du passager Suite à l’éjection du passager, des équipements et son brêlage ont été expertisés. Les résultats ont montré plusieurs écarts, à savoir : visières du casque non baissées, soufflet d’aisance droit du pantalon anti-g non fermé, jugulaire du casque non attachée, crémaillères de masque mal ajustées et un faible serrage des sangles d’épaules de retenue. Ces écarts sont en majorité des oublis du passager qui n’ont pas été détectés lors de son installation dans l’avion. Ils peuvent s’expliquer par le niveau de stress ressenti par le passager toute la matinée et le peu de temps disponible pour assimiler toutes les informations qui lui ont été données. Dans une telle situation, la capacité d’assimilation de l’information est très réduite. Concernant les visières du casque non baissées, celles-ci ne sont pas contrôlées par le mécanicien lors de l’installation car la visière claire n’est obligatoirement fermée qu’à l’annonce du pilote avant le décollage. Le pilote a bien effectué l’annonce attendue au passager lui indiquant de baisser la visière. La fermeture effective du soufflet d’aisance du pantalon anti-g et l’attache correcte de la jugulaire du casque ne font pas l’objet d’un contrôle systématique par le mécanicien ou le pilote. Aucune check-list spécifique n’existe. En effet, lors de la prise en compte des équipements, il est expliqué au passager comment s’équiper correctement. À partir de cet instant, le passager est considéré comme autonome pour son équipement. Enfin concernant le brêlage, il a été réalisé avec l’aide du pilote. Lors de cette installation, le « mou du dos » ne semble pas avoir été repris suffisamment, ce qui explique le serrage faible des sangles de retenue. Lors de son contrôle, le mécanicien n’a pas détecté cet écart. En effet, le passager ayant suivi le briefing siège est aussi considéré, par le mécanicien, comme autonome pour se brêler (position des mains, attache de son casque et du masque, manipulation des visières, etc.). La carte de travail de l’armée de l’air utilisée par le mécanicien lors du contrôle de l’installation à bord d’un pilote habitué précise de contrôler visuellement le brêlage. Par comparaison, la carte de travail applicable au Rafale monoplace de la Marine est plus gestuelle et les contrôles bien plus actifs (reprise du mou par le patron d’appareil par exemple). En revanche, il n’existe pas de carte de travail spécifique pour un passager occasionnel dans l’armée de l’air. Il pourrait être judicieux de s’inspirer des éléments concrets présentées dans la carte de travail « Rafale Marine ». Par ailleurs, l’enquête a également mis en lumière une interprétation erronée de l’expérience aéronautique du passager par le mécanicien ce jour-là. En effet, les collègues du passager ont fait faire un patch ressemblant au bandeau patronymique que les pilotes portent sur leur combinaison de vol. Sur celui-ci était écrit son nom et sa fonction chez l’industriel en tant que directeur des essais. Ainsi, sa fonction de directeur des essais et le port d’un patch d’identification ont conduit le mécanicien à se générer une représentation erronée de l’expérience aéronautique du passager. Celle-ci a favorisé un excès de confiance concernant le savoir-faire du passager. L’absence de check-list de contrôle spécifique et la grande autonomie laissée au passager pour s’équiper et se brêler sont à l’origine de la non détection des oublis du passager. 2.3.8. Gestion de l’évènement par le pilote L’analyse des enregistrements radio permet de constater la maîtrise de la situation par le pilote. Une fois informé que son passager s’était éjecté, le pilote prend conscience qu’il aurait dû être lui-même éjecté (annexe). Il fait alors preuve d’un calme certain pour piloter son avion malgré la multitude de messages de BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 33 panne que l’ordinateur de bord affiche et un centrage avion inhabituel (mais avec un impact léger sur le pilotage) suite à la perte du siège arrière et de la verrière. Les actions de sécurité ont été réalisées :  passage du transpondeur sur 7700 (code détresse) ;  décision d’éviter le survol de toutes les zones habitées ;  vidange du carburant ;  atterrissage adapté par une longue finale. L’évacuation sans assistance et sans sécurisation du siège par le pilote a été une décision appropriée au regard de sa formation et des risques pyrotechniques perçus comme imminents suite au dysfonctionnement exceptionnel dans la chaine pyrotechnique. La gestion par le pilote de cette situation d’urgence inédite (éjection non volontaire d’un passager associé à une panne technique du processus d’éjection) a permis de ramener l’avion sur la base et son évacuation en préservant les biens et les personnes. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 34 3. CONCLUSION L’évènement est une éjection de la place arrière commandée involontairement révélant deux faits techniques :  l’interruption de la séquence d’éjection du pilote déclenchée par le passager ;  l’absence de gonflage automatique du canot du paquetage de survie. 3.1. Éléments établis utiles à la compréhension de l’évènement Le matin du 20 mars 2019, un directeur d’une société d’armement vient, sans en avoir été prévenu, réaliser un vol de découverte en place arrière d’un avion Rafale biplace. Il est accompagné de quatre relations de travail. Il est jugé apte médicalement le matin du vol avec une restriction du facteur de charge à +3 g. Le passager suit à l’issue une séance d’habillement et d’équipement, puis une séance d’information aux spécificités du vol sur avion équipé de siège éjectable. La mission n’est pas dédiée spécifiquement au vol d’information et consiste à un entraînement au combat. L’intensité du vol est aménagée par le commandant de bord selon les éléments restrictifs non chiffrés transmis téléphoniquement par le médecin ayant délivré l’aptitude le matin même. Cet aménagement n’est pas associé à la phase de décollage. L’installation à bord du passager est réalisée avec l’aide du commandant de bord puis vérifiée par le mécanicien de piste. Le serrage des sangles hautes est faible. Le passager met son casque sans attacher la jugulaire et en fixant seulement le masque de façon asymétrique. Le passager ne baisse aucune des visières et va débuter le vol ainsi. Lors du décollage, les performances de l’avion Rafale :  occasionnent d’une part une verbalisation importante du passager et d’autre part une fréquence cardiaque très élevée ;  conduisent le pilote à appliquer un facteur de charge négatif pour stopper la montée. Découvrant la sensation du facteur de charge négatif, le passager insuffisamment sanglé et totalement surpris s’accroche à la poignée d’éjection et l’actionne involontairement. Au cours de l’éjection, le passager perd son casque et son canot ne se gonfle pas. L’interruption anormale de la séquence d’éjection permet au pilote de poser l’aéronef malgré l’absence des verrières et du siège arrière. 3.2. Causes de l’évènement Les investigations montrent que l’origine de l’action sur la poignée est la combinaison des causes suivantes :  effet de surprise organisé empêchant la préparation physique et mentale du passager et générant un stress important ;  procédures de vérification de l’installation et de l’équipement du passager insuffisantes ou inadaptées aux circonstances du jour ;  non communication au commandant de bord et au passager de la restriction médicale à 3 g suite à une aptitude médicale délivrée avec restrictions moins de 4 heures avant le vol ;  vol non dédié et donc non adapté au profil du passager et aux restrictions d’aptitude. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 35 Date de l??v?nement 20 mars 2019 36 4. RECOMMANDATIONS DE SECURITE 4.1. Mesures de prévention ayant trait directement à l’évènement 4.1.1. Autorisation d’embarquement L’autorisation d’embarquement du passager a été instruite par les délégataires et sub-délégataires de la ministre des armées conformément aux textes en vigueur. Ces textes ne précisent pas les spécificités des avions de combat à hautes performances équipés de sièges éjectables et notamment le délai recommandé par le Service de Santé des Armées de 10 jours (Cf. Lettre n° 1814/DEF/DCSSA/AST/AME du 13 octobre 2011) permettant au médecin de juger pleinement de l’aptitude physique du candidat. Ce délai permet aussi au passager d’anticiper le vol et de se préparer physiquement et mentalement. Il résout enfin toute éventuelle difficulté à transmettre le résultat de l’aptitude médicale à l’unité concernée. En conséquence, le BEA-É recommande : au cabinet de la ministre des armées, à l’armée de l’air et à la DGA ainsi qu’à Dassault Aviation pour ses vols réalisés en France de respecter le délai de 10 jours préconisé par la DCSSA entre la visite médicale et le vol, lors de l’instruction d’une demande d’autorisation d’embarquement sur avion équipé de siège éjectable. R1 – [A-2019-03-I] Destinataires : CABMIN – CEMAA – DGA – Dassault Aviation au cabinet de la ministre des armées, à l’armée de l’air et à la DGA ainsi qu’à Dassault Aviation pour ses vols réalisés en France de prévoir un vol adapté ou dédié pour l’embarquement d’un passager occasionnel sur avion équipé de siège éjectable en cas de restrictions médicales. R2 – [A-2019-03-I] Destinataires : CABMIN – CEMAA – DGA – Dassault Aviation 4.1.2. Installation à bord Des écarts par rapport à l’attendu ont été relevés sur l’équipement et l’installation à bord du passager. Par exemple, aucune prescription sur la position des mains du passager dans le cockpit n’est définie lors de l’installation. En conséquence, le BEA-É recommande : à l’armée de l’air et à la DGA, de reprendre les éléments complémentaires de la carte de travail « Rafale Marine » pour l’installation à bord d’un passager sur Rafale biplace. R3 – [A-2019-03-I] Destinataires : CEMAA – DGA à l’armée de l’air et à la DGA, d’éditer un « mémento passager » pour les avions biplaces équipés de sièges éjectables et de le rendre commun à toutes les unités concernées par type d’avion (Rafale, M2000, PC21, Alphajet). R4 – [A-2019-03-I] Destinataires : CEMAA – DGA 4.2. Mesures n’ayant pas trait directement à l’évènement 4.2.1. Dysfonctionnement interne au sélecteur de séquence Le dysfonctionnement interne au sélecteur de séquence est imputable à une évolution de la définition d’un composant pyrotechnique, classée comme amendement en gestion de configuration. La présente évolution a été classée mineure. Suite à ce dysfonctionnement, des mesures conservatoires ont été mises en place par l’autorité technique en mai 2019. BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 37 En conséquence, le BEA-É recommande : à l’autorité technique, en lien avec Dassault Aviation, de développer une solution corrective pour restaurer la robustesse des sélecteurs de séquence des avions Rafale biplace. R5 – [A-2019-03-I] Destinataire : DGA à l’autorité technique de maintenir les mesures conservatoires mises en place en mai 2019 sur la procédure d’éjection, dans l’attente d’une solution corrective. R6 – [A-2019-03-I] Destinataire : DGA à l’autorité technique de s’assurer que le processus de qualification des évolutions de la définition prenne en compte ce retour d’expérience (amendement classé mineur ayant eu un impact fonctionnel). R7 – [A-2019-03-I] Destinataire : DGA 4.2.2. Rupture du carter du sélecteur de séquence La rupture du carter du sélecteur de séquence est imputable au vissage imparfait de la vis de retenue de la ligne pyrotechnique. Le détenteur du certificat de type a établi une nouvelle gamme interne en juillet 2019 nécessitant un nouvel outillage. En conséquence, le BEA-É recommande : à l’autorité technique, en lien avec Dassault Aviation, de mettre en œuvre cette nouvelle méthode de vérification de la bonne installation des vis en phase de production et dans les unités, lors des remplacements des boîtiers ou des lignes pyrotechniques de l’avion Rafale. R8 – [A-2019-03-I] Destinataire : DGA 4.2.3. Gonflage du canot du paquetage « tempéré » L’absence de gonflage du canot est due au blocage du cordon permettant l’ouverture de la bouteille de CO2. Les travaux menés par la DMAé (détenteur de la définition pour le paquetage) depuis l’évènement ont permis d’aboutir à une évolution du paquetage en juin 2019. Il a aussi été constaté que le canot gonflé par des cartouches de CO2 se dégonflait progressivement après 24 heures. Une solution palliative à ce problème a été publiée au travers de l’acte technique n° 0592-19 su 28/06/2019. En conséquence, le BEA-É recommande : à l’armée de l’air, la Marine et la DGA mettant en œuvre des avions équipés de sièges éjectables emportant des paquetages « tempérés » similaires d’appliquer la directive d’application DMAé n° DA 002/DMAé/DSA/3S/2019 du 07 juin 2019 et l’acte technique n°0592-19 du 28 juin 2019. R9 – [A-2019-03-I] Destinataires : CEMAA – CEMM – DGA à l’autorité technique d’étudier les raisons du dégonflage progressif du canot et de mettre en œuvre une solution corrective. R10 – [A-2019-03-I] Destinataire : DGA BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 38 4.2.4. Installation de la caméra de sport L’évènement a montré que la ventouse de la caméra de sport s’est « décollée » par la dépression créée par la découpe de la verrière au moment de la séquence d’éjection. En conséquence, le BEA-É recommande : aux autorités d’emploi mettant en œuvre des avions équipés de sièges éjectables et utilisant des caméras de sport dans les cockpits de s’assurer, en lien avec l’autorité technique, qu’une caméra (ou autre équipement) fixée par un support à ventouse ne diminue pas le niveau de sécurité de l’aéronef en cas d’éjection, d’évacuation rapide ou de dépressurisation. R11 – [A-2019-03-I] Destinataires : CEMAA – CEMM – DGA BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 39 ANNEXE SCHEMA DES PHASES D’UNE SEQUENCE D’EJECTION NOMINALE (ACTIVATION DEPUIS LA POIGNEE DU SIEGE ARRIERE) BEA-É A-2019-03-I Date de l’évènement : 20 mars 2019 40