TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE STRASBOURG N°2003058 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE M. Nicolas FADY et autres . AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS M. 81mon Juge des référés L ‘ rfr : Ordonnance du 25 mai 2020 e juge des re eres Vu la procédure suivante : Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 et le 24 mai 2020 sous le n° 2003058, M. Nicolas Fady, Mme Anne— Claire Muller—Pistre, M. Steeve Batot, Mme Muriel Roy—Parmentier, M. Charles—Antoire Hosseini Dareh Poshty et M. Quentin Araud demandent au juge des référés : 1 °) A titre principal, d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de l’arrêté du 20 mai 2020 du maire de la commune de Strasbourg ayant pour objet l’obligation de porter un masque couvrant la bouche et le nez pour les personnes de plus de onze ans fréquentant les rues et zones situées, notamment, sur la Grande—Ile de 10 heures à 20 heures du 21 mai au 2 juin 2020 sous peine d’amende prévue pour les contraventions de première classe ; 2°) A titre subsidiaire, de prescrire toute mesure utile de nature à faire cesser l’atteinte grave et manifestement illégale portée par le maire de la commune de Strasbourg aux libertés fondamentales. M. Fady et autres soutiennent que : - la condition d’urgence est remplie ; - la décision porte une atteinte grave et immédiate à la liberté d’aller et de venir, à la liberté d’entreprendre, au droit à la protection de la santé et au droit fondamental au respect de la vie privée et familiale protégée par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors que l’édiction de mesures de police a été réservée par les textes relatifs à l’état d’urgence sanitaire aux autorités nationales et aux préfets de département, et que la subordination de tout déplacement sur la Grand-Ile au port d’un dispositif de protection buccal et nasal que l’arrêté litigieux met en œuvre est inj ustifié et disproportionné sans qu’aucune circonstance locale particulière à la commune de Strasbourg le justifie. Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2020, présenté par la SELARL Leonem, la commune de Strasbourg, représentée par son maire en exercice, conclut au rejet de la requête et demande que soit mis à la charge des requérants la somme de 2 500 euros au titre de l’article L 761 -1 du code de justice administrative. N° 2003058 2 La commune de Strasbourg fait valoir que : - la condition d’urgence n’est pas remplie, les requérants n’apportant aucun argument quant à l’atteinte spécifique à la liberté d’aller et de venir, à la liberté d’entreprendre, au droit à la protection de la santé et au droit fondamental au respect de la vie privée et familiale protégée par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; - la décision ne peut porter une atteinte grave et immédiate à la liberté d’aller et de venir dès lors qu’elle est strictement limitée dans le temps et dans l’espace et qu’elle est proportionnée aux circonstances locales particulières de la commune de Strasbourg. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - le code général des collectivités territoriales ; - le code de la santé publique ; - la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ; - le décret 2020-545 du 11 mai 2020 ; — le code de justice administrative. Le président du tribunal a désigné M. Simon, premier conseiller, pour statuer sur les demandes de référé. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Au cours de l’audience publique du 23 mai à 14 heures tenue en présence de M. Bohn, greffier d’audience, M. Simon a lu son rapport et entendu : - M. Fady et Mme Muller-Pistre, requérants ; - Me Maetz, avocat, et M. Gompel, représentant la commune de strasbourg. La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience. Considérant ce qui suit : 1. Par un arrêté du 20 mai 2020, le maire de la commune de Strasbourg a obligé les personnes de plus de onze ans à porter un masque « grand public » ou chirurgical couvrant la bouche et le nez pour fréquenter les voies et places situés sur la Grande—lle, les ponts et voies adjacentes, du 21 mai au 2 juin 2020 de 10 heures à 20 heures. M. Fady et autres demandent la suspension de l’exécution de cet arrêté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. 2. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». Sur le cadre juridique du litige : 3. D’une part, la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid—l 9 a introduit dans le titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique un chapitre Ier bis relatif à l’état d’urgence sanitaire, comprenant les articles L. 3131-12 à L. 3131-20. Aux termes N° 2003058 3 de l’article L. 3131-12 dudit code : « L'état d‘urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire (...) en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. » Aux termes du I de l’article L. 3131-15 du même code, dans les circonscriptions territoriales où l‘état d‘urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut notamment, aux seules fins de garantir la santé publique : « ] ° Règlementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer ! ’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ; 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ; 3° Ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l'article ] er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d'être aflectées ; 4 ° Ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, au sens du même article ] er, à leur domicile ou tout autre lieu d 'hébergement adapté, des personnes affectées ; 5 ° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris les conditions d 'accès et de présence, d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ; 6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature (...) ». L’article L. 3131-16 donne compétence au ministre chargé de la santé pour : « prescrire, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l'exception des mesures prévues à l'article L. 3131-15, visant à mettre fin a la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131—12 », ainsi que pour « prescrire toute mesure individuelle nécessaire à l'application des mesures prescrites par le Premier ministre en application des 1 ° à 9° du I de l'article L. 3131-15. ». Enfin, aux termes du I de l’article L. 3131-17 de ce code : «Lorsque le Premier ministre ou le ministre chargé de la santé prennent des mesures mentionnées aux articles L. 3131-15 et L. 3131—16, i ls peuvent habi li ter le représentant de l'Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d'application de ces dispositions./ Lorsque les mesures prévues aux 1 °, 2° et 5° à 9° de l'article L. 3131-15 et à l'article L. 3131-16 doivent s'appliquer dans un champ géographique qui n'excède pas le territoire d'un département, les autorités mentionnées aux mêmes articles L. 3131-15 et L. 3 I 3 1 -I 6 peuvent habiliter le représentant de I 'E tat dans le département a les décider lui—même. Les décisions sont prises par ce dernier après avis du directeur général de l'agence régionale de santé. ». 4. D’autre part, aux termes de l’article L. 2542-3 du code général des collectivités territoriales applicable en Alsace Moselle : « Les fonctions propres au maire sont de faire jouir les habitants des avantages d'une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics. Il appartient également au maire de veiller à la tranquillité, à la salubrité et à la sécurité des campagnes. ». Par ailleurs aux termes de l’article L. 2542-4 du même code : « Sans préjudice des attributions du représentant de l ’Etat dans le département en vertu du 9° de l'article 2 de la section [II du décret du 22 décembre 1789, les objets de police confiés à la vigilance et à l'autorité du maire sont ceux déterminés aux 1 °, 3 °, 4°, 6° et 7° de l'article L. 2212—2. Le maire a également le soin : (…) 2° De prévenir par des précautions convenables, et celui de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux, tels que les incendies, les épidémies, les épizooties, en provoquant aussi, dans ces deux derniers cas, l'intervention de l'administration supérieure. ». 5. Par les dispositions citées au point 3, le législateur a institué une police spéciale donnant aux autorités de l’Etat mentionnées aux articles L. 3131-15 à L. 3131—17 du code de la santé publique précités la compétence pour édicter, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures générales ou individuelles visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l’épidémie de covid-l9, en vue, notamment, d’assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné et de les adapter en fonction de l’évolution de la situation. N° 2003058 4 6. Les articles L. 2542—3 et L. 2542-4 du code général des collectivités territoriales applicables en Alsace Moselle, cités au point 4, autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements. En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne, au titre de son pouvoir de police générale, des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat. Sur la demande en référé : 7. La mesure tendant à imposer le port d’un masque de protection buccal et nasal à toute personne de plus de onze ans fréquentant les voies publiques, notamment de la Grande—Ile, de 10 heures à 20 heures jusqu’au 2 juin 2020, définie par l’arrêté contesté est une mesure de police du maire de Strasbourg relative à la période dite de déconfinement en complément aux mesures de police spéciale prises par les autorités de l’Etat. 8. A ce titre, l’arrêté en litige précise que l’imposition d’un masque est justifiée par la circonstance que l’académie nationale de médecine a préconisé, par un avis du 22 avril 2020, le port du masque anti-projection de façon généralisée dans l’espace public, par la tribune publiée par plus de cinquante médecins, scientifiques et prix Nobel dans le magazine « Le Point» du 7 mai 2020 réclamant l’obligation du port d’un masque ou d’une protection faciale et par la position du conseil consultatif de sortie du confinement de la commune de Strasbourg sur l’utilité du port du masque sur l’espace public. L’arrêté fait également état du classement du département du Bas-Rhin en zone rouge le 7 mai 2020 dans le plan gouvernemental dit de déconfinement et le maintien de nombreuses mesures restreignant la liberté de déplacement pour limiter la promiscuité des populations, du caractère actif de la propagation du coronavirus et de l’état de tension toujours constaté par les autorités sanitaires concernant les soins hospitaliers sur le territoire de la commune de Strasbourg. Enfin, l’arrêté mentionne l’annexe 1 liée à l’article 1er du décret 2020-545 du 11 mai 2020 qui prévoit que les masques doivent être portés systématiquement par tous dès lors que les règles de distanciation physique ne sont pas garanties et l’arrêt du Conseil d’Etat du 17 avril 2020 qui précise que, dans le respect de la cohérence et de l’efficacité des mesures prises par les autorités de l’Etat, le maire était compétent pour prendre toutes mesures sur son territoire pour des raisons impérieuses liées à des circonstances locales. 9. Il résulte de l’instruction et des différents documents émanant de Santé publique France et de l’Agence régionale de santé du Grand Est, produits par les parties, que, contrairement à ce que prétend le maire de Strasbourg, les urgences hospitalières dans la commune, àla date de l’arrêté, ne sont plus sous tension liée au coronavirus et que depuis le 11 mai 2020, toute personne présentant des symptômes évocateurs de cette infection dans le Grand Est peut être testée. Par ailleurs, l’obligation du port du masque couvrant la bouche et le nez existe déjà sur - des zones où la distanciation physique est difficile à respecter, telles que les marchés installés sur la Grande-lle ou les arrêts du tramway, et la plupart des commerces du centre—ville l’imposent pour pénétrer dans leurs magasins. Enfin les voies et places de la Grande—Ile, les ponts et voies et adjacents, même s’ils concentrent une part importante des commerces de la commune, sont des zones situées à l’air libre alors que la plupart des études démontrent que la contamination par la covid-l9 se fait N° 2003058 5 essentiellement en lieu clos. Selon ces études le port du masque, dans ces circonstances, ne présente pas d’utilité à lui seul si les autres gestes barrière ne sont pas, par ailleurs, respectés. Dans ces conditions, l’arrêté du 20 mai 2020, qui est une mesure de police administrative générale prise par le maire en complément aux mesures de police spéciale prises par les autorités de l’Etat, n’est justifié par aucune raison impérieuse liée à des circonstances locales propres à la commune de Strasbourg. 10. Or les requérants font valoir que cet arrêté porte une atteinte grave et immédiate, au droit au respect de la vie privée et familiale qui est une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521 -2 du code de justice administrative. En effet les choix faits quant à] 'apparence que l'on souhaite avoir, dans l‘espace public comme en privé, relèvent de l'expression de la personnalité de chacun et donc de la vie privée. L’obligation du port du masque dans la Grande-ile, les ponts et voies adjacente est donc une ingérence dans l‘exercice du droit au respect de la vie privée, au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et cette ingérence n’est justifiée par aucune raison impérieuse liée à des circonstances locales propres àla commune de Strasbourg. 1 1. En conclusion, l’arrêté contesté porte une atteinte immédiate à la vie privée des personnes appelées à se déplacer sur le territoire de la Grande-Ile, les ponts et voies adjacentes. Il n‘apparaît pas, notamment pour les motifs exposés au point 9, qu'un intérêt public suffisant s'attache à son maintien. La condition d‘urgence prévue par l'article L. 521-2 du code de justice administrative est, dès lors, également remplie. Par suite, il y a lieu de suspendre l’arrêté du 20 mai 2020 du maire de la commune de Strasbourg. Sur les conclusions tendant présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : 12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacles aux conclusions de la commune de Strasbourg qui est, dans la présente instance, la partie perdante. Par suite, il y a lieu de rejeter ses conclusions au titre de l’article L. 761—1 du code de justice administrative. ORDONE: Article 1 : L’arrêté du 20 mai 2020 du maire de la commune de Strasbourg est suspendu. Article 2 : Les conclusions de la commune de Strasbourg présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Nicolas Fady en application du dernier alinéa de l’article R. 751-3 du code de justice administrative et àla commune de Strasbourg. Copie en sera adressée à la préfète de la région Grand-Est, préfête du Bas-Rhin et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Strasbourg. N° 2003058 6 Fait à Strasbourg, le 25 mai 2020. Le juge des référés, Henri Simon La République mande et ordonne au préfet du Bas-Rhin en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision. Pour ex " ' Le grefn on conforme,