STEBE ]13 "€ … .! ŒC de La _sécurité mteneure. Livre blanc de la sécurité intérieure SYNTHÈSE Le Livre blanc de la sécurité intérieure prend en compte les enjeux de la sécurité intérieure du 21e siècle, en dessinant le pacte de protection et de sécurité des Français, plaçant l’humain au cœur de l’action. Il s’appuie sur une concertation large et ouverte : experts de la sécurité, élus, préfets, agents de terrain, chercheurs et universitaires, acteurs de la sécurité privée sans oublier les citoyens eux-mêmes avec la conférence organisée en janvier 2020. Le document s’inscrit dans l’esprit et la continuité des réformes engagées depuis 2017. Sa méthode permet une approche globale des enjeux de sécurité intérieure. Il s’agit donc d’un document de prospective qui émet près de 200 propositions. Ces propositions se caractérisent par un fort volontarisme sur des sujets structurants, par une approche pragmatique et par leur dimension humaine. Ce Livre blanc pose donc le principe d’une sécurité à hauteur d’homme. 1.  De la nécessité de renouveler le pacte de protection et de sécurité La rénovation du pacte de protection et de sécurité repose sur la restauration d’une relation de confiance entre la population et les forces de sécurité. Cela exige de revoir en profondeur les modalités d’exercice des missions des policiers et des gendarmes en leur redonnant du sens. 1.1. Recréer les conditions de la confiance entre la population et les forces de sécurité Le Livre blanc postule que les forces de sécurité et les acteurs institutionnels ne peuvent aujourd’hui penser la manière dont ils accomplissent leurs missions sans y intégrer les citoyens. ➢ Mieux faire connaître les forces de sécurité intérieure : il s’agit de donner un cadre pour développer les échanges avec la population, de valoriser la mission d’accueil et de mieux prendre en compte l’évolution des usages notamment numériques. ➢  Favoriser l’engagement citoyen aux côtés des forces de sécurité intérieure en : –  s’appuyant sur le service national universel ; –  développant une culture du risque pour accompagner la résilience de la population ; –  formant aux gestes de premier secours ; –  optimisant le recours au volontariat et aux réservistes. Ces mesures viendront compléter les dispositifs de participation citoyenne. ➢ Renforcer la communication stratégique et opérationnelle du ministère. Le ministère doit conforter la communication en tant qu’élément fédérateur, contribuant à la légitimité de l’action des forces, en renforçant la lisibilité de l’action et sa compréhension par les citoyens. La dimension relative aux statistiques relève de cette démarche. Il s’agit de rapprocher 3 le ressenti de la population des outils de mesure, de communication et de pilotage proposés aux autorités. 1.2. Réaffirmer le sens de la mission des forces de sécurité intérieure La mutation du pacte de protection et de sécurité passe par une clarification des missions et de la manière de les exercer. Il s’agit de définir les stratégies les plus adaptées à la réalité du terrain pour agir sur les lignes de fractures de la société et les causes de la violence. A contrario, le Livre blanc s’interroge à nouveau sur les missions dites périphériques, qui éloignent le policier et le gendarme de son cœur de métier : leur allègement est une gageure, en particulier dans le cadre d’un continuum de sécurité renforcé (polices municipales et sécurité privée) et à l’aide de la modernisation des outils. Protéger les citoyens et assurer la sécurité au quotidien La police de sécurité du quotidien, gage d’une relation de confiance durable avec la population, est aujourd’hui posée comme le principe d’action de la sécurité publique. La lutte contre le trafic des stupéfiants et ses effets collatéraux s’inscrit également dans cette recherche pour apporter une réponse aux attentes de sécurité de la population dans leur vie de tous les jours tout en appréhendant les phénomènes à la bonne échelle (déploiement de l’OFAST et des cellules de renseignement opérationnel sur les réseaux criminels. Cette approche, ancrée sur la réalité du terrain, tournée vers la population, correspond à celle déployée pour lutter contre les violences aux personnes, à l’image celles engagées depuis bientôt trois années contre les violences intrafamiliales et conjugales. Garantir l’état de droit et protéger les libertés publiques et individuelles Le combat contre le terrorisme et la radicalisation est sans doute aujourd’hui l’illustration la plus aboutie d’une mission appréhendée globalement par un chef de file, la DGSI. Cela passe en particulier par une coordination des services de renseignement. Le Livre blanc recommande d’appliquer cette méthode, dans un moindre degré d’intégration, pour lutter contre les subversions violentes. Garantir la liberté de manifester tout en assurant la sécurité de tous et la protection des institutions Le schéma national de maintien de l’ordre révisé en 2020 repose sur la recherche d’un équilibre entre la sécurité de tous et la liberté de manifester et de s’exprimer. Protéger contre les formes de criminalité amplifiées par le développement des flux internationaux Sont concernés la délinquance économique et financière mais aussi des champs nouveaux investis par les criminels, comme l’environnement et la santé publique. Des propositions sont émises pour rationaliser les structures tout en renforçant la professionnalisation des policiers et des gendarmes en charge de ces enquêtes. En matière de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, il est envisagé de 4 Livre blanc de la sécurité intérieure conforter la mission de l’OCLAESP(1) en le transformant en service à compétence nationale. Le proxénétisme des mineurs est révélateur de cette nécessité de mieux prendre en compte ces délinquances exacerbées par les flux internationaux : il convient de se doter des outils nécessaires selon une approche ministérielle associant les acteurs étatiques concernés (Éducation nationale, Justice, etc). Protéger en anticipant mieux les crises Depuis longtemps, le ministère de l’Intérieur, fort de son réseau territorial animé par le corps préfectoral, sert de pivot interministériel en accueillant le Centre interministériel de crise. La gestion de crise récente démontre la nécessité de redéfinir les conditions de pilotage de la crise, de renforcer la résilience du ministère et ses capacités pivots nécessaires pour assurer le traitement de la crise et la continuité d’activité. 1.3. Promouvoir et valoriser l’exemplarité Les personnels de la sécurité intérieure doivent pouvoir s’appuyer sur un socle solide de valeurs partagées, qui garantisse la fierté de l’exercice de leurs missions, leur exemplarité, et la relation de confiance avec la population. Le respect de la déontologie est le plus souvent appréhendé sous l’angle de la sanction, plutôt que dans une démarche positive valorisant l’exemplarité dans l’exercice des missions. La dimension déontologique, placée au cœur de la politique managériale, doit apparaître de manière visible et positive dans l’activité opérationnelle des agents. 2.  Assurer la cohérence de l’ensemble des acteurs du continuum de la sécurité La politique de sécurité intérieure, dont le ministère de l’Intérieur est la clef de voûte, se pense et se déploie en tenant compte de l’interpénétration des enjeux de sécurité intérieure avec d’autres politiques publiques (Justice, Armées, Éducation nationale, Transition écologique, Santé). L’idée cardinale défendue au travers du continuum de sécurité consiste à rappeler que les forces de sécurité intérieure ne peuvent pas seules répondre à l’ensemble des problèmes de sécurité. Parce d’autres d’acteurs peuvent jouer leur rôle dans le cadre d’un partenariat renforcé, encore faut-il leur donner les moyens en étendant leurs compétences. 2.1. Mieux prendre en compte le continuum au sein du ministère de l’Intérieur Le ministère de l’Intérieur ne s’est pas suffisamment organisé pour prendre en charge les sujets liés au continuum. Une évolution vers une structure plus intégrée, qui serait un point d’entrée pour les partenaires, coordonnerait le travail intra-ministériel et à formaliserait des doctrines et cadres d’emplois nationaux, sans se substituer aux directions métiers sur le champ opérationnel, permettrait de rendre l’Intérieur proactif et lisible. 1  OCLAESP : office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique. 5 2.2. Conforter le rôle du maire et des polices municipales dans la sécurité du quotidien Le Livre blanc réaffirme que le maire est et doit rester le pivot de la sécurité dans sa commune, en sa qualité d’agent de l’État disposant d’un pouvoir général de police administrative. Plusieurs mesures s’attachent néanmoins à rendre les pouvoirs des maires plus effectifs et plus clairs (pouvoir de sanction, forfaitisation). L’échelon intercommunal est quant à lui confirmé dans son rôle de mutualisation des moyens ou, de manière extensive, des polices (communautaires). Enfin, le Livre blanc ouvre la voie à une réflexion sur les pouvoirs de police d’autres niveaux de collectivités (départements, régions) sur leurs domaines. Face à leur développement, il convient d’accompagner la mise en place des polices municipales par des mesures claires quant à leurs compétences, leurs moyens et leur contrôle externe. Le Livre blanc inscrit le ministère dans une dynamique proactive d’accompagnement du déploiement de ce partenaire de la sécurité. Les premières propositions visent à lever les obstacles juridiques (ex : seuils) qui entravent inutilement la création de polices municipales. Si elles doivent devenir des partenaires renforcés, alors des mesures sont à mettre en œuvre (statut d’officier municipal judiciaire, renforcement du pouvoir de substitution du préfet en cas d’inaction du maire, réaffirmation du contrôle des polices municipales par les inspections du ministère de l’Intérieur). 2.3. Confier des compétences nouvelles aux acteurs privés de la sécurité sous réserve d’apporter des garanties de contrôle La sécurité privée (entreprises, services internes de sécurité) est déjà et sera encore plus à l’avenir un partenaire du continuum. Cette évolution implique des opérateurs de sécurité privée irréprochables dans leur moralité et leur fonctionnement. Les mesures proposées visent à structurer la profession et à renforcer les moyens de contrôle des règles encadrant les fonctions de protection et de surveillance (limitation de la sous-traitance en cascade, garantie financière). Le CNAPS doit être adapté et renforcé pour exercer une tutelle efficace. La dévolution de compétences nouvelles et d’outils supplémentaires pourrait ensuite être envisagée : capacité de transaction et de participation à des procédures simplifiées, concours de la sécurité privée à certaines missions réalisées par les FSI, armement non-létal, protection juridique, nouvelles technologies. 3.  Garantir l’efficacité de l’action des forces de sécurité intérieure 3.1. Déployer une approche transversale, décloisonnée et déconcentrée des missions de sécurité et adapter les organisations en conséquence Les forces de sécurité intérieure doivent appréhender leurs missions selon une approche plus intégrée : dépasser les frontières des services pour privilégier un regard transversal. Les principes directeurs, qui doivent guider la nouvelle organisation, se fondent sur la transversalité, le décloisonnement, la déconcentration et la proximité avec le terrain sous l’autorité des préfets de département. 6 Livre blanc de la sécurité intérieure La contrepartie de la souplesse et de l’agilité conquises dans les départements résidera dans l’autorité réaffirmée des directeurs généraux et, là où c’est justifié, par la désignation de chefs de filât ou la création d’outils de pilotage et de coordination renforcés, tels les offices ou les services à compétence nationale (SCN). Le Livre blanc constate d’ailleurs la montée en puissance de services hautement spécialisés, dont la réussite passe par des réorganisations profondes capables d’anticiper les besoins, de réunir et de mutualiser les compétences et les connaissances au service d’un même objectif. Cette évolution paraît opportune en matière de lutte contre la cybercriminalité et dans le domaine de la police technique et scientifique : il est proposé de créer deux SCN. 3.2. Redessiner la carte territoriale des forces de sécurité en conjuguant territoires, proximité et efficacité L’organisation territoriale des forces de sécurité intérieure n’échappe pas à cette logique de mutualisation. Il paraît nécessaire de mieux faire coïncider la répartition des forces avec les caractéristiques des territoires par une révision du régime de la police d’État et une adaptation des critères liés aux seuils de population. Le Livre blanc, ce faisant, n’exclut pas le principe de départements monoforces. 3.3. Mener à bien la réforme profonde et nécessaire de la gouvernance de la Police nationale L’application des principes de décloisonnement et de déconcentration prend tout son sens avec la réforme de la gouvernance de la police nationale. Le modèle d’évolution envisagé préconise d’unifier la gouvernance de la Police nationale en regroupant les métiers au sein de filières animées à chaque échelon territorial par un directeur. Cela se traduira par une réorganisation au niveau central de la DGPN autour de directeurs nationaux chargés d’animer chacun des métiers de la police. Un mouvement de déconcentration résolu du modèle de gouvernance ainsi rénové sera par ailleurs engagé. Les directeurs départementaux de la police nationale se subsisteraient aux actuels directeurs territoriaux (sécurité publique, police judiciaire, police aux frontières, etc). Cette réforme confortera l’autorité des préfets dans la conduite de leurs missions de sécurité dans le département. 4.  Les ressources humaines, matérielles et technologiques nécessaires pour garantir la transformation du pacte de protection et de sécurité 4.1. Promouvoir une nouvelle politique des ressources humaines L’ambition de transformation portée par le Livre blanc doit pouvoir s’appuyer sur une nouvelle politique des ressources humaines, centrée sur les parcours professionnels, mettant l’accent sur la modernisation des méthodes, et affirmant une véritable stratégie managériale, condition de l’efficacité des services et de la qualité du climat social. 7 Rénover les modalités de recrutement et de formation Le recrutement et la formation doivent s’adapter aux missions, en rénovant les épreuves des concours (diversification des viviers des candidats, modernisation des épreuves) et les cursus de formation initiale (numérique, mises en situation). La formation continue prendrait une place centrale, articulée avec la carrière, en priorisant le management et les formations opérationnelles. En outre, la communauté de sécurité intérieure a besoin d’un lieu de réflexion stratégique, qui pourrait prendre la forme d’une académie de la sécurité intérieure, dont la vocation première serait de proposer des analyses et des formations de haut niveau. Construire les carrières par le développement des compétences Les déroulements de carrière doivent être construits et s’appuyer sur le développement des compétences et sur la mobilité (collectivités locales, entreprises). Ces nouvelles orientations impliqueraient une rénovation profonde du dispositif d’évaluation qui s’appuiera sur les compétences managériales. Le défi de l’attractivité de certains territoires, notamment la plaque parisienne, impose d’évaluer les dispositifs en place pour éventuellement les réorienter. Affirmer l’exigence managériale L’exigence managériale constitue une condition première de la professionnalisation des personnels. Il s’agit de consolider la chaîne managériale à tous les niveaux hiérarchiques, et de donner un pouvoir accru aux chefs de service sur le terrain pour la gestion des personnels et des moyens. Cette nouvelle exigence managériale doit prendre appui sur la promotion de l’exemplarité et l’adhésion à des valeurs communes, dont la déontologie constitue le cadre. Développer une politique d’accompagnement social de proximité L’action sociale, qui participe à la cohésion de la communauté de travail et à la protection des personnels, doit se traduire de manière plus individualisée dès l’accueil des agents. Les mesures en faveur du logement, des gardes d’enfants et de la protection des personnels blessés en service, peuvent être renforcées. Adapter l’organisation RH à cette nouvelle politique L’affirmation de l’unité de la mission « ressources humaines » au niveau central passe, pour la police nationale, par la fin de la dispersion des services en charge des ressources humaines. L’exercice de la fonction RH doit en outre faire l’objet d’une nouvelle déconcentration, qui se traduira par la mise en place de délégations territoriales au sein de la DRCPN. Les représentants des personnels seront étroitement associés à la mise en œuvre de ces mesures, dans le cadre d’un agenda social qui permettra de structurer le dialogue à venir. 8 Livre blanc de la sécurité intérieure 4.2. Porter le ministère de l’Intérieur à la frontière technologique En dépit des progrès accomplis, les services de sécurité intérieure souffrent encore de retards dans leur transformation numérique et d’un niveau d’investissement insuffisant dans les technologies de rupture. Il est dès lors impératif d’accentuer les efforts afin de pleinement adapter le ministère à la société numérique. La vie numérique dans ses différentes dimensions (privée, publique, citoyenne) se développe rapidement, ce qui implique de structurer une réponse adaptée afin d’offrir les services attendus par les Français et de les protéger dans l’espace numérique. Moderniser les outils des forces de sécurité Même si elles soulèvent d’importantes questions juridiques ou éthiques, ainsi que de réelles résistances qui ne pourront être réduites que par une pédagogie soutenue et une progressivité compatible avec l’élaboration de compromis sociaux, la diffusion des technologies de rupture ouvre de nombreuses perspectives dans les pratiques quotidiennes des forces (équipement mobile, automatisation partielle des tâches, coopération homme-machine) et dans les outils de sécurisation et de lutte contre la criminalité (nouvelles biométries). Plusieurs chantiers sont à engager ou intensifier : La rénovation de la biométrie. Les nouvelles technologies permettent d’envisager la modernisation des outils des forces de sécurité intérieure, notamment pour la lutte contre la criminalité. Dans le domaine clef des biométries, plusieurs chantiers sont à engager ou intensifier (rénovation des formes traditionnelles et intégration de nouvelles capacités liées à l’IA) par l’adoption d’une approche multibiométrique, le développement des biométries à distance (visage, voix, odeur) par des programmes expérimentaux ou encore l’adaptation de l’ensemble des capteurs aux applications biométriques. Le recours aux technologies d’intelligence artificielle (IA) pour faire face au volume croissant d’information. Il est indispensable de mettre les potentialités émergentes offertes par la science de la donnée au service des agents publics (traitement automatisé de l’image, de la voix et du texte : commande vocale, compte-rendu vocal, analyse des bandes-vidéos). De même, ces technologies peuvent servir dans l’espace public (caméras capteurs de sons, d’images par exemple associés à des situations de danger imminent). Enfin, l’adoption d’un corpus législatif adapté aux données d’apprentissage (constitution, conservation, exploitation, supervision des jeux de données) servirait au développement 9 des systèmes d’IA pour les services de police (judiciaire, sécurité publique) et les partenaires du continuum ainsi qu’à la fiabilisation de ces outils pour le respect des libertés. L’amélioration de la connectivité des services de sécurité intérieure. Les avancées proposées reposent sur l’amélioration de la connectivité des services de sécurité intérieure dont les principaux chantiers, pour certains lancés, doivent être confortés ou initiés : –  continuer le programme « Réseau Radio du Futur » (RRF : déploiement de l’équivalent 4G, ultérieurement adaptable à la 5G, d’ici à 2025) ; ­–  œuvrer pour un plan d’augmentation des débits du Réseau interministériel de l’État (RIE) ; –  remettre à niveau le réseau filaire (en passant à la fibre), basculer vers une sécurité informatique compatible avec la mobilité projetée et le télétravail. Adapter l’organisation et la culture du ministère de l’Intérieur à la société numérique. Enfin, il sera nécessaire d’adapter l’organisation et la culture du ministère de l’Intérieur à la société numérique en développant les filières technologiques et numériques (notamment par le recrutement des profils à double culture technologique et juridique) et en renforçant le portage transverse de la recherche et de l’innovation. En outre, le ministère doit s’inscrire dans une logique d’écosystème de services de sécurité en s’interfaçant avec les enjeux de la transformation numérique des autres acteurs du continuum de sécurité. Il doit prendre toute sa part à la promotion et la préservation de nos intérêts publics et industriels dans le domaine. La mise en œuvre de nombreuses propositions, notamment relatives aux outils et moyens des forces de sécurité intérieure, soulève des questions juridiques et éthiques qu’il est nécessaire de prendre en compte par des garanties. 4.3. Se donner les moyens de la sécurité de demain La politique de sécurité intérieure doit s’appuyer sur des moyens matériels modernes et efficaces. Or les moyens budgétaires consacrés au fonctionnement des services de sécurité se sont érodés, au détriment des investissements dans les matériels, l’immobilier et les technologies. Il est donc indispensable de repenser l’équilibre de la répartition budgétaire et d’opter pour un plan ambitieux de modernisation des moyens matériels, dont certaines mesures sont proposées dans le cadre du plan de relance en cours de discussion avec les ministres de l’économie et de l’action et des comptes publics. Le Livre blanc propose de porter les crédits de la mission sécurités à 1 % du PIB en 2030 pour répondre aux priorités du ministère : –  Relever le défi technologique. Il concerne la modernisation des systèmes et des applications (interopérabilité des fichiers, identité numérique), celle des infrastructures et des systèmes d’information, les investissements 10 Livre blanc de la sécurité intérieure indispensables à réaliser en matière d’intelligence artificielle, ou la poursuite du déploiement des moyens mobiles (NEO). –  Rénover le parc immobilier pour mieux accueillir le public et offrir aux personnels un environnement de travail satisfaisant. Remédier à la vétusté des locaux de travail et d’habitation, renforcer la sécurité des installations, assurer au public des conditions d’accueil correctes, et donner au personnel des espaces de travail, de repos et de restauration décents, sont autant de nécessités. –  Renouveler et adapter les équipements, et d’abord les véhicules dont le vieillissement est source de coûts d’entretien et de maintenance et peut limiter l’action des forces. –  Les moyens aériens constituent une source de préoccupation, tant pour les forces de sécurité intérieure que pour la sécurité civile. Outre le recours aux nouvelles technologies, avec le développement des drones, une attention particulière sera portée sur le renouvellement de la flotte de la Sécurité civile, indispensable pour le risque de rupture capacitaire. –  La rénovation du dispositif d’alerte des populations, proposée par ailleurs, devra trouver son financement dans le cadre de la programmation budgétaire globale. La recherche de contreparties contribuera à cet objectif. Le Livre blanc permet d’identifier des sources d’économies liées à la réorganisation de l’administration centrale de la police nationale. Des efforts seront aussi demandés à la gendarmerie nationale et à la sécurité civile (mutualisations des acquisitions, notamment les moyens aériens). La dimension européenne des financements pour le renouvellement des avions de lutte contre les feux de forêt peut être intégrée. 11 SOMMAIRE SYNTHÈSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 1.  De la nécessité de renouveler le pacte de protection et de sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 1.1. Recréer les conditions de la confiance entre la population et les forces de sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 1.2. Réaffirmer le sens de la mission des forces de sécurité intérieure . . . . 4 1.3. Promouvoir et valoriser l’exemplarité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 2.  Assurer la cohérence de l’ensemble des acteurs du continuum de la sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. Mieux prendre en compte le continuum au sein du ministère de l’Intérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. Conforter le rôle du maire et des polices municipales dans la sécurité du quotidien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3. Confier des compétences nouvelles aux acteurs privés de la sécurité sous réserve d’apporter des garanties de contrôle . . . . . 3.  Garantir l’efficacité de l’action des forces de sécurité intérieure . . . . . . 3.1. Déployer une approche transversale, décloisonnée et déconcentrée des missions de sécurité et adapter les organisations en conséquence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. Redessiner la carte territoriale des forces de sécurité en conjuguant territoires, proximité et efficacité . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3. Mener à bien la réforme profonde et nécessaire de la gouvernance de la Police nationale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 5 6 6 6 6 7 7 4.  Les ressources humaines, matérielles et technologiques nécessaires pour garantir la transformation du pacte de protection et de sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 4.1. Promouvoir une nouvelle politique des ressources humaines . . . . . . . . 7 4.2. Porter le ministère de l’Intérieur à la frontière technologique . . . . . . . 9 4.3. Se donner les moyens de la sécurité de demain . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 LIVRET INTRODUCTIF ÉVOLUTION DES ENJEUX SÉCURITAIRES : VERS DE NOUVEAUX DÉFIS POUR LES ACTEURS DE LA SÉCURITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 1.  De l’insécurité du quotidien à la grande criminalité, la délinquance se manifeste sous des formes multiples . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 1.1.  Enracinées ou en mutation, les différentes formes de la délinquance modifient le rapport à la sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 1.1.1. Réduire la délinquance du quotidien reste une priorité . . . . . . . . . . . 25 1.1.2.  Même d’intensité variable, l’insécurité concerne l’ensemble du territoire national . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 12 Livre blanc de la sécurité intérieure 1.1.3.  Les violences contre les personnes sont marquées par une évolution préoccupante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 1.1.4. L ’émergence de nouvelles formes de radicalités et de mouvances subversives violentes constitue un défi supplémentaire . . . . . . . . . . . 27 1.2.  Les enjeux de sécurité dépassent les frontières nationales . . . . . . . . . 28 1.2.1. Le risque terroriste s’inscrit dans la durée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 1.2.2. L es formes de criminalité organisée se recomposent et se complexifient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 1.2.3. L es flux d’immigration irrégulière exercent une pression d’une ampleur inédite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 1.2.4. L es risques cyber et les manifestations numériques de la délinquance se sont généralisés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 1.2.5. L es crises se succèdent à un rythme soutenu et deviennent plus complexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 2.  L’exigence de sécurité exprimée par une société en mutation devient plus forte mais aussi moins consensuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 2.1. L a population attend un pacte de protection et de sécurité renouvelé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 2.1.1. Les recompositions sociales et territoriales transforment la société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 2.1.2. Le rapport à l’information et aux institutions se transforme . . . . . . . 34 2.1.3. Les violences à l’égard des dépositaires de l’autorité augmentent . . 36 2.1.4. L a présence, l’accessibilité et la proximité de l’État sur tout le territoire demeurent indispensables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 2.2. L a protection des acteurs économiques devient un enjeu de premier plan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 2.2.1. D e nouveaux risques émergent et touchent les acteurs économiques et les organisations publiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 2.2.2. L’ensemble des acteurs économiques doit être mieux protégé . . . . 39 3.  Les acteurs concourant à la sécurité font face à ces défis . . . . . . . . . . . 41 3.1. L’État est le premier responsable de la sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 3.1.1. L e ministère de l’Intérieur est la clef de voûte de la fonction régalienne de sécurité intérieure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 3.1.2. Le ministère de la Justice et l’autorité judiciaire sont des acteurs de premier plan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 3.1.3. L a réponse globale de sécurité implique la mobilisation d’autres acteurs de l’État . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 13 3.2. L’État n’est pas le seul acteur de la sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 3.2.1. Le maire joue un rôle de proximité essentiel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 3.2.2. Le secteur privé est un acteur émergent dans la mise en œuvre des politiques de sécurité intérieure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 3.3. La pluralité des intervenants et leurs interactions invitent à penser le continuum de sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 DEUXIÈME LIVRET REFORMULER LE PACTE DE PROTECTION ET DE SÉCURITÉ DES FRANÇAIS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 1.  Renforcer la relation de confiance avec la population . . . . . . . . . . . . . . 54 1.1 Mieux faire connaître les forces de sécurité intérieure pour réaffirmer leur légitimité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 1.1.1 Institutionnaliser des moments d’échanges avec la population, dans sa diversité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 1.1.2 Valoriser la mission d’accueil, vitrine de l’institution . . . . . . . . . . . . . . 57 1.1.3 S’adapter à l’évolution des usages et à l’émergence de la vie numérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 1.2. Favoriser l’engagement citoyen aux côtés des forces de sécurité intérieure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 1.2.1. S’appuyer sur le service national universel pour renforcer l’adhésion aux valeurs de la République . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 1.2.2. Développer une culture du risque pour encourager la résilience de la population . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 1.2.3. Former davantage aux gestes de premier secours et à l’assistance aux personnes vulnérables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 1.2.4 S’ancrer dans la population grâce au volontariat et aux réservistes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 1.3 La communication et la diffusion d’informations fiables, vecteurs stratégiques et opérationnels du lien entre la population et les forces de sécurité intérieure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 1.3.1. Consolider et développer les mesures statistiques de la délinquance et de la victimation pour en faire des outils de pilotage et de dialogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 1.3.2. Adapter la communication des forces de sécurité intérieure au nouvel environnement médiatique et numérique . . . . . . . . . . . . . . . 69 1.3.3. Intégrer la communication comme une dimension à part entière de la mission de sécurité intérieure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 1.3.4. Renforcer la visibilité, la connaissance et l’utilisation par les citoyens des services numériques de l’État . . . . . . . . . . . . . . . 71 1.3.5. Informer les citoyens pour leur permettre de devenir acteurs de leur propre sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 1.3.6. Développer une stratégie de communication du recrutement dans une logique de « marque-employeur » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 1.3.7. Renforcer et améliorer l’alerte aux populations en période de crise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 2. Réaffirmer le sens de la mission des forces de sécurité intérieure . . . . 76 2.1. Protéger les citoyens et assurer la sécurité au quotidien . . . . . . . . . . . . 77 14 Livre blanc de la sécurité intérieure 2.1.1. C onsolider la police de sécurité du quotidien, gage d’une relation de confiance durable entre la population et les forces de sécurité . 77 2.1.2. L utter contre les violences aux personnes, une mission au cœur de l’action des forces de sécurité intérieure . . . . . . . . . . . . . 84 2.1.3. C ombattre le trafic de stupéfiants, une démarche globale et interministérielle profondément rénovée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 2.1.4. Poursuivre et accentuer la lutte contre l’insécurité routière . . . . . . . 91 2.1.5. C ontribuer à la sécurité et à la résilience de la vie numérique de la nation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 2.1.6. F avoriser une approche globale des phénomènes de délinquance : les exemples du monde agricole et des mobilités . . . . . . . . . . . . . . . . 96 2.2 G arantir l’État de droit et protéger les libertés publiques et individuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 2.2.1 Combattre fermement le terrorisme et la radicalisation . . . . . . . . . . 99 2.2.2. Garantir la liberté de manifester tout en assurant la sécurité de tous et la protection des institutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106 2.3. P rotéger contre une criminalité nourrie par le développement des flux internationaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 2.3.1. P roposer une stratégie interministérielle de lutte contre la délinquance économique et financière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 2.3.2. Rehausser les capacités de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 2.3.3. Protéger les frontières en luttant contre l’immigration irrégulière 115 2.4. Mieux répondre aux crises contemporaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 2.5. Alléger les missions périphériques des forces de sécurité intérieure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124 3.  Clarifier et consolider les pouvoirs de police du maire et de la police municipale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1. L e maire, et les autres exécutifs locaux, pivots de la sécurité au plus près des citoyens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.1. C onsolider le pouvoir de police générale du maire et simplifier les polices spéciales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.2. Mieux répondre aux atteintes à la tranquillité publique . . . . . . . . . 3.1.3. Etre plus ambitieux dans la prévention de la délinquance . . . . . . . 3.1.4. Elargir les domaines d’intervention du maire pour garantir la cohérence de son action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. L a police municipale : vers une troisième force au service de la tranquillité publique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.1 Une force qui cherche sa place dans l’organisation de la sécurité . 3.2.2. R épondre aux enjeux de coordination locale et de périmètres géographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.3. R evoir les conditions d’exercice pour rendre plus efficace l’action des polices municipales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132 133 133 134 135 136 137 137 138 140 4.  Construire un partenariat avec la sécurité privée, une profession en expansion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144 4.1. G érer la croissance du champ d’action des entreprises de sécurité privée et trouver les ressources pour développer leur activité . . . . . 144 15 4.1.1. Un besoin de soutien de la puissance publique sur un marché concurrentiel et à faible marge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1.2. Renforcer le capital humain du secteur de la sécurité privée . . . . 4.1.3. Sous réserve de la fiabilisation du secteur et du renforcement du capital humain, étendre les compétences et prérogatives de la sécurité privée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2. Développer les services de sécurité des entreprises, fonction interne de plus en plus indispensable pour faire face aux menaces . 4.2.1. Mieux reconnaître et animer le réseau des directeurs de sécurité des entreprises . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2.2. Développer de nouveaux services internes de sécurité . . . . . . . . . 4.2.3. Le cas particulier des entreprises de transport . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3. Prendre en compte la diversité de la sécurité privée au sein du continuum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145 148 150 155 155 155 156 159 TROISIÈME LIVRET SE RÉORGANISER POUR ASSURER LE PACTE DE PROTECTION ET DE SÉCURITÉ DES FRANÇAIS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161 1.  Bâtir une organisation des forces de sécurité intérieure adaptée aux enjeux et aux territoires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1. Dessiner l’organisation territoriale des forces de sécurité intérieure en conjuguant territoires, proximité et efficacité . . . . . . . 1.1.1. Une organisation territoriale fondée sur un maillage dense . . . . . . . 1.1.2. Une organisation qui a déjà évolué sous l’effet conjugué des mouvements démographiques et la nécessité de rationaliser les implantations territoriales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1.3. Définir une méthode claire et pertinente pour partager sur le territoire les compétences de la police et de la gendarmerie . . . . . 1.1.4. Sur ces principes, dessiner une carte rénovée de la répartition territoriale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2.  Mener à bien une réforme ambitieuse et profonde de la gouvernance de la police nationale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2.1. Constat : un besoin de réforme et d’unité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2.2. Les deux hypothèses de transformation de la police nationale . . . 1.2.3. L’autorité préfectorale : incarnation territoriale de la sécurité . . . 1.2.4. Conduire le changement et accompagner la transformation . . . . . 1.3.  Mettre en œuvre des instruments adaptés pour répondre à la montée en puissance de thématiques spécialisées . . . . . . . . . . 1.3.1. Les offices centraux et les services à compétence nationale, instruments souples et adaptés pour coordonner une politique thématique de sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3.2. Les courses et jeux, illustration de la pertinence d’une structure construite sur une centralisation de l’information et une spécialisation technique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3.3. Cybersécurité, organiser une réponse globale et coordonnée face à une menace croissante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3.4. P olice technique et scientifique, évoluer pour une organisation efficiente et cohérente . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 162 163 163 164 165 167 168 168 170 176 179 180 181 182 183 185 Livre blanc de la sécurité intérieure 1.4. C onsolider l’intervention spécialisée par une organisation cohérente sur l’ensemble du territoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187 1.5. R enforcer le traitement transversal des questions européennes et internationales de sécurité intérieure au sein d’une direction dédiée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188 2.  Coordonner le pacte de sécurité, une mission-clef pour le ministère de l’Intérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. M ieux ancrer le développement du continuum de sécurité dans l’organisation du ministère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.1. U ne gestion du continuum et des partenariats dispersée et peu lisible dans l’organisation actuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.2. Confier le pilotage du continuum à une structure dédiée . . . . . . . . 2.2. Consolider le contrôle des acteurs du continuum . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.1. C onfier le contrôle des polices municipales aux inspections du ministère de l’Intérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.2. Réguler le secteur de la sécurité privée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.3. S ’appuyer sur un CNAPS rénové pour accompagner le développement de la sécurité privée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.4. Animer localement le continuum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190 190 190 191 192 192 193 194 197 QUATRIÈME LIVRET PORTER LE MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR À LA FRONTIÈRE TECHNOLOGIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 1.  Renforcer la contribution du ministère de l’Intérieur à la protection de la vie numérique et technologique de la Nation 202 1.1.  Sécuriser les identités numériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202 1.1.1. Achever la sécurisation électronique des titres régaliens . . . . . . . . 202 1.1.2. S usciter et promouvoir un écosystème d’identités numériques robustes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203 1.1.3. Mettre l’usage des identités numériques à la portée de tous par des solutions fédérées simples et accessibles . . . . . . . . . . . . . . . . 207 1.2.  Renforcer les capacités ministérielles et contribuer à l’élévation du niveau général de cybersécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207 1.2.1. Le ministère de l’Intérieur, acteur de la cybersécurité . . . . . . . . . . . 207 1.2.2. R enforcer quantitativement et qualitativement les capacités humaines du ministère de l’Intérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209 1.2.3. R enforcer les capacités techniques du ministère de l’Intérieur face aux cybermenaces . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210 1.2.4. Renforcer les capacités de gestion des crises . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210 1.2.5. Disposer d’une vision juste et fiable de la cybercriminalité . . . . . . 211 1.2.6. S ’engager sur les territoires en construisant et animant une communauté cyber territoriale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212 2.  Simplifier la vie des citoyens et l’exercice des missions des agents publics grâce aux technologies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213 2.1. É largir les canaux et les plages d’accès des citoyens aux services publics . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213 17 2.1.1. Mobiliser tous les canaux numériques pour enrichir l’offre des moyens de contact . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213 2.1.2. Développer l’interactivité numérique dans la communication à des fins de prévention, d’information ou d’action opérationnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219 2.1.3. Le perfectionnement de l’alerte et de l’information aux populations par les canaux numériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222 22.  Mettre à l’état de l’art technologique le poste de travail de l’agent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224 2.2.1. Adopter la mobilité applicative pour simplifier l’accès à l’information professionnelle de manière sécurisée . . . . . . . . . . . 224 2.2.2. Développer plus rapidement la dimension spatiale . . . . . . . . . . . 228 2.2.3. Moderniser la gestion de crise et l’activité opérationnelle par un accès plus direct et plus partagé à la donnée utile . . . . . . . 232 3.  Mettre à l’état de l’art de manière synchronisée les grandes infrastructures technologiques de la sécurité intérieure . . . . . . . . . . 235 3.1.  Accélérer la transformation numérique du ministère de l’Intérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236 3.1.1. Vers un modèle de développement numérique à l’état de l’art . . 236 3.1.2. Moderniser les réseaux fixes et mobiles à l’ère de la 4G et de la 5G . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238 3.1.3. Développer les centres d’hébergement des données, l’informatique en nuage et les systèmes distribués . . . . . . . . . . . . . . 240 3.2.  Construire une politique des données et mobiliser les technologies d’intelligence artificielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243 3.2.1. Mieux gérer le capital de données dans le respect de la vie privée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 244 3.2.2. Apprendre à produire davantage de connaissance et à éclairer davantage l’action par la réutilisation des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246 3.2.3. Adopter des interfaces hommes machines plus adaptées pour les métiers en projection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250 4.  Mobiliser les technologies biométriques dans le respect des valeurs et des normes de l’État de droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252 4.1.  Bien définir les biométries pour nourrir un débat public de qualité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252 4.2.  Adopter une approche criminalistique multi-biométrique . . . . . . 254 4.3.  Moderniser l’usage des biométries « historiques » . . . . . . . . . . . . . . 256 4.4.  Consolider l’usage criminalistique de la reconnaissance du visage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258 4.5.  Construire les fondations d’un usage opérationnel de la biométrie vocale en criminalistique et en surveillance . . . . . 260 4.6.  Améliorer le traitement d’une biométrie complémentaire : l’odorologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261 4.7.  Expérimenter la reconnaissance du visage dans l’espace public . . 263 4.8.  Le volet éthique de la recherche et du développement de l’usage opérationnel des biométries . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265 18 Livre blanc de la sécurité intérieure 5.  Renforcer la capacité d’innovation technologique du ministère de l’Intérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266 5.1.  Développer une recherche et innovation ouverte . . . . . . . . . . . . . . 266 5.1.1. L a recherche et innovation, un enjeu clef au ministère de l’Intérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266 5.1.2. D évelopper une politique de recherche et innovation pleinement partenariale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267 5.2.  Disposer de filières technologiques plus solides et former l’ensemble des agents du ministère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271 5.2.1. Les compétences technologiques au sein des métiers de la sécurité intérieure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271 5.2.2. È largir l’exploitation du numérique pour la formation des forces de sécurité intérieure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272 CINQUIÈME LIVRET ENGAGER UNE MUTATION PROFONDE ET INNOVANTE DES RESSOURCES ET DES MOYENS DU MINISTÈRE . . . . . . . . . . . . . . . . 277 1.  Construire une nouvelle politique des ressources humaines . . . . . . . 279 1.1.  Moderniser le recrutement et la formation initiale . . . . . . . . . . . . . . 280 1.1.1. A dapter les processus de recrutement aux missions de demain . . 280 1.1.2. P romouvoir des écoles d’excellence pour une formation initiale modernisée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283 1.2.  Remédier aux déséquilibres géographiques dans la répartition des effectifs et favoriser l’attractivité territoriale . . . . . . . . . . . . . . . 286 1.3.  Construire les carrières par le développement des compétences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289 1.3.1. D éfinir des parcours professionnels garantissant la montée en compétences pour l’ensemble des agents . . . . . . . . . . . . . . . . . . 290 1.3.2. C onsolider les outils de cette nouvelle politique de gestion des ressources humaines  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293 1.3.3. Placer la formation continue au cœur de la carrière . . . . . . . . . . . 294 1.4.  Affirmer l’exigence managériale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 298 1.4.1. Consolider la chaîne managériale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 298 1.4.2. Rénover l’évaluation professionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 300 1.5. P romouvoir l’exemplarité et l’adhésion aux valeurs communes de la sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 302 1.6. R enforcer la résilience des personnels et leur protection, en s’appuyant sur une politique d’accompagnement social de proximité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 306 1.7. A dapter l’organisation à cette nouvelle politique de gestion des ressources humaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309 1.7.1. Simplifier la gestion des ressources humaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309 1.7.2. U nifier la fonction RH dans l’organisation de l’administration centrale de la police nationale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310 1.7.3. R ationnaliser l’organisation du recrutement et de la formation de la gendarmerie nationale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311 1.7.4. R enforcer résolument la déconcentration de la gestion des ressources humaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311 19 2. Se donner les moyens de la sécurité de demain . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313 2.1. F ixer un objectif pluriannuel pour la mission « sécurités » : atteindre 1 % du PIB en 2030 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 314 2.2. Franchir le mur technologique pour protéger et accompagner une société connectée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 316 2.2.1. Transformer les systèmes et applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 316 2.2.2. Rénover les infrastructures et systèmes d’information . . . . . . . . . . 317 2.2.3. Investir dans l’intelligence artificielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317 2.2.4. Développer la lutte contre les cyber-menaces . . . . . . . . . . . . . . . . . 318 2.2.5. Évoluer vers une mobilité accrue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 318 2.2.6. Mobiliser les capacités de brouillage et de communication et financer la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 318 2.3. Investir dans l’immobilier pour mieux accueillir le public et donner aux agents un environnement de travail satisfaisant . . . . 318 2.3.1. Rénover le parc immobilier, condition indispensable de la qualité de l’accueil et des conditions de travail . . . . . . . . . . . . 319 2.3.2. Favoriser les financements innovants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 320 2.3.3. Se montrer ambitieux sur les normes environnementales . . . . . . . 321 2.4. Adapter les équipements pour assurer au quotidien la sécurité des Français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 322 2.4.1. Rénover le parc automobile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 322 2.4.2. Rationaliser et trouver des alternatives à l’achat des véhicules . . . 323 2.4.3 Répondre à l’enjeu environnemental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 324 2.4.4. Sanctuariser les équipements d’intervention et de protection . . . 325 2.4.5. Conforter les moyens spécialisés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 326 2.5. Garantir le financement des mesures d’accompagnement et de cohésion des policiers et des gendarmes dans leur vie professionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 327 2.5.1. Financer les mesures d’amélioration de l’accès au logement . . . . 328 2.5.2. Favoriser le bien-être des personnels au travail . . . . . . . . . . . . . . . . 329 2.5.3. Conforter les vecteurs d’un lien consolidé entre la population et les forces de sécurité intérieure . . . . . . . . . . . . . . 330 20 Livre blanc de la sécurité intérieure 21 Livre blanc de la sécurité intérieure LIVRET INTRODUCTIF : ÉVOLUTION DES ENJEUX SÉCURITAIRES : VERS DE NOUVEAUX DÉFIS POUR LES ACTEURS DE LA SÉCURITÉ 23 1.  De l’insécurité du quotidien à la grande criminalité, la délinquance se manifeste sous des formes multiples Avant toute réflexion du ministère de l’Intérieur sur ses missions et moyens, il est nécessaire de le mettre en regard avec les évolutions qui affectent son action, son fonctionnement et la manière dont la société le perçoit . L’état de ces évolutions, notamment celles porteuses de risques pour la société française, qui conditionnent l’action présente et future du ministère de l’Intérieur, n’a pas l’ambition de proposer un tableau exhaustif. Il vise davantage à identifier les principaux facteurs de tensions et points de vigilance d’un ministère en interaction directe avec les changements dans les modes de vies, les équilibres socio-économiques et les enjeux sécuritaires. Ministère de la citoyenneté, de la sécurité et de l’administration du territoire, le ministère de l’Intérieur ne peut en effet se projeter dans l’avenir et envisager de revoir ses modes d’action sans comprendre l’environnement dans lequel il évolue. En premier lieu, viennent les menaces à la cohésion nationale, dont le grand débat conduit en 2019 a pu se faire l’écho. Le pacte social et républicain, dont le ministère de l’Intérieur est l’un des principaux garants, est exposé à des risques de fractures de multiples natures. Elles sont notamment territoriales, du fait des dynamiques diverses connues par les territoires (urbain/rural, centre/périphérie, métropolisation). La société française est en outre marquée par un creusement des écarts socio-économiques entre catégories de la population. L’accès différencié aux services publics peut créer des fractures et inégalités civiques entre citoyens. Des lignes de fracture culturelles apparaissent au travers d’un risque de séparatisme au sein de la société française et de dépassement de la logique nationale. À ces dynamiques internes, souvent endogènes, s’ajoutent des mouvements hors des frontières qui affectent la structuration de la société française, les référentiels collectifs et les actions à conduire : flux informationnels, migratoires, influences culturelles, effets de comparaison. Au-delà des risques portant sur la cohésion nationale, les défis du progrès technologique bouleversent ce cadre d’action. Dans la société qui se numérise toujours davantage, le ministère de l’Intérieur doit être capable de suivre le rythme des innovations, parfois de rupture, en s’appropriant les capacités offertes tout en anticipant et maîtrisant les mésusages possibles. Ce faisant, il doit aussi tenir compte des risques de fracture numérique et d’appropriation différenciée de la société numérique par les citoyens. Dans l’ensemble, comme gardien des libertés publiques, le ministère de l’Intérieur doit donner une enveloppe précise au droit des technologies dans l’exercice de la citoyenneté et l’offre de sécurité. Autre enjeu majeur, l’urgence écologique devient un dénominateur commun rassemblant le pays dans une volonté de préserver l’environnement et de bénéficier d’un cadre de vie plus respectueux de la biodiversité. Cette urgence suscite également des oppositions, parfois radicales, autour de projets d’aménagement ou de normes d’exploitation, qui mettent à l’épreuve le contrat social et l’autorité publique. Dans ce contexte dynamique, comment les menaces et les phénomènes délinquants évoluent-ils ? Quel impact génèrent-ils sur le sentiment de sécurité ? Que suscitent-ils comme attentes populaires ? 24 Livre blanc de la sécurité intérieure 1.1.  Enracinées ou en mutation, les différentes formes de la délinquance modifient le rapport à la sécurité Si les menaces ne sont pas toujours fondamentalement nouvelles, ce sont leurs vecteurs (mobilité accrue des biens et des personnes, itinérance des délinquants, nouvelles technologies), leur temporalité, leur spatialisation (sur tout le territoire physique et numérique), leur capacité de propagation et donc leurs effets et leur perception (insécurité, sentiment d’abandon ou de relégation) qui le sont. Par ailleurs, de profondes mutations de la société (démographiques, géographiques, rapport à l’autorité, « judiciarisation », numérisation) caractérisent le champ dans lequel s’inscrit l’action des forces de sécurité intérieure. 1.1.1. Réduire la délinquance du quotidien reste une priorité L’insécurité du quotidien s’exprime notamment par la commission d’incivilités qui perturbent la vie ordinaire de la population. Ces manquements aux règles du comportement de la vie en société et au partage de l’espace public prennent des formes diverses : nuisances sonores, occupations de la voie publique, conflits de voisinage, dépôts d’ordures sauvages, épaves de voitures sur la voie publique, dégradations, etc. La délinquance figurait au 6e rang des priorités des Français en 2019(2). Ces agissements sont hétérogènes et recouvrent des actes de délinquance de faible intensité ainsi que des comportements ne relevant pas nécessairement du champ pénal. Par leur caractère diffus, ils sont difficiles à appréhender et à sanctionner. Les incivilités constituent en effet une zone grise entre la police administrative et la police judiciaire (les spécialistes parlent du niveau infra pénal) qui affectent fortement la qualité de vie collective. Les incivilités présentent la difficulté de constituer des actes pouvant être perçus comme mineurs, dont l’impact auprès de ceux qui les subissent peut être majeur. L’écart entre réalité et perception est un enjeu pour la réponse institutionnelle qui risque d’être accueillie par les plaignants comme insuffisante ou inadaptée. Quand elles sont répétées, ou encore commises en réunion, les incivilités peuvent ouvrir la voie de la délinquance. Il en ressort également un sentiment d’impunité chez leurs auteurs, qui vient renforcer le sentiment d’abandon de ceux qui les subissent. La concertation organisée sur l’ensemble du territoire national dans le cadre des assises territoriales a souligné les fortes attentes de la population et des élus dans ce domaine. Ceux-ci réclament une meilleure prise en compte des incivilités par tous les acteurs de la sécurité et une réponse ferme permettant de mettre un terme à des faits, certes de faible gravité, mais qui constituent la forme la plus visible de l’insécurité et de la perturbation du vivre ensemble. Ici aussi, l’action partenariale et complémentaire de l’ensemble des acteurs du continuum de sécurité s’impose. D’autres formes de délinquance du quotidien s’expriment, en particulier celles liées aux trafics de produits stupéfiants. Autrefois réservé aux réseaux de criminels expérimentés, celui-ci irrigue désormais la criminalité et la délinquance locales, marquées par le deal de proximité qui alimente l’économie souterraine, déstabilisant certains quartiers de métropole et d’Outre-mer. 2 Enquête « Cadre de vie et sécurité » (CVS) 25 Se développe ainsi une économie parallèle qui repose sur des organisations de type mafieux. C’est pourquoi la lutte contre les trafics de stupéfiants, qui constituent à la fois un problème de santé publique et une sérieuse question d’insécurité, est considérée comme la mère des batailles dans ces quartiers. 1.1.2.  Même d'intensité variable, l'insécurité concerne l'ensemble du territoire national La mobilité croissante de la population et des activités économiques a conduit à gommer les frontières entre les espaces urbains, périurbains, ruraux, nationaux et internationaux. De plus, le développement de certaines formes de délinquance itinérante contribue également à relativiser la notion de frontières entre territoires en matière d’insécurité et constitue un défi pour des administrations organisées sur des modèles géographiques ou fonctionnels qui ne sont pas toujours adaptés à ces formes de délinquance. Les transports en commun sont le lieu d’incivilités et d’une délinquance qui alimentent la perception d’une insécurité dans des lieux très fréquentés par la population. Ils peuvent être des cibles privilégiées dans un contexte de menace terroriste. Si diverses entités sont déjà en charge d’assurer la sécurité de ces espaces (services internes des sociétés de transport, police et gendarmerie), les concertations du Livre blanc de la sécurité intérieure ont mis en évidence la nécessité d’une plus grande coordination des acteurs dans ce domaine. Par ailleurs, dans les quartiers dégradés, malgré les efforts considérables entrepris depuis de nombreuses années, l’insécurité persiste avec un risque plus élevé pour leurs habitants d’être confrontés à la délinquance et à la violence. Lancé à partir de 2018, le dispositif de la police de sécurité du quotidien (PSQ) et notamment la concentration des moyens sur les quartiers de reconquête républicaine (QRR) donnent des premiers résultats encourageants et plaident pour le maintien dans la durée de ce dispositif. Enfin, les territoires ultramarins concentrent de nombreuses difficultés (montée de l’insécurité, banalisation de la violence, criminalité organisée, migrations illégales, risques naturels, chômage, pauvreté) qui imposent des réponses adaptées(3). 1.1.3.  Les violences contre les personnes sont marquées par une évolution préoccupante Les sociétés contemporaines sont toutes traversées par des ruptures, des radicalisations qui s’illustrent de diverses manières : de la plus extrême à travers le terrorisme, en passant par les violences physiques et psychologiques, ou encore les incivilités. Si les atteintes aux biens sont structurellement en recul, les violences aux personnes connaissent une hausse continue et préoccupante. Ainsi, les atteintes volontaires à l’intégrité physique (AVIP) sont en croissance 3 A cet égard, le Livre bleu des Outre-mer de 2018 présente les ambitions issues d’un travail interministériel et des Assises des Outre-mer, notamment sur le sujet de la prévention des risques naturels majeurs auxquels les territoires ultramarins sont particulièrement exposés et sur celui de la sécurité. Le Livre blanc de la sécurité intérieure s’inscrit en pleine complémentarité avec ses conclusions. 26 Livre blanc de la sécurité intérieure constante. Depuis dix ans, elles ont augmenté de près de 38 %, passant de 482 189 faits constatés en 2009 à 666 888 en 2019 (dont +23 % en 5 ans). Elles s’exercent en particulier contre les personnes vulnérables, ainsi que le montre la progression des violences constatées dans la sphère familiale, telles les violences sexuelles et sexistes. La création d’une plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes ainsi que l’ensemble des mesures prises dans le cadre du Grenelle des violences faites aux femmes constituent des axes de progrès qu’il faut souligner. Elles portent notamment sur une mobilisation coordonnée des partenaires qui devrait rendre l’action publique plus efficace pour l’accompagnement des victimes comme pour la poursuite des auteurs. Les citoyens réunis à l’Hôtel de Beauvau en janvier 2020 partageaient leur point de vue « d’une perte des valeurs élémentaires de la vie sociale. Les notions de civisme et de respect sont trop peu présentes et valorisées dans notre société »(4). Ils définissaient trois degrés d’incivilités : celles dégradant le rapport à l’autre, celles portant atteinte aux règles communes, celles générant de la délinquance. 1.1.4. L'émergence de nouvelles formes de radicalités et de mouvances subversives violentes constitue un défi supplémentaire Concomitamment à la menace djihadiste, le pays est confronté à une montée en puissance de tensions sociétales. Les modes de contestation habituels – manifestations traditionnelles, initiatives syndicales – côtoient désormais des modes d’actions moins structurés, générateurs de violences. Les mouvements contestataires se sont ainsi développés, qui se manifestent suivant des intensités différentes : lors de manifestations (mise en place du cortège de tête en amont des cortèges syndicaux) par l’instauration de zones de résistance (« Zones A Défendre » (ZAD)) ou encore par le mouvement des « Gilets Jaunes ». Se nourrissant de ce climat subversif les mouvances radicales se sont confortées et les méthodes de l’ultra-droite et de l’ultra-gauche traditionnelles sont désormais reprises par des groupuscules sans étiquette politique. S’affranchissant des principes représentatifs traditionnels et considérant comme légitime le recours à la violence, ces groupuscules ultra sont susceptibles de porter atteinte aux valeurs et principes fondamentaux de la République ainsi qu’à nos institutions, notamment par des actions violentes, voire terroristes. Concernant l’ultra-droite, la majorité des groupuscules créés en réaction aux attentats islamistes de 2015 ont périclité, laissant le champ libre à l’essor de mouvements néo-patriotes et néo-populistes virulents, fondés sur Internet et agrégeant des individus aux profils atypiques et potentiellement violents. Ces nouveaux groupuscules radicaux, imprégnés d’une rhétorique anti-musulmane et anti-institutionnelle, se développent, à l’instar des structures survivalistes qui tendent à regrouper davantage d’adeptes ou de la mouvance néonazie qui tente de se renouveler. Parallèlement, un suprématisme blanc d’influence américaine prospère désormais sur le territoire national sous des formes de plus en plus décomplexées. Ainsi, la détection d’acteurs isolés ou de cellules clandestines, notamment par un 4 En 2019, 74% des français ont le sentiment que « le savoir-vivre et la politesse » ne sont « pas du tout » ou « plutôt pas » valorisés au sein de la société – Institut IPSOS pour France mutualiste (2019). 27 suivi de leur activité virtuelle sur Internet et sur les réseaux sociaux, mais aussi le contrôle de l’armement qu’ils détiennent légalement, ou encore l’entrisme de la mouvance auprès des membres des services régaliens, représentent des enjeux majeurs dans la lutte contre l’ultra droite afin de prévenir tout passage à l’acte violent. L’ultra-gauche, quant à elle, a confirmé sa capacité à exacerber les violences lors des récents mouvements sociaux ou, dernièrement, les manifestations des gilets jaunes. Cherchant à déstabiliser le « système », multipliant les actions de sabotage et de dégradations à l’encontre des symboles de l’État et de la société capitaliste, la mouvance tente ainsi d’infiltrer les mouvances environnementalistes, animalistes, et plus largement, l’ensemble de la nébuleuse contestataire. Alors qu’elle peine à agir seule et ne dispose pas d’une force de frappe suffisante hors des mouvements de contestation préexistants, sa doxa insurrectionnelle continue de séduire, fournissant aux manifestants actifs, parfois violents, un savoir-faire maîtrisé et un socle intellectuel et historique bienvenu. En outre, l’internationalisation des luttes comme des réseaux d’activistes d’ultra-gauche renforce la menace en raison du risque d’importation de savoir-faire, acquis notamment lors de formations militaires ou de participation aux combats aux côtés des milices kurdes déployées dans le nord de la Syrie. Dans cette perspective, si les membres les plus radicaux de l’ultra-gauche n’ont pas encore franchi, sur le territoire national, la ligne qui les sépare encore du terrorisme, le courant reste porteur d’une menace réelle. 1.2.  Les enjeux de sécurité dépassent les frontières nationales 1.2.1. Le risque terroriste s’inscrit dans la durée La lutte contre le terrorisme et la radicalisation constitue un axe majeur de l’action des forces de sécurité intérieure alors que la France demeure une cible prioritaire pour les organisations djihadistes, en particulier al-Qaïda et l’État islamique. La persistance de la menace terroriste à un niveau élevé, son caractère protéiforme et endogène, ainsi que l’importance du phénomène de radicalisation ont rendu nécessaire, ces dernières années, des adaptations profondes du ministère de l’Intérieur. Le risque terroriste d’origine sunnite demeure la principale menace terroriste à laquelle est confronté notre pays. Depuis janvier 2015, la France a subi près d’une vingtaine d’attaques terroristes, qui ont causé la mort de près de 260 personnes et plusieurs centaines de blessés. Entre 2018 et 2020, plus d’une dizaine d’attaques, pour la majorité inspirées par l’État Islamique, ont abouti sur le territoire national, provoquant la mort d’une vingtaine de personnes. Deux attentats ont échoué et 12 ont été déjoués. Le risque terroriste figure au premier rang des préoccupations de la population selon l’enquête CVS de 2019. La menace terroriste islamiste endogène reste dominante. Elle se traduit par le passage à l’acte de sympathisants de la cause djihadiste, parmi lesquels des individus frustrés, après un projet de départ entravé vers la zone syro-irakienne, des terroristes inspirés par l’État islamique sans pour autant avoir montré de velléités djihadistes avant leur passage à l’acte, et des acteurs isolés qui nourrissent le caractère imprévisible de la menace. D’autres vecteurs de la menace djihadiste ont par ailleurs été identifiés : les individus présentant des fragilités psychologiques ou psychiatriques, les 28 Livre blanc de la sécurité intérieure individus de retour de zone, illustrant la persistance de la menace exogène importée, ou encore, en milieu carcéral, l’interaction entre détenus terroristes islamistes (TIS) et détenus de droit commun radicalisés dont l’élargissement renforce la menace endogène. Pour rappel, plus de 500 détenus TIS sont actuellement recensés, auxquels s’ajoutent un peu plus de 700 détenus de droit commun susceptibles de radicalisation. Enfin, les terroristes privilégient le plus souvent des modes opératoires simples qui visent deux sortes de cibles : les cibles vulnérables (telles que les populations civiles dans l’espace public quotidien) et les cibles symboliques (par exemple les forces de sécurité, visées par douze attaques sur le territoire national depuis 2017). En outre, plusieurs projets ont révélé un intérêt accru pour l’usage d’engins explosifs improvisés, laissant redouter des actions plus ambitieuses. Malgré le tarissement des filières syro-irakiennes induit par la défaite militaire de l’État islamique, l’efficacité des mesures d’entrave et la coopération renforcée avec les autorités étrangères partenaires, et si les retours des ressortissants ou résidents français encore sur zone restent encore limités, le phénomène des revenants (« returnees ») demeure par ailleurs un enjeu majeur en termes de sécurité intérieure. En outre, l’État islamique peut toujours s’appuyer sur ses provinces extérieures, ses réseaux et ses partisans à travers le monde pour diffuser la menace dans l’attente d’une éventuelle reconstitution de sa capacité de projection, pour l’heure réduite par son retour à la clandestinité au Levant. Enfin, al-Qaïda, en concurrence avec l’État islamique pour le leadership du djihad global, reste partie intégrante de la scène djihadiste internationale et demeure, au niveau régional notamment, une source de menace en raison de l’implication militaire de la France au Sahel. 1.2.2.   es formes de criminalité organisée se recomposent et se complexifient Le développement d’une criminalité économique et financière rémunératrice et de plus en plus tournée vers l’international se confronte à une attente forte de l’opinion pour une réponse de l’autorité publique. Très flexibles, les organisations criminelles ont investi tous les champs de la délinquance et agissent à l’échelle des Etats en faisant un usage très maîtrisé des nouvelles technologies. La réponse implique de mieux coordonner les moyens de lutte contre le blanchiment ou la fraude fiscale avec la saisie des avoirs criminels. Le trafic de produits stupéfiants reste le premier champ d’intervention de la criminalité organisée. Visible dans la vie quotidienne des quartiers, il s’appuie sur des organisations internationales très structurées, qui utilisent des méthodes sophistiquées et sans cesse renouvelées. La prédominance du trafic de stupéfiants est à souligner, devant la traite des êtres humains, le trafic de véhicules volés, le blanchiment, les vols par effraction et la cybercriminalité. À l’origine d’une délinquance connexe importante (règlements de comptes, corruption, extorsions, blanchiment, trafic d’armes et de véhicules volés), le trafic de stupéfiants est le premier marché criminel au niveau mondial et constitue une menace majeure en termes de sécurité intérieure. Ces champs infractionnels sont investis par des organisations criminelles de taille et de puissance variables qui sont présentes sur l’ensemble du 29 territoire national. Le banditisme des cités, qui contrôle majoritairement le trafic de stupéfiants, représente aujourd’hui la principale menace. Le banditisme traditionnel est en perte de vitesse mais reste présent dans certaines régions françaises. Les groupes criminels sont moins visibles mais très présents dans l’immigration clandestine, la prostitution, les fraudes et le blanchiment. Enfin, les organisations criminelles internationales sont très investies dans la délinquance d’appropriation à caractère sériel (vols à l’étalage, cambriolages), le trafic de stupéfiants ou encore le proxénétisme. En outre, la criminalité investit des domaines nouveaux comme l’environnement et la santé publique (mafias vertes, fraudes à la taxe carbone, orpaillage illégal en Guyane, trafics de faux médicaments, trafics de masques de protection). La lutte contre ces phénomènes et les groupes organisés impose de renforcer les capacités d’analyse criminelle, de renseignement et de partage d’information interservices. Ces phénomènes sont complexes par nature, les policiers et les gendarmes devront donc être mieux formés, devront travailler davantage de façon coordonnée, interministérielle et internationale et devront être dotés d’outils numériques adaptés. 1.2.3. Les flux d'immigration irrégulière exercent une pression d’une ampleur inédite La question migratoire est l’un des grands marqueurs du contexte géopolitique et des risques climatiques ou sanitaires. Au-delà des formes classiques de migration (sociale, économique, politique), s’ajoute la perspective de réfugiés climatiques déplacés par les effets du réchauffement de la planète (submersions, sécheresses, désertifications). Ces phénomènes imposent une action coordonnée dans le cadre européen et international, permettant d’assurer l’équilibre entre sécurisation des frontières et capacité d’accueil des réfugiés. Sur le plan social, les débats publics sur l’immigration révèlent l’acuité des enjeux d’intégration et d’acceptation par la population française, au regard notamment de possibles phénomènes de communautarisation. La crise migratoire prend des formes particulièrement aiguës en Outre-mer, notamment à Mayotte et en Guyane qui constituent des défis quotidiens pour ces départements. La première réponse à apporter relève d’abord de la sécurisation des frontières dans un cadre non seulement national mais également européen comme en témoignent la montée en puissance de l’agence Frontex et les réflexions sur l’évolution de la convention Schengen. C’est également dans ce cadre européen et international, appelé  « continuum sécurité intérieure - sécurité extérieure », que l’action du ministère de l’Intérieur devra s’inscrire pour lutter contre les réseaux et les filières d’immigration clandestine. 1.2.4. Les risques cyber et les manifestations numériques de la délinquance se sont généralisés La digitalisation d’une grande partie de la société engendre de nombreuses vulnérabilités pour tous les publics (particuliers, entreprises et 30 Livre blanc de la sécurité intérieure administrations soumis aux cyberattaques d’ampleur variable) exposés à des modes opératoires variés et mouvants (malveillances, vols et usurpations de données ou d’identité, fraudes, criminalité organisée, entreprises de déstabilisation et de désinformation, apologie du terrorisme). L’État lui-même, dans l’exercice de sa mission régalienne de sécurité, peut être ciblé et frappé par des attaques informatiques. Dès lors, il doit conforter son dispositif de cyberdéfense et y consacrer à l’avenir des moyens plus importants. En corollaire, le ministère de l’Intérieur doit quant à lui consacrer une part plus importante de ses moyens, qui devront être rationalisés et mutualisés, à la lutte contre la cybercriminalité. Cela nécessite avant tout que la mesure de la cybercriminalité soit améliorée. Malgré des progrès significatifs, elle constitue encore une voie d’amélioration pour le ministère de l’Intérieur. En effet, l’absence de nomenclature adéquate pour les dépôts de plainte ou de signalement est un véritable frein à la connaissance fine et précise des faits de cybercriminalité. Le déploiement de nouveaux téléservices dans ce domaine (Perceval pour les fraudes à la carte bancaire, Thésée pour les escroqueries sur Internet) contribuera à mieux connaître ces infractions et à améliorer la réponse policière et judiciaire. Les acteurs privés auront également un rôle à jouer en tant que cibles des cyberattaques et membres de l’écosystème numérique. La sécurité numérique de la Nation passe en effet par la mise en œuvre d’une sécurité cyber par tous les acteurs. Celle-ci doit permettre une protection individuelle des entités cibles de potentielles attaques et une sécurité collective dans un espace numérique d’acteurs interconnectés. En outre, le secteur privé est fournisseur de solutions de protection des systèmes d’information au bénéfice de la population et des entreprises, des administrations. Ils développent également des outils numériques pour les forces de sécurité intérieure. Ils doivent également se protéger des menaces numériques afin de préserver leur intégrité industrielle. La dimension internationale de la cybercriminalité implique aussi d’harmoniser les législations nationales et d’encourager la coopération entre les Etats. A l’échelle européenne, la législation se construit progressivement. Après le règlement général sur la protection des données (RGPD) et la directive Network and Information Security (NIS), plusieurs propositions de règlement concernent ces domaines, notamment celui de l’accès transfrontalier à la preuve électronique pour les autorités pénales qui constitue une piste d’avenir. En outre, la coopération technique et opérationnelle se renforce, en particulier avec les pays sources de cybercriminalité, mais aussi au sein des instances comme le centre européen de lutte contre la cybercriminalité (EC3) d’Europol, d’Eurojust ou d’Interpol (IGCI). 1.2.5. Les crises se succèdent à un rythme soutenu et deviennent plus complexes Les dernières années montrent que la gestion de crise connaît une évolution vers davantage de complexité avec la nécessité, de plus en plus fréquente, de devoir assurer la prise en compte simultanée de plusieurs événements majeurs pour la sécurité. Cette tendance impose que la société française s’y prépare collectivement car le civisme et la solidarité de la communauté nationale est une condition 31 essentielle sans laquelle la seule action publique face aux crises ne peut avoir d’effet que limité. En effet, comme l’a démontré la crise de la COVID-19 en 2020, les forces de sécurité intérieure ne peuvent agir seules, d’autant qu’elles peuvent elles-mêmes être perturbées par les effets des crises. De plus, les menaces et les risques tendent à l’hybridation (risques naturels, sanitaires, industriels, cyber, troubles à l’ordre public, etc.) et se montrent évolutifs, engendrant des crises complexes qui rendent nécessaire de décloisonner toujours plus l’action de l’État et de conforter et renforcer les facultés collectives de préparation et de gestion de crise. Un consensus scientifique existe aujourd’hui pour considérer que le réchauffement climatique entraînera une augmentation du niveau d’exposition de la population aux risques naturels, surtout à moyen et long termes, mais d’ores et déjà dans un horizon beaucoup plus proche (vagues de chaleur, sécheresses agricoles, pluies extrêmes, inondations, incendies, feux de forêt, cyclones, submersions marines, risques sismiques particulièrement en Outre-mer, migrations climatiques). La question des risques engendrés par la proximité de zones industrielles avec des bassins de population parfois densément peuplés reste prioritaire. La France compte environ 500 000 établissements relevant de la législation des installations classées. Des accidents aux effets thermiques (explosion...), mécaniques (onde de choc…) ou toxiques (inhalation de substances...) peuvent porter atteinte à la santé humaine, aux biens ainsi qu’à l’environnement. Habitué et préparé à la gestion des crises, le ministère de l’Intérieur doit compléter la professionnalisation de ses personnels, notamment dans le maillage territorial, et développer des capacités d’action et des organisations résilientes. Les préfets de zone de défense et de sécurité en constitueront le pivot tandis que l’ensemble des services de l’État sous l’égide des préfets de département, continueront d’assurer la conduite et la coordination opérationnelle. L’ensemble des acteurs du continuum de sécurité sera étroitement partie-prenante de la gestion de crise, de même que le renforcement de la résilience de la population apparaît plus que jamais nécessaire. 2.  L’exigence de sécurité exprimée par une société en mutation devient plus forte mais aussi moins consensuelle   2.1. La population attend un pacte de protection et de sécurité renouvelé D’un point de vue étymologique, la notion de police est liée à celle de l’art de gouverner la cité et par conséquent de l’ordre de la société et de ses institutions. L’exercice de cette mission s’inscrit dans une société caractérisée par des recompositions sociales et géographiques qui influent sur la relation qu’elle entretient avec ses forces de sécurité. Dès lors, la légitimité de l’action des forces de l’ordre sera d’autant mieux sécurisée qu’elle prendra en compte les aspirations et les attentes de la population à leur égard. 2.1.1. Les recompositions sociales et territoriales transforment la société 32 Livre blanc de la sécurité intérieure Transformation spatiale, transformation sociologique La recomposition du territoire suit les évolutions de la démographie française, qui connaît des mutations profondes depuis plusieurs décennies. Il s’agit d’un double mouvement à la fois de densification et de désertification de certaines parties du territoire, qui affecte en profondeur la répartition de la population à l’échelle nationale. La France est composée de territoires divers en pleine transformation. Le fait urbain s’affirme avec une atténuation forte de la distinction entre villes et campagnes (selon l’INSEE, 85% de la population réside dans les « aires urbaines », 95% vit sous l’influence des villes). La population croît majoritairement dans les espaces périurbains, avec une évolution démographique qui se fait au détriment des « villes centres ». Cette redistribution s’accompagne de nouveaux enjeux. D’abord parce que les besoins des populations en matière de services se développent, marqués par une uniformisation des modes de vie et de consommation sur des territoires aux caractéristiques très différentes. Les questions de mobilité sont également un enjeu fort et émergent : de nombreux facteurs économiques (prix de l’immobilier, organisation du travail) suscitent des mouvements pendulaires et de nouveaux besoins en matière de sécurisation des transports et des voyageurs. Enfin, la question des quartiers sensibles persiste, avec un risque nettement plus élevé pour leurs habitants d’être confrontés à la délinquance et la violence qu’elle engendre(5). Des populations vulnérables Depuis la publication du précédent livre blanc en 2012, les grandes tendances démographiques se sont confirmées. Le vieillissement de la population française s’accélère. Selon l’INSEE, les personnes âgées de 60 ans et plus sont aujourd’hui 15 millions (soit près de 23 % de la population) ; elles seront 18,9 millions en 2025 et près de 24 millions en 2060. Le nombre de personnes de plus de 85 ans va plus que tripler d’ici 2050, passant de 1,4 million aujourd’hui à plus de 4,8 millions. A l’inverse, la proportion des jeunes âgés de moins de 20 ans a reculé de près de 2 points pour s’établir à environ 1/4. L’âge, s’il n’est pas le seul facteur (le niveau d’éducation, la situation d’emploi, les conditions matérielles de vie), explique en partie le sentiment d’insécurité. Les études font en effet apparaître que ce sentiment est plus fort chez les catégories de population âgées de 60 ans. Une démographie vieillissante peut donc conduire à une attente plus aiguë de sécurité. Elle influe également sur les modalités de réponse aux besoins de la population tant en termes de sécurité que de secours : disponibilité des services (temps de réponses), modalités de contact (accueil physique et numérique), spécificités des interventions (les agressions et accidents corporels des personnes âgées peuvent être moins nombreuses en valeur absolue ou fréquentes que chez les jeunes, mais plus graves). Pour les services chargés de la sécurité civile, le défi est considérable et nécessitera une adaptation conséquente des moyens humains et matériels pour prendre en compte une population plus âgée. 5 En France métropolitaine hors Paris intramuros, les circonscriptions de sécurité publique possédant au moins un QRR concentrent environ 40 % de la délinquance enregistrée. 33 La présence de déserts médicaux rendra plus aiguë la problématique du secours à personne, qui aujourd’hui représente déjà plus de 80% de l’activité des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), après avoir connu une forte augmentation (+50% sur les dix dernières années). A l’égard des services de sapeurs-pompiers, premiers et souvent derniers recours, l’attente des populations (notamment les plus vulnérables) est donc appelée à croître fortement. Face à ces sujets, il faut aussi tenir compte de dynamiques à l’œuvre qui varient selon les territoires : au contraire de la tendance nationale, certains territoires ultramarins voient leur population augmenter très fortement avec une représentation parfois majoritaire de la jeunesse (54 % de la population Mayotte et 42 % de celle de Guyane a moins de 19 ans). Ces territoires représentent un enjeu tout particulier comme ils concentrent de nombreuses difficultés : chômage (taux 2 à 4 fois plus important que celui de la métropole selon les territoires), PIB par habitant très faible, banalisation de la violence (le taux d’homicide en Guyane est le plus élevé de France(6), les faits de violence à l’égard des forces de sécurité intérieure à Mayotte ont augmenté de 56 % entre 2018 et 2019), immigration forte (plus de la moitié des reconduites à la frontière sont effectuées en Guyane et à Mayotte, qui accueillent près de 50 % de la population de nationalité étrangère présente en France), criminalité organisée (narcotrafic, orpaillage illégal, pêche illégale), risques naturels majeurs (risques sismiques, cycloniques, submersion marine notamment), éloignement de la métropole. Les quartiers sensibles se distinguent aussi par leurs caractéristiques démographiques. Les quartiers de reconquête républicaine (QRR) comparés à leurs aires urbaines respectives font ainsi apparaître une population plus jeune (pour trois quart des QRR, les 15-24 ans y représentent un plus grande proportion des habitants), des structures familiales plus fragiles (nombre de familles monoparentales supérieur d’un tiers), une plus grande proportion de population immigrée (deux fois supérieure) et des indices de pauvreté plus marqués (les taux de pauvreté et de logements sociaux sont deux fois plus élevés). Les difficultés socio-économiques y sont tout aussi prégnantes et peuvent être à l’origine de mouvements de forte tension. Ceux-ci sont accentués par une perception des forces de l’ordre très négative et encore très souvent exclusivement associée à la répression. La société française est inscrite dans le mouvement de mondialisation qui se traduit notamment par des migrations internationales. Celles-ci, par l’interpénétration des cultures et des modes de vie qu’elles suscitent, ne sont pas sans répercussions locales et sont sources d’inquiétudes, d’incompréhensions et de tensions. Ces évolutions se manifestent par exemple dans la résurgence du fait religieux dans l’espace public. Bien souvent ce sont des controverses ou des événements tragiques qui ramènent ces questions au cœur du débat dans une société française sécularisée (différentes études réalisées montrent que près de 60 % des Français se déclarent « sans religion », soit un doublement en 40 ans). Ces évolutions ont conduit le ministère de l’Intérieur à porter une attention particulière aux phénomènes de radicalisation religieuse afin de prévenir les actes de violence qu’elle peut générer.   2.1.2. Le rapport à l'information et aux institutions se transforme 6 Environ 0,1 homicide pour 1 000 habitants en Guyane contre 0,01 en moyenne nationale (source : ministère de l’Intérieur – SSMSI). 34 Livre blanc de la sécurité intérieure Les nouvelles technologies ont profondément bouleversé notre existence. La diffusion de la connaissance et la recherche de l’information sont désormais accessibles sans cadre exclusif. Les lieux traditionnels d’acquisition des connaissances offraient un cadre d’apprentissage et de développement de l’intelligence critique. Si Internet a le mérite d’offrir un accès facile à une information en grande quantité, il ne propose pas ce cadre d’apprentissage essentiel. Ainsi, l’intermédiation pour accéder à la connaissance n’est plus nécessaire, voire même remise en cause. Nombre d’événements de l’histoire récente (« gilets jaunes », incendie de l’usine Lubrizol, COVID-19) confirment la tendance observée d’une diffusion de la suspicion de la population(7) face à l’information « officielle » et « institutionnelle ». Cette tendance peut être rapprochée de la crise qui affecte plus généralement les élites (politiques, économiques, médiatiques…). Ce discrédit est particulièrement sensible dans le monde de l’information, alors que des canaux parallèles, alternatifs, se constituent et s’offrent au plus grand nombre sans être soumis à des exigences de rigueur, de contrôle et de transparence. Par conséquent, le poids de la parole publique s’est amoindri et fait l’objet d’une remise en cause profonde. Cette dynamique a des conséquences préoccupantes pour la communication et l’action de l’État. Celui-ci peut être entravé et remis en cause dans la réponse aux crises, qui nécessitent d’agir vite, et dans ses missions permanentes. Il est ainsi conduit à intégrer d’emblée le risque informationnel dans son action au quotidien. Ce phénomène est accentué par le caractère international, transfrontalier d’Internet, qui affaiblit le poids des régulations nationales avec un risque de transfert du pouvoir normatif à des acteurs privés et/ou étrangers. Internet a considérablement changé le rapport aux institutions. Cette « désinstitutionnalisation » de la société, accentuée par le numérique, est également nourrie d’une méconnaissance du fonctionnement des institutions qui incarnent l’autorité : rôle du préfet, missions des forces de l’ordre. C’est un constat quasiment unanime formulé par les citoyens réunis lors de la conférence organisée en janvier 2020(8). Ainsi, les citoyens réunis au sein de l’atelier « comment les citoyens et les forces de sécurité intérieure peuvent-ils lutter ensemble contre les incivilités ? » le disent : « nous constatons aussi notre méconnaissance des forces de sécurité intérieure et de leur rôle au quotidien. Nous les connaissons mal et avons tendance à ne retenir que les aspects négatifs, qui nous sont relatés à travers les médias et les réseaux sociaux ». La numérisation de la société française s’inscrit dans un mouvement historique que le ministère de l’Intérieur doit intégrer et accompagner. 7 Cf. enquête sur les phénomènes de complotisme, IFOP Fondation Jean Jaurès, Conspiracy Watch, Enquête sur le complotisme, février 2019 : 28% des 18-24 ans adhèrent à cinq théories du complot ou plus (contre seulement 9% des 65 ans et plus). 8 Conférence de citoyens, réunissant 107 citoyens au ministère de l’Intérieur en janvier 2020. Au terme des trois journées de travail, ils ont émis des propositions sur le thème des « relations entre la population et les forces de sécurité intérieure » - cf. annexe méthodologique. 35 Il concerne ses relations avec les usagers et ses modes d’action (champ de vulnérabilité de l’écosystème sécuritaire national, techniques d’enquêtes, etc…). Les mutations sociétales se reflètent également dans une judiciarisation croissante de la société. Elle implique une vigilance et une technicité accrues des forces de sécurité au cadre de leur action et la prise en charge de procédures toujours plus nombreuses et complexes, notamment un cadre juridique de plus en plus contraignant, fruit de la conjugaison des règles nationales et européennes. 2.1.3. Les violences à l'égard des dépositaires de l'autorité augmentent La montée des violences constatée dans la société s’exerce également de façon continue contre les représentants de l’État. Gendarmes, policiers et pompiers, dépositaires de l’autorité, sont fréquemment l’objet d’agressions dans l’exercice de leurs missions, ce qui a conduit, ces dernières années, à repenser les compétences et la protection des agents (formations dédiées à la gestion de conflit, protocoles opérationnels inter-forces, caméraspiétons). En un an, une forte hausse des agressions contre les policiers, les gendarmes mais aussi les pompiers est constatée dans l’exercice de leurs missions :  près de 34 000 faits contre les policiers en 2019, près de 11 000 faits contre les gendarmes (+6 % en un an),  quelque 2 000 faits contre les pompiers (+19 % en un an). Ce phénomène, dont l’ampleur et l’intensité sont inédits dans notre histoire récente, est une des démonstrations de la défiance développée par une partie des Français à l’égard des forces de sécurité. Les agressions contre les sapeurs-pompiers connaissent une évolution préoccupante. Elles sont souvent le fait des personnes secourues elles-mêmes (stress, alcool, drogue, fragilités psychologiques, etc.) et font peser des menaces sur l’efficacité des secours. A travers eux, ces violences visent les institutions de la République qui constituent désormais des cibles symboliques de l’État et de la force légitime (par exemple l’incendie de la préfecture de la Haute-Loire en 2018, les atteintes à des commissariats et des brigades de gendarmerie), de la démocratie représentative (par exemple les dégradations de permanences parlementaires) et de l’Histoire collective (par exemple les dégradations de l’Arc de triomphe en 2018). Au cours des deux dernières années, les opérations de maintien de l’ordre ont cristallisé cette expression de la violence. Toute forme de manifestation peut devenir un cadre d’expression de la violence : rencontres sportives, manifestations revendicatives… Le déclin des corps intermédiaires et l’absence d’interlocuteurs de confiance parmi les manifestants a entravé la capacité de la force publique à trouver les voies de négociation ou de régulation alors que de nouvelles formes de manifestation radicale s’installent dans la durée (black blocks, ultra jaunes, zones à défendre, mouvements identitaires et ultras). Cet état de fait conduit le ministère de l’Intérieur à repenser sa stratégie de rétablissement de l’ordre public et à renouveler ses modes de communication pour pallier la disparition des interlocuteurs traditionnels. Toutefois, la défiance d’une fraction de la population vis-à-vis des forces de sécurité ne doit pas masquer la confiance très majoritaire que lui accorde régulièrement la population. En 2019, selon l’enquête CVS, près des deux 36 Livre blanc de la sécurité intérieure tiers de la population jugent très satisfaisante ou satisfaisante l’action des forces de police et de gendarmerie. Ces données sont révélatrices de la relation complexe qu’entretiennent les Français avec les forces de sécurité intérieure. Alors qu’en 2015 le rôle des forces de sécurité et de secours avait été largement salué et avait suscité un mouvement de soutien d’ampleur nationale, les mêmes forces en 2020 font l’objet d’un rejet d’une frange non négligeable de la population. De nouveau, les citoyens réunis à l’Hôtel de Beauvau, ont témoigné de la détérioration et même du délitement de ce lien et pourtant ils ont été les premiers à exprimer le souhait d’être acteurs aux côtés des forces de sécurité dans le cadre d’un pacte de sécurité renouvelé. 2.1.4. La présence, l'accessibilité et la proximité de l'État sur tout le territoire demeurent indispensables La relation de la population à l’État est marquée par un paradoxe : défiance autant que  besoin réaffirmé de présence. Les événements les plus récents, sur tout le territoire, montrent que l’État est attendu au plus proche des préoccupations des citoyens. Les attentes sont fortes pour qu’un service public de proximité soit maintenu partout sur le territoire. Les citoyens, sollicités lors de la conférence organisée en janvier 2020 mais également dans le cadre des assises territoriales de la sécurité qui se sont tenues dans tous les départements, ont rappelé leur attachement à un service public humain dans une tendance à la numérisation des démarches. Ce besoin de présence et d’accessibilité des services publics a encore été réaffirmé lors du mouvement des gilets jaunes et du grand débat national. La décision du président de la République de créer 2 000 Maisons France Services d’ici 2022, réparties sur l’ensemble du territoire, est l’une des réponses concrètes à cette attente. Le maillage territorial des forces de sécurité intérieure et plus généralement leur disponibilité s’inscrit pleinement dans ce contexte. Les 822 implantations de la Police nationale et les 3 766 unités de la Gendarmerie nationale assurent cette protection du quotidien, de même que les forces de sécurité civile garantissent la permanence des secours. A cet égard, la sécurité civile repose sur un modèle unique : composée de sapeurspompiers professionnels et volontaires, son implantation territoriale permet d’intervenir partout, en quelques minutes (5 185 centres de secours au sein de 99 SIS en métropole et Outre-mer). Les rapports entre les forces et la population, comme pour l’ensemble du service public, connaissent toutefois une évolution culturelle : il y a désormais une attente de qualité de service indexée sur un degré de satisfaction, qui implique la construction d’une relation de confiance et d’une démarche de transparence et de reddition de comptes de l’action des forces de sécurité. Cette évolution peut constituer une rupture essentielle pour des forces qui, historiquement, se sont développées avec comme mission première la défense des institutions qui et ont été orientées progressivement vers le service de la population. Ces attentes, que les organisations de la police et de la gendarmerie nationales ont commencé à intégrer dans leur mode de fonctionnement, prennent plusieurs formes. 37 La meilleure prise en compte des incivilités quotidienne et la lutte contre l’impunité, ainsi que la résolution effective des problèmes qui perturbent la vie de la population au quotidien est une attente majeure. Les citoyens de la conférence proposent même de faire de la lutte contre les incivilités « une cause nationale ». Le recueil des besoins de la population et des victimes (par exemple des sondages dans le cadre de la police de sécurité du quotidien, des portails numériques, les plaintes en ligne, …) permettrait de mieux anticiper les besoins de sécurité et les réponses à mettre en place au regard de ces évolutions. A titre d’illustration, à l’aide de simulations multi-agents, l’ambition du projet MEGA mené par l’institut de recherche en informatique de Toulouse et la police nationale sur l’agglomération de Montpellier est d’anticiper l’évolution des comportements délinquants à l’échelle d’une métropole et de tester l’efficacité de différents scenarii modélisés pour réguler les phénomènes délinquants. Ces analyses permettraient de mieux définir les stratégies de réponse de sécurité publique. L’accessibilité et la qualité de l’accueil des services publics constituent également une attente de la population. Cela se traduit dans l’organisation de l’accueil, l’information et la prise en compte des demandes des victimes et de la population, au moyen des téléservices, de la plainte en ligne, des horaires différenciés adaptés, de la présence d’intervenants sociaux dans les commissariats et les gendarmeries. Les réseaux territoriaux du ministère de l’Intérieur doivent être mis en valeur. L’offre multimodale (téléphone et numérique) de la police nationale repose sur un maillage riche de 872 implantations de contact avec le public, ouvertes 24h/24. Cela représente 75% de la délinquance enregistrée dans les commissariats. La zone de compétence de la gendarmerie nationale couvre 95 % du territoire national et 50 % de la population (70 % Outremer). Cette couverture s’appuie sur un réseau territorial de 3 766 unités et décline une offre de sécurité de manière différenciée et sur mesure, en adoptant de nouveaux modes d’action tels que la brigade numérique ou Neogend. L’enjeu de satisfaction de la population est primordial pour construire une relation de confiance et de qualité (méthode de résolution de problème, transparence et évaluation de l’action des forces de sécurité, partenariat). Cette mesure s’est particulièrement développée avec le déploiement de la police de sécurité du quotidien. Il s’agit également de prendre en compte l’intention clairement exprimée par les citoyens consultés et par les différents contributeurs aux travaux du Livre blanc, de jouer pleinement leur rôle d’acteur au sein d’un pacte de sécurité et de protection renouvelé. Face à ces défis et leurs évolutions, la collectivité s’adapte pour répondre au mieux à l’ensemble des besoins et aux attentes de sécurité. L’Etat, mais également les collectivités locales, réorganisées dans un nouveau cadre institutionnel (réduction du nombre de régions, apparition de structures intermédiaires nouvelles – métropoles et autres intercommunalités, fusions de communes) tout en réaffirmant le rôle de l’échelon de proximité que sont les maires, doivent s’adapter à cette nouvelle donne. 38 Livre blanc de la sécurité intérieure 2.2. La protection des acteurs économiques devient un enjeu de premier plan 2.2.1. De nouveaux risques émergent et touchent les acteurs économiques et les organisations publiques La société dans son ensemble et les acteurs économiques en particulier formulent des attentes croissantes de sécurité, face notamment à l’émergence de nouvelles menaces. Des menaces variées comme les risques majeurs, les cyberattaques, la prédation économique, le terrorisme ou la menée d’actions de subversion violente pèsent sur des acteurs aussi divers que les entreprises, les administrations ou encore les médias. La diversité des acteurs (grands groupes, PME, start-up, associations, universités, …) engendre une variété de besoins de ces structures et des attentes très diverses vis-à-vis de l’ensemble des services de l’État et du ministère de l’Intérieur en particulier. Les dernières années ont vu ces menaces se concrétiser : cyber-attaques contre des hôpitaux et des administrations d’État (ministères de l’Économie de l’Intérieur et de la Justice par exemple), piratage de médias (ex : TV5 Monde en 2015), affaires d’espionnage économique dans les industries françaises, attaques terroristes visant des sites industriels. Face à ces menaces, des réponses existent, notamment pour favoriser la continuité des activités essentielles du pays. Ainsi, à partir de 2006, l’Etat, sous l’égide du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), a formalisé et mis en œuvre une politique de sécurité́ applicable aux secteurs d’importance vitale, révisée en 2016. Celle-ci définit les activités, acteurs et sites d’importance vitale pour la continuité de la Nation, ainsi que le partage des responsabilités et obligations entre acteurs (Etat et opérateurs). Le ministère de l’Intérieur y est partie prenante au travers de l’animation territoriale de cette politique. En outre, la dimension communautaire de cette politique a d’emblée été prise en compte avec l’adoption d’un cadre d’amélioration de la sécurité des grandes infrastructures transnationales et des incitations à l’amélioration des cadres nationaux de sécurité des activités d’importance vitale dans les Etats-membres de l’Union européenne. En parallèle, les politiques de lutte contre la cybermenace et de protection des intérêts scientifiques et économiques de la Nation ont également été structurées depuis la fin des années 2000. La gouvernance de la politique de sécurité économique a été entièrement repensée et réécrite en 2019. Le décret donne à la politique de sécurité économique l’objectif de protéger et promouvoir les intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation, qu’ils soient matériels ou immatériels. Cette politique prend en compte et articule l’ensemble des acteurs de cette protection, impliquant donc tous les ministères. 2.2.2. L’ensemble des acteurs économiques doit être mieux protégé Le développement d’une menace diffuse démontre cependant la nécessité de ne pas limiter la politique de protection des intérêts nationaux aux chocs majeurs, mais de tenir compte également des menaces et risques du quotidien. En outre, les dernières crises ont montré que la protection des 39 seuls intérêts vitaux ne suffisait pas ; il est nécessaire de penser « sécurité systémique » de l’ensemble des acteurs des chaînes économiques. Les risques liés à cette sécurité économique sont aussi bien capitalistiques (attaques par des fonds activistes étrangers), réputationnels (campagnes de e-réputation sur Internet), industriels (vol de brevets ou de technologies innovantes) que juridiques (enjeux liés à la justice extraterritoriale). Ces risques polymorphes ont entrainé une volonté politique forte axée autour de la souveraineté et de la défense des intérêts économiques fondamentaux de la Nation. Cette réponse, portée au plus haut niveau de l’État se fait autour des différents ministères, celui de l’Intérieur y ayant toute sa place. Là encore, des dispositifs sont prévus à la fois en interne et sous l’angle partenarial. Les entreprises et administrations peuvent par exemple se doter de plans de continuité d’activité face à des événements perturbateurs ou des crises majeures. Les pouvoirs publics, au moyen de guides, accompagnent ces démarches. D’autres actions de communication et de formation ont été entreprises autour de la sécurité économique, notamment au travers d’actions de sensibilisation des entreprises à la sécurité informatique et aux risques de prédation économique par les services de renseignement. Par ailleurs, la police et la gendarmerie nationales ont développé les référents sûreté pour agir en prévention face aux actes de délinquance et à la malveillance économique. Cependant, la prise en compte de la dimension sécuritaire par les acteurs économiques et leur préparation face aux enjeux semblent encore fragiles. Tous ne sont pas dotés de référents ou de directeurs de sécurité ou sûreté, souvent faute de moyens ou de capacités techniques. L’enjeu est particulièrement sensible pour les acteurs économiques les plus modestes qui doivent concentrer leurs moyens sur leur activité première. Pourtant, la bonne appropriation des enjeux de sécurité peut s’avérer vitale pour leur activité. Outre la question des capacités et des moyens des acteurs économiques à s’approprier les enjeux de sécurité, l’évolution de ces derniers est une autre difficulté à laquelle font face les entités économiques. Les nouvelles crises, par exemple sanitaires, les nouvelles menaces, par exemple terroristes, et la grande variabilité de leur survenance (temporelle, spatiale) sont des facteurs d’incertitude qui rendent difficile la préparation et obèrent la capacité de réponse des acteurs socio-économiques. Ainsi, la crise sanitaire liée à la COVID-19 en 2020 a révélé la difficulté à définir nettement le périmètre des activités majeures dont la continuité était importante pour le pays, ainsi que les fragilités dans la préparation (par exemple, l’appropriation des plans de continuité d’activité) par les acteurs socio-économiques face à une crise inédite. Par conséquent, ce sont bien une attente et une nécessité de sécurité globale qui émergent de l’atomisation du risque et de la menace dans ses origines, ses formes et ses cibles. Pour y répondre, il est nécessaire de renforcer l’acculturation aux enjeux de sécurité, de favoriser l’information et la coordination des acteurs et de préparer la capacité de résilience et de réponse de chaque structure.  40 Livre blanc de la sécurité intérieure 3.  Les acteurs concourant à la sécurité font face à ces défis La diffusion et la multiplication des sources et des formes d’insécurité, comme du besoin de protection, ont progressivement conduit à un élargissement des acteurs de la sécurité, bien au-delà de la seule sphère étatique et institutionnelle. Cette pluralité d’intervenants est le signe de la montée en puissance de la préoccupation de sécurité et de protection. Elle doit aujourd’hui interroger sur la mise en cohérence des missions exercées par les uns et les autres et sur leur bonne coordination. 3.1. L’État est le premier responsable de la sécurité 3.1.1. Le ministère de l'Intérieur est la clef de voûte de la fonction régalienne de sécurité intérieure Le ministère de l’Intérieur assure la protection, la permanence et la continuité de l’État. Il est le garant de la sécurité de la population, le terme devant être pris dans une acception large : sécurité publique, mais aussi sécurité civile. Le ministère de l’Intérieur est, à ce titre, un ministère opérationnel capable d’agir et de réagir à tout moment pour protéger les populations, notamment, lors de crises majeures. Il est aussi le garant du libre exercice et du respect des libertés publiques : libertés de circulation, de vote, d’association, de culte, d’installation dans des conditions régulières pour ceux qui viennent de l’étranger. Il veille, enfin, au respect des libertés locales et des compétences des collectivités territoriales. Cette mission de sécurité s’est élargie au cours de la dernière décennie : si la police nationale est traditionnellement l’une des principales composantes du ministère de l’Intérieur, la gendarmerie nationale, composée de militaires, a été rattachée au ministère de l’Intérieur en 2009. L’organisation des forces de sécurité du ministère de l’Intérieur s’articule aujourd’hui autour de quatre grandes directions générales : celle de la police nationale, de la gendarmerie nationale, de la sécurité civile et de la gestion des crises, et plus récemment, de la sécurité intérieure. En 2012, la mission de sécurité routière, a été transférée du ministère de l’Écologie à l’Intérieur, parachevant ainsi la mise en cohérence, au sein d’un même ministère, de l’exercice de l’ensemble des missions de sécurité de l’État. L’exercice de cette mission de sécurité s’étend de la conception de la norme, et du pilotage national, à sa dimension opérationnelle et territoriale. Dépositaire de l’autorité de l’État dans le département, le préfet est le garant de la continuité et de la permanence des institutions dans le territoire. Il a à ce titre autorité sur les forces de sécurité intérieure dans son territoire de compétence. Chargé de mettre en œuvre les politiques publiques sur son territoire, il assure la coordination des services de sécurité, en définit les objectifs à partir des orientations qui lui sont fixées, et en garantit le bon fonctionnement. Son rôle est donc essentiel dans le fonctionnement de la chaîne hiérarchique. Il permet également d’éclairer le Gouvernement sur les évolutions locales de la délinquance et leur mode d’expression. 41 Le pilotage national de la mission de sécurité civile est assuré par le ministère de l’Intérieur. Ses missions opérationnelles sur le terrain sont confiées aux services départementaux d’incendie et de secours, qui relèvent des conseils départementaux, mais sont placés sous l’autorité fonctionnelle des préfets, qui ont la qualité de directeur des opérations de secours dans la gestion de crise. Cependant, le modèle français de sécurité civile est caractérisé par une forte dimension partenariale qui implique, au-delà de l’État une diversité d’acteurs sur tous les plans (gouvernance, financement, missions opérationnelles), au premier rang desquels figurent les collectivités territoriales (départements, communes) et les associations agréées de sécurité civile. Le ministère de l’Intérieur et la sécurité Préfet En tant que représentant de l’État et de chacun des membres du Gouvernement sur le territoire de la République, le préfet conduit les politiques de l’État et tout particulièrement les missions régaliennes de sécurité intérieure. À ce titre, il exerce des prérogatives de sécurité publique, en ayant autorité sur les policiers et les gendarmes nationaux, de sécurité civile, et de sécurité routière. En sa qualité de chef des services de l’État à l’échelle territoriale, le préfet est enfin chargé d’articuler les politiques de sécurité avec l’ensemble des politiques publiques qui peuvent directement ou indirectement concourir à la protection de la population, de l’environnement et des biens et à la paix publique. Police nationale La police nationale, garante des libertés individuelles et collectives, est chargée de la protection des personnes et des biens, de l’application de la loi, du maintien de la paix et de l’ordre publics, de la défense des institutions de la République et des intérêts nationaux. Ses grandes missions opérationnelles regroupent la lutte contre le terrorisme, la prévention et la lutte contre toutes les formes de délinquance et de criminalité, l’exercice de la police judiciaire, le maintien de l’ordre public, le recueil et le traitement du renseignement, la lutte contre l’immigration irrégulière et la protection des frontières. La police nationale traite 65 % de la délinquance générale enregistrée en France, dont 80 % de la criminalité organisée. Forte de près de 150 000 personnels (dont les effectifs de la préfecture de police) et 7 000 réservistes, la police nationale repose sur un réseau de commissariats ouverts sans discontinu dans tous les départements. Les policiers sont également présents à l’étranger (ambassades, institutions européennes et internationales, missions d’expertise). La police nationale dispose de services de haut niveau : investigation judiciaire, renseignement territorial, maintien de l’ordre, sécurité des mobilités, lutte contre la cybercriminalité, police technique et scientifique, intervention spécialisée (RAID). La sécurité à Paris est assurée par la préfecture de police afin de tenir compte des particularités de la ville-capitale (2,2 millions d’habitants dans une agglomération de 12 millions d’habitants, capitale politique et économique). La lutte contre la délinquance et toutes les formes 42 Livre blanc de la sécurité intérieure de criminalité, l’ordre public, la sécurité des mobilités constituent des enjeux de premier plan. Pour y répondre et tenir compte des dynamiques urbaines, le préfet de police a vu son champ de compétence élargi au-delà de Paris (petite couronne, lignes ferroviaires et axes routiers structurants, aéroports parisiens). Il dispose de près de 44 000 agents. Gendarmerie nationale La gendarmerie est une force armée investie d’une mission de sécurité et de paix publiques. A ce titre, elle agit dans le champ du contact, de la prévention de proximité, de la police judiciaire, du maintien de l’ordre et de l’action militaire. Rassemblant près de 100 000 personnels d’active, la gendarmerie peut s’appuyer sur le renfort de plus de 30 000 réservistes. La gendarmerie nationale est présente sur 95 % du territoire national, auprès de 50 % de la population. Elle repose sur près de 3 000 unités territoriales et une centaine d’escadrons de gendarmerie mobile. A chaque niveau de l’organisation territoriale (département, arrondissement, intercommunalité) correspond un échelon de commandement bénéficiant des attributions de commandement étendues à l’ensemble des moyens disponibles sur le périmètre territorial correspondant (intervention, ordre public, judiciaire, …). Dans l’exercice de ses missions, la gendarmerie a développé des capacités de haut niveau (criminalistique, cybercriminalité, éco-crime, atteintes à la santé publique, …) et elle dispose d’unités de pointe (GIGN, pole judiciaire, commandement des forces aériennes, …). Renseignement et lutte contre le terrorisme La direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a été créée en 2014 pour assurer ou participer à la lutte contre les ingérences étrangères, le terrorisme et les radicalités, la protection d’intérêts nationaux (secret de la défense nationale, intérêts économiques, industriels et scientifiques), la prolifération des armes de destruction massive, les activités criminelles internationales, la criminalité liée aux technologies. Elle assure, depuis 2018, le chef de file en matière de lutte contre le terrorisme sur le territoire national. Le réseau territorial de la DGSI est structuré au niveau zonal et les services territoriaux infra-zonaux. Sécurité civile La sécurité civile a pour objet la prévention des risques, l’information et l’alerte des populations ainsi que la protection des personnes, des biens et de l’environnement. Le modèle français est construit autour du principe de gratuité des secours. De par la loi, toute personne contribue par son comportement à la sécurité civile. Elle est par essence partenariale (préfets, collectivités, services d’incendies et de secours - SDIS -, armées, associations agréées, bénévoles, citoyens). L’État est cependant en charge de sa cohérence, assurée par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), qui s’appuie sur les préfets de zone de défense et de sécurité. Dans les territoires et au sein des SDIS, 237 000 sapeurs-pompiers départementaux, parmi lesquels 196 600 volontaires (soit 80 %) et 40 400 professionnels, et 11 300 militaires (Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, Bataillon des marins-pompiers de Marseille) sont mobilisés. Ils réalisent près de 5 millions d’interventions par an. 43 L’action des effectifs locaux est appuyée par des moyens nationaux pilotés par l’État (unités d’instruction et d’intervention, sites de déminage, bases hélicoptères et base aérienne de Sécurité civile de Nîmes). Enfin, la mission de sécurité civile en France s’intègre de manière croissante dans des coopérations internationales, notamment au sein de l’Union européenne. 3.1.2. Le ministère de la Justice et l'autorité judiciaire sont des acteurs de premier plan Le bon fonctionnement de l’État de droit impose de placer en partie l’exercice des fonctions de police sous l’autorité de la justice. A cet égard, le « couple » Intérieur/Justice est le garant premier de l’exercice démocratique de la force publique au bénéfice des citoyens. Les forces de sécurité intérieure sont ainsi placées, dans la conduite de leur mission d’investigation, sous l’autorité d’un magistrat, souvent le procureur de la République, chargé de l’action publique dans son ressort. Dans ce cadre, les relations entre procureurs de la République et policiers ou gendarmes sont quotidiennes, régulières, et encadrées par le code de procédure pénale. Les relations entre les forces de sécurité intérieure et la justice sont marquées par des débats récurrents : la question de la lourdeur de la procédure pénale, de l’adaptation des peines prononcées à l’importance des délits, ou celle, tout aussi sensible, de la répartition des missions entre chacun des deux ministères sur le terrain, font l’objet d’efforts de rationalisation et d’amélioration depuis plusieurs années. Mais des progrès restent encore à accomplir, et ces sujets constituent une source d’attentes importantes pour les personnels des forces de sécurité intérieure. La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice est le dernier texte paru qui cherche à simplifier la procédure pénale. Au-delà des vecteurs législatifs ou réglementaires, l’utilisation des nouvelles technologies (nouveaux logiciels de rédaction des procédures, plainte en ligne ou encore le programme interministériel de la procédure pénale numérique) apparaît aujourd’hui comme un des leviers structurants pour simplifier et digitaliser l’enquête. La crise sanitaire de la COVID 19 a aussi démontré les adaptations possibles des pratiques de travail pour une plus grande simplicité (recours aux visioconférences). L’administration pénitentiaire est également un acteur central pour les forces de sécurité intérieure, qui prend en compte de nouvelles priorités notamment avec la montée de la menace terroriste. Dans ce domaine, la coopération entre les deux ministères a produit des résultats importants, et a permis de construire et de mettre en œuvre une véritable politique de lutte contre la radicalisation en milieu pénitentiaire. 3.1.3. La réponse globale de sécurité implique la mobilisation d'autres acteurs de l’État Les questions de sécurité irriguent aujourd’hui les missions de l’ensemble des ministères et des composantes de l’État. Le ministère des Armées participe activement à la protection de la population contre le risque terroriste, dans le cadre de l’opération sentinelle, 44 Livre blanc de la sécurité intérieure qui permet de renforcer la présence sur la voie publique de patrouilles de militaires. En Outre-mer, les armées contribuent à l’accomplissement des missions de sécurité intérieure quotidienne (HARPIE, lutte contre la pêche illégale, lutte contre l’immigration illégale, lutte contre le narcotrafic, appui logistique divers), mais aussi en temps de crise (ouragan Irma). L’utilité du partenariat avec le ministère des Armées n’est plus à démontrer, et elle a en outre permis de développer des échanges fructueux avec les forces de sécurité intérieure pour améliorer et enrichir le dispositif de protection et de prévention du risque terroriste. La pandémie de la COVID-19 constitue à ce titre une illustration aussi importante qu’inédite du rôle et de la place du ministère des Solidarités et de la Santé dans la protection des populations, et la complémentarité dans l’action avec les forces de sécurité intérieure y a trouvé un nouveau mode d’expression. Bien que sans précédent par son ampleur, cette crise sanitaire n’est pas la première. Au fil des années, la coordination gouvernementale dans ce type de menace a progressé, tant au niveau central que sur le terrain. La création des agences régionales de santé a pu, néanmoins, être une source de difficulté dans l’articulation locale avec les préfets, et il est nécessaire de rester vigilant pour garantir la fluidité de l’information et la solidité de la coordination dans la gestion des crises sanitaires. La lutte contre la délinquance économique et financière fait l’objet d’une mobilisation de la part des services des ministères économiques et financiers, qu’il s’agisse de la protection des frontières (rôle de la direction générale des douanes), ou de la lutte contre la fraude financière ou les trafics. Il s’appuie pour ce faire sur des outils et des dispositifs de coordination spécifique, tels que Tracfin. La montée en puissance du risque terroriste a conduit à développer de manière significative la culture de la sécurité au sein du ministère de l’Éducation nationale. Le renforcement de la protection des établissements d’enseignement et des élèves, leur association à la conduite d’exercices de type attentat terroriste, a permis de réaliser des progrès significatifs dans ce domaine. Il en est de même dans la lutte contre la radicalisation des jeunes, à laquelle les personnels de l’Éducation nationale sont désormais associés aux processus de détection des signaux de radicalisation et de prise en charge, le plus en amont possible, des mineurs en risque de radicalisation. La question de la sécurité des manifestations culturelles ou festives a conduit le ministère de la Culture, comme celui en charge des sports, à intégrer plus fortement ces dernières années les questions de sécurité dans leurs priorités. Celles-ci sont désormais bien formalisées et prises en compte pour la préparation et le bon déroulement de ces évènements. L’affirmation du risque environnemental, qui peut déboucher sur des accidents sanitaires ou de sécurité civile, représente un autre facteur de diffusion de la culture du risque dans les ministères : qu’il s’agisse de celui de l’Agriculture, ou de l’Écologie leurs missions intègrent pleinement la dimension de protection et de prévention, étroitement articulée, au niveau local, autour du préfet de département. 45 3.2. L’État n’est pas le seul acteur de la sécurité 3.2.1. Le maire joue un rôle de proximité essentiel Le maire est l’un des acteurs centraux de la sécurité. Il est en effet autorité de police administrative. Pour ce faire, il dispose de pouvoirs de police générale et de police spéciale lui permettant de mener des missions de sécurité, de tranquillité et de salubrité sur le territoire de sa commune. Les domaines d’exercice des pouvoirs de police du maire sont multiples : écoles, habitat, circulation et stationnement, protection des mineurs, environnement, urbanisme, activités professionnelles, réunions, activités sociales ou de loisirs, santé publique, funérailles et lieux de sépulture. Dans l’exercice de cette mission, les maires sont placés sous le contrôle administratif du représentant de l’État dans le département. Par ailleurs, en qualité d’officier de police judiciaire, le maire est tenu de signaler au procureur de la République les crimes et délits dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Pour accomplir sa mission, le maire peut décider de la création d’une police municipale chargée d’assurer « le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques » (article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales). La loi du 15 avril 1999 est le texte fondateur des polices municipales, mais elle s’inspire d’un décret du 25 septembre 1963 qui autorisait déjà des polices municipales dans les villes de plus de 2 000 habitants. L’affirmation progressive des polices municipales, tant par le nombre des communes qui s’en sont dotées, que par l’extension du champ de leurs compétences, est une dynamique centrale de la politique de sécurité intérieure depuis les années 1980. Ainsi, en trente ans, les polices municipales sont déployées progressivement dans les communes urbaines et périurbaines ainsi que dans les stations touristiques. En 2018 on dénombrait 4 527 communes ou EPCI qui disposent d’un service de police municipale, déployant près de 23 000 agents de police municipale et 8 000 agents de surveillance de la voie publique (ASVP). Seules un millier de polices municipales comptent 5 agents ou plus. Ce déploiement s’est accompagné d’une amélioration des formations et des équipements, mais sans accompagnement par la doctrine d’emploi et les modalités de contrôle adéquates. Il faut également compter un peu plus de 700 gardes-champêtres sur le territoire national. La crise sanitaire de la COVID-19 a mis en lumière ce nécessaire équilibre entre les acteurs institutionnels de la sécurité intérieure. A cette occasion, le couple préfet-maire a retrouvé une place essentielle dans la mise en œuvre des mesures de police sanitaire. De même, les textes liés à l’état d’urgence sanitaire ont pris en compte ce continuum en intégrant des dispositions renforçant le rôle des polices municipales (constat d’infractions). Le droit commun pourrait en tirer des conclusions plus durables. De façon plus structurelle, le principal rôle attendu des polices municipales est d’assurer une proximité des forces de sécurité avec les citoyens. Les attentes récurrentes des concitoyens portent en effet sur la sécurisation de l’espace public au même titre que la sphère privée. Sont visés les faits de violence et les incivilités que la société n’accepte pas. La réponse attendue est une présence de la force publique pour dissuader et mettre fin aux comportements inappropriés. La demande de proximité interroge 46 Livre blanc de la sécurité intérieure tant sur ses formes que sur les modalités de mise en œuvre. La demande d’une police présente en permanence sur le terrain et au contact de la population s’exprime dès les années 1970. Dans ce sens la police qui agit en proximité est celle qui fonctionne de manière déconcentrée, au niveau des quartiers, au contact de la population et remplissant une « triple mission de prévention, d’adaptation aux demandes locales de sécurité et d’instauration d’une relation de confiance avec les citoyens »(9). Or les forces de sécurité intérieure n’assurent pas suffisamment cette mission proximité. La gendarmerie, qui l’exerçait historiquement, s’en est éloignée par ses réorganisations. La police nationale n’a pas pu arbitrer en faveur de la proximité, malgré des tentatives de se rapprocher de la population, du fait de la montée de la délinquance et l’évolution de ses formes qui la conduisent à privilégier une police d’intervention. Il a fallu attendre la mise en place de la police de sécurité du quotidien pour que la proximité fasse l’objet d’une doctrine qui en définit les objectifs, la stratégie, les missions et bien entendu les moyens à mettre en œuvre. Cette réflexion reste à approfondir, notamment au sein du ministère afin de pouvoir penser le continuum et de mobiliser les partenaires que sont les collectivités et les entreprises privées. La police et la gendarmerie nationales en sont les premiers acteurs, mais n’en ont pas l’exclusivité. Le relai peut être pris par la police municipale au sein de tous les quartiers d’une ville et pas seulement l’épicentre commercial, culturel ou festif. De même dans les villages dès lors que l’intercommunalité accepte de couvrir tout ou partie de son territoire par une police municipale mais aussi rurale, cette présence de personnels municipaux en tenue et formés peut répondre à la demande de la population locale. Le lien direct avec la population est indispensable au bon exercice des missions de police et contribue à la visibilité et à la légitimité des forces. Dès lors, orienter les polices municipales principalement vers une présence de proximité ne doit pas revenir à leur déléguer cette compétence, mais à mieux répartir entre tous les acteurs une mission attendue par la population. Cette offre nouvelle doit se faire en complémentarité de l’offre de sécurité que déploient la police et la gendarmerie, et non pas en substitution, et sur la base de conventions de coordinations claires, précises et contraignantes pour les parties signataires. La commune avec à sa tête, le maire, n’est pas le seul échelon territorial compétent en matière de sécurité. D’autres niveaux de collectivités exercent des pouvoirs de police. Ils peuvent être propres au président de l’exécutif local, comme le pouvoir de police du président du conseil départemental sur le domaine du département, notamment en matière de circulation. De même, le président du conseil régional gère le domaine de la région et exerce à ce titre les pouvoirs de police afférents. Les pouvoirs de police peuvent également être transférés : ainsi, si le maire ne peut transférer à un président d’EPCI son pouvoir de police générale, il peut le faire pour un nombre limitatif de pouvoirs de police spéciale (article L. 5211-9-2 du CGCT). 9 Doctrine de la police de proximité 47 3.2.2. Le secteur privé est un acteur émergent dans la mise en œuvre des politiques de sécurité intérieure La sécurité privée a connu un développement encore plus important tant par le nombre de salariés affectés à des missions de surveillance ou de protection que par les types d’intervention et les spécialités professionnelles reconnues. Cette dynamique se vérifie également chez les voisins européens de la France (Allemagne, Espagne, Italie, Royaume-Uni). Le secteur de la sécurité privée recouvre deux grands types d’acteurs. Il s’agit en premier lieu des entreprises de sécurité privées, qui proposent des prestations de sécurité à leurs clients dans le cadre d’un marché. Par ailleurs, le secteur comprend les entreprises qui se sont dotées de services de sécurité pour leur propre bénéfice. Les entreprises de sécurité privée ne sont pas nouvelles dans le paysage français, mais leur rôle ne s’est précisé que récemment et progressivement. La loi de 1983 posait les bases d’une profession réglementée, sous le contrôle de l’État. Progressivement, la sécurité privée a été admise et reconnue comme un acteur à part entière de la sécurité. Dans certains cas, en fonction des missions (transports publics par exemple), les entités ont pu se voir attribuer des compétences renforcées et particulières. En raison de l’attente de sécurité, notamment dans les espaces privés ouverts au public, la sécurité privée devient un acteur important de la mise en œuvre des politiques de sécurité intérieure. Elle intervient dans de nombreux domaines : gardiennage, télésurveillance, vidéoprotection, transport de fonds… Les entreprises privées de sécurité sont actives sur tout le territoire, de manière croissante. En Outre-mer, elles jouent un rôle essentiel dans le continuum de sécurité. La crise sanitaire de la COVID-19 a également mis à l’épreuve le continuum de sécurité entre les forces de sécurité intérieure et le secteur privé de la sécurité. Les textes liés à l’urgence sanitaire ont, comme pour les polices municipales, pu prévoir des extensions de compétences circonstancielles. Ainsi, les agents de sécurité assermentés dans les transports ont été habilités à relever la contravention pour non-port du masque de protection sanitaire. Cependant, la sécurité privée reste l’acteur le moins structuré et le moins intégré dans le partenariat de sécurité. En 2018, le secteur de la sécurité privée réunissait près de 11 500 entreprises(10) (+22,6 % en 8 ans) employant 177 300 personnes (+19 % en 10 ans) et réalisant un chiffre d’affaires de 7,6 Mds€ dont la croissance annuelle est d’environ 3 % depuis 10 ans. Cependant, le secteur de la sécurité privée souffre d’une grande inégalité dans la qualité des prestations et d’une forte atomisation de ses acteurs. Les prestations réalisées sont de niveaux très variables, entre des services de pointe (sécurité des opérateurs d’importance vitale, sûreté aéroportuaire) et des services, notamment de gardiennage, présentant de fortes marges de progression (niveau de recrutement et de formation, moralisation). De même, le secteur est marqué par une très forte atomisation dans un paysage où peu d’entreprises réalisent une forte proportion du chiffre d’affaires tandis qu’une grande partie des entreprises n’ont que peu, voire aucun salarié. Ainsi, selon les données de la branche, les 39 plus grandes 10 Données 2018 issues de l’enquête de branche Prévention-Sécurité réalisée pour l’Observatoire des métiers de la prévention et de la sécurité. 48 Livre blanc de la sécurité intérieure entreprises génèrent 41 % du chiffre d’affaires et les structures de moins de 20 salariés représentent 90 % des entreprises mais seulement 11,5 % du chiffre d’affaires. En outre, le secteur compte environ 8 000 entreprises sans salarié, soit près de 70 % du total. L’INSEE éclairait sur l’état du secteur dans une étude de 2018(11). L’Institut révélait que le taux de marge moyen était alors de 3,7 % contre 6,9 % pour l’ensemble des activités de soutien et que près de 30 % des unités avaient une rentabilité négative. Les délais de paiement des clients étaient élevés en moyenne, en comparaison de ceux constatés dans les autres activités de soutien : un quart des unités constatait un délai moyen supérieur à 75 jours de chiffre d’affaires. Enfin, ce secteur se caractérise par des rémunérations modestes : deux tiers des salariés percevaient moins de 13€ bruts par heure (le salaire brut horaire moyen en France approchait alors 20€). Enfin, l’INSEE soulignait un faible niveau de qualification et d’encadrement avec seulement 2 % de cadres dans le secteur. Ces données ne sont pas inquiétantes en tant que telles, mais, s’agissant principalement d’une activité de main d’œuvre, elles risquent de se traduire par des dynamiques économiques défavorables : une hyper-concurrence tirant les prix vers le bas, des marchés faiblement rémunérateurs peu propices à l’investissement dans la ressource humaine, une dimension RH nécessitant une montée en gamme (formation, parcours de carrière, déontologie, contrôle). De ce fait, en France, la sécurité privée n’est pas encore bien identifiée ou reconnue comme étant un partenaire de pleine confiance des forces de sécurité intérieure. Dans sa mission même, la sécurité privée se restreint à la protection des biens et des personnes dans la limite des contrats qui encadrent ses prestations. Or l’intégration au continuum de sécurité implique de réfléchir à la prise en compte des intersections entre espace privé et espace public, champ contractuel et contribution à la sécurité publique. Près de 180 000 agents de sécurité privée exercent, outre la surveillance humaine, des fonctions de protection de sites et de surveillance par vidéo, déploient des équipes cynophiles, interviennent dans le contrôle des passagers notamment du secteur aérien, mais également dans les zones commerciales et les transports publics. Leur vocation est de se développer sur des marchés nouveaux par un accroissement de compétence et une amélioration des formations. Ils répondent ainsi à une demande en complémentarité avec les forces de sécurité intérieure. Au-delà de ces intervenants bien connus et aujourd’hui acceptés par la population comme contribuant à sa sécurité immédiate, émergent depuis plusieurs années des intervenants spécialisés, notamment dans les transports aériens mais également ferrés. Le transport aérien se caractérise d’ailleurs par une privatisation totale du contrôle des voyageurs et des biens, sous le contrôle permanent des forces de sécurité intérieure. Par ailleurs la SNCF et la RATP se sont dotées d’équipes de sécurité, en complément de l’historique police des transports, disposant depuis la loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs de 2016 (loi dite « Savary ») de compétences d’intervention accrues et permettant en complément, ou principalement 11 « Les entreprises de sécurité privée : une faible rentabilité malgré une vive croissance », dans INSEE Première, n°1720, paru le 22/11/2018. 49 au vu des effectifs, de déployer des personnels formés, armés et disposant de prérogatives de puissance publique (par assermentation) sur les vecteurs de transports franciliens. La demande de sécurisation des transports ferrés ou sur route se développe dans toutes les métropoles et pose un nouveau défi aux opérateurs pour trouver la ressource humaine interne ou externalisée à même de répondre à la demande. La sécurisation du transport maritime reste un sujet complexe, mais qui nécessitera une intervention adaptée et par des moyens spécifiques. Enfin le besoin de protection des biens privés et notamment dans les espaces naturels ou forestiers a permis de longue date de déployer une ressource peu connue, les gardes particuliers. Assermentés et disposant de prérogatives qui peuvent être de nature judiciaire, ils sont plus de 80 000 sur le territoire national et apportent une aide réelle aux forces de sécurité intérieure. Leur modèle peut se décliner sur d’autres sites et selon des modalités adaptées à condition de procéder à un état des lieux préalable de la garderie particulière qui revêt des réalités très différentes (bénévolat / professionnalisation) selon les territoires (ruraux / périurbains et urbains), et qui connaît une diversification des commettants, des acteurs et des missions. Ainsi, bien au-delà des forces de sécurité mobilisées par l’État dans l’exercice de ses prérogatives de puissance publique, de multiples instances contribuent à la sécurité de nos concitoyens. Le continuum prendra tout son sens en développant les liens fonctionnels et opérationnels avec ces acteurs qui ne demandent qu’à servir et contribuer collectivement et chacun dans son rôle à la sécurité de demain. 3.3. La pluralité des intervenants et leurs interactions invitent à penser le continuum de sécurité Cette sphère de la sécurité intérieure n’a pas été créée par l’État en application d’une vision stratégique. Elle est le résultat des actions parallèles d’une multitude d’acteurs obéissant à leurs logiques propres. L’enjeu est de l’organiser en continuum de sécurité en commençant par identifier un socle commun. Le Livre blanc de la sécurité intérieure propose qu’il repose sur six principes : une vision élargie, la confiance, la compétence, l’identification, la maîtrise technologique et l’interopérabilité. La vision élargie implique de tenir compte, dans la conception des politiques de sécurité intérieure, de tous les acteurs et de toutes les dimensions territoriales dans la co-production de sécurité. Les acteurs recouvrent en premier lieu les partenaires historiques tels que le ministère de l’Intérieur, l’autorité judiciaire, les maires et les polices municipales. Ils regroupent également une multitude d’intervenants de la sphère de la sécurité : collectivités territoriales, établissements publics, gardes particuliers, professions (réglementées ou pas) de la sécurité privée, fournisseurs de services et de produits de sécurité, bailleurs institutionnels, acteurs du secteur des transports (autorités régulatrices, transporteurs, gestionnaires d’infrastructures), entreprises ayant un besoin particulier de sécurité, associations ou encore citoyens prêts à s’engager. Ce qui relie ces acteurs est la relation de confiance, condition indispensable à l’émergence d’un continuum de sécurité. La confiance ne peut se bâtir sans des garanties de moralité et de confidentialité dans l’exercice des 50 Livre blanc de la sécurité intérieure missions de sécurité. Ces principes doivent être partagés et démontrés par l’ensemble des contributeurs au continuum de sécurité. Pour que le continuum de sécurité fonctionne, chacun doit disposer des compétences nécessaires à l’exercice de sa profession ou de sa mission. Que les pouvoirs publics interviennent pour agencer cette compétence (profession réglementée) ou que les acteurs s’organisent eux-mêmes, seule la démonstration effective d’une compétence à exercer des missions de sécurité doit être recherchée. L’identification permet que chaque acteur de la sphère de la sécurité intérieure soit reconnu comme tel. Elle peut se traduire par l’exigence d’un uniforme ou par la mise en place pour toutes les professions et les fonctions réglementées de cartes professionnelles normées. Cette identification est la clé de leur bonne visibilité par la population, de leur coordination au sein du continuum de sécurité, de leur responsabilité et de leur contrôle dans l’exercice de la mission. La capacité technologique française au service de la sécurité intérieure doit également être appréciée à l’échelle de l’ensemble des membres du continuum. Cela implique de tenir compte des capacités humaines et techniques de chacun des acteurs de la sécurité, d’intégrer les contraintes de tous dans l’édiction de normes encadrant les technologies, de pouvoir s’appuyer sur un tissu de fournisseurs de moyens et de services performant et innovant. Autant que nécessaire et possible, des mutualisations entre forces de l’État collectivités territoriales et acteurs privés doivent être promues. Enfin, le continuum de sécurité doit reposer sur le principe d’interopérabilité. Les acteurs de la sécurité intérieure doivent être capables de travailler ensemble lorsque cela est pertinent dans leur action quotidienne comme dans la prise en compte des crises et des événements exceptionnels. Cette capacité de travail en commun doit être préparée en amont et se façonner au travers de plans dédiés, de réglementations communes, d’équipements interopérables, de doctrines. La réalisation progressive du continuum de sécurité implique la multiplication d’opérations permettant d’apprendre le travail en commun dans le respect des compétences et des prérogatives de chacun. 51 Livre blanc de la sécurité intérieure DEUXIÈME LIVRET : REFORMULER LE PACTE DE PROTECTION ET DE SÉCURITÉ DES FRANÇAIS 53 Face aux menaces et enjeux de sécurité, le pacte de protection et de sécurité des Français a besoin d’être reformulé. Cette transformation passe par une révision des missions et surtout de la manière de les exercer par les forces de sécurité intérieure qui devront pouvoir s’appuyer sur une organisation adaptée et réactive. Cette évolution nécessitera d’engager une mutation des ressources et des moyens des hommes et des femmes qui travaillent tous les jours au ministère de l’Intérieur. 1.  Renforcer la relation de confiance avec la population Le gage de réussite de cette démarche profonde et très largement partagée par les acteurs de terrain ainsi que les instances représentatives associées aux travaux du Livre blanc suppose la prise en compte d’un prérequis fondamental : renforcer la relation de confiance avec la population. L’analyse des attentes de la population, au travers de la concertation large et ouverte organisée pendant les travaux du Livre blanc, démontre cet attachement au contact direct, simple avec les forces de sécurité et même davantage, le souhait des Français d’être acteurs de la sécurité, de devenir un maillon de la chaîne globale de sécurité. A certains égards, ce rôle revendiqué de la part des Français répond à l’appel du président de la République parlant de « bâtir une société de vigilance » lors de son discours, le 8 octobre 2019, en hommage aux victimes de l’attaque terroriste de la préfecture de police, à Paris. Les forces de sécurité et l’ensemble des acteurs institutionnels ne peuvent penser leur mission de sécurité sans tenir compte de l’intégration des citoyens au continuum, qui sont non seulement les demandeurs et les bénéficiaires de la politique nationale de sécurité intérieure, mais aussi des acteurs essentiels de sa mise en œuvre. Le Livre blanc postule que les citoyens tiennent un rôle premier dans le domaine de la sécurité intérieure. En effet, les citoyens présents lors d’un incident de sécurité sont souvent les premiers à pouvoir réagir et agir, non seulement pour se protéger, mais aussi pour faire face. Les citoyens sont également souvent les mieux placés pour détecter les menaces et donner l’alerte aux forces de sécurité. Outre-mer, les autorités coutumières ou autres représentations morales jouent un rôle d’interface utile entre la population et les autorités publiques, notamment dans l’esprit de la police de sécurité du quotidien. Leur reconnaissance et leur implication facilitent grandement les contacts et les échanges d’informations, qui pourraient parfois être compliqués par des traditions, des langues et des spécificités locales. Elles ont ainsi toute leur place dans le continuum de sécurité. Par ailleurs, face aux menaces relevant de la sécurité intérieure, les citoyens s’organisent spontanément et les initiatives de participation citoyenne ou associative sont une réponse de la société civile aux enjeux de sécurité. Enfin, l’engagement des citoyens est le moteur principal de toutes les organisations professionnelles de la sécurité intérieure. Le plus souvent, c’est bien davantage une volonté d’engagement des citoyens au service de l’intérêt général qui motive les carrières dans la force publique que des considérations financières ou matérielles. 54 Livre blanc de la sécurité intérieure Cette mobilisation des citoyens pour la sécurité intérieure doit être soutenue et encouragée. À cet égard, la politique de sécurité intérieure doit poursuivre trois objectifs. Tout d’abord, face à la perte de sens du discours sur le « vivre ensemble », alors que celui-ci ne va plus de soi, exacerbé par le repli sur soi et l’individualisation de la société, le délitement du lien social, la légitimité et l’utilité du rôle et des missions des forces de sécurité intérieure qui incarnent, pour partie, les institutions et le fonctionnement de l’État doivent être réaffirmées. Ensuite, la politique de sécurité intérieure doit encourager la réactivité des citoyens face aux incidents de sécurité en poursuivant les formations et les exercices de sécurité, en communiquant sur les prérogatives des citoyens dans le domaine de la sécurité (pouvoir d’interpellation et de présentation à l’autorité judiciaire, pouvoir d’enclencher des poursuites par la citation directe, légitime défense et état de nécessité). À cet égard, les canaux permettant de concrétiser la volonté d’engagement doivent être renforcés. C’est le cas par exemple, en sensibilisation de premier niveau, de l’intégration des forces dans le Service national universel. Par ailleurs, les réserves de la force publique ont un rôle crucial à jouer car elles permettent tout à la fois de renforcer les capacités de cette force, de diffuser la culture de la sécurité chez les citoyens et, le cas échéant, de préparer un engagement plus fort encore dans les métiers de la sécurité. Enfin, la politique de sécurité doit promouvoir la vigilance des citoyens, notamment par la diffusion d’informations précises sur les menaces et leurs signes distinctifs, le renforcement des canaux dédiés à la remontée des informations, une communication sur la manière dont ces informations peuvent être utilement structurées et un appui marqué aux initiatives de participation citoyenne. 1.1 Mieux faire connaître les forces de sécurité intérieure pour réaffirmer leur légitimité 1.1.1 Institutionnaliser des moments d'échanges avec la population, dans sa diversité L’analyse de l’évolution du rapport à l’État et plus particulièrement aux forces de sécurité a souligné la méconnaissance globale de son fonctionnement notamment par les jeunes générations. Dans ces conditions, le renforcement de l’éducation civique et sociale et de l’enseignement du fonctionnement des institutions et du système démocratique paraît d’autant plus majeur. Il peut notamment paraître utile d’expliquer aux élèves en fin de cycle secondaire les principes de la vie démocratique en inculquant quelques notions de droit constitutionnel (répartition des pouvoirs, des compétences Etat, collectivités territoriales, échelons national et européen) ; notions qui seront nécessaires lorsqu’ils seront appelés à voter pour la première fois. Toutefois, le processus, ne peut se limiter aux dernières années du cursus scolaire et doit être initié très tôt, dès les premières années scolaires, notamment en sensibilisant sur les risques de la vie quotidienne. Ainsi, l’éducation civique et sociale, notamment dans le champ de la prévention (sécurité routière, protection des mineurs, respect de la loi, risques liés aux 55 addictions, violences et incivilités, discriminations…) pourrait accompagner des « cohortes d’élèves » sur plusieurs années afin d’ancrer l’esprit civique auprès des jeunes générations. Les citoyens, réunis au sein de l’atelier « lutte contre les incivilités » lors de la conférence organisée en janvier 2020, ont insisté sur cet aspect : «l’éducation et la formation au civisme dès le plus jeune âge, par des actions dédiées dans les écoles, nous paraissent indispensables, parce que nous pensons que les enfants peuvent apprendre et faire passer des messages à leurs parents, comme ils le font désormais sur les sujets d’écologie ». Si cette action relève davantage du ministère de l’Éducation nationale, le ministère de l’Intérieur, en s’appuyant sur le réseau territorial des préfectures et des forces de sécurité intérieure, peut accompagner la démarche éducative, en proposant des programmes illustratifs. Davantage de pédagogie sur les institutions et leur rôle permettra de mieux incarner les valeurs républicaines. Dès lors, il convient sans doute de rénover les initiatives mises en place il y a quelques années pour mieux faire connaître l’action de l’État et plus particulièrement des forces de sécurité, au travers des journées de la sécurité intérieure mais également à l’occasion des participations des services de recrutement de la police et de la gendarmerie nationales aux forums de l’emploi. Les citoyens de l’atelier consacré aux attentes des citoyens à l’égard des forces de sécurité ont réaffirmé ce besoin : « ne pas toujours voir les interventions dans les quartiers mais montrer la diversité des missions et des répressions ». À cet égard, l’idée selon laquelle l’école est le lieu où peut se construire ou s’entretenir une relation informée et apaisée entre la population et les acteurs de la sécurité est largement partagée. Sur la base de ce constat, il existe déjà un grand nombre de dispositifs et de ressources déployés à cette fin, sans pour autant qu’ils s’inscrivent dans une stratégie d’ensemble. Des rendez-vous annuels et des événements inclusifs et immersifs peuvent être de bons vecteurs. En appui des programmes éducatifs déployés dans les établissements scolaires, il s’agirait de proposer un programme d’accompagnement décliné par chaque préfet de département de manière coordonnée avec les acteurs académiques et pouvant prendre différents formats suivant le niveau scolaire concerné : sorties scolaires au sein des services de l’État et ses composantes (préfecture, tribunal de justice, commissariat, brigade de gendarmerie, mais aussi hôpital), parcours thématiques (par exemple les élections, la laïcité, la chaîne de procédure pénale) sans oublier les démonstrations des services de police et gendarmerie et des pompiers lors des rencontres de la sécurité («  journées de la sécurité intérieure ») qui leur sont dédiées une fois par an. Aujourd’hui, la demande est fortement exprimée et mérite de se traduire par un programme complet qui pourrait suivre l’année scolaire et s’appuyer sur une boîte à outils proposée par l’administration centrale(12) et transposé dans chaque département par le préfet. 12 Direction de la modernisation et de l’administration territoriale (DMAT), délégation à l’information et à la communication (DICOM), direction générale de la police nationale (DGPN), direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise (DGSCGC). 56 Livre blanc de la sécurité intérieure Proposition: Mettre en place un programme coordonné Education nationale / Intérieur / SGCIPDR pour une meilleure connaissance des institutions, des valeurs républicaines et des forces de sécurité intérieure pouvant prendre plusieurs formes (sorties scolaires, parcours thématiques, démonstrations etc.) Articuler ces actions avec les dispositifs déjà existants, comme les rencontres de la sécurité. Les participants à la conférence des citoyens de janvier 2020 avaient proposé la mise en place d’une journée nationale de la sécurité intérieure. Ces moments d’échanges institutionnalisés pourraient également être l’occasion pour le préfet, les représentants des forces de l’ordre de dresser un bilan de l’action sécuritaire dans le département dans une discussion ouverte avec la population. Durant les assises territoriales, nombreuses sont les préfectures à avoir relayé la demande des élus mais aussi des citoyens rencontrés d’organiser, tous les ans, des temps d’échanges à l’échelon d’un arrondissement ou d’un quartier. Proposition : Reproduire, chaque année, des temps d’échanges sur la sécurité en permettant aux habitants d’un arrondissement, d’un quartier d’y participer (sur le modèle des assises territoriales organisées en janvier 2020) 1.1.2 Valoriser la mission d’accueil, vitrine de l’institution En 2012, le Livre blanc sur la sécurité publique qualifiait déjà la fonction d’accueil de « mission au cœur de la relation entre la force publique et la population ». Améliorer l’accueil du public constitue un objectif central des politiques de modernisation des services de l’État. Elle revêt, plus encore pour les forces de sécurité intérieure, une dimension essentielle, compte tenu de la nature de leur mission, et de leur prérogative en matière d’utilisation de la force. La qualité de l’accueil est en outre déterminante pour l’action policière, à laquelle elle est intimement liée : elle concerne en premier lieu la prise en charge des victimes, et en particulier des personnes les plus vulnérables, mais aussi le déclenchement d’actions opérationnelles telles que l’engagement d’une patrouille suite à une alerte, ou les actes de procédure tels que la prise de plainte ou l’établissement d’un procès-verbal dans une audition. L’accueil est ainsi au cœur des missions de protection, d’assistance et de prise en charge assurées par les forces de sécurité intérieure. Si la qualité de l’accueil est une obligation du service public à ses usagers, elle est également un objectif qui génère des bénéfices pour les administrations. Ainsi, l’amélioration de l’accueil du public par les forces peut engendrer des externalités positives : relation pacifiée avec le public, meilleure qualité de l’information recueillie, sentiment de confiance de la part de la population. Améliorer la qualité de l’accueil du public est donc l’un des vecteurs premiers d’une relation de confiance entre la population et les forces de sécurité intérieure. 57 Cette relation utilise des formes et des supports divers : l’accueil téléphonique, qui est souvent le premier contact entre l’usager et les membres de forces de l’ordre, le recours aux nouvelles technologies, qui peut faciliter les démarches, et paraît adapté à la spécificité de certaines demandes, mais qui ne doit pas se substituer à l’accueil physique, lequel reste essentiel pour la qualité de la relation avec les citoyens. Des améliorations notables ont été entreprises ces dernières années, en particulier pour la prise en charge de certaines catégories de victimes : l’accueil des femmes victimes de violences en est l’une des illustrations les plus exemplaires avec la formation des équipes en charge de l’accueil dans les commissariats et brigades, l’appui d’intervenants sociaux au rôle réaffirmé et le développement d’outils supports comme la grille d’évaluation du danger. D’autres pistes d’évolution, déjà engagées, mériteraient d’être poursuivies et approfondies. C’est le cas par exemple de la fidélisation de fonctionnaires ou contractuels à ces missions, sur le modèle des hôtesses d’accueil de la préfecture de police. L’accueil physique dans les services a un impact direct sur l’image que l’institution renvoie au citoyen. Sur ce point, les propositions relatives à l’amélioration de l’immobilier de la police et de la gendarmerie accorderont une place première à l’accueil du public, et notamment à la capacité de distinguer accueil des victimes, et prise en charge des mis en cause. Des locaux assurant le respect de la confidentialité, garantissant une bonne qualité d’écoute et d’échange sont des éléments fondamentaux pour l’usager comme pour les forces de police et de gendarmerie. La possibilité, évoquée par ailleurs, d’accueillir au sein de structures autres que celles des services de sécurité, comme les maisons France Services, pourrait utilement compléter le dispositif d’accueil physique, en étant ciblée sur une mission d’information, et d’orientation de l’usager vers d’autres services. Dans le cadre de la police de sécurité du quotidien, les policiers et les gendarmes prennent de plus en plus l’habitude d’aller au contact de la population, en proposant des lieux d’échanges hors les murs des commissariats et des brigades. Les outils technologiques développés récemment, tels que la prise de plainte en ligne, sont devenus une composante importante de l’accueil et de la relation avec le public. Leur développement se poursuivra, en apportant une attention particulière à l’adaptation de ces outils au public (fonctionnalité, simplicité d’accès, garantie de sécurité et de confidentialité). Enfin, l’amélioration des conditions d’accueil suppose une action résolue à destination des personnels qui assurent cette mission. Loin d’être secondaire et de donner lieu à des affectations par défaut, elle doit au contraire faire l’objet d’efforts substantiels de formation professionnelle pour ces personnels. L’exercice de cette mission doit être valorisé dans le parcours de carrière et être évalué sur la base de critères pertinents et objectifs. Enfin, une réflexion peut être engagée sur le rôle et la place des personnels auxquels cette fonction est confiée. Si, pour certains types de mesures, et notamment la prise de plainte, il est nécessaire de recourir aux personnels actifs ou aux militaires détenteurs des compétences techniques nécessaires (OPJ notamment), d’autres fonctions d’accueil peuvent être dévolues à des personnels administratifs formés à cet effet, ce qui permettrait d’élargir le 58 Livre blanc de la sécurité intérieure champ de leurs missions dans les services de sécurité, mais aussi de mieux les intégrer à l’activité quotidienne des services. Le développement du recours à des réservistes pour exercer la fonction d’accueil présente également plusieurs avantages. Outre que certains d’entre eux ont une bonne connaissance de l’administration, ils peuvent exercer un rôle privilégié de médiation, et participer directement à l’amélioration de l’image des services auprès de la population, qui se verrait ainsi mise en contact avec des personnes qui pourraient leur sembler plus proches et plus accessibles, dans le respect des règles de confidentialité. Cette réflexion sur la réorientation des fonctions d’accueil permettrait enfin de dégager des effectifs opérationnels pour d’autres missions. Proposition : Valoriser toutes les dimensions de l’accueil par les forces de sécurité intérieure : profils et rôle des agents concernés dont les réservistes, formations dispensées, locaux dédiés, accessibilité hors les murs des commissariats et des brigades, déploiement des plateformes de signalement 1.1.3 S'adapter à l'évolution des usages et à l'émergence de la vie numérique La vie numérique des citoyens et résidents, des organisations publiques et des entreprises ne cesse de s’enraciner et de se diversifier. Elle représente déjà une part très substantielle de l’activité individuelle et collective. Au-delà des téléservices, ce sont le télétravail et la téléconsultation qui pourraient désormais connaître un essor sensible. La crise de la COVID-19 a accéléré ce processus et démontré la nécessité de disposer d’outils numériques sécurisés. En outre, chacun interagit de plus en plus fréquemment avec des véhicules ou des objets eux-mêmes connectés aux réseaux numériques. Tout indique que cette tendance va se poursuivre et peut-être même s’accélérer : les plateformes numériques et l’informatique embarquée se diffusent, les territoires intelligents se développent. Dans ce contexte, la liberté des citoyens recouvre la faculté de mener sa vie numérique de manière choisie, éclairée et responsable. Cela inclut le libre arbitre d’être présent ou absent de l’espace numérique, ou bien d’y participer sélectivement, en déterminant ceux des pans d’activité que l’on souhaite conduire numériquement lorsque cela est possible. Les services numériques peuvent simplifier grandement la vie des citoyens. Par conséquent, le Premier ministre a fixé des objectifs de transformation numérique des administrations ambitieux. Le ministère de l’Intérieur y contribuera activement pour ceux qui relèvent de sa responsabilité. Le programme Action Publique 2022 fixe ainsi l’objectif de 100 % de services publics avec un accès numérique possible à horizon 2022. Simultanément, le ministère de l’Intérieur veillera à la qualité de la relation avec l’usager en toutes circonstances. Cela implique le respect du niveau de compétence numérique de chacun, de la connectivité disponible, 59 de la nature de la démarche administrative considérée, des contraintes personnelles et plus généralement du libre choix individuel. Le ministère de l’Intérieur adhère fortement au principe selon lequel l’égal accès de tous aux services publics impose à ces derniers d’être accessibles aussi bien physiquement que numériquement. Proposition: Le ministère de l’Intérieur s’engage à déployer tous les efforts possibles pour atteindre l’objectif de 100 % de démarches dématérialisée dans son périmètre de compétence à l’horizon 2022. Il travaillera dans cette perspective en lien étroit avec l’Observatoire de la dématérialisation de qualité Chaque fois que les conditions s’y prêtent, le ministère de l’Intérieur proposera une évaluation par l’usager de la qualité du téléservice. Celleci comportera trois dimensions(13) : i) la possibilité d’émettre un avis sur une échelle de satisfaction ; ii) la possibilité de raconter son expérience dans un champ libre ; iii) la publication régulière et transparente des indicateurs de satisfaction et des avis anonymisés Le ministère de l’Intérieur organisera un dispositif régulier et indépendant d’évaluation de la simplicité et de l’accessibilité de ses téléservices. À cette fin, il nouera un partenariat avec des organismes de médiation numérique Le ministère de l’Intérieur s’engage à toujours s’organiser à l’avenir pour garantir à tous, sur tout le territoire, pour toute démarche administrative, la possibilité d’un accueil physique ou d’un accompagnement numérique. Cet accueil pourra s’organiser, soit au sein de ses réseaux territoriaux, soit en coopération avec ses partenaires comme cela s’organise déjà au sein des espaces France Services Au-delà d’une meilleure connaissance des forces de sécurité, les citoyens, sollicités dans le cadre des travaux du Livre blanc ont, à plusieurs reprises, fait part de leur souhait d’être étroitement associés à la production de sécurité. Cette expression d’un engagement citoyen renouvelé doit pouvoir s’incarner au travers d’initiatives à renforcer et à valoriser. De nouveau, le lien de confiance se tissera encore plus solidement si la population dispose d’outils et de moyens pour accompagner l’action des forces de sécurité intérieure. 13 Le ministère de l’Intérieur combine le programme «Transparence» de la Direction interministérielle de la transformation publique avec son programme interne d’évaluation de la qualité, dénommé «Je donne mon avis». Vox Usager est le nom de ce dispositif intégré. 60 Livre blanc de la sécurité intérieure 1.2. Favoriser l’engagement citoyen aux côtés des forces de sécurité intérieure 1.2.1. S'appuyer sur le service national universel pour renforcer l'adhésion aux valeurs de la République Pour souder les citoyens dans une communauté de destin, les expériences intégratrices collectives, comme pouvait l’être le service militaire, rythment et marquent les étapes de la vie citoyenne. C’est fort de ce constat qu’a été instauré le service national universel (SNU). Le SNU est une nouvelle occasion de transmettre des informations sur les institutions, leur fonctionnement, les missions des forces de sécurité. C’est aussi un lieu propice pour former les jeunes aux bons comportements à adopter dans certaines situations comme lors d’une attaque terroriste, les accidents de la route pour développer une culture du risque. Le SNU constitue un terrain favorable pour détecter les candidats aux concours d’accès aux métiers de la sécurité mais aussi ceux qui sont prêts à s’engager dans la réserve ou le volontariat. Figurent en effet dans ses objectifs la réflexion sur l’engagement volontaire (par exemple dans les réserves de police et gendarmerie et chez les sapeurs-pompiers). Les missions d’intérêt général qu’il propose peuvent également s’effectuer dans la sphère de la sécurité. Le SNU, devant à terme concerner l’ensemble d’une classe d’âge, est un relai pertinent de pédagogie sur le civisme, la place des forces de sécurité intérieure dans la société et leur relation avec la population. Proposition: Conforter l’intégration des questions de sécurité intérieure dans le cadre du service national universel (SNU) 1.2.2. Développer une culture du risque pour encourager la résilience de la population Alors que les crises sont appelées à se multiplier, le développement de la culture du risque au sein de la population est voué à se développer, en proposant différents niveaux d’engagement. La constatation de la pertinence et de la bonne compréhension des politiques et actions d’information préventive et de sensibilisation aux risques et aux comportements à adopter en situation de crise pourrait intervenir à l’occasion d’exercices d’entraînement partagés associant la population, ce qui est encore très rarement le cas en France au contraire d’autres pays (Belgique, Japon). Il pourrait donc être institué, au niveau local, une ou plusieurs « journées de cohésion nationale » qui associeraient l’ensemble des partenaires institutionnels, associatifs et privés, et dédiées à la connaissance par les citoyens des risques majeurs dans leur commune (y compris les risques du quotidien), aux moyens de se préparer face à ceuxci et à la compréhension des messages de vigilance puis d’alerte et aux comportements à adopter avant, pendant et après la crise. 61 Proposition: Organiser et généraliser au niveau local des séances de sensibilisation et d’entraînement aux risques (journées dites « japonaises ») 1.2.3. Former davantage aux gestes de premier secours et à l'assistance aux personnes vulnérables En 2017, le président de la République a rappelé que la menace terroriste, le dérèglement climatique et les crises qu’il engendre, mais aussi les accidents de la vie courante, étaient à l’origine de 20 000 décès et 50 000 hospitalisations chaque année. Par l’implication de tous, il est possible de réduire les conséquences de ces accidents. C’est pourquoi le Président de la République a souhaité appeler chaque citoyen à s’engager davantage et à devenir acteur de la sécurité et de la protection civile. La capacité de chaque citoyen à pouvoir mettre en œuvre les gestes qui sauvent revêt à cet égard un rôle déterminant. L’objectif défini est que 80 % de la population soit sensibilisée ou formée aux gestes de premiers secours avant la fin du quinquennat. A ce jour, 27 % des Français, soit 17,5 millions de personnes, sont a minima initiés aux gestes qui sauvent. Pourtant, c’est une des propositions largement reprises lors de la concertation autour du Livre blanc à travers notamment l’usage de l’expression de « sauveteur citoyen » caractérisant l’intervention primaire avant même l’arrivée des secours. Une large concertation menée jusqu’au mois de juillet 2018 par le ministère de l’Intérieur (DGSCGC) avec les représentants des ministères et organismes publics ainsi que les secteurs privé et associatif a permis d’établir un plan se fondant sur les deux référentiels pédagogiques de formation aux gestes de premiers secours : le « prévention et secours civiques de niveau 1 » (PSC1) et les « gestes qui sauvent » (GQS). Le plan s’articule sur deux axes : la formation progressive de l’ensemble des nouvelles classes d’âge au PSC1 et la sensibilisation aux GQS du plus grand nombre possible de citoyens. Une circulaire interministérielle relative à la généralisation auprès de l’ensemble des agents publics des formations aux gestes de premiers secours a été signée le 2 octobre 2018. Pour les nouvelles générations, le ministère de l’Éducation nationale contribue à l’essentiel de l’effort consacré au flux de personnes à former grâce à un continuum éducatif qui se décline par l’enseignement « d’apprendre à porter secours » en primaire, les GQS en 5ème puis le PSC1 en 3e. L’objectif est de former, à horizon 2022, 100 % des collégiens de 3e au PSC1. Pour l’année scolaire 2017-2018, 65 % des élèves de 3ème ont été formés au PSC1 contre 50 % pour l’année scolaire 2016-2017. Le ministère de l’Intérieur est en appui constant pour atteindre cet objectif, notamment en soutenant la formation des formateurs internes de l’Éducation nationale. Pour le secteur privé, le ministère du travail doit favoriser l’accès aux GQS dans le milieu professionnel : cela constituera une formule d’appel vers les formations PSC1 ou « sauveteur secouriste du travail » (SST) d’ores et déjà éligibles au titre du compte personnel de formation. 62 Livre blanc de la sécurité intérieure Proposition: Maintenir l’engagement des services du ministère de l’Intérieur pour atteindre 80 % de la population sensibilisée ou formée aux gestes de premiers secours d’ici 2022 Impliquer encore plus étroitement l’ensemble des acteurs publics (Éducation nationale) et privés (entreprises). 1.2.4 S’ancrer dans la population grâce au volontariat et aux réservistes Tout au long de la phase de concertation du Livre blanc, les citoyens interrogés ont, à plusieurs reprises, insisté sur leur souhait d’être acteurs de la sécurité. De leur côté, les forces de sécurité ont mis en avant l’importance de dispositifs, comme le volontariat ou la réserve, qui assurent, par l’action, un ancrage réel dans la population. Encourager le volontariat Les sapeurs-pompiers volontaires constituent l’ossature du modèle française de la sécurité civile. Plus de 195 000 sapeurs-pompiers volontaires assurent, avec les autres personnels de la sécurité civile, dans le délai moyen de 13 minutes, une distribution optimale des secours sur tout le territoire français, en métropole et dans les Outre-mer. Il convient d’en préserver le modèle et d’enrayer l’érosion des effectifs. Le ministère de l’Intérieur poursuivra et intensifiera la mise en place d’un plan de 37 mesures destinées à susciter des vocations, à diversifier les publics en intégrant des jeunes et notamment des femmes, venus de tous les horizons ainsi qu’à fidéliser les jeunes qui choisiront cette forme d’engagement. Proposition: Préserver le modèle du volontariat des sapeurs-pompiers et poursuivre le déploiement des 37 mesures du plan en faveur du volontariat. Donner une nouvelle impulsion au dispositif de la réserve en l’ouvrant davantage à la société civile Loin d’être une simple ressource d’appoint, la réserve civile de la police nationale et la réserve militaire opérationnelle de la gendarmerie participent pleinement aux missions opérationnelles permanentes, quotidiennes ou de circonstance. Elles représentent également une voie privilégiée pour contribuer à renforcer le lien entre les forces de sécurité et la population. Les jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale, consultés dans le cadre des travaux du Livre blanc, plaident pour une croissance indispensable de la réserve, en particulier au sein de la police nationale en regrettant que le dispositif soit encore mal connu des jeunes : en effet, ces derniers sont attirés par les missions opérationnelles, à l’instar de celles proposées par la gendarmerie nationale ou les armées. Ils mettent également en avant l’indispensable communication unifiée autour des réserves proposées par le ministère de l’Intérieur. Outre-mer, la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale occupe une place 63 importante dans son organisation, utilisée au quotidien pour des missions de sécurité publique ou en cas de crise. C’est aussi un outil d’intégration républicaine, permettant une meilleure acceptation par la population. Le développement d’une organisation similaire au sein de la police nationale serait un atout considérable pour les Outre-mer notamment. Leur montée en puissance a été décidée dans le cadre des mesures prises à l’issue des attentats de 2015-2016. Elles rassemblent aujourd’hui plus de 14 500 personnes dans la police nationale, pour un budget d’un peu moins de 30 millions d’euros (voté en LFI en2020), et plus de 30 000 dans la gendarmerie nationale, pour un budget de 70 millions d’euros en 2020. Afin de répondre aux nouveaux défis de la sécurité intérieure et aux nouvelles menaces, le format des effectifs devrait être renforcé. Les estimations de besoin se situent à 40 000 réservistes pour la gendarmerie et 20 000 pour la police d’ici 2023, en complément de la montée en puissance de la Garde nationale. Cela suppose de renforcer la communication auprès du public sur cette mission, et d’élargir les viviers, en s’appuyant sur les personnels issus des armées, des collectivités locales (policiers municipaux), des opérateurs privés employant des personnels de sécurité, des entreprises de sécurité privée employant des gardes armés. Cela suppose également de consolider l’enveloppe budgétaire dédiée, afin de donner de la stabilité à leur recrutement. Pour faciliter les recrutements de réservistes au sein de la société civile, les périodes de réserve accomplies au sein de la police nationale pourraient être comptabilisées au titre des obligations de participation des employeurs à la formation continue, comme c’est déjà le cas pour ceux de la gendarmerie nationale, en application de l’article L. 4221-5 du code de la Défense. Des conventions entre associations d’employeurs publics et privés et ministère pourraient également formaliser des partenariats durables en la matière. Donner une place plus importante aux représentants de la société civile doit également être un objectif. La réserve de la police nationale est composée d’anciens policiers retraités, d’anciens adjoints de sécurité, et de personnes de la société civile. Ces dernières représentent un peu moins de 20 % de l’ensemble des effectifs. Il est proposé d’augmenter leur part à hauteur de 50 % de l’ensemble. Une réflexion sur l’élargissement des missions sera menée afin d’identifier celles pouvant être confiées à des jeunes citoyens pour mieux les familiariser avec l’exercice des missions de sécurité. Il conviendra d’adapter les formations en conséquence. La démarche pourrait être tout particulièrement volontariste à destination des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) en vue d’accueillir des réservistes issus de ces quartiers, a fortiori sur des missions opérationnelles, spécialisées et valorisantes. Des recrutements de spécialistes dans des domaines spécifiques (informaticiens de haut niveau par exemple) peuvent également être réalisés dans ce cadre. Des dispositifs de réserves projetables sur des théâtres de crise ponctuelle (catastrophes naturelles par exemple) ou d’opérations spécifiques (grands événements) pourraient être constitués, comme cela fut le cas lors du passage de l’ouragan Irma aux Antilles. Le ministre de l’Intérieur a récemment décidé de permettre à ces jeunes, lorsqu’ils sont réservistes de pouvoir suivre les préparations aux concours externes des trois corps d’actifs de la police nationale. Cette mesure 64 Livre blanc de la sécurité intérieure participe à la promotion de la police nationale au sein de la réserve civile et doit être mieux connue. Proposition: Donner une nouvelle impulsion au dispositif de la réserve, et orienter son recrutement prioritairement vers la société civile et la jeunesse pour renforcer le lien avec la nation : –  Renforcer le format des effectifs (40 000 pour la gendarmerie, 20 000 pour la police) dans les 3 années à venir dans le cadre de la Garde Nationale. –  Valoriser cette mission auprès du public en définissant un plan de communication ministériel. –  Élargir les viviers de recrutement. –  Consolider l’enveloppe budgétaire pour stabiliser le recrutement . –  Faciliter l’adhésion des employeurs. –  Développer l’appétit des jeunes pour la réserve de la police nationale en leur confiant des missions opérationnelles. Les contributions produites dans le cadre des travaux du Livre blanc confirment l’importance de conforter le rôle du citoyen dans le continuum de sécurité. Dans certains pays, cette implication peut aller loin. Ainsi du Royaume-Uni où, en l’absence de polices municipales, les Community Wardens, citoyens volontaires dépendant des mairies, luttent contre les comportements antisociaux. Tous les dispositifs qui favoriseront son implication méritent d’être valorisés et développés. Toutefois, encore fautil que ces dispositifs soient connus et reconnus. Dans ces conditions, la communication devient un véritable enjeu pour informer sur l’action du ministère de l’Intérieur, pour faire connaître les outils et démarches portés par les forces de sécurité intérieure au profit de la population. 1.3 La communication et la diffusion d’informations fiables, vecteurs stratégiques et opérationnels du lien entre la population et les forces de sécurité intérieure 1.3.1. Consolider et développer les mesures statistiques de la délinquance et de la victimation pour en faire des outils de pilotage et de dialogue Pour répondre efficacement aux enjeux de sécurité publique et aux attentes du grand public, le ministère de l’Intérieur a entrepris depuis plusieurs années de rendre plus accessibles, plus transparentes et plus fiables la production et la diffusion d’indicateurs périodiques sur la délinquance et la criminalité enregistrées par les forces de sécurité intérieure. Sans parler de culture du résultat, qui pourrait faire penser à un retour de la politique du chiffre, il s’agit là de répondre à une évolution culturelle forte : il y a désormais comme une attente de prestation de service indexée sur un degré de satisfaction, qui implique une capacité à produire des indicateurs capables de mesurer l’action et d’en rendre compte à tous les niveaux (national, zonal et départemental), mais également de rendre compte 65 des expériences et des opinions des citoyens en matière de sécurité. Les habitants sont en attente des suites données à un problème de sécurité constaté dans leur quartier. Si les modalités d’action de la police de sécurité du quotidien intègrent cette demande, encore faut-il déployer des outils de mesure et d’évaluation à la disposition des décideurs, des services opérationnels et du grand public. À cet égard, la création d’un service statistique ministériel sur la sécurité intérieure (SSMSI) en octobre 2014 a permis d’améliorer la qualité statistique des productions conformément aux règles en vigueur à l’INSEE et dans le service statistique public, de garantir l’objectivité des données produites à partir des traitements et des applications « métier » et de faire converger progressivement les pratiques en matière d’enregistrement des faits. Elle permet également peu à peu d’intégrer la vision externe et complémentaire fournie par les enquêtes statistiques auprès de la population, sur la victimation, le sentiment d’insécurité et la satisfaction à l’égard des services. La statistique publique du ministère est ainsi produite en toute indépendance, conformément au code des bonnes pratiques de la statistique européenne. Après ce premier changement d’ampleur, une nouvelle ambition est de parvenir à développer la production et la publication régulière de données et d’études statistiques labellisées et indépendantes, connectées aux réalités des territoires et à l’expérience des citoyens, compréhensibles de la population et utiles aux décideurs et acteurs de la sécurité sur le terrain ainsi qu’à la communauté des chercheurs et au grand public. La vision plus fine, plus complète, plus objective et plus comparative que réclament les citoyens, les élus et les autorités suppose à présent de procéder à une rénovation de la classification statistique en vigueur tout en permettant des comparaisons internationales et à une actualisation de la méthodologie qui prennent pleinement en compte les évolutions de la délinquance, du corpus juridique, des pratiques professionnelles et des traitements de données. La fiabilisation des données recueillies, la prise en compte des signalements notamment via les plateformes Internet et la labellisation d’indicateurs pertinents qui répondent aux besoins des forces de sécurité intérieure fondent l’efficacité de leurs actions, en tout point du territoire. Ainsi, les informations statistiques mises à leur disposition doivent mieux couvrir le spectre et l’intensité de toutes les formes de la délinquance qu’elle soit criminelle, délictuelle ou contraventionnelle, et tous les domaines de la sécurité intérieure de manière harmonisée. Dans une approche favorisant davantage la prévention, l’analyse de la délinquance, examinée dans son ensemble et rapportée aux indicateurs de contextualisation (réponse pénale, chômage, emploi, scolarité, fiscalité, sociologie, économie, environnement, santé publique), doit désormais dépasser une mesure seulement quantitative pour s’intéresser davantage aux modes d’action et aux éléments d’environnement qui contribuent à en limiter la commission. De ce point de vue, l’intégration des contraventions dans le périmètre des analyses statistiques sur la sécurité publique revêt une importance particulière en raison non seulement des volumes de faits qu’elles totalisent mais aussi de leur nature. Parce qu’elle affecte le cadre de vie et la tranquillité de la population, dans tous les registres de la police générale (vols, dégradations, nuisances, violences aux personnes) et des polices spéciales (atteintes à l’environnement, à l’urbanisme, à la santé publique, fraudes), la délinquance contraventionnelle est le ferment de la perception 66 Livre blanc de la sécurité intérieure de l’insécurité par la population et du sentiment d’impunité pour les auteurs. Or, malheureusement insuffisamment prise en considération, elle représente la majorité des contentieux traités quotidiennement par les forces de sécurité intérieure, à leur initiative ou à la suite de leurs interventions. En aval d’une médiation qui n’a pas abouti et en prévention d’un acte plus grave, le recours à une contravention permet pourtant le plus souvent de mettre fin à l’infraction et de sanctionner immédiatement les auteurs de cette délinquance du quotidien. Simplifié grâce à l’extension de la forfaitisation et du procès-verbal électronique, l’usage des contraventions s’avère en pratique un moyen de lutte des plus pertinents pour lutter activement contre la délinquance subie au quotidien. La finesse et la diversité des informations qu’offre l’examen des contraventions sur l’état de la délinquance dans les territoires sont révélatrices d’un faisceau d’éléments et de signaux faibles sur l’existence d’une criminalité rampante ou aggravée. Elles sont également significatives de la proximité et de l’implication des acteurs locaux de la sécurité amenés à constater ces infractions de manière proactive, au cours de leurs patrouilles, à en empêcher la répétition ou la banalisation et à dissuader les auteurs de verser dans une délinquance aggravée ou organisée. De même, la production d’indicateurs établis à partir des plateformes de signalement sur Internet permet d’enrichir les documents et analyses locales sur la sécurité fournis aux unités et services, au même titre que des données de contexte en provenance des autres ministères concourant à cette mission (Ministère de la Justice, de l’Économie, de l’Éducation nationale, collectivités locales,…) ou des entreprises (sécurité, bailleurs sociaux,…). Elle contribue ainsi à une approche plus préventive de la délinquance. La délinquance enregistrée par les services de sécurité ou signalée auprès d’eux constitue néanmoins une approche réductrice du besoin de sécurité de la population. En effet, toutes les victimes ne portent pas plainte. D’après l’enquête de « victimation » CVS réalisée par l’INSEE, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales – ONDRP – et le SSMSI), la proportion de victimes ayant déclaré avoir déposé plainte dans un commissariat de police ou une brigade de gendarmerie varie sensiblement en fonction du type d’atteinte. Alors que pour des raisons d’assurance notamment, neuf personnes sur dix portent plainte pour des vols de voiture, pour les atteintes plus sensibles comme les violences sexuelles ou intrafamiliales, seule une victime sur dix va effectuer cette démarche. D’autres déterminants doivent être pris en considération : la catégorie socioprofessionnelle et l’âge de la victime, le niveau de revenu de son ménage. Pour les atteintes aux personnes, la connaissance ou non de l’agresseur ainsi que la répétition et/ou la multiplicité des incidents entrent également en compte. Par ailleurs, on observe parfois des disparités territoriales à des niveaux géographiques même très agrégés : par exemple le taux de dépôt de plainte pour vols de voiture en région parisienne est supérieur de près de 10 points au même taux dans le Sud-Ouest de la France (en moyenne annuelle sur la période 2011-2018). Enfin, les victimes qui ont fait le choix de ne pas se déplacer indiquent le plus fréquemment que c’est parce qu’elles jugent cette démarche inutile. Ainsi, les enquêtes statistiques de victimation sont indispensables pour rendre compte des expériences vécues par les citoyens au cours de leur vie, de la diversité de leurs comportements en matière de dépôt de plainte et de relation avec les services, de leurs opinions en matière de sécurité et de 67 leur niveau de satisfaction à l’égard des forces de sécurité et plus largement des pouvoirs publics. Dans ce cadre, elles contribuent à l’évaluation de la satisfaction des citoyens en matière d’accueil et de prise en charge par les commissariats et brigades de gendarmerie. En particulier, l’enquête Cadre de vie et sécurité (CVS) doit évoluer pour répondre au double besoin de disposer de données annuelles sur l’expérience des citoyens en matière de sécurité (y compris pour des victimations plus rares comme les violences sexuelles), mais aussi de statistiques départementales pour contribuer au diagnostic territorial, tout en se modernisant à l’aide de nouveaux moyens de collecte comme Internet. Pour ce faire, le SSMSI a vocation à reprendre le dispositif d’enquêtes statistiques de victimation, afin de le transformer en un outil encore plus pertinent pour renseigner les autorités sur la victimation subie et l’insécurité ressentie, mais aussi mieux connecté avec les besoins des services opérationnels et des décideurs sur le terrain, y compris en matière de satisfaction des citoyens. Tous ces efforts de modernisation, d’objectivation et de transparence en matière de statistique publique doivent permettre aux décideurs et aux acteurs de la sécurité de disposer de l’information destinée à aider à la décision pour prévenir la délinquance et détecter à temps les phénomènes émergents ou préoccupants contre lesquels il leur faut lutter prioritairement. La mise en œuvre des politiques publiques de sécurité peut ainsi s’accompagner de documents d’analyse locale sur la sécurité, enrichis à partir de données socio-démographiques et économiques, de données de contexte (autres ministères concourant à la mission de sécurité, entreprises publiques ou privées) et d’éléments sur la victimation subie et l’insécurité ressentie par le citoyen, au travers d’analyses statistiques plus complètes. Il est ainsi essentiel de pouvoir diffuser l’information statistique la plus complète (délinquance enregistrée, signalements, victimations subies, opinions des citoyens en matière de sécurité) vers tous les publics (autorités, élus, professionnels, citoyens, chercheurs) au travers d’une sélection pertinente de productions, ciblées et documentées, consultables à partir d’un portail Internet ergonomique et sécurisé. Après une première phase de cinq ans consacrée à la création du SSMSI et à la montée en charge progressive mais encore limitée de ses activités, il convient de franchir une nouvelle étape permettant de couvrir l’intégralité des domaines de la sécurité intérieure et des formes de délinquance, d’enrichir pleinement la vision des services, y compris au niveau local, avec l’approche indépendante issue des enquêtes statistiques de victimation et de développer la publication régulière de données et d’études de la statistique publique, en s’appuyant sur une communication spécifique et la mise à disposition d’outils pédagogiques ouverts à tous les publics. La transformation du SSMSI s’appuiera sur l’évolution des textes en vigueur que ce soit en matière de missions ou de droits d’accès aux données et fichiers, mais également sur la mise en place d’une gouvernance spécifique. En particulier, un comité directeur, présidé par le DGPN et le DGGN, intègrera le secrétariat général et les directions métiers, et associera l’INSEE ainsi que des experts extérieurs au ministère de l’Intérieur. Il sera complété par un comité technique, présidé par le SSMSI, dans une triple optique de fiabilisation de la donnée, d’unification des modes de comptabilisation et d’harmonisation des pratiques au sein du ministère. 68 Livre blanc de la sécurité intérieure Proposition: Consolider et développer la production et la publication régulière de données et d’études statistiques labellisées et indépendantes, connectées aux réalités des territoires, compréhensibles de la population et utiles aux décideurs et acteurs de la sécurité sur le terrain ainsi qu’à la communauté des chercheurs et au grand public, notamment par : –  la rénovation de la classification statistique en vigueur en lien avec les normes internationales ; –  l’actualisation de la méthodologie ; –  l’intégration des contraventions, moyens de lutte pertinents contre la délinquance du quotidien, dans le périmètre des études statistiques sur la sécurité publique revêt une importance particulière en raison non seulement des volumes de faits qu’elles totalisent mais aussi de leur nature ; –  l’intégration des données issues des plateformes de signalement, pour favoriser une approche préventive de la délinquance. Intégrer pleinement l’approche complémentaire fournie par les enquêtes statistiques de victimation sur les expériences et les opinions des citoyens en matière de sécurité, dans le diagnostic et l’évaluation des politiques de sécurité, y compris au niveau local. Diffuser l’information statistique vers tous les publics (autorités, élus, professionnels, citoyens, chercheurs) au travers d’une sélection pertinente de productions, ciblées et documentées, consultables à partir d’un portail Internet ergonomique et sécurisé. Transformer le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure, en élargissant ses missions, en développant sa visibilité et en s’appuyant sur une gouvernance spécifique ouverte sur des partenaires extérieurs qui renforcera et garantira son indépendance. 1.3.2. Adapter la communication des forces de sécurité intérieure au nouvel environnement médiatique et numérique La demande « d’information immédiate, sincère et transparente » a été abondement relayée lors de la phase de concertation du Livre blanc. Outre une information statistique fiable et ouverte, le lien de confiance entre les forces de sécurité intérieure et la population nécessite un effort de communication accru, et une stratégie de communication qui doit évoluer pour s’adapter au nouveau contexte créé par la combinaison des chaînes d’information en continu d’une part, des réseaux sociaux et de l’internet mobile d’autre part. Dans ce nouveau contexte qui fait subir aux forces de l’ordre une pression inédite, et qui est par ailleurs propice à la propagation de fausses nouvelles, voire à la manipulation de l’information, la communication doit se donner pour but d’une part de faire connaître et de valoriser l’action des forces de l’ordre pour ne pas laisser le champ libre aux mises en cause dont elles font de plus en plus systématiquement l’objet et d’autre part d’informer la population de manière efficace et réactive en situation de tension (opérations de maintien de l’ordre par exemple) ou de crise (alerte, attentat etc.). Ces deux objectifs sont d’autant plus difficiles à atteindre 69 que la population fait preuve d’une défiance croissante à l’encontre des émetteurs institutionnels comme des médias traditionnels. Cette stratégie de communication, portée par la DICOM du ministère de l’Intérieur, doit pouvoir s’articuler autour de la proximité, l’accessibilité mais aussi la simplicité et doit également prendre en compte le souhait des Français à intégrer le continuum de sécurité. L’ouverture du ministère à ses partenaires extérieurs mais également plus généralement aux citoyens constitue un axe fort d’évolution de sa manière de communiquer. 1.3.3. Intégrer la communication comme une dimension à part entière de la mission de sécurité intérieure Au-delà des actions de communication classiques et planifiables (campagnes de valorisation, de recrutement, d’information etc.), ce nouveau contexte doit amener le ministère de l’Intérieur à intégrer la « fonction communication » comme une dimension à part entière de l’action opérationnelle. De fait, s’il n’est pas possible de masquer un échec opérationnel par une communication avantageuse, un événement comme celui de Lubrizol a montré à l’inverse qu’il ne suffisait plus de réussir la gestion opérationnelle d’une crise et qu’il fallait en sus réussir la communication de crise, ce qui suppose d’anticiper systématiquement les enjeux de communication, mais aussi de disposer des moyens matériels et des compétences adéquats au sein des services du ministère de l’Intérieur, dans les directions centrales comme dans les préfectures. Tout en acceptant une certaine asymétrie (il n’est ni possible ni souhaitable de réagir à la moindre vidéo diffusée sur les réseaux sociaux) et en assumant une posture de neutralité administrative dans la communication, il faut que les différents acteurs de la communication du ministère de l’intérieur soient en capacité d’être présents et réactifs sur les réseaux sociaux, de faire entendre rapidement et régulièrement une parole officielle en situation de crise, de produire leurs propres images et contenus, de vérifier le plus rapidement possible les informations en circulation pour être en mesure, le cas échéant, de les infirmer et de les décrypter. Il s’agit avant tout de conforter la communication en tant qu’élément contribuant à la légitimité de l’action des forces de sécurité intérieure, en renforçant la lisibilité de cette action et sa compréhension par les citoyens. Cela implique notamment de mieux expliquer les règles et les cadres d’intervention afin qu’ils soient mieux acceptés et mieux intégrés par chacun. Cette évolution doit pouvoir s’appuyer sur les forces de sécurité intérieure, déployées sur tout le territoire qui doivent gagner en notoriété localement auprès de la population en développant une communication de proximité, portée au quotidien par les acteurs de terrain. Pour y parvenir, il importe de se doter d’un maillage et d’une chaîne de communication adaptés aux enjeux de la sécurité intérieure, autrement dit, il s’agit de réorganiser la communication du ministère de l’Intérieur. Renforcer le réseau territorial des communicants (préfecture, police, gendarmerie, pompiers) permettra de tendre vers plus de proximité et de concret, sous la coordination de la DICOM. La place aujourd’hui occupée par les réseaux sociaux suppose également une adaptation des services de communication des préfectures en y intégrant des community managers. Les crises récentes, telle que celle des gilets jaunes ou encore liée à la COVID-19, ont obligé le réseau territorial à développer leur présence sur les 70 Livre blanc de la sécurité intérieure réseaux sociaux. Il est aujourd’hui demandeur d’une plus forte coordination impulsée par la DICOM notamment en partageant des outils de riposte (éléments de langage préparés en amont des crises, mise en place de bibliothèques de tweets afin de disposer d’éléments déjà préparés sur des thématiques récurrentes, fact checking en intervenant directement dans les conversations Twitter pour freiner au plus vite la propagation de fausses nouvelles). La DICOM sera également confortée dans son rôle de coordination des directions en matière de communication externe, avec, d’ici le 1er janvier 2023, la création d’une salle de presse et d’un centre médias du ministère. Enfin, et la crise sanitaire liée à la COVID-19 vient plus que jamais conforter cette nécessité de créer un schéma national de la communication de crise permettant de renforcer la cohérence de la prise de parole des forces de sécurité intérieure, notamment en réaffirmant le rôle de la DICOM en matière d’appui aux territoires, de coordination au niveau ministériel et de contribution aux dispositifs interministériels. Proposition : Réaffirmer la dimension stratégique et opérationnelle de la communication dans la mise en œuvre de la mission de sécurité intérieure : –  conforter la communication en tant qu’élément contribuant à la légitimité de l’action des forces de sécurité intérieure ; –  faire que les forces de sécurité intérieure soient localement mieux connues de la population en développant une communication de proximité ; –  se doter d’un maillage et d’une chaîne de communication adaptés aux enjeux de la sécurité intérieure en réorganisant la communication du ministère de l’Intérieur ; –  créer un schéma national de la communication de crise. 1.3.4. Renforcer la visibilité, la connaissance et l'utilisation par les citoyens des services numériques de l'État L’État a mis en place un ensemble de dispositifs numériques afin de faciliter la vie quotidienne des usagers. Le système de pré-plainte en ligne est peut-être le plus emblématique. Parmi eux figurent aussi les plateformes destinées à faciliter les signalements, les fraudes, les escroqueries diverses, etc. Ces outils, développés dans le livret IV du Livre blanc, consacré aux technologies, visent à faciliter les démarches des usagers et leurs relations de confiance avec les forces de sécurité intérieure. L’utilité de ces plateformes et la connectivité croissante des citoyens et des forces invitent à en encourager l’usage. Ainsi, le déploiement de l’outil applicatif « infos citoyens » accessible par les forces de sécurité intérieure sur l’ensemble du territoire et permettant de signaler des situations à risques, de recevoir des informations, et d’échanger avec des acteurs de la sécurité intérieure a été relevé lors des concertations conduites pour le Livre blanc. 71 Ces services numériques doivent être encouragés suivant trois objectifs : faciliter les démarches (ex : dépôt de plainte), aider et accompagner les victimes, développer la participation citoyenne à la sécurité (dispositifs de signalement ou d’alerte à la population). Lors des travaux du Livre blanc, il est cependant apparu que ces plateformes souffraient d’un déficit de notoriété. De manière quasi unanime, les citoyens, les représentants des forces de sécurité et de secours ont regretté que les différentes solutions (Pharos, Perceval, Thésée) ne bénéficient pas d’une visibilité forte et d’une bonne compréhension de leurs finalités. Des campagnes de communication pourraient promouvoir ces outils numériques auprès des usagers. En effet, ces dispositifs nouveaux, leurs intitulés sans lien direct apparent avec leur finalité et leur caractère épars les rendent peu visibles et audibles auprès des usagers. Une campagne pédagogique d’information ponctuelle, mais aussi dans le temps (via les journées de la sécurité intérieure, le SNU, …) pourraient en favoriser l’appropriation. La plupart de ces acteurs ont appelé au regroupement au sein d’un portail unique, rattaché au site Internet du ministère de l’Intérieur, de l’ensemble des services numériques existants. Des démarches de mutualisation ont été entamées : ainsi la plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes, qui doit embrasser un champ infractionnel plus large et se muer en plateforme numérique d’accompagnement des victimes (PNAV). Les usagers pourraient se voir offrir un point d’entrée numérique unique proposant ensuite une arborescence et un parcours utilisateur selon les besoins (plainte, signalement, information…). Un travail doit être réalisé pour que l’ergonomie des plateformes les rende utilisables facilement, par tout type de public (y compris, notamment, les personnes souffrant de handicap). Dans une logique de continuum fondé sur les outils numériques, le développement, par des acteurs associatifs ou économiques, d’outils collaboratifs dans le domaine de la sécurité intérieure (type Staying Alive dans le domaine des premiers secours) peut être encouragé. Dans ce cadre, un « lab innovation » pourrait être mis en place par le ministère de l’Intérieur afin, par exemple, de susciter les partenariats public/privé, de valoriser l’open data dans le domaine de la sécurité ou d’attribuer des bourses publiques à certains projets. Proposition : Renforcer la visibilité, la connaissance et l’utilisation par les citoyens des services numériques de la sécurité intérieure en développant des campagnes de communication à destination des citoyens afin de promouvoir ces outils numériques. En outre, des améliorations techniques dans une logique multicanale de la relation à l’usager, avec notamment un regroupement dans une logique de portail unique et l’amélioration de l’ergonomie, en favoriseraient l’appropriation (voir livret IV du Livre blanc). Dans une logique de continuum, valoriser et encourager le développement, par des acteurs associatifs ou économiques, d’outils numériques collaboratifs dans le domaine de la sécurité intérieure. 72 Livre blanc de la sécurité intérieure 1.3.5. Informer les citoyens pour leur permettre de devenir acteurs de leur propre sécurité La communication peut avoir un effet direct sur la prévention de la délinquance et les changements de comportements et la prévention de la délinquance. Pour ce faire, le ministère peut renforcer l’impact de ses campagnes de communication en désignant des cibles prioritaires thématiques (violences conjugales, incivilités, drogues) ou par public (jeunes). En outre, la communication dédiée à la participation citoyenne, dispositif dont l’utilité est aujourd’hui reconnue, peut inciter les usagers à être acteurs de leur sécurité. Leur orientation vers les outils présentés supra (1.3.4.) et développés dans les réflexions sur les technologies est un axe de progrès. Outre la promotion des outils, la communication peut mettre l’accent sur le rôle du citoyen dans le renforcement de sa sécurité individuelle et de la sécurité collective (prévention, gestes de premiers secours, réflexe face à une situation de crise). L’atelier « attentes des citoyens à l’égard des forces de sécurité intérieure » organisé pendant la conférence de citoyens a rappelé le rôle d’alerte et de signalement que peuvent jouer les citoyens. Proposition : Inciter les citoyens à devenir toujours plus acteurs de leur propre sécurité : –  renforcer l’impact des campagnes de communication dans les domaines de la prévention de la délinquance, des changements de comportement et de l’aide aux victimes ; –  développer une communication spécifiquement dédiée à la participation citoyenne. 1.3.6. Développer une stratégie de communication du recrutement dans une logique de « marque-employeur » Cette « marque-employeur » constituera un réel atout pour l’attractivité, la fidélisation, l’engagement et la motivation des personnels. Indissociable de la marque institutionnelle, elle portera l’ensemble des caractéristiques et des valeurs des forces de sécurité intérieure auprès de leurs collaborateurs actuels et potentiels. L’image crée sera génératrice de fierté et mobilisatrice en donnant du sens. À l’image de la transformation récente de la « marque » gouvernementale impulsée par le Service d’Information du Gouvernement, il s’agira de concevoir une « marque-employeur » centrée sur les valeurs du ministère de l’Intérieur (protection, innovation, service public, citoyenneté…) et de la déployer en impliquant les personnels des forces de sécurité intérieure et en mobilisant les outils qui peuvent y être associés (boutique en ligne unique, musée virtuel pour valoriser l’histoire commune, etc.). Alors que des outils tels que la réserve ou le volontariat ont vocation à être confortés et développés, il paraît naturel de mieux inclure les réservistes et les volontaires des trois forces de sécurité dans la communication de recrutement. La réussite de cette évolution repose sur des campagnes de 73 communication de recrutement / d’image placées sous coordination et financement de la DICOM, pour veiller à la cohérence et à l’activation des leviers corporate, au niveau national, voire territorial au besoin. Proposition : –  Assurer aux forces de sécurité intérieure des ressources humaines de qualité en développant une stratégie de communication de recrutement répondant à une logique de « marque-employeur » commune aux trois forces. –  Concevoir une marque employeur centrée sur les valeurs du ministère de l’Intérieur. –  Mieux inclure les réservistes et les volontaires des trois forces de sécurité intérieure dans la communication de recrutement. –  Développer les campagnes de communication de recrutement / d’image sous coordination et financement DICOM. 1.3.7. Renforcer et améliorer l'alerte aux populations en période de crise Dans le sillage des propositions d’évolution de la politique de communication du ministère, il apparaît indispensable d’améliorer l’alerte aux populations pour reconquérir la confiance de la population dans la parole de l’Etat et mettre un terme à une défiance généralisée qui nuit à la gestion des crises quand elle ne surajoute pas une crise de communication. L’alerte aux populations est la première brique d’une gestion de crise souple et intégratrice. Dès sa conception, le projet du système d’alerte et d’information des populations (SAIP) a intégré la nécessité de diversifier les vecteurs d’alerte et d’information permettant de toucher efficacement le public ciblé lors d’une crise. Il s’agit en effet d’avoir la capacité d’apporter de l’information à tous les stades de la crise, de la vigilance à la post-urgence. L’enchaînement des crises récentes démontre que la capacité à atteindre la population pour lui transmettre information et/ou alerte doit gagner en flexibilité afin de pouvoir faire face à des phénomènes inédits en tous points du territoire, sans avoir à mobiliser des moyens lourds au coût important pour les finances publiques. Il est donc nécessaire d’orienter les efforts de l’Etat vers une capacité à transmettre un message mobilisateur, immédiatement compréhensible et recevable par une majorité de personnes sur une zone ciblée en multipliant les moyens et les vecteurs mis en œuvre (sirènes, téléphonie mobile, réseaux sociaux, web, etc.). L’alerte des populations doit aujourd’hui être envisagée sous un angle « multicanal » alliant les canaux les plus classiques (sirènes) aux innovations récentes (médias) et en devenir (smartphones). Plusieurs accidents industriels (ex : Lubrizol) ou naturels (inondations) récents sont venus rappeler l’utilité et même le caractère irremplaçable des sirènes, dès lors que leur déploiement s’accompagne de la nécessaire sensibilisation des populations. Achever le déploiement de ces sirènes sur tout le territoire national nécessite un effort financier, tout comme la mise en place à l’horizon 2022 du canal mobile (« reverse 112 ») conforme aux directives européennes, qu’il faudra achever afin compléter le système d’information des populations. La complémentarité entre tous les moyens à la disposition de ministère de l’Intérieur est indispensable afin 74 Livre blanc de la sécurité intérieure de prévenir, en cas de crises, toutes les populations concernées, même celles dont l’accès au numérique est difficile. De même, il convient de développer les coopérations entre l’Etat et les médias publics, afin d’en faire les relais identifiés de la parole publique auprès de la population qui doit avoir l’assurance d’y trouver l’information utile à la situation de crise, en complément des comptes officiels parfois fréquentés. Il est possible de s’appuyer sur un large éventail de canaux d’information et de sensibilisation existants ou à renforcer. Les médias audiovisuels sont mobilisés via des conventions conclues avec Radio France et France TV, qui se déclinent aux niveaux zonal et départemental. Celles-ci permettent la diffusion d’alertes en situation de crise, mais également de programmes de sensibilisation des publics aux risques majeurs, à ceux de la vie courante et aux comportements réflexes de sauvegarde à adopter. Les réseaux sociaux permettent la diffusion de messages de sensibilisation aux risques majeurs et de la vie courante sur les comptes sociaux du ministère de l’Intérieur et des autres ministères concernés (transition écologique et solidaire, santé, sports, …), des acteurs territoriaux (services d’incendie et de secours) et des partenaires institutionnels et associatifs avec renvoi vers des ressources en ligne pédagogiques sur la connaissance des risques (comme le site risques.gouv.fr). Les campagnes locales ciblées peuvent également être mobilisées avec la diffusion au niveau local de guides de comportement adapté à chaque type de risque spécifique à un territoire donné mais aussi par des campagnes de sensibilisation du public via de la presse locale (presse quotidienne régionale, stations radios et TV locales). La réalisation et la diffusion de supports de sensibilisation en utilisant les relais locaux (préfectures, sapeurs-pompiers, collectivités territoriales...) et les événements dédiés tels les « Rencontres de la sécurité » qui sont organisées chaque année au mois d’octobre constituent d’autres canaux possibles. S’agissant des vecteurs de l’alerte, la doctrine de l’alerte multicanale doit se traduire par la mise à disposition des autorités publiques chargées de déclencher celle-ci puis de la « faire vivre » sur la totalité du cycle de crise, d’un portail unique permettant aux autorités d’utiliser tout ou partie des vecteurs à sa disposition (sirènes, presse, réseaux sociaux, téléphonie mobile voire satellites). A partir d’un message sous format unique (protocole d’alerte commun), ce type de portail pourrait également recevoir les « alertes » émises par les services ou entités chargés de la surveillance des phénomènes météo ou d’aléas particuliers (Météo France, Service central d’hydrométéorologie et d’appui à la prévision des inondations – SCHAPI –, CENtre d’Alerte aux Tsunamis – CENALT –) afin de raccourcir le délai de diffusion de l’alerte. Proposition: Améliorer l’alerte aux populations en gestion de crise selon la doctrine d’alerte multicanal (téléphone portable, médias audiovisuels, Internet, réseaux sociaux, campagnes de sensibilisation, sirènes) via un portail unique à la disposition des autorités. 75 2. Réaffirmer le sens de la mission des forces de sécurité intérieure Alors que la rénovation du pacte de protection et de sécurité repose avant tout sur la restauration d’une relation de confiance entre la population et les forces de sécurité, les modalités d’exercice des missions de sécurité doivent davantage intégrer la dimension humaine pour bâtir une sécurité à hauteur d’homme. Cette évolution très souhaitable du pacte de sécurité plébiscité par les Français implique non seulement les acteurs internes au ministère de l’Intérieur mais également tous ceux qui progressivement intègrent le continuum de sécurité. La mutation du pacte de protection et de sécurité passe par une révision des missions et surtout de la manière de les exercer par les forces de sécurité intérieure. L’action des forces de l’ordre doit s’inscrire dans un contexte caractérisé non pas tant par des menaces radicalement nouvelles mais par l’évolution de leurs vecteurs, leur temporalité, leur spatialisation, leur capacité de propagation et donc leurs effets. Ces modalités, particulièrement mouvantes, rendent plus complexe la gestion des crises notamment. Dès lors, policiers et gendarmes doivent adopter une approche plus globale des questions de sécurité et la décliner dans leur manière d’appréhender la mission de sécurité et son exercice. L’attente de protection de la population s’est exprimée très largement pendant la phase de concertation du Livre blanc et se traduit notamment au travers de la réussite de la police de sécurité du quotidien, qui par son mode de mise en œuvre, aborde les problèmes de sécurité des habitants d’une commune, d’un quartier, de manière globale et pragmatique. L’opposition classique prévention / répression paraît dès lors moins opérante puisque ces modalités d’actions sont aujourd’hui mieux articulées pour appréhender la problématique dans son ensemble, dans la recherche d’un équilibre entre police dite de proximité et police d’intervention. Les forces de sécurité intérieure doivent s’efforcer d’aborder les questions de sécurité à hauteur d’homme, en continuant de prendre pied sur la réalité du terrain, afin de toujours mieux en comprendre les causes et définir les stratégies d’actions les plus adaptées. Cette approche globale des phénomènes de délinquance, qui n’est pas totalement nouvelle comme en témoignent les outils mis en place depuis quelques années afin d’assurer une coordination de l’action des services (création des CORAT, des CODAF ou encore des GIR(14)), les forces de sécurité intérieures l’ont adaptée à d’autres champs de leurs missions. Les missions des forces de sécurité intérieure contribuent toutes au pacte de protection des Français : elles doivent assurer leur sécurité dans la vie de tous les jours, garantir l’expression des libertés publiques mais également prévenir les crises en intégrant davantage les interactions avec l’environnement international. Certaines missions, qui répondent aux mêmes objectifs du pacte de protection, sont abordées sous l’angle organisationnel, du fait de la nature des évolutions nécessaires pour répondre aux enjeux de sécurité. 14 CORAT : coordination opérationnelle renforcée dans les agglomérations et les territoires, circulaire ministérielle du 10 juin 2011, CODAF : comité opérationnel départemental anti-fraude, décret du 25 mars 2010, GIR : groupes interministériels de recherches, circulaire interministérielle du 22 mai 2002. 76 Livre blanc de la sécurité intérieure Enfin, il s’agira de s’interroger à nouveau sur les missions dites périphériques, qui éloignent le policier et le gendarme de son cœur de métier : l’allègement de ces missions est une gageure, des perspectives de changement ont été discutées pendant les travaux du Livre. 2.1. Protéger les citoyens et assurer la sécurité au quotidien 2.1.1. Consolider la police de sécurité du quotidien, gage d'une relation de confiance durable entre la population et les forces de sécurité La sécurité du quotidien, principe d’action de la politique publique de sécurité La police de sécurité du quotidien (PSQ) constitue une réforme majeure déployée depuis 2017. Cette nouvelle philosophie d’action vise à la prise en compte et à la résolution concrète des problèmes ou besoins de sécurité de la population grâce l’élaboration, pour chaque problème ou besoin, d’une réponse partenariale sur-mesure. Déployée sur l’ensemble du territoire, la PSQ doit produire ses effets au bénéfice de l’ensemble de la population. Elle s’applique à définir des stratégies locales de sécurité fondées sur des diagnostics de sécurité partagés par tous les acteurs. Il s’agit d’une culture nouvelle, « d’une police avec et pour les citoyens » de nature à améliorer les relations entre la population et les membres des forces de sécurité intérieures. La méthode choisie favorise un travail transversal et partenarial, dans une logique de recueil des attentes et de résolution de problèmes clairement identifiés, avec une approche qualitative de coproduction du service rendu à la population, plutôt qu’une approche quantitative de la délinquance dont les forces de sécurité ne peuvent être tenues, seules, comme actrices et responsables. Les retours montrent que cette réforme a été bien accueillie et répond aux attentes de la population et des élus, comme des policiers et des gendarmes(15). Dès lors, il convient de la pérenniser en l’érigeant en principe fondamental de la politique publique de sécurité. Aussi bien lors de la conférence de citoyens organisée début 2020 qu’au travers des synthèses produites à l’issue des assises sur la sécurité qui se sont tenues dans tous les départements en janvier 2020, l’attachement des Français à cette nouvelle approche des relations avec les forces a été confirmé et même des propositions visant à renforcer son déploiement ont été émises. Il s’agit d’affirmer et de développer la PSQ pour répondre aux questions et aux enjeux de sécurité à venir. En faisant reculer l’insécurité réelle ou ressentie, la sécurité du quotidien améliore la qualité du service rendu au citoyen et restaure le lien de confiance avec la population. La police de sécurité du quotidien est une réforme qui donne du sens. Elle déploie de nouveaux modes de contact et d’échanges avec la population. Elle participe ainsi à la transformation des politiques publiques en développant la culture de l’évaluation au sein de forces de sécurité. 15 Les différents travaux d’évaluation menés en particulier au sein du Lab’PSQ démontrent une adhésion à la démarche en interne, au sein des partenaires des forces de sécurité intérieure et au sein de la population. 77 La police de sécurité du quotidien, une réforme qui donne du sens aux missions des forces de sécurité intérieure La PSQ répond aux attentes des policiers et des gendarmes tant dans leur action collective que dans leurs pratiques individuelles au service de la sécurité et de la paix publiques. Elle se caractérise par une vision et une culture nouvelles au service de la sécurité quotidienne basées sur la résolution de problème et l’adaptation des modes d’action aux enjeux de chaque territoire. La PSQ propose un rapprochement avec la population qui s’appuie sur les élus locaux, sur la participation citoyenne et les pratiques professionnelles inclusives en développant les partenariats, l’initiative, l’innovation et la valorisation des personnels. Pour cela, le développement des usages du numérique et de l’intelligence artificielle est mis au service de la disponibilité et la sécurité. Les outils numériques doivent se développer davantage au profit de la population, dans une logique d’échanges continus avec les acteurs de la sécurité intérieure : mieux communiquer, mieux coopérer, mieux coordonner. Une doctrine agile est nécessaire, non seulement pour s’adapter aux évolutions dans le temps et à la diversité des territoires, mais aussi pour faire face aux mobilités croissantes (des populations, des biens et des données qui impactent la sécurité de la population). Un effort spécifique est souhaitable au profit des territoires les plus exposés, les « quartiers de reconquête républicaine », tirant les enseignements de l’évaluation des dispositifs antérieurs, de type « zone de sécurité prioritaire » (ZSP). La PSQ s’appuie également sur une réflexion d’ensemble sur le traitement du judiciaire du quotidien (comportements et délits du quotidien impactant la population), de la révélation de l’infraction à son traitement par les forces de sécurité, jusqu’à son examen devant la justice, pour tenir compte, sous l’autorité du Procureur de la République, des priorités et des attentes de la population. Une simplification et clarification de la gouvernance départementale des différentes entités de concertation et de coordination en matière de sécurité, autour du préfet de département et du procureur de la République, sera recherchée tout en confirmant le rôle central du maire, en matière de prévention de la délinquance. Les interlocuteurs locaux sont nombreux à avoir souligné le manque de lisibilité et la redondance de certaines instances, au risque de ne pas assurer la participation recherchée des partenaires ou de la population. Des outils concrets et orientés vers la satisfaction des besoins de la population Le déploiement d’instances de dialogue et d’échanges directs avec la population De nombreuses actions ont été menées depuis deux ans par les forces de sécurité intérieure et leurs partenaires et de nouvelles idées apparaissent régulièrement localement pour adapter plus concrètement et plus efficacement la réponse aux difficultés ciblées. La formalisation de nombreuses bonnes pratiques, a permis de diffuser celles-ci aux acteurs de la sécurité et d’enrichir leurs modes d’actions. 78 Livre blanc de la sécurité intérieure Les 150 000 agents de la police nationale et les 100 000 militaires de la gendarmerie nationale (hors réservistes) ont été mobilisés pour répondre aux attentes de leurs concitoyens et lutter avec une efficacité accrue contre l’insécurité et la violence. Le déploiement de lieux de contact, accessibles sur l’ensemble du territoire répond à une demande forte relayée lors des Assises territoriales de la sécurité intérieure et la Conférence de citoyens : alors que d’ici 2022, chaque citoyen pourra trouver, à moins de 30 minutes de son domicile, une Maison France Services, capable d’offrir un bouquet de services du quotidien, policiers et gendarmes pourront utiliser ces structures pour aller à la rencontre des usagers. Une réduction du nombre de structures existantes permettrait de rationaliser les niveaux de concertation La concertation locale doit s’organiser autour de deux niveaux. Un échelon stratégique et général pourrait, d’une part, être conforté autour du conseil local/intercommunal de sécurité et de lutte contre la délinquance (CLSPD ou CISPD), instance partenariale présidée par le maire, avec la participation du préfet et du procureur de la République. D’autre part, un échelon opérationnel se structure autour des réseaux d’acteurs transverses de la société dédiés à la résolution de problèmes locaux (le groupe partenarial opérationnel – GPO – en est l’entité de base). Cette orientation pragmatique et au plus proche du terrain est à la base de la sécurité du quotidien. A ce titre, les GPO dernièrement créés posent la question du maintien de structures de pilotage plus anciennes, notamment celles des ZSP. Ces dernières semblent redondantes avec les nouveaux dispositifs. La concertation organisée pour le Livre blanc (auditions et assises territoriales) a fait apparaître un besoin de clarification. À cet égard, sans y recourir de manière systématique et afin de prendre en compte les instances déjà existantes (conseils de quartier, comités « voisins vigilants »), nombreuses sont les initiatives de terrain plaidant pour la mise en place de comités consultatifs de citoyens ayant pour objectif de leur permettre une plus grande implication dans les questions de sécurité dans le cadre d’un échange direct sur les mesures engagées par les policiers, les gendarmes et leurs partenaires dans le quartier où ils vivent. À ce titre, les échanges et documents doivent pouvoir être adaptés aux territoires ultramarins, et être traduits en langues locales pour une meilleure acceptation (exemple : coopération avec les amérindiens en Guyane face à l’orpaillage illégal). La sécurité du quotidien repose avant tout sur une approche pragmatique des problèmes rencontrés par les habitants. Elle mobilise un ensemble d’acteurs partenaires dont la mission première n’est pas la sécurité : transporteurs, associations de quartier, commerçants, bailleurs. Habitat collectif Les représentants des syndics de copropriété ou bailleurs institutionnels pour les logements collectifs sociaux, sont responsables de la tranquillité et du bon ordre dans les résidences alors que celles-ci deviennent des lieux d’incivilités ou d’activités prohibées à l’abri du regard des forces de l’ordre dans nombre de quartiers sensibles. Face aux critiques fondées des habitants, les bailleurs au travers de leurs agents peuvent exercer un rôle de proximité dans le déploiement d’une 79 politique de sécurité par le partage de l’information (dans le cadre d’un secret partagé) et la mise en œuvre de mesures de prévention, de déploiement de vidéoprotection et de mise en œuvre de procédures individuelles d’éloignement des perturbateurs. De nombreux bailleurs ont tenté de mettre un terme aux comportements troublant la qualité de vie des résidences en mobilisant les procédures de l’article 1729 du code civil relatives au trouble anormal de voisinage pour libérer des appartements servant de lieu de deal, de stockage par des nourrices ou de prostitution. Ces procédures se heurtent à la question de la preuve du caractère durable et répétitif du trouble. D’autres procédures mobilisant la combinaison des articles 1728, 1729 et l’article 1741 du code civil, relatifs à la résolution du contrat de louage « par défaut respectif du bailleur et du preneur de remplir leurs engagements » ont permis d’éloigner les résidents, les personnes dont ils répondent ainsi que celles qu’elles hébergent. Mais la lourdeur des procédures, les difficultés d’avancer des preuves (absence de vidéos ou de témoignages), rendent ces procédures peu opérationnelles. Une refonte du régime juridique s’avère nécessaire pour permettre aux bailleurs d’exercer leurs obligations d’assurer la tranquillité dans les résidences dont ils ont la responsabilité. L’occupation des halls d’immeubles et le tapage sont deux autres enjeux de la tranquillité dans l’habitat collectif ne font pas l’objet d’une réponse appropriée faute d’outils juridiques opérationnels. Propositions  : –  Simplifier les procédures de résiliation du bail pour trouble de jouissance lié à des comportements délictuels (trafic de stupéfiants, prostitutions, autres). –  Simplifier les procédures de lutte contre les occupations de halls d’immeubles et le tapage. –  Développer la vidéoprotection dans les parties communes et rendre possible l’exploitation des images. –  Faciliter l’accès de la force publique aux parties communes. L’adaptation des modalités de contact et d’intervention des forces de l’ordre La PSQ repose sur les trois piliers de la sécurité publique : l’action pour la tranquillité et l’ordre publics, l’activité judiciaire et le recueil du renseignement. La PSQ se caractérise par des modalités nouvelles de contact et d’échanges au plus près du citoyen. À titre d’illustration, la police nationale a mis en œuvre de nouvelles pratiques. Les GPO qui constituent la pierre angulaire de la sécurité du quotidien et s’inscrivent dans le cadre d’une sectorisation cohérente de chaque territoire. Concrètement, il s’agit d’une instance partenariale opérationnelle, animée par le chef de secteur, policier connu et reconnu. Le GPO rassemble les acteurs de terrain directement en prise avec les problèmes de sécurité figurant à l’ordre du jour des réunions (élus, bailleurs, 80 Livre blanc de la sécurité intérieure transporteurs, administrations diverses, etc.). A ce jour, les GPO, au nombre de 950, ont tenu 6 412 réunions sur le territoire national. Les dispositifs d’écoute et d’accueil des usagers et des victimes sont variés (« café police », permanence en maison du droit et de la justice, accueil privilégié dans les services pour les partenaires, accueil sur rendez-vous, prise de plainte à l’hôpital, contact par téléphone, SMS ou messagerie électronique afin d’informer les usagers des suites de leur dossier etc.). Au-delà des policiers généralistes et des référents thématiques, les efforts réalisés s’appuient sur le réseau de 228 « délégués à la cohésion police population » qui sont des capteurs privilégiés. La gendarmerie nationale a, pour sa part, mis en place des unités expérimentales pour répondre avec agilité aux besoins opérationnels. Les brigades territoriales de contact (BTC), par exemple, permettent de réorienter les unités, à plus faible activité, vers la mission contact et contrôle des espaces. Initiée en mars 2017, cette expérimentation est conduite avec succès depuis le 1er juillet 2019 sur 42 brigades. Les dispositifs d’appui interdépartementaux (DAI, décret du 15 février 2019) ont quant à eux permis d’élargir la compétence judiciaire au-delà des limites de leur département à 227 unités dans 44 groupements de gendarmerie. En s’affranchissant des limites administratives traditionnelles, les DAI permettent ainsi de gagner en délais de réponse, de rendre plus visible l’action de l’État et de renforcer le contrôle des flux. L’efficacité opérationnelle de l’action de la gendarmerie est ainsi renforcée sans générer de coût. Le dispositif DAI sera étendu en 2020 à 350 unités dans 70 départements. Les brigades multi-missions (BMM), expérimentées dans 4 groupements depuis le 01 juin 2019 ont vocation à rapprocher, au sein d’un même territoire, les unités de gendarmerie aux capacités opérationnelles diverses. Cette expérimentation doit démontrer la capacité à rationaliser et à optimiser l’emploi de ces unités, afin de gagner en convergence et en cohérence opérationnelle.  Ces dispositifs permettent simultanément d’obtenir des informations auprès des acteurs d’un quartier et de la population, mais aussi de faire un retour sur les actions entreprises par les policiers et gendarmes en particulier dans les quartiers qui sont les plus exposés. Les quartiers de reconquête républicaine Le déploiement de 47 quartiers de reconquête républicaine (QRR), prend en compte de manière spécifique des territoires marqués par des phénomènes de délinquance ou de violences ancrés depuis de longues années, par exemple, en raison de l’implantation de trafics de stupéfiants. La démarche et les modes d’action sont identiques au reste du territoire mais des ressources supplémentaires sont affectées sur ces quartiers afin de pouvoir y agir de manière plus forte et de façon durable. Des effectifs sont donc dédiés à ces secteurs particuliers. Ils permettent de renforcer la présence de voie publique et l’action judiciaire, de créer ou de renforcer des unités spécifiques (BST ou GSP) pour répondre aux enjeux du quartier. De même, dans chaque QRR, une Cellule de Lutte contre les Trafics (CLCT), co-pilotée par les préfets et les procureurs, a été instaurée. S’appuyant sur les partenaires et les unités ou services spécialisées (URSAFF, services fiscaux, GIR, CROSS …), elle est chargée de lutter contre les différentes formes de trafics qui nuisent à la tranquillité et à l’ordre public (trafics de stupéfiants, de cigarettes, d’armes, de main d’œuvre, de faux documents ou d’êtres humains). Son action vise également la saisie des avoirs criminels. 81 Une politique de sécurité conforme à l’objectif de transformation de l’action publique Le développement de la culture de l’évaluation et la création du Lab’PSQ La PSQ s’attache à développer une nouvelle culture professionnelle qui s’appuie sur les pratiques d’évaluations croisées tant avec les partenaires qu’avec la population. En effet, l’évaluation est un vecteur particulièrement efficace d’amélioration des pratiques professionnelles. S’interroger en interne et interroger la population et les partenaires sur leur perception des forces de sécurité intérieure et la qualité du service rendu est un gage d’amélioration continue et une marque de professionnalisme. La culture de l’évaluation mûrit au sein des forces de police et de gendarmerie. De nombreuses directions départementales de la sécurité publique et groupements de gendarmerie ont procédé d’initiative à des enquêtes locales. Ce mouvement est accompagné et compris des personnels. Les forces de sécurité intérieure ne sont pas à l’écart de la politique de transparence dans les établissements recevant du public. Il est désormais bien intégré que la mise en œuvre d’une coproduction de sécurité et l’établissement de relations de confiance avec les partenaires et la population passent nécessairement par l’évaluation. Cette évolution s’est appuyée sur plusieurs outils comme la charte Marianne et le programme Action Publique 2022 mais aussi les développements des travaux de recherche en sécurité intérieure financés par le Secrétariat général du ministère et accompagnés par le Centre des hautes études du ministère de l’Intérieur (CHEMI) ainsi que les travaux menés au sein des centres de recherche, notamment l’Atelier Innovation Recherche de l’École Nationale Supérieure de la Police Nationale consacré aux relations police-population. Le Lab’ PSQ Placé auprès du cabinet du ministre de l’intérieur, le Lab’PSQ, créé en avril 2019, a trois fonctions principales : –  Observatoire : vérifier l’effectivité de la démarche de sécurité du quotidien et en analyser les résultats ; –  Think tank : développer et évaluer les partenariats avec les acteurs de la sécurité ; –  Incubateur : enrichir l’action des forces de sécurité intérieure grâce au regard de l’université et des scientifiques. Le Lab’PSQ contribue activement au développement de la culture de l’évaluation. Structure innovante au ministère de l’Intérieur, il suscite de nombreuses attentes et dispose d’une forte visibilité. En dépit de moyens modestes, qui reposent sur les directions générales du ministère et le SSMSI, le Lab’PSQ s’est positionné auprès de partenaires extérieurs de l’évaluation (universités et centres de recherche). Il a en outre initié un dialogue direct sur l’évaluation de la PSQ avec des acteurs de premier plan de cette politique, comme par exemple la Fédération pour l’habitat social (FSH) qui regroupe les bailleurs sociaux présent du l’ensemble du territoire. 82 Livre blanc de la sécurité intérieure L’ouverture vers l’université et la recherche Aspect concret de la transformation de l’action publique au sein des forces de sécurité intérieure, le développement de relations suivies avec l’Université permet de façon symétrique d’ouvrir la police et la gendarmerie aux chercheurs et de s’appuyer sur le monde de la recherche pour répondre à telle ou telle problématique. A ce titre, on peut citer la réalisation à l’initiative de la DCSP d’une enquête nationale sur la qualité du lien entre les forces de sécurité intérieure et la population qui s’est appuyée sur le savoir-faire du pôle enquête de l’université Savoie MontBlanc. A l’échelon local, l’université de Franche-Comté a été sollicitée par la direction départementale du Doubs afin de travailler sur le quartier Planoise à Besançon. Les évaluations du Lab’PSQ comme les travaux en cours de restitution à la date de rédaction du livre blanc permettent aussi de souligner l’importance des besoins de formation en matière d’accompagnement de la réforme notamment pour ce qui concerne la réalisation de diagnostic locaux et la mise en œuvre de stratégies locales de sécurité réellement partenariales. A cet égard, on mesure à la fois les progrès déjà réalisés et la marge de progression : plusieurs recherches comme les travaux sur l’intelligence de sécurité publique ou l’évaluation des services de sécurité publique(16) ont d’ores et déjà alimenté les stratégies d’amélioration ou de modification des pratiques professionnelles, d’autres vont pouvoir les intégrer comme les conclusions de la recherche menée par les Dr Thierry Delpeuch et Mathieu Zagrodsky sur les outils de pilotage de la PSQ. Propositions : 10 leviers pour renforcer la Sécurité du quotidien et la place du citoyen, au cœur des préoccupations de sécurité : –  le déploiement des modes d’action de la police de sécurité du quotidien sur tout le territoire (points de contact et instance de concertation) ; –  la déconcentration dans la gouvernance des politiques de prévention et de sécurité ; –  l’optimisation des instances d’échanges avec la population sur le territoire en prenant en compte certaines spécificités locales ; –  la mobilisation de tous les services de l’État sous l’autorité des préfets ; –  le sur-mesure territorial pour définir les stratégies de sécurité ; –  l’implication des élus et des partenaires, du diagnostic au traitement des problématiques locales ; –  le partage des « bonnes pratiques » de résolution de problème comme outil de dynamisation de la PSQ ; –  la disponibilité et la présence des policiers et gendarmes grâce à l’utilisation des moyens numériques (tablettes, smartphones) ; 16 Projets CODISP (Création de concepts et outils pour le développement de l’intelligence de sécurité publique en France et en Allemagne) et ACESS (Améliorer les capacités évaluatives dans les services de sécurité) menés dans le cadre du fonds d’investissement en études stratégiques et prospectives (FIESP). 83 –  le développement de l’innovation et des expérimentations ; –  la modernisation de l’activité judiciaire du « quotidien », de la prise de plainte au traitement par la Justice. 2.1.2. Lutter contre les violences aux personnes, une mission au cœur de l'action des forces de sécurité intérieure Une évolution inquiétante des violences intrafamiliales La lutte contre les violences intrafamiliales est une priorité. En effet, le nombre de coups et blessures volontaires portés sur des personnes de plus de 15 ans dans un contexte intrafamilial est passé d’environ 100 000 en 2017 à 120 000 en 2019. Parmi ces violences, ce sont notamment les violences conjugales qui concentrent l’attention des forces de sécurité et des services sociaux. L’engagement total du ministère de l’Intérieur dans la lutte contre les violences conjugales Dans un contexte de libération de la parole des victimes de violences, le Gouvernement a lancé en 2019 un Grenelle dédié à la « lutte contre les violences conjugales ». Cette démarche s’inscrit dans le cadre de la mobilisation plus globale souhaitée par le président de la République qui, lors de son discours du 25 novembre 2017, a fait de l’égalité entre les femmes et les hommes une « grande cause du quinquennat ». En effet, 121 femmes ont été tuées au sein du couple en 2018, selon les chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur en juin 2019 (130 en 2017). Le SSMSI publie tous les mois, depuis avril 2019, le suivi statistique des violences sexuelles et sexistes enregistrées par les services de police et de gendarmerie en France métropolitaine : 53 215 violences sexuelles ont ainsi été constatées en 2019 (47 425 en 2018). Au 31 décembre 2019, on compte au total 1 137 infractions d’outrages sexistes enregistrées par les forces de l’ordre depuis la mise en place de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 pour lutter contre les violences faites aux femmes. Le ministère de l’Intérieur s’est particulièrement engagé dans la lutte contre les violences faites aux femmes et plus généralement contre les violences conjugales, en déployant un plan d’actions ambitieux comme l’a souligné le Grenelle contre les violences conjugales qui s’est déroulé pendant l’automne 2019. Les conclusions issues du Grenelle ont conforté la première analyse des services de police et de gendarmerie, à savoir la nécessité d’améliorer l’accueil et la prise en charge des victimes, non seulement au commissariat ou à la brigade mais aussi lorsque les policiers et les gendarmes interviennent au domicile. Pour répondre à cette forte attente, notamment exprimée par les associations de victimes, le ministère de l’Intérieur a déployé un certain nombre de mesures (cf. encadré).   84 Livre blanc de la sécurité intérieure L’action résolue du ministère de l’Intérieur pour améliorer la prise en charge des victimes de violences conjugales L’inauguration, le 27 novembre 2018, du portail de signalement des violences sexuelles et sexistes : considéré comme une réelle avancée, il gagnerait à être conforté par une meilleure visibilité. Ce portail de signalement vise à faciliter les démarches des victimes auprès de policiers et de gendarmes spécifiquement formés. Son accessibilité 7 jours/7 24H/24 permet aux victimes de libérer leur parole et d’être orientées vers des structures de soutien, ou vers les services de police ou unités de gendarmerie pour recueillir leur plainte. Depuis son lancement, 13 055 échanges (tchats) ont été réalisés avec des victimes et plus de 4 244 dossiers (signalements) ont été transmis pour enquête aux services de police et de gendarmerie concernés. A l’instar des propositions émises pour améliorer la visibilité et l’utilisation des services numériques, le portail de signalement des violences sexuelles et sexistes intègrerait très naturellement une campagne de communication axée contre les violences intrafamiliales. L’amélioration de l’accueil des victimes dans les services a également été recherchée selon trois axes : - connaître le passé : en réalisant une analyse qualitative des dossiers définitivement jugés commis entre 2015 et 2016, les trois inspections (IGJ, IGPN et IGGN) cherchent à évaluer l’effectivité des actes d’investigation. C’est en connaissant mieux le passé, que pourra se développer une méthodologie de conduite à systématiser après chaque cas de mort violente au sein du couple ; - é valuer les pratiques présentes : depuis septembre 2019, les deux inspections des forces de sécurité ont lancé une campagne d’évaluation des pratiques (accueil téléphonique et sur site « client mystère » ainsi que questionnaires qualité auprès des victimes) spécifiquement orientées sur l’évaluation de l’accueil des victimes de violences conjugales avec pour objectif de s’assurer de l’efficacité des mesures et identifier les axes d’efforts. Cet audit a permis de contacter au total au cours du second trimestre 2019 un panel de plus de 600 victimes qui ont accepté de répondre à cette campagne d’évaluation (411 unités de la gendarmerie et 235 victimes; 40 sites de la police et 400 victimes). Le premier bilan est positif même si trois axes restent à améliorer (les informations reçues sur les associations d’aide aux victimes, celles obtenues au cours de l’enquête, la confidentialité des locaux d’accueil). En 2020, plus de 500 commissariats et unités de gendarmerie et quelques 2 000 victimes seront audités. -c réer les conditions d’une meilleure information des victimes en diffusant des documents actualisées et adaptés aux particularités locales et intelligibles pour les victimes en situation de handicap. Les efforts portés sur l’accueil des victimes de violences conjugales rejoignent les préconisations plus générales du Livre en faveur d’une meilleure valorisation de cette fonction fondamentale dans la relation entre les forces de sécurité intérieure et la population.   85 Mieux évaluer le danger par les forces de sécurité constitue un des enjeux du plan d’actions retenu : à travers une série de questions à la victime, d’analyser le danger encouru, que la victime souhaite déposer plainte ou non. La grille d’évaluation du danger, élaborée en associant la MIPROF mais aussi les associations de victimes, est déployée dans tous les commissariats et brigades depuis début 2020 et un programme de formation a été défini. Une première évaluation de cet outil devrait pouvoir être conduite au cours du deuxième semestre 2020. Renforcer l’expertise par une formation adaptée : les primo-accueillants des forces de sécurité intérieure, bénéficient d’un parcours renforcé de formation (initiale et continue) à l’accueil des victimes de violences conjugales. Des doctrines police et gendarmerie ont été rédigées sur ce sujet formalisant les directives et expliquant les outils issus des travaux du Grenelle. Ces formations, porteront sur l’emprise, l’évaluation du danger et les interventions à domicile. Elles seront organisées en s’appuyant sur un kit de formation. Ces sessions interprofessionnelles seront déployées avec l’Ecole nationale de la magistrature, qui met en place des actions renforcées et obligatoires sur la thématique des « violences faites aux femmes » pour 2019-2020. En outre, demeure l’idée de systématiser dans chaque département des formations régulières co-organisées par les préfets et les procureurs, associant les enquêteurs et OPJ de la police et de la gendarmerie départementale en présence de la délégation des droits des femmes et des associations de victimes : sous la forme de retours d’expérience, ces formations permettront aux acteurs locaux de mieux de se connaître, les attentes des uns et des autres seront identifiées et expliquées. Les policiers et gendarmes chargés de l’accueil des victimes peuvent également compter sur l’expertise des intervenants sociaux, dont le rôle est unanimement constaté. Pour faciliter leur recrutement, le secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance a priorisé le co-financement de 80 postes supplémentaires en 2020.   Développer les partenariats avec le milieu hospitalier pour généraliser la possibilité de prendre des plaintes dans les structures hospitalières. La question du recueil de preuves sans plainte et de ses modalités de mise en œuvre nécessitent encore des travaux de calage associant le ministère de l’Intérieur avec la Santé et la Justice, sur la base des conclusions de la mission IGA / IGJ/ IGAS rendues fin 2019.   L’engagement du ministère de l’Intérieur s’incarne également par sa capacité à animer, en particulier via son réseau territorial et avec l’appui du corps préfectoral (désignation dans chaque département d’un souspréfet référent sur ces questions). Par circulaires régulièrement diffusées, le ministre a rappelé, au cours de ces deux dernières années, la nécessaire mobilisation de tous les acteurs et a invité les préfets, en lien avec les procureurs, à créer des cellules dédiées au traitement des procédures de violences conjugales et à la prise en charge des femmes en vue d’un suivi effectif des plaintes, la mise en place d’un soutien juridique et de mesures de protection. 86 Livre blanc de la sécurité intérieure La situation générée par le confinement imposé par la crise sanitaire liée à la COVID-19 a ravivé la question des violences conjugales et le ministère de l’Intérieur a su mettre à profit les outils déjà déployés en les complétant pour tenir compte du contexte (outils d’alerte par SMS via le 114, dispositif déployé dans les pharmacies). Les dispositifs d’alerte, comme la plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes dont l’activité a été multipliée par quatre pendant la période du confinement (en comparant avec la même période en 2019), ont démontré leur pertinence et seront pérennisés au-delà de la crise sanitaire. Proposition : Conforter l’engagement du ministère de l’Intérieur dans la lutte contre les violences conjugales : –  Diffusion et visibilité des outils d’alerte, en prenant en compte l’expérience du confinement pendant la crise sanitaire. –  Maintenir l’attention sur les modalités d’accueil et de prise en charge sur la base des premières évaluations (audits IGPN et IGGN, retour d’expérience du questionnaire d’évaluation du danger, formation adaptée). –  Pérenniser l’animation d’un réseau territorial pour assurer une mobilisation de l’ensemble des acteurs. Le proxénétisme des mineurs, un phénomène émergent à enrayer La prostitution des mineurs est mieux identifiée depuis le début des années 2010. Le phénomène, par son ampleur autrefois sous-estimée, son rythme de progression, les drames humains qu’il recouvre et les enjeux sécuritaires associés (trafics, réseaux criminels) est préoccupant. Les prémices de ce nouveau phénomène criminel sont visibles sur l’ensemble du territoire, principalement dans les grandes agglomérations et en zones périurbaines. En l’espace de cinq ans, le nombre d’enquêtes a augmenté de 600 %. En 2019, près de 50 % des affaires de proxénétisme diligentées par les services de police et les unités de gendarmerie ont concerné cette nouvelle forme de proxénétisme. Proxénétisme atypique dans ses composantes mais conventionnel dans son fonctionnement, il touche désormais une part de la jeunesse qui, bien que marginale, est croissante. Les adolescents qui se prostituent en France sont à 90 % des femmes (157 contre 16 hommes dans les procédures judiciaires) et à 80 % de nationalité française (141 contre 32 de nationalité étrangère). Les procédures judiciaires mettent en lumière un profil-type de jeunes femmes françaises, déscolarisées et souvent en rupture familiale. Certaines d’entre elles adoptent des attitudes prostitutionnelles précoces, dès l’âge de 12-13 ans dans l’enceinte de leur collège. Elles sont généralement exploitées par de jeunes majeurs, connus pour des faits de moyenne ou petite délinquance (vols, trafics locaux de stupéfiants). Des réseaux structurés peuvent être mis en place par des jeunes proxénètes avec une gestion parfois extrêmement élaborée. Les gains générés sont conséquents (jusqu’à 150 000 € par mois pour un réseau), même si le nombre officiel de personnes exploitées reste encore faible (173 mineurs en 2019). 87 Ce phénomène dépasse désormais largement les limites des banlieues. La France apparaît même comme le seul pays d’Europe à subir la résurgence d’un proxénétisme national disparu à la fin des années 1990(17). Les services d’enquête, pourtant très investis, ne parviennent pas à endiguer ce phénomène. Celui-ci est encore trop faiblement identifié, les signalements aux services de police judiciaire sont largement insuffisants. Les services répressifs, les communes, les établissements scolaires, les associations sont en effet confrontés à deux difficultés majeures : la banalisation des relations sexuelles et le consentement revendiqué par les jeunes victimes qui finissent malgré tout sous le joug de proxénètes, à peine plus âgées qu’elles (13 % des auteurs de proxénétisme sont mineurs). Celles-ci refusent d’être regardées comme des victimes, revendiquent le statut d’« escort ». Elles rejettent le terme de proxénète, lui préférant celui de « protecteur ». La prostitution devient un moyen d’exister socialement, d’accéder à un certain train de vie, de consommer dans l’instant des produits de valeur (vêtements, maroquinerie…) ou de parvenir financièrement à quitter le domicile familial. Au travers de ce phénomène, s’esquissent des schémas qui interrogent forcément sur la place des femmes mais aussi des hommes portés par une génération très marquée par son rapport à l’image. Si des actions ont d’ores et déjà été mises en œuvre, il conviendrait d’en améliorer certaines et d’en compléter d’autres. Des actions de formation dédiées au phénomène du proxénétisme et de la traite des êtres humaines (TEH) ont été mises en place à destination des enquêteurs. Le ministère de la justice (circulaire du 22 janvier 2015) préconise, de son côté, un recours accru par les parquets à la qualification pénale de traite des êtres humains qui permet d’utiliser à des outils procéduraux plus adaptés en matière d’entraide pénale internationale. Le dispositif de protection des collaborateurs de justice a été étendu aux victimes de proxénétisme (70640-1 du code de procédure pénale) et à certains témoins (706-62-2 du code de procédure pénale). Compte tenu de la thématique, les pistes d’amélioration envisagées visent avant tout à développer des outils interministériels, associant au ministère de l’Intérieur, la Justice, l’Éducation nationale et la Santé. La mise en place d’un programme de prévention à destination des adolescents aurait pour objet des actions de sensibilisation au collège et au lycée qui pourraient être déployées, à l’instar des dispositifs relatifs aux risques liés à l’utilisation d’Internet et à l’usage de stupéfiants. Le développement d’actions de sensibilisation auprès des acteurs publics et privés, notamment les hôteliers, permettrait de renforcer le circuit des signalements. Le déploiement d’actions de formation au profit des enquêteurs, notamment lorsqu’ils n’appartiennent pas à un service spécialisé serait souhaitable. Un état des lieux annuel mériterait d’être dressé régulièrement par un service dédié, lequel se chargerait de centraliser l’ensemble des données recueillies en la matière par les services de police et de gendarmerie. Le développement d’outils adaptés facilitant le signalement auprès des services enquêteurs doit être envisagé. Ces outils (fiches réflexes) seraient adressés aux partenaires institutionnels et privés. Par voie de circulaire interministérielle, la politique publique de lutte contre la traite des êtres humains, le proxénétisme et les infractions associées pourrait utilement être définie. Actuellement les commissions départementales de lutte contre la prostitution sont incompétentes en matière de prostitution des mineurs. Les prostituées 17 88 Jean-Marc DROGUET, chef de l’OCRETH. Livre blanc de la sécurité intérieure mineures ne peuvent donc pas bénéficier des dispositifs favorisant la sortie de prostitution. Les cellules de lutte contre les trafics (CLCT) pourraient offrir un cadre adapté au traitement du phénomène (orientation des CODAF vers certains établissements favorisant la prostitution). Proposition : Se doter des outils pour lutter contre le phénomène émergent du proxénétisme des mineurs selon une approche ministérielle associant les acteurs étatiques concernés : –  Mettre en place d’un programme de prévention à destination des adolescents. –  Développer des actions de sensibilisation auprès des acteurs publics et privés, notamment hôteliers. –  Déployer des actions de formation au profit des enquêteurs, en particulier ceux n’appartenant pas à un service spécialisé. –  Dresser annuellement un état des lieux et structurer la remontée d’informations. –  Définir la politique publique de lutte contre la traite des êtres humains, le proxénétisme et les infractions associées. –  Modifier la commission départementale de lutte contre la prostitution pour l’adapter à la problématique. 2.1.3. Combattre le trafic de stupéfiants, une démarche globale et interministérielle profondément rénovée Le trafic de stupéfiants est la première économie criminelle en France. Il en est de même au sein de l’Union européenne (24 Mds€ pour l’UE, dont 3,2 Mds€ pour la France). Le trafic de stupéfiants est devenu l’activité criminelle qui irrigue toutes les autres (règlements de comptes, trafics d’armes, blanchiment, vols à main armée, financement du terrorisme…). Les services spécialisés identifient, depuis le milieu des années 2010, une prédominance du narco-banditisme avec l’alliance entre le banditisme traditionnel et les trafiquants issus des cités. Ces réseaux se caractérisent par un enracinement dans les quartiers sensibles, assorti d’une appropriation de l’espace public difficilement tolérable pour les habitants. Au-delà, un contrôle social tente de s’imposer à travers des actes d’intimidation envers la population. Des points de vente de stupéfiants s’implantent dans des lieux jusqu’alors épargnés et certaines communes rurales deviennent même des zones de repli pour certains trafiquants. Entre 2006 et 2016, le nombre de patients traités pour des pathologies liées au cannabis a augmenté de 76% dans notre pays. En dix ans, le nombre de consommateurs de cocaïne a bondi de 160%. Le président de la République a souhaité un plan national de renforcement de la lutte contre les stupéfiants présenté le 17 septembre 2019. A travers ce plan, il s’agit de mieux coordonner la pluralité d’acteurs impliqués dans la lutte contre les stupéfiants, à la fois pour éviter les concurrences entre services, et surtout pour renforcer l’efficience de l’action collective. Il est 89 en effet impératif, pour combattre des réseaux bien organisés, de mieux mettre en commun le renseignement. C’est, en définitive, une véritable approche globale de la lutte contre le trafic de stupéfiants, qui sous-tend les objectifs communs poursuivis par ce plan national associant plusieurs ministères. Le dispositif de la lutte anti-terroriste, organisant un chef de filât sur l’ensemble des services opérationnels en coordination avec l’autorité judiciaire, a servi de modèle pour l’élaboration d’un plan national de renforcement de la lutte contre les stupéfiants, ambitieux et basé non seulement sur le travail en interministériel mais également sur des stratégies rénovées. Le plan national comporte 6 objectifs déclinés en 55 mesures : –  l’amélioration de la connaissance des trafics ; –  l’intensification et la rationalisation des activités de terrain ; –  l’accroissement de la lutte contre l’économie souterraine et les circuits de blanchiment du trafic de stupéfiants ; –  le renforcement de la saisie des avoirs criminels ; –  le développement de la coopération internationale ; –  le renforcement des capacités des services. Un chef de file unique et identifié contre les trafics : l’OFAST Sur le modèle de la DGSI dans la lutte contre le terrorisme, le nouvel office anti-stupéfiant, l’OFAST, installé le 11 février 2020, est le chef de file de la lutte contre les trafics de drogues. Succédant à l’Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants (OCTRIS), l’OFAST, service à compétence nationale (SCN) placé sous l’autorité du directeur central de la police judiciaire, anime, en lien avec l’autorité judiciaire, la politique interministérielle de lutte contre les trafics de stupéfiants grâce à une coordination du travail des services de police, de gendarmerie, des douanes, du ministère de la Justice, du secrétariat général de la mer, du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et du ministère des Armées. Une déclinaison au plus près du terrain par l’implantation des détachements et antennes couplée à la généralisation des cellules de renseignement opérationnel L’implantation de cet office repose sur une couverture territoriale fine, intégrant les territoires d’Outre-mer notamment. Courant 2020, 24 antennes ou détachements auront été créés. A cette déclinaison organique de l’office, s’ajoutent une centaine de cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS), qui seront activées, dans chaque département, d’ici la fin de l’année 2020. Les CROSS sont nées de l’expérimentation fructueuse menée depuis 2015 à Marseille qui reposait sur le décloisonnement et le partage des renseignements entre tous les services chargés de la lutte contre les trafics de stupéfiants réunis au sein de cette instance. Ces cellules permettent de collecter, recouper et analyser les informations recueillies. Ancrées localement, elles assurent aux services partenaires une 90 Livre blanc de la sécurité intérieure connaissance parfaite du terrain et des enjeux associés à chaque territoire. Sur la base de ce travail de renseignement, ces cellules coordonnent, sous l’autorité des procureurs compétents, la définition collective des objectifs de démantèlement des réseaux répartis par service opérationnel. La définition d’une doctrine, principes de fonctionnement et d’animation de la lutte contre le trafic de stupéfiants L’organisation de l’OFAST, dorénavant quasiment stabilisée, doit permettre à ce nouvel office, acteur stratégique du plan national de lutte contre les stupéfiants de consolider son rôle de chef de filât au travers d’une doctrine en cours d’élaboration, qui posera les principes de fonctionnement et d’animation (stratégies de partage et de gestion du renseignement, utilisation des techniques de renseignement, modalités de coopération internationale, coordination judiciaire). Proposition : Consolider et faire vivre le chef de file assuré par le Ministère de l’Intérieur : –  Finaliser l’implantation des détachements et antennes et généraliser les CROSS. –  Définir la doctrine en posant les principes de fonctionnement et d’animation interservices. 2.1.4. Poursuivre et accentuer la lutte contre l’insécurité routière En 2018, parmi les 3 248 personnes décédées sur la route, 60 % étaient responsables de leur accident et 40 % des personnes tuées l’ont été par la faute d’un autre usager impliqué dans l’accident. Au total, la France se situe au 14e rang européen pour le ratio du nombre de personnes tuées par million d’habitants. Le coût total de la sécurité routière est évalué à 44,1 Mds€, soit 1,9 % du PIB. Afin de mieux lutter contre ce fléau, une démarche globale et interministérielle est engagée dans la durée. La délégation à la sécurité routière (DSR) en assure la gouvernance interministérielle et l’Unité de Coordination de la Lutte contre l’Insécurité Routière la coordination des forces de l’ordre. La généralisation des outils de contrôle automatisés et le transfert de compétences de certaines missions secondaires à des opérateurs privés permettent aux forces de sécurité de concentrer leurs efforts sur le haut du spectre de la délinquance routière (stupéfiants, alcoolémie, comportements dangereux, état des véhicules, défaut de permis de conduire…) et sur la sécurité des mobilités. En ciblant des actions de prévention et de sensibilisation à l’égard des usagers de la route dans leurs bassins de vie, les forces de sécurité intérieure s’intègrent pleinement dans la déclinaison du sur-mesure territorial et l’esprit de la PSQ. 91 L’amélioration de la sécurité routière résulte également de l’intégration de plus en plus rapide des nouvelles technologies dans les véhicules, et notamment les dispositifs d’aide à la conduite intelligents, qui contribuent au mieux à limiter le risque d’accident et à défaut à diminuer les conséquences physiques pour les victimes. Afin de poursuivre les efforts en termes de lutte contre les violences routières et dans un souci d’assurer un dispositif opérationnel protecteur des usagers de la route et dissuasif pour les contrevenants, sur les axes et durant les périodes les plus sensibles, les forces de sécurité intérieure doivent continuer à conjuguer tous les modes d’action : –  la prévention en participant ou en animant des conférences visant à impliquer le public au risque routier, en particulier en milieu scolaire, étudiant et au sein des entreprises ; –  la dissuasion en assurant une présence visible sur les zones accidentogènes ; –  la répression en effectuant des contrôles avec interception immédiate afin de sanctionner les comportements générateurs d’accidents graves (conduites addictives, non-respect des règles de priorité et de dépassement, vitesses excessives, usage du téléphone tenu en main...). La politique de sécurité routière est fondée sur le discernement qui fait la distinction entre conducteur défaillant (population générale, commettant des infractions mineures du fait d’un manque de vigilance ou d’attention) qui nécessite une sensibilisation au travers d’actions de prévention et conducteur délinquant (conducteur hermétique à toute notion de sensibilisation) qui impose des actions de répression. Un partenariat renforcé est mis en place entre les différents acteurs publics pour améliorer la sécurité du réseau routier en mettant en place des contacts institutionnels entre les gestionnaires des axes et les forces de sécurité qui seront forces de proposition pour améliorer la sécurité des mobilités et permettre une coexistence sereine entre les différents modes de transports routiers. A cet égard, la proposition de l’association des départements de France de créer un observatoire de la sécurité routière constituera une instance d’échanges avec des collectivités en charge d’une large partie du domaine routier, particulièrement utile pour disposer d’indicateurs communs, statistiquement éprouvés et produits avec l’appui notamment du CEREMA mais également de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière. Un développement partenarial fort est à noter avec les entreprises et les associations locales d’aide et d’assistance aux victimes. La France participe activement aux opérations européennes de lutte contre l’insécurité routière (campagne vision zéro et systèmes sûrs, mise en avant de la participation au réseau TISPOL(18)) et aux actions de mobilisation en faveur de la sécurité routière (projet EDWARD(19)). Enfin, les nouvelles technologies pourraient être mobilisées pour les problématiques de sécurité routière, notamment en développant des partenariats avec les entreprises impliquées dans la transformation numérique de la route (conducteur, véhicules et voies de communication). 18 Réseau Européen de police en charge de la sécurité sur les routes, qui prendra le nom de ROADPOL en 2020 19 European Day Without A Road Death : journée européenne sans mort sur les routes 92 Livre blanc de la sécurité intérieure La sécurité routière est un enjeu de préoccupation majeur pour la majorité des territoires ultramarins. Compte tenu de la spécificité des accidents constatés (ex : deux roues, non port du casque, alcool et stupéfiants, conduite sans permis), il est proposé d’adapter à la fois les mesures de prévention (favoriser la création d’associations), mais aussi de répression par une politique pénale encore plus dissuasive. Parmi les missions des forces de l’ordre en matière de lutte contre l’insécurité routière, celle de l’officier du ministère public mérite d’être confortée. Sous le contrôle du procureur de la République près le tribunal judiciaire, un commissaire de police, un commandant ou un capitaine de police exercent les fonctions d’officier du ministère public (OMP) et, à ce titre, se positionne comme un véritable acteur des politiques pénales locales, notamment en matière de sécurité routière. L’OMP a pour mission principale d’assurer l’instruction des dossiers et le soutien de la prévention devant le tribunal pour certaines contraventions des quatre premières classes, qui ne se limitent pas aux contraventions au code de la route, dans le cadre d’une politique pénale locale. Si des départements sont entièrement confiés à la gendarmerie, la faculté de confier la mission d’OMP à des officiers de gendarmerie devra être envisagée, en concertation avec le ministère de la justice. Si l’exercice des fonctions d’OMP concerne principalement cette répression, elle permet également de sanctionner les comportements générateurs de nuisances ou d’insécurité qualifiés d’incivilités (rodéos urbains, nuisances sonores, rassemblements). Les règles procédurales spécifiques au domaine contraventionnel (pas de confusion des peines, possibilité d’opter pour différents types de poursuite…) en font un outil particulièrement efficace et dissuasif pour sanctionner ces comportements générateurs de nuisances. De véritables politiques pénales locales peuvent donc ainsi être mises en œuvre par les responsables des services de sécurité publique pour assurer l’ordre public et le respect de la loi, et les peines complémentaires dissuasives mises en œuvre peuvent permettre de limiter la réitération des comportements (suspension du permis de conduire, confiscations…). Le Centre Automatisé de Constatation des Infractions Routières (C.A.C.I.R.) qui assure la gestion des infractions au niveau national et les OMP dans chaque territoire, qui gèrent les contestations, sont des services placés sous la tutelle de la DCSP. Proposition: Développer les actions des policiers et des gendarmes en matière de sécurité routière autour de quatre principes : discernement, partenariat, intégration aux opérations européennes, prise en compte des possibilités des nouvelles technologies. Conforter le rôle de l’OMP, acteur des politiques pénales locales, notamment en permettant en concertation avec le ministère de la Justice, aux officiers de gendarmerie d’exercer les fonctions d’OMP en fonction du ressort du tribunal judiciaire concerné. 93 2.1.5. Contribuer à la sécurité et à la résilience de la vie numérique de la nation Une révolution des usages La disponibilité d’Internet et les progrès techniques révolutionnent les pratiques de communication, de commerce, d’information. En effet, aujourd’hui, près de 80 % des foyers français sont connectés et de plus en plus utilisent des connexions mobiles. En parallèle, les objets connectés et les systèmes d’intelligence artificielle structurent toujours davantage la vie quotidienne. L’évolution vers une société connectée fait émerger la notion de «territoires numériques de confiance» au service de multiples fonctions économiques et sociales : intégration des transports publics et privés dans une logique multimodale et connectée, développement du commerce électronique et de la livraison à domicile, optimisation des fonctions logistiques et énergétiques, développement des services numériques de santé, usine connectée. De nombreux autres domaines d’application (services publics, bâtiments complexes et la domotique, agriculture de haute précision, éducation et formation) émergent. La majorité de la population française connaît donc une vie numérique qui se densifie, se diversifie, et s’expose de manière grandissante. Les autorités publiques doivent répondre aux risques cyber que ces évolutions engendrent, tout en étant elles-mêmes concurrencées sur leurs pouvoirs historiques par l’émergence d’espaces numériques. Des menaces émergentes Le développement de la société numérique fait émerger de nouvelles menaces à l’échelle des individus. En effet, la société produit de manière croissante des traces numériques, volontairement (par l’utilisation d’un service : réseau social, moteur de recherche, boîte mail) mais aussi par les données, notamment biométriques, transmises dans les fichiers commerciaux (banques, assurances, mutuelles, etc.). Elles peuvent enfin être générées dans les services publics en ligne (impôts, allocations diverses, documents d’identité, etc.). Cela fait apparaître des enjeux de protection des données contre les cyber-attaques (pouvant conduire à des vols, usurpations d’identités), de maîtrise des données personnelles face à leur exploitation par algorithmes d’intelligence artificielle et de protection de la vie privée. L’individu, par la concentration de vecteurs connectés (téléphonie, audiovisuel, véhicule) présente des points de vulnérabilités. De même, l’émergence du « corps connecté » (pacemaker, pompes à insuline) crée des nouvelles fragilités, plus essentielles, pour les citoyens. Ces nouvelles priorités conduisent l’État à apporter des réponses pour protéger le cybercitoyen en lui apportant les garanties et les réponses attendues tout en rassurant sur l’étendue des mesures prises dans la vie numérique. La société numérique est en outre exposée à des fragilités collectives. En effet, l’émergence de territoires connectés avec mise en réseau des 94 Livre blanc de la sécurité intérieure services collectifs (énergie, bâtiment, transports) et d’objets individuels connectés (téléphonie, audiovisuel, véhicules) génère une augmentation de la surface potentielle d’attaque. La sécurité numérique doit dès lors se penser pour chacun de ces services. Enfin, le numérique peut présenter des risques pour les services vitaux de la nation (activités régaliennes, OIV, OSE). Dans ce domaine, l’espace numérique voit voler en éclat la notion de frontières et de barrières physiques, conduisant à une contraction et à une interpénétration des concepts de défense, de sécurité nationale, voire de sécurité quotidienne. L’État régulateur est mis au défi de s’adapter par l’apparition de ces nouvelles technologies et des risques associés. En effet, le développement des technologies décentralisées (« distribuées ») vient par exemple interroger la mise en place d’un mécanisme institutionnel régulateur d’une information non centralisée propice à des dérives criminelles. En outre, l’État est, parfois explicitement, remis en question sur ses compétences historiques par des acteurs privés du numérique (par exemple par des projets de monnaie virtuelle). Cette remise en question intervient alors même que les agressions numériques se diversifient (ex : rançongiciels, « botnets ») et se professionnalisent (« Crime as a service »). L’impact sur le tissu économique français est important puisque plus d’une PME sur cinq est victime d’une cyberattaque, 60 % d’entre elles déposant le bilan à l’issue. Dans l’ensemble, le préjudice peut revêtir une dimension morale ou générer des profits importants (la campagne du rançongiciel Not Petya se chiffre en centaines de millions d’euros). De l’outil de puissance étatique à une délinquance de proximité 3.0, les usages frauduleux des réseaux servent un spectre d’intérêts multiples, visant par conséquent un large spectre de victimes, directement (vol d’une technologie chez un opérateur stratégique via un sous-traitant, atteinte à la production d’une entreprise, escroquerie d’un particulier, harcèlement d’un élève, identité usurpée, trafics « ubérisés ») ou de manière collective (ingérence dans un processus électoral, service indisponible aux usagers en raison d’une attaque informatique, infox). A ce stade, les politiques publiques se concentrent en premier lieu sur les opérateurs stratégiques et le monde de l’entreprise, négligeant la dimension individuelle du risque numérique. Cette vision fragilise l’ensemble de l’édifice et impose d’urgence le développement d’une véritable conscience nationale de sécurité numérique, que le réseau du ministère de l’Intérieur doit pouvoir porter dans les territoires en étroite relation avec l’ANSSI. Des dépendances préjudiciables La numérisation de la société crée des liens pérennes d’interdépendance entre le cyberespace et le territoire physique (hébergement des données dans le « nuage », infrastructures critiques de type câbles sous-marins et nœud réseaux, etc.), qui imposent une maîtrise technologique pour prévenir les risques, ou encore gérer les crises physiques (tempête 95 impactant les réseaux, etc.) et numériques (attaques en déni de service sur une plateforme étatique). Pour mieux accomplir cette mission, le cadre de discussion avec l’industrie devrait être renforcé. Il offrirait d’échanger régulièrement sur le contexte d’exercice et les besoins du ministère afin de mieux concourir au développement de solutions adaptées et d’origine nationale. Les orientations budgétaires du ministère de l’Intérieur, fortement axées sur les dépenses de personnel, obèrent sa capacité à planifier son évolution technologique. Dans la sphère publique plus largement, l’imparfaite coordination interministérielle ralentit la transformation numérique et la qualité de la réponse publique aux enjeux pourtant partagés. Chargé de garantir toutes les dimensions de la sécurité intérieure, le ministère de l’Intérieur a une responsabilité majeure, conjointement avec d’autres acteurs publics, pour protéger la vie numérique des citoyens, des organisations et des entreprises en faisant appliquer le droit dans l’espace numérique public ouvert à tous et en protégeant les usages privés du numérique des atteintes malveillantes. Propositions: Sur la base des propositions du Livre blanc, le ministère adoptera un Plan d’actions à cinq ans afin de renforcer sa contribution à la sécurité et à la résilience de la vie numérique de la Nation. L’ensemble de ses directions et services contribueront à sa mise en œuvre(20) 2.1.6. Favoriser une approche globale des phénomènes de délinquance : les exemples du monde agricole et des mobilités Le monde agricole Certains publics sont la cible d’une délinquance plurielle. Pour ces publics, il peut être nécessaire de ne plus se focaliser sur la catégorisation des infractions (cambriolages, violences volontaires, etc.), sur la nature des biens ciblés (stupéfiants, etc.) ou sur le mode opératoire (cyber, etc.) mais de privilégier une approche globale. Ce nouveau paradigme, mis en œuvre par la gendarmerie avec la « cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole » (cellule DEMETER), permet d’appréhender l’ensemble des atteintes au milieu agricole, notamment les vols (d’engins, de matériels, de production, etc.) visant les exploitations agricoles de tous types (élevage, pisciculture, culture, viticulture), les dégradations (incendies, sabotage de matériel, etc.), les cambriolages commis aux seins des exploitations agricoles (hangars, etc.) ou aux domiciles des agriculteurs et les violations de domiciles ou intrusions visant des exploitations agricoles ou des professionnels de l’agroalimentaire aux fins d’y mener des actions symboliques. Cette nouvelle approche permet ainsi à la gendarmerie d’apporter une réponse coordonnée à l’ensemble des problématiques qui touchent les agriculteurs. Dans le domaine de la prévention et de l’accompagnement des 20 96 Voir livret IV du Livre blanc Livre blanc de la sécurité intérieure professionnels du milieu agricole, la gendarmerie met en place des actions de sensibilisation et de conseils destinées à prévenir la commission d’actes délictueux, en lien avec les organismes de représentation du monde agricole. La gendarmerie veille également à la collecte de l’information, la recherche et l’analyse du renseignement en vue de réaliser une cartographie évolutive de la menace et de détecter l’émergence de nouveaux phénomènes ou groupuscules pour nourrir l’analyse du renseignement territorial. Enfin, le traitement judiciaire des atteintes visant le monde agricole sera favorisé par une exploitation centralisée du renseignement judiciaire, un partage ciblé de l’information et une coordination des investigations. Proposition: Appliquer une approche globale de la délinquance visant le monde agricole Confirmer l’appropriation de cette problématique par le ministère de l’Intérieur selon une approche globale à décliner, en fonction de ses résultats, pour d’autres thématiques La sécurité des mobilités La sécurité des mobilités consiste à sécuriser les déplacements de personnes et de biens sur toutes les voies de communication. La GN, la PN et la PP en assurent la conduite dans le cadre de leurs missions quotidiennes mais aussi lors de la gestion de crises touchant les mobilités, comme pendant tout l’épisode pandémique de la COVID-19. Au regard d’une part de l’ampleur et de la diversité des flux et d’autre part, des menaces et risques protéiformes auxquels ces flux sont exposés, la DGGN et la DGPN constatent la nécessité d’une coordination rénovée de la sécurité des mobilités terrestres reposant sur : –  la clarification des missions et des responsabilités entre les forces de sécurité intérieure pour les différents types de trains et bus en circulation sur le territoire national ; –  l’approche globale des mobilités terrestres et des réponses coordonnées de sécurité à y apporter par les forces de sécurité intérieure ; –  l’amélioration de la circulation réciproque de l’information entre les forces de sécurité intérieure ; –  l’optimisation de l’organisation existante au sein de chaque force de sécurité intérieure et des liaisons entre celles-ci afin de faciliter et de développer les échanges d’information et les interopérabilités. Une coordination rénovée de la sécurité des mobilités terrestres par une répartition claire des missions et des vecteurs de mobilité entre les forces de sécurité intérieure Cette rénovation vise à éviter les doublons entre forces dans l’accomplissement des missions concourant à la sécurité des mobilités 97 terrestres. Elle n’exclut pas des appuis mutuels ponctuels entre unités et services. En dépassant la compétence limitée classiquement au territoire, elle ouvre un droit de suite possible par principe pour une force sur la zone de responsabilité de l’autre au nom de la continuité du service public. S’agissant du vecteur ferroviaire, l’analyse des risques et des menaces conduit à envisager une logique de concentration des efforts opérationnels selon le cœur de métier missionnel et la responsabilité territoriale des forces. Ainsi, la PN couvre les trains internationaux, la GN pouvant en prendre en compte sur leur portion d’itinéraire sur le territoire national. La GN et la PN mènent une action complémentaire et concertée sur les TGV, les intercités et les TER. Pour ce qui concerne les autocars et bus, les lignes et flux traversant les circonscriptions des forces de sécurité intérieure seront répartis dans le cadre d’un plan national de contrôles reposant sur les critères missionnels suivants : –  Les autocars longue distance sur ligne internationale relèveront de la PN. –  Les autocars longue distance sur ligne nationale seront pris en compte par la GN. –  Les bus urbains seront sous la responsabilité de la PN. –  Les bus interurbains seront couverts par la GN. Au plan des transports de fret sensible, civil et militaire, ils sont principalement à la charge de la GN. La PN y concourt pour le mouvement de certaines matières NRBC dont elle tient informée la GN par messagerie sécurisée. Le transport fluvial de personnes et de marchandises relève du périmètre des mobilités terrestres et motive des coordinations entre la GN et la PN. Une approche mieux structurée du pilotage de la sécurité des mobilités terrestres par les forces de sécurité intérieure reposant sur une nouvelle gouvernance L’ambition conjointe est de reconnaître et consolider les structures existantes au niveau central et dans les territoires de chaque force de sécurité intérieure. Concernant le niveau central, ces deux dernières années, la DGGN s’est dotée d’un centre national de la sécurité des mobilités (CNSM) et la DGPN a créé un bureau de la sûreté des transports (BST). Au regard de l’approche globale des mobilités terrestres qu’ont ces structures et de leur capacité à en copiloter la sécurité, l’action de l’UCSTC dans ses missions actuelles mérite d’être rénovée. Elle doit échanger davantage dans le cadre d’une gouvernance rénovée. Le CNSM, l’UCSTC et le SNPF se réuniront mensuellement, en associant la SDRPT PP, pour partager les informations d’intérêt commun sur les mobilités terrestres. Au niveau territorial, la GN a organisé des centres régionaux de la sécurité des mobilités (C(Z)RSM) au sein des régions de gendarmerie, connectés quotidiennement au CNSM. La PN dispose de pôles d’analyse et de gestion opérationnelle (PAGO) qui sont implantés aux chefs lieux des zones de défense et de sécurité. Conformément à la répartition des vecteurs, les PAGO se concentreront sur les trains et les bus traités par la PN et les C(Z) 98 Livre blanc de la sécurité intérieure RSM traiteront les trains et bus gérés par la GN. Les CZRSM, de niveau zonal, se coordonneront donc avec les PAGO. La SDRPT de la PP conservera la plénitude de ses attributions zonales. Proposition : Rénover la coordination de la sécurité des mobilités terrestres par une gouvernance renforcée 2.2 Garantir l’État de droit et protéger les libertés publiques et individuelles 2.2.1 Combattre fermement le terrorisme et la radicalisation La lutte contre le terrorisme et la radicalisation est un axe majeur de l’action des forces de sécurité intérieure. La permanence de la menace et son caractère protéiforme et endogène, ainsi que la montée des radicalisations et de leurs expressions violentes ont impliqué, ces dernières années, une adaptation profonde des directions et services du ministère de l’Intérieur (renseignement, intervention spécialisée). Le cadre juridique de la lutte contre le terrorisme et contre la radicalisation s’est progressivement adapté à la nature particulière de la menace Dans le domaine du terrorisme Depuis les premières lois de 1986 et de 1996, la France a continuellement renforcé et adapté son dispositif à l’intensité et à la nature de la menace. Ces évolutions ont eu trois conséquences, eu égard à la nature particulière des infractions terroristes : –  elles ont créé un régime spécifique pour leur traitement par la justice ; –  elles ont instauré des quantums de peines encourues renforcés ; –  elles ont élargi les comportements réprimés par la loi et accru les outils à disposition des forces de sécurité intérieure. Tout d’abord, les évolutions législatives ont eu pour effet d’autonomiser le régime pénal des infractions en lien avec le terrorisme (articles 421-1 et suivants du code pénal) en leur appliquant des règles de procédure différentes (centralisation des poursuites, jugement par une juridiction spécialisée compétente sur l’ensemble du territoire, etc.) et en ouvrant la possibilité d’actes de procédure différents du droit commun, comme les perquisitions de nuit au domicile d’un mis en cause et en cas de risque d’atteinte à la vie. Il est en outre possible depuis la loi du 21 décembre 2012 de poursuivre les auteurs d’actes de terrorisme commis à l’étranger par des Français ou des personnes résidant habituellement en France, notamment les personnes ayant participé à des camps d’entraînement terroristes à l’étranger alors même qu’elles n’auront pas commis d’actes répréhensibles sur le territoire français. Par ailleurs, les quantums de peine ont été alourdis, notamment par la loi du 21 juillet 2016, qui durcit les peines pouvant être infligées aux auteurs d’infractions criminelles d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et exclut les personnes condamnées pour des faits liés au terrorisme du régime de crédit de réduction de peine. 99 Les comportements pouvant être réprimés ont également été élargis : la possibilité de gel des avoirs financiers a été étendue aux personnes qui incitent au terrorisme et la loi du 30 octobre 2017 relative à la sécurité intérieure et à la lutte contre le terrorisme (dite loi SILT) a instauré plusieurs mesures administratives dont la possibilité de fermeture des lieux de culte où seraient tenus des propos faisant l’apologie du terrorisme et les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance visant toute personne pour laquelle il existe des raisons sérieuses permettant de penser que son comportement constitue une menace d’une « particulière gravité ». Enfin, les outils et les pouvoirs des services de police et de gendarmerie ont été adaptés à l’évolution de la menace, notamment techniquement : ainsi en est-il de la faculté d’utiliser des dispositifs techniques de proximité pour capter directement les données de connexion nécessaires à l’identification, ou de la pérennisation du droit de consultation des données du fichier des passagers du transport aérien. Dans le domaine de la radicalisation Ces évolutions législatives ont également permis de mieux comprendre et de lutter contre la radicalisation. La pratique française en matière de lutte contre la radicalisation vise des infractions à la loi (incitation à la violence, à la haine raciale etc.) mais non l’adhésion à un discours, ce qui contreviendrait à la conception française de la liberté de conscience et d’expression. Une approche pluridisciplinaire, et non réduite aux seuls outils répressifs, a été retenue, avec la volonté de mobiliser l’ensemble des acteurs pertinents. Le troisième plan national de prévention de la radicalisation «prévenir pour protéger», lancé le 23 février 2018, s’est inscrit dans cette approche, en laissant une large place à la prévention et en couvrant de nombreux champs (radicalisation à l’école, dans les administrations, dans les entreprises ou encore dans le monde sportif et culturel). La déclinaison locale du plan de prévention autour de la cellule départementale de suivi pour la prévention de la radicalisation et l’accompagnement des familles (CPRAF) et du groupe d’évaluation départemental (GED) auquel l’administration pénitentiaire participe, vise à une prise en charge adaptée aux spécificités territoriales du phénomène. Outil essentiel assurant un suivi centralisé des individus radicalisés, le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) comptait 22 200 individus en juin 2020 dont près de 8 500 suivis par les services. Au plan opérationnel, l’instruction ministérielle du 14 décembre 2018 relative au fonctionnement des groupes d’évaluation départementaux (GED) a constitué une étape importante en imposant, à l’échelon national, un classement harmonisé des individus inscrits au FSPRT selon trois niveaux de suivi (1 : prioritaire ; 2 : régulier ; 3 : ponctuel), la catégorie « en veille » ayant pour sa part été supprimée. L’adaptation permanente des services face à la menace terroriste et aux radicalisations de la société La fonction essentielle des services de renseignement : aider à la décision politique 100 Livre blanc de la sécurité intérieure La stratégie nationale du renseignement (SNR), élaborée par la présidence de la République, érige les enjeux prioritaires de la politique de renseignement, en définissant comme priorité les menaces terroristes, mais aussi le suivi des subversions violentes (qui appellent « une vigilance accrue des services de renseignement dans leur fonction d’anticipation ») et les crises d’ordre public (« l’anticipation, l’analyse et le suivi des mouvements sociaux et crises de société par les services de renseignement constituent une priorité. »). Dans un environnement incertain, aux mutations imprévisibles, le renseignement est le pilier de la fonction de connaissance et d’anticipation, offrant aux décideurs une capacité d’appréciation autonome des situations. Différents acteurs de la politique publique du renseignement ont vu leurs missions redéfinies depuis 2015 Conformément à la loi relative au renseignement du 24 juillet 2015, il existe six services spécialisés de renseignement dits du premier cercle (DGSE, DGSI, DRM, DRSD, DNRED et Tracfin(21)) et différents services mentionnés à l’article L.811-4 du code de la sécurité intérieure dits du second cercle qui intègrent la DRPP, SCRT, SDAO et SNRP(22) et sont autorisés à recourir aux techniques de renseignement. Piloté par le Coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) dont les prérogatives ont été renforcées en juin 2017, le dispositif est supervisé par différents organes de contrôle parlementaires, administratifs ou juridictionnels : la délégation parlementaire au renseignement (DPR), l’inspection des services de renseignement (ISR), la commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS), la commission nationale du contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) et le groupement interministériel de contrôle (GIC). Au sein du ministère de l’Intérieur, le dispositif de renseignement est réformé en 2014 avec la création de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et celle du service central du renseignement territorial (SCRT) intégré au sein de la DCSP. Le renforcement du rôle de chef de file de la DGSI en matière de lutte antiterroriste (LAT) L’émergence des filières djihadistes à destination de la zone syro-irakienne, la montée en puissance de l’Etat islamique, et l’essor de la mouvance endogène sur le territoire national, ont porté la menace terroriste visant la France à un niveau inégalé. Ce nouveau contexte a renforcé la nécessité d’un pilotage opérationnel efficient de la lutte anti-terroriste par l’ensemble des services impliqués au plan du renseignement et du judiciaire, et d’un renforcement de la gouvernance de cette coordination. Conformément aux décisions prises par le président de la République lors du conseil de défense et de sécurité nationale du 27 juin 2018, la DGSI a vu son rôle de chef de file en matière de lutte anti-terroriste conforté par une lettre de mission du ministre de l’Intérieur en date du 12 juillet 2018. 21 DGSE : direction générale de la sécurité extérieure, DGSI : direction générale de la sécurité intérieure, DRM : direction du renseignement militaire, DRSD : direction du renseignement et de la sécurité de la défense, DNRED : direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, Tracfin : traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins. 22 DRPP : direction du renseignement de la préfecture de police, SCRT : service central du renseignement territorial, SDAO : sous-direction de l’anticipation opérationnelle, SNRP : service national du renseignement pénitentiaire. 101 Au titre de chef de file, une responsabilité qu’elle assume en collaboration étroite avec les autres services de la communauté du renseignement, la DGSI détermine les orientations opérationnelles rendues nécessaire par l’évolution de la menace terroriste ; conduit un travail d’élaboration et d’unification de la doctrine opérationnelle de la lutte anti-terroriste avec l’ensemble de ses partenaires ; veille à garantir la parfaite fluidité des échanges interservices, dès lors que ces échanges en temps réel permettent de mieux caractériser, évaluer et entraver les menaces. Dans ce cadre et afin de répondre aux exigences de décloisonnement maitrisé des échanges, trois instances interservices de coordination opérationnelle, dont la DGSI assure l’hébergement et l’animation, ont été créées. La réunion des chefs de service rassemble à un rythme bimestriel les directeurs des services concourant à la LAT agissant sur le plan du renseignement et du judiciaire, en présence du chef du PNAT. Le Comité de Pilotage Opérationnel mis en place en septembre 2018, réunit les responsables opérationnels chargés des investigations antiterroristes ou y concourant. Outre l’évocation de points de doctrine, cette instance permet les échanges sur des dossiers sensibles, en renseignement ou en phase préjudiciaire. Le traitement conjoint de plusieurs dossiers récents ou les suites judiciaires données à plusieurs visites domiciliaires, illustrent la pertinence de cette nouvelle organisation. L’Etat-Major Permanent, inauguré par le ministre de l’Intérieur le 18 février 2019, et armé par l’ensemble des services en charge de la lutte antiterroriste, assure la continuité du fonctionnement et de l’action du comité de pilotage opérationnel. La structure connaît une montée en puissance notable, illustrée par une augmentation du nombre de saisines traitées. Le renforcement de la qualité de chef de file a été parachevé au début de l’année 2020 avec l’intégration à la DGSI de l’unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT), unité en charge de la lutte contre la radicalisation initialement placée sous l’autorité du DGPN. Le succès du modèle pré-judiciaire de la DGSI Depuis l’essor du conflit syro-irakien à compter de l’année 2013, la DGSI a recensé la neutralisation de 61 projets d’action violente visant le territoire français, préparés soit par des groupes terroristes solidement constitués depuis le théâtre de guerre, soit par des individus isolés, inspirés par l’idéologie de l’Etat Islamique. 52 de ces projets ont été détectés sur la base de renseignements recueillis par la DGSI, en propre ou dans le cadre de sa coopération partenariale, et porté à la connaissance de l’autorité judiciaire. Ce système dit de judiciarisation de renseignement a fait ses preuves et connaît une accélération sans précédent depuis ces dernières années, en raison du renforcement de la coopération opérée entre les services de la communauté du renseignement. En application de la lettre de mission du Ministère de l’intérieur, la DGSI reçoit sans délai et systématiquement l’intégralité des productions et des informations nécessaires au bon accomplissement de sa mission, de la part des services concourant à la lutte anti-terroriste. Elle détermine au cas par cas, et après autorisation préalable du service à l’origine du recueil, la possibilité de judiciariser tout ou partie du renseignement. Une prise en compte renforcée de la diversité des profils des individus susceptibles de passer à l’action violente 102 Livre blanc de la sécurité intérieure Pour faire face à la menace et à la diversité des profils, l’amélioration de la compréhension des éléments déclencheurs du passage à l’acte est une nécessité. Pilotée par la DCPJ, une étude sur le « profilage » des individus impliqués dans des projets terroristes entre 2012 et 2019 a constitué une première étape. Un groupe de travail associant des agents de la sousdirection antiterroriste et de l’UCLAT est désormais en charge d’élaborer un outil plus opérationnel à destination des services d’enquête. En outre, le dispositif de suivi des individus incarcérés s’est sensiblement renforcé au cours des dernières années : création et montée en puissance du bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP), devenu service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) ; création d’une équipe commune SNRP / DGSI pour la mise en œuvre des techniques de surveillance les plus intrusives ; mise en place d’une unité permanente de suivi des sortants de prison pilotée par l’UCLAT ; adaptation des modalités de détention en fonction des profils de radicalisés, etc. Le défi sécuritaire de la sortie de détention est majeur pour les services de renseignement. Le dispositif de suivi des individus exerçant une profession sensible, et notamment des agents publics radicalisés exerçant des missions de souveraineté relevant du domaine de la sécurité et de la défense, a également été renforcé avec la centralisation de l’ensemble des signalements dans une logique d’entrave clairement assumée. Enfin, la DGSI pilote une réflexion sur les modalités de prise en charge opérationnelle des individus souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques. L’engagement des services de renseignement dans les nouveaux dispositifs territoriaux de lutte contre la radicalisation Au-delà des efforts visant à lutter directement contre la menace terroriste, les services de renseignement s’impliquent dans les dispositifs mis en œuvre pour lutter contre la radicalisation et le repli religieux, notamment dans le cadre des quartiers de reconquête républicaine (QRR). Ce dispositif a été étendu à l’ensemble du territoire par la circulaire ministérielle du 27 novembre 2019 « lutte contre l’islamisme et contre les différentes atteintes aux principes républicains ». Au regard de l’influence générée chez certains profils par les discours islamistes, la DGSI et le SCRT s’investissent pleinement dans ces nouvelles structures, pour les domaines de compétence qui sont les siens et avec l’impérieuse nécessité de préserver la confidentialité de son action. Le renforcement de la coopération interservices en matière de la lutte contre les subversions violentes Les différents services impliqués dans la lutte contre les subversions violentes (DGSI, SCRT, SDAO et DRPP) se sont organisés pour renforcer encore le continuum de renseignement destiné à suivre les individus liés aux mouvances extrémistes et à prévenir leur passage à l’acte. Une coordination opérationnelle renforcée au service d’une analyse consolidée 103 La coordination opérationnelle a fait ses preuves aussi bien en matière de prévention de la radicalisation et de lutte contre le terrorisme qu’en matière de lutte contre les subversions violentes. Il convient donc de maintenir cette cohérence dans la remontée d’informations vers les autorités décisionnaires. Le service central du renseignement territorial (SCRT) compétent sur l’ensemble du territoire national (à l’exception du ressort de la préfecture de police dévolu à la DRPP) dispose, depuis la circulaire du 21 mars 2014, d’une compétence exclusive de centralisation et de transmission du renseignement, dans les domaines qui lui appartiennent, aussi bien aux autorités locales (préfet) que nationales (ministre de l’intérieur et exécutif). Son maillage territorial, auquel est pleinement intégrée la gendarmerie nationale, permet cette unicité du renseignement. Bénéficiant d’un plan de renfort en effectifs policiers et gendarmes, le SCRT doit pouvoir poursuivre sa montée en puissance au niveau de ses méthodes de recueil et d’analyse du renseignement. La gendarmerie est partie prenante du SCRT, qui accueille 300 militaires en centrale et dans le réseau territorial, et contribue à ce titre à l’information des autorités. En organisation interne, la DGGN a créé la sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) afin d’assurer l’animation de la fonction renseignement au sein de la gendarmerie et l’interface centrale avec le SCRT. Au sein du SCRT, la détection de la radicalisation et la prévention du terrorisme font l’objet d’un dispositif particulier : des antennes du renseignement territorial situées en zone gendarmerie sont ainsi composées de gendarmes, mais placées pour emploi sous l’autorité du chef du SDRT. Le cas de l’Île-de-France présente des caractéristiques propres. En effet, la préfecture de police dispose d’un service de renseignement qui lui est propre, compétent à Paris et sur les trois départements de petite couronne (92, 93, 94). De plus, le préfet de police, en tant que préfet de zone, dispose d’une compétence en matière de coordination de remontée de l’information. L’articulation entre la DRPP et le SCRT doit reposer sur des sollicitations croisées: contribution des SDRT de grande couronne aux commandes de la DRPP au titre de la coordination zonale Ile de France, contribution de la DRPP aux commandes du SCRT chargé de produire une analyse nationale La DGSI, par ailleurs, reste compétente sur les domaines qui lui sont attribués, sur l’ensemble du territoire et dispose d’un droit d’évocation des dossiers les plus sensibles. La prochaine désignation d’un coordonnateur Ile-de-France en charge des questions de lutte anti-terroriste au sein de la DGSI favorisera encore davantage la fluidité des relations avec la DRPP et les services franciliens du renseignement territorial. S’agissant de la répartition des compétences interservices en Ile-de-France, il apparaît pertinent de maintenir un dispositif spécifique de sécurité sous l’autorité fonctionnelle et organique du préfet de police, incluant un service de renseignement dédié. Le décret n° 2014-445 du 30 avril 2014 relatif aux missions et à l’organisation de la DGSI précise que la Direction du Renseignement de la Préfecture de Police (DRPP), sous l’autorité du préfet de police, concourt à l’activité de la DGSI, qui peut se saisir de toute situation individuelle qui le justifierait. Au-delà de ce droit d’évocation, l’existence d’un protocole stratégique entre les deux services et la mise en place de dispositifs de liaison ont permis de renforcer depuis plusieurs années la réactivité opérationnelle. 104 Livre blanc de la sécurité intérieure Un renforcement des procédures d’échanges d’information et une plus grande coordination entre services pour restituer aux autorités centrales un renseignement unifié plus dense, semble constituer une piste de progrès pour faire face aux échéances à venir dans les prochaines années (état de la menace, Jeux Olympiques 2024…). Dans le domaine du renseignement ouvert, une relation plus étroite entre le SCRT et la DRPP est une exigence pour parvenir à la production de synthèses analytiques consolidées et endossées par l’ensemble des services impliqués. Le SCRT et la DRPP doivent poursuivre leur effort de production d’analyses communes sur les sujets économiques, sociaux et sociétaux pour améliorer ainsi la qualité des analyses nationales fournies aux décideurs politiques. En outre, ce partage des tâches devra aboutir à ce que tous les objectifs dignes d’intérêt et parisiens, qu’ils aient une vocation locale ou nationale, soient bien attribués et pris en compte par un seul des deux services. Expertiser la reconnaissance d’un statut particulier aux services du second cercle en charge prioritairement d’une mission de renseignement Il ressort des différentes consultations, notamment des effectifs en charge du renseignement, une demande d’élargissement des moyens dont disposent certains services dits du « second cercle ». La question de l’accès à certaines techniques de renseignement que la loi réserve au premier cercle doit être expertisée, à la fois sur la réalité du besoin, sur l’appréciation juridique et politique qui peut être portée sur ce vœu et sur la pertinence d’une évolution. La reconnaissance par la loi d’un statut spécifique pour le SCRT, la DRPP, la SDAO (et le SNRP) qui sont désormais reconnus dans les textes stratégiques (stratégie nationale du renseignement, doctrine de lutte anti-terroriste), mais qui dans la loi apparaissent, sans distinction, comme membres du « second cercle» aux côtés des unités présentant une simple fonction de contribution est également posée. Ces sujets particulièrement sensibles, notamment dans l’équilibre entre services du premier et du second cercle, et l’accès aux techniques de renseignement, méritent d’être expertisés avec la plus grande attention. Les travaux menés par l’inspection du renseignement et surtout la vision stratégique du CNRLT apporteront un éclairage déterminant sur ces demandes d’évolution. Propositions: – Conforter l’architecture et les périmètres actuels des services de renseignement du ministère de l’Intérieur, réformés plusieurs fois depuis 2008. – Expertiser l’intérêt de reconnaître un statut particulier aux services du second cercle en charge prioritairement d’une mission de renseignement (SCRT, DRPP, SDAO). – Évaluer la pertinence d’accroître les compétences juridiques et les moyens techniques de ces services. Ces deux points renvoient aux travaux actuellement menés par 105 l’inspection du renseignement : – Développer la production de synthèses consolidées, et endossées par l’ensemble des services impliqués à destination des autorités nationales et territoriales. – Renforcer l’échanges d’information interservices et veiller à mobiliser tous les outils de police administrative pour lutter contre les mouvances ultra (dissolution de groupuscules, police administrative des armes, etc.). 2.2.2. Garantir la liberté de manifester tout en assurant la sécurité de tous et la protection des institutions Aujourd’hui, les modalités de contestation au cours des manifestations dans notre pays ont profondément changé. Les cortèges doivent désormais composer avec l’infiltration de groupes très violents qui n’hésitent pas à aller d’emblée au contact des forces de l’ordre et rechercher l’affrontement. Cette augmentation des forces radicales de contestation se conjugue avec des mobilisations caractérisées par leur imprévisibilité, l’absence fréquente de déclaration ou de service d’ordre et un refus de l’exercice codifié des manifestations qui a pu exister dans le passé. Lorsque des violences surviennent, ces scènes, relayées massivement par les médias et les réseaux sociaux, suscitent une vive émotion chez nos concitoyens. Pour autant, il est parfois observé un effet d’entraînement chez certains manifestants, pouvant conduire à des comportements violents et à un rejet de toute action policière. Dans le même temps, les forces se savent astreintes à une exigence permanente d’exemplarité et de professionnalisme. Elles agissent en outre sous l’observation permanente des médias et des manifestants à la recherche de la faute, ou d’une image pouvant être interprétée comme telle, en vue de délégitimer leur action. Veiller, en permanence, à un équilibre entre la sécurité de tous, manifestants ou non, et la liberté, de manifester et de s’exprimer Les violences contemporaines commises à l’occasion de grands rassemblements de voie publique ont pris de nouvelles formes dès les années quatre-vingt-dix avec en point d’orgue, les affrontements lors du sommet de l’OMC à Seattle. Puis, en France, pour la première fois, lors du sommet de l’OTAN de Strasbourg en 2009, avec des dégâts spectaculaires et conséquents. Des individus s’insèrent notamment dans les cortèges pour commettre des dégradations et rechercher d’emblée des affrontements avec les forces de l’ordre, à l’instar des black blocs, actifs lors des manifestations contre la loi El Khomri les 1er mai 2017 et 2018. Des formes similaires de violences ont émaillé les manifestations du mouvement dit des « gilets jaunes », avec notamment le saccage de l’Arc de Triomphe. Ces violences s’inscrivent donc dans le temps. Face à ces évolutions, l’évacuation de Notre-Dame-des-Landes a marqué une étape importante dans la planification et l’exécution d’une opération complexe de maintien de l’ordre, par le recours en particulier à l’usage de drones et à la judiciarisation systématique des individus violents. Le ministère de l’Intérieur a dû très rapidement modifier la doctrine : identifier 106 Livre blanc de la sécurité intérieure en amont les casseurs potentiels et les interpeller au plus tôt. Les maîtres mots ont été : réactivité, mobilité et autonomie accrue des unités. Dans ce contexte d’irruption répétée des violences mais également par la demande d’une communication plus forte avec les citoyens en amont et pendant la manifestation pour permettre d’apaiser les tensions, la rénovation des principes du maintien de l’ordre est rendue nécessaire. Rénover les principes d’action du maintien de l’ordre : l’élaboration d’un schéma national du maintien de l’ordre Pour alimenter la réflexion collective au sein du ministère, un groupe de personnalités extérieures, constitué depuis le 17 juin dernier à la demande du ministre a procédé à des auditions de différents collectifs ou associations qui s’étaient manifestés pour contribuer au SNMO. A l’issue de ces auditions, les contributions rendues par les experts, ont permis de dégager des propositions et de nouvelles orientations. Pour autant, technicité difficile et sensible, le maintien de l’ordre s’appuie sur quelques principes fondamentaux qui ont fait leurs preuves et méritent d’être articulés avec ces nouvelles orientations. Le Schéma national du maintien de l’ordre s’attache ainsi à renforcer les conditions de la reconnaissance de la légitimité de l’action de l’État à garantir l’exercice plein et entier de la liberté de manifester tout en permettant d’affermir les capacités d’intervention contre les auteurs de violences. Cette rénovation nécessaire se fonde notamment sur les principes suivants : l’amélioration de l’anticipation et du suivi des mouvements de contestation ; l’exigence renouvelée de professionnalisation des unités concourant au maintien de l’ordre ; –  le renforcement de la médiation vers la population dans la gestion de l’ordre public en instituant le dialogue avec les manifestants comme priorité. Il s’agit de réaffirmer que la mission première est de protéger le bon déroulement de ces manifestations et d’apaiser les tensions. Des équipes de médiation seront spécifiquement créées et seront en lien avec les organisateurs, avant, pendant et après la manifestation. C’est une inflexion forte, qui demandera de la formation, ainsi qu’une approche renouvelée pour les responsables de terrain ; –  la meilleure prise en compte de la présence des journalistes au sein des opérations de maintien de l’ordre, fondée notamment sur une meilleure connaissance mutuelle et ainsi mieux protéger le droit d’informer ; –  la meilleure identification des unités engagées au maintien de l’ordre, afin de renforcer la légitimité de leur action et contribuer à l’amélioration de l’information du public ; –  la meilleure intégration de la chaine de commandement reposant sur des principes tactiques éprouvés : réactivité de la prise de décision, mobilité des unités et moyens matériels pour conserver l’initiative, fractionnement tactique pour adapter les moyens engagés ; –  le maintien à distance de la foule pour préserver l’intégrité physique des manifestants pacifiques, tout en disposant en permanence d’une capacité d’interpellation ciblée des fauteurs de trouble ; 107 –  l’emploi de la force de manière graduée et strictement proportionnée et uniquement lorsqu’elle est absolument nécessaire ; –  des sommations plus intelligibles, introduites par une annonce insistant sur l’illégalité du rassemblement, la légitimité de l’opération et l’ordre de dispersion ; –  la confirmation de l’intérêt de l’emploi des armes de force intermédiaire, tout en en aménageant l’emploi et en recherchant des alternatives moins vulnérantes ; –  l’adaptation de la judiciarisation dans la prise en compte des fauteurs de troubles, par l’intégration du traitement judiciaire à la manœuvre d’ordre public. Face aux mutations de la gestion de l’ordre public, le schéma national du maintien de l’ordre fixe ainsi un cadre global rénové sur l’emploi des forces de l’ordre et des moyens techniques spécialisés. Afin de garantir durablement l’exercice de la liberté de manifester, il développe une doctrine protectrice pour les manifestants et ferme avec les auteurs de violences. Le SNMO a vocation dans sa forme finale à être rendu public. Proposition : Le schéma national du maintien de l’ordre poursuit trois objectifs : –  Garantir l’exercice plein et entier de la liberté de manifester (renforcer la médiation avec la population, mieux protéger le droit d’informer, sommations plus intelligibles). –  Renforcer les conditions de la reconnaissance de la légitimité de l’action de l’État (professionnalisation et formation renouvelées des unités, meilleure identification des unités engagées, meilleure intégration de la chaîne de commandement, emploi de la force de manière graduée et proportionnée). –  Affermir les capacités d’intervention contre les auteurs de violences (anticiper et mieux suivre les mouvements de contestation, intégrer le traitement judiciaire à la manœuvre d’ordre public). 2.3. Protéger contre une criminalité nourrie par le développement des flux internationaux Le développement d’une criminalité économique et financière rémunératrice et de plus en plus tournée vers l’international se confronte à la montée d’une exigence forte de l’opinion qui attend une réponse de l’autorité publique à la mesure du phénomène en conjuguant mieux les moyens de lutte contre le blanchiment ou la fraude fiscale avec la saisie des avoirs criminels. Les risques climatiques et sanitaires constitueront demain, si ce n’est pas déjà le cas, un enjeu de sécurité majeur. Les criminels investissent des domaines nouveaux comme l’environnement et la santé publique : la 108 Livre blanc de la sécurité intérieure criminalité environnementale représente aujourd’hui la troisième activité criminelle la plus lucrative après le trafic de drogue et la contrefaçon. La question migratoire est également un des grands enjeux d’avenir compte tenu du contexte géopolitique et des risques climatiques mais aussi sanitaires qui ne peuvent qu’en accroître les effets. Face à ces phénomènes, policiers et gendarmes s’organisent pour renforcer leurs capacités d’analyse criminelle, de renseignement et de partage d’informations dans un cadre non seulement interministériel mais également international. 2.3.1. Proposer une stratégie interministérielle de lutte contre la délinquance économique et financière Une délinquance en forte croissante qui se complexifie En 2019, la délinquance économique et financière représentait plus de 430 000 faits constatés par l’ensemble des services de police (280 000 faits) et unités de gendarmerie (150 000 faits). Entre 2018 et 2019, l’augmentation des faits enregistrés est sensible (+ 9 %) dans le prolongement de la hausse ininterrompue observée depuis 2012. Sur la période 2012/2019, l’augmentation est importante (+ 40 %). Sur la même période (2012/2019), le nombre des faits élucidés par les forces de sécurité intérieure baisse systématiquement tous les ans pour atteindre – 14% sur la période cumulée. La dégradation du niveau d’élucidation de ce type de délinquance qui découle de ce mouvement non vertueux fait l’objet d’un constat partagé par l’ensemble des acteurs. En outre, force est de constater que les nouvelles technologies, comme le démontre l’augmentation des escroqueries facilitées par l’usage d’internet, ont particulièrement contribué à l’amplification de cette délinquance. 109 Les rapports successifs(23), dont le plus récent consacré à « l’évaluation des moyens alloués à la lutte contre la délinquance économique et financière » remis par les trois inspections (IGA, IGF, IGJ) en avril 2020, dressent un panorama convergent, qui met en lumière les insuffisances et les difficultés face à une délinquance protéiforme. L’arsenal répressif est bien présent mais les forces, encore trop souvent sous-dimensionnées, qui y sont affectées, se présentent en ordre dispersé et relèvent de services aux modes de fonctionnement à la fois très différents et complexes. Cette dispersion entraîne un faible impact répressif sur une délinquance pourtant très présente et qui impacte fortement les finances de la Nation (coûts très élevés de cette délinquance sur le budget de l’État en impôts non perçus, en TVA détournée...). Enfin, les délais de traitement des affaires, qui sont très longs, peuvent faire penser à une absence de réponse pénale adaptée. Les enjeux pour le ministère de l’Intérieur sont majeurs et nécessitent un réhaussement de la posture pour être à la fois capable de traiter une délinquance économique et financière de masse et de traquer la grande délinquance internationale en col blanc. Il est temps d’établir une stratégie intégrée s’articulant sur un pilotage et une coordination interministériels. La transformation préconisée consiste à rationaliser les structures, à simplifier les outils et à professionnaliser les acteurs. Rationnaliser les structures en charge de la lutte contre la délinquance économique et financière Compte tenu des enjeux décrits, et des ministères et services concernés, ministères de l’Action et des Comptes Publics, de la Justice et de l’Intérieur, la définition d’une stratégie nationale de lutte contre ce phénomène pourrait reposer sur la mise en place d’un conseil national réunissant les trois ministres concernés, qui pourra notamment établir un plan interministériel de lutte contre la délinquance économique et financière comprenant, comme le préconise le rapport inter-inspections d’avril 2020 : –  une convergence vers une base statistique commune au ministère de l’Intérieur et à celui de la Justice ; –  le ciblage des infractions prioritaires fondé sur une analyse de risque en distinguant les auteurs personnes morales et physiques ; –  des instruments de mesure et des objectifs de performance ; –  des outils de suivi des moyens consacrés à la lutte contre cette délinquance ; –  des éléments d’animation nationale ou locale. 23 - Mission inter-inspections IGA-IGF-IGJ (« Évaluation des moyens alloués à la lutte contre la délinquance économique et financière » - avril 2020) - Cour des comptes (« les moyens consacrés à la lutte en matière économique et financière » – Décembre 2018, « la fraude aux prélèvements obligatoires » - novembre 2019) - Mission d’information parlementaire Saint-Martin/ Warsmann (« Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner » - novembre 2019) - Rapport d’information parlementaire Bernalicis / Maire (« L’évaluation de la lutte contre la délinquance financière » – mars 2019) 110 Livre blanc de la sécurité intérieure La désignation d’un chef de file opérationnel paraît effectivement essentielle pour permettre de mieux coordonner l’action des différents services et de délimiter les champs d’action respectifs. Le ministère de l’Intérieur s’inscrit pleinement dans cette évolution, au travers des mutations déjà engagées par la direction centrale de la police judiciaire avec la création, depuis 2019, de la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF) et de quatre offices financiers (office anti-corruption, office de la fraude fiscale, office anti-blanchiment et office d’identification des avoirs). De son côté, la gendarmerie nationale s’est résolument engagée dans la lutte contre le travail illégal et la fraude aux prestations sociales(24) en adaptant ses outils à l’évolution du cadre normatif et à la définition des priorités gouvernementales. Déjà compétent pour les fraudes aux cotisations sociales et à certaines prestations (revenus de remplacement), son office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) est aujourd’hui le partenaire naturel des organismes publics, victimes des fraudes aux prestations et cotisations sociales avec lesquels il travaille étroitement au quotidien. Il a développé une expertise dans le traitement de ce contentieux, en s’attachant notamment à systématiser la captation des avoirs criminels dans le but de garantir le recouvrement des créances. Enfin, avec l’apparition en France comme en Europe, de phénomènes de traite d’êtres humains aux fins de contraindre des personnes vulnérables à percevoir indûment des prestations des organismes sociaux qu’ils reversent aux trafiquants, l’extension du champ de compétence de cet office aux fraudes sociales pourrait constituer une réponse efficace en s’attaquant aux formes les plus graves de cette criminalité insidieuse au coût humain et financier insupportable. Plusieurs axes d’évolution ont d’ores et déjà été détectés par le ministère de l’Intérieur qui pourront participer, dans le cadre du dialogue interministériel proposé, à cette mutation nécessaire. Le rôle des groupes interministériels de recherche (GIR) pourra être défini pour axer leur action sur la détection des infractions sous-jacentes relevant de l’économie souterraine et revisiter leur articulation avec les autres services pour renforcer l’identification et la saisie des avoirs criminels. Une cartographie de l’ensemble des services concourant à la répression de la criminalité financière pourra être réalisé, quel que soit leur rattachement, pour corriger les redondances. Enfin, l’organisation des services doit être aussi mieux intégrée par les partenaires privés, acteurs essentiels dans le monde économique (banques et assureurs dans un premier temps). A l’exemple de nombreux pays dans le monde, la France doit se doter d’un partenariat public privé. Recommandé par la conférence « No Money for Terror » d’avril 2018, ce partenariat doit être le moyen d’échanger, même de façon informelle, dans un cercle de confiance. Les relations entre acteurs institutionnels et les acteurs privés de la finance sont encore trop régis sous le format d’une pyramide de subordination. 24 La Cour des comptes estime le montant annuel de la fraude aux prestations sociales à 25 milliards d’euros (entre 16 et 20 milliards de cotisations sociales et entre 3 et 4 milliards de prestations sociales). 111 Simplifier les rôles pour une plus grande efficacité des acteurs et une meilleure accessibilité par les victimes Une fois les rôles clairement définis, il apparaît nécessaire de simplifier les structures, toujours dans le but d’une meilleure lisibilité des services. La simplification doit se faire par des structures établies à des niveaux identiques en police comme en gendarmerie, par des interlocuteurs dédiés, désignés et identifiés en commissariat comme en brigade. Développer des outils de partage d’informations sécurisés Force est de constater que des milliers d’objectifs sont travaillés en simultané par les wnombreux services compétents dans ces matières confiées par des centaines de magistrats relevant de tous les tribunaux de France. Et quand bien même la notion de concurrence entre les services n’existerait pas, il est matériellement impossible à l’heure actuelle, hors le trafic de stupéfiants depuis la création en 2012 du fichier national des objectifs stupéfiants (FNOS), de s’assurer qu’il n’existe pas d’objectifs suivis en même temps par plusieurs services d’enquête. La solution, dont la faisabilité juridique n’a pas encore été confirmée, consisterait à créer un fichier d’objectifs étendu à l’ensemble de la délinquance et de la criminalité organisée. Ces infractions étant bien souvent connexes à des trafics de stupéfiants, il serait judicieux de n’avoir qu’un seul fichier pour l’ensemble de la criminalité organisée, sans en créer un supplémentaire. Le nouveau fichier pourrait prendre l’appellation de « Fichier National des Objectifs de la Criminalité Organisée » (FNOCO). Proposition : Créer le Fichier National des Objectifs de la Criminalité Organisée (FNOCO). Il conviendrait également de bien faire respecter les prérogatives judiciaires de certaines administrations, évitant la saisine de services d’enquête, comme y invite le rapport déjà cité. Simplifier c’est aussi faciliter l’accès de la victime à la plainte. Il pourrait être instaurée une plateforme de signalement des infractions financières détectées (PSIF), au regard de ce qui a été fait dans certains pays anglosaxons pour signaler des biens à l’origine douteuse (campagne « too much bling, give us a ring »). Cette plateforme serait rattachée et gérée par le chef de file. Mieux professionnaliser les policiers et les gendarmes en charge des enquêtes financières 112 Livre blanc de la sécurité intérieure Enfin, la mise en œuvre de cette stratégie volontariste doit conduire à la structuration d’une véritable filière économique et financière au sein du ministère de l’Intérieur pour répondre aux besoins en compétences spécialisées et pour remobiliser l’intérêt des enquêteurs. L’enquêteur généraliste n’a pas toujours sa place dans un environnement économique et financier très technique, souvent changeant et en constante adaptation. La formation initiale doit pouvoir prendre en compte une filière économique et financière dès le recrutement. Cette filière pourrait se poursuivre tout au long de la carrière de l’enquêteur, avec des formations diplômantes, des cursus instaurés avec des universités et la délivrance de diplômes reconnus. Cette logique de spécialisation devrait permettre d’augmenter l’attractivité de la matière (possibilité de de mettre à profit ces compétences spéciales pour les policiers et les gendarmes au cours d’une seconde partie de carrière). La formation DEFI de la DGGN, en fusionnant avec celle de la DGPN (non diplômante) pourrait en constituer le socle. La formation doit être accompagnée d’une valorisation spécifique des carrières de ces enquêteurs spécialisés. Les enquêteurs pourraient être utilement renforcés par le recours à des compétences externes, notamment issus du monde universitaire, sur le modèle des assistants spécialisés placés auprès de magistrats. Proposition : Proposer une stratégie interministérielle de lutte contre la délinquance économique et financière : –  Définir une stratégie intégrée portée par un conseil national des trois ministres de l’Intérieur, de la Justice et de l’Action et des Comptes publics. –  Positionner le ministère de l’Intérieur comme chef de file opérationnel de la lutte contre la délinquance économique et financière. –  Rationaliser le dispositif en clarifiant les missions des acteurs. –  Simplifier les rôles pour une plus grande efficacité des acteurs et une meilleure accessibilité par les victimes (plateforme de signalement). –  Mieux professionnaliser les enquêteurs en valorisant les parcours de carrière pour renforcer l’attractivité de la filière économique et financière. 2.3.2. Rehausser les capacités de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique L’environnement et la préservation du cadre et des conditions de vie des populations font l’objet d’une attention croissante. Il s’agit de priorités que la France porte sur la scène internationale. Cette préoccupation s’accompagne d’une prise de conscience généralisée des impacts que les atteintes à l’environnement portent de façon définitive au patrimoine environnemental, mais aussi à la santé des populations en 113 mettant notamment en péril la biodiversité et les milieux naturels. En privant ces populations de ressources importantes, elles affectent la santé publique et la sécurité internationale. Au travers de ces atteintes à l’environnement et à la santé des populations, de nouveaux phénomènes criminels émergent avec une dimension de plus en plus organisée. Selon un rapport conjoint d’Interpol et du Programme des Nations unies pour l’environnement de 2018, la criminalité environnementale représente la troisième activité criminelle la plus lucrative, après le trafic de drogue et la contrefaçon. Si les atteintes à l’environnement ont toujours des conséquences sur la santé des populations, les atteintes à la santé des populations peuvent aussi constituer un contentieux propre à la fois technique et complexe qui touche souvent un grand nombre de victimes. Ces infractions ont la particularité d’être très rémunératrices, comme le crime pharmaceutique considéré comme dix à vingt fois plus rémunérateur que le trafic d’héroïne. Ce contentieux environnemental traité par la gendarmerie et la police nationales représente 209 977 infractions constatées en 2019 dont 202 739 enregistrées sous l’item « trafic de médicaments ». Enjeu majeur pour les générations futures, au regard de l’urgence climatique et environnementale, la lutte contre ces différentes atteintes nécessite aujourd’hui une stratégie globale qui combine à la fois le volet préventif, la protection, la formation et l’approche répressive, sans négliger l’appui à la gestion de crise. Au regard de la multiplicité des acteurs, de l’étendue du champ d’action, mais également de la complexité des contentieux et de leur dimension internationale, la déclinaison opérationnelle de cette stratégie nécessite une coordination renforcée qui sera confiée à la Gendarmerie. Elle sera chargée d’organiser, pour la partie répressive et la gestion de crise, la coordination des acteurs ainsi que la cohérence des missions et celle de la formation, dans le respect des attributions des différents partenaires. Consciente de ces enjeux, la France s’est dotée dès 2004 d’un service de police judiciaire unique : l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP), unique structure nationale de police judiciaire dédiée à ces contentieux. Son expertise lui confère une légitimité reconnue sur ces contentieux, tant en France que sur la scène internationale. La transformation de l’OCLAESP en un service à compétence nationale (SCN) rattaché à la DGGN avec une large composante interministérielle. S’agissant du volet préventif, au regard des spécificités de chaque contentieux et des attributions des ministères compétents, l’OCLAESP contribuera à l’élaboration des politiques publiques. Cette structure sera renforcée au plan central en même temps que ses capacités seront augmentées dans les territoires avec neuf détachements, en métropole et Outre-mer, tous placés sous la direction opérationnelle du chef du SCN. Proposition: Transformer l’OCLAESP en service à compétence nationale afin de mieux coordonner les actions de prévention et de répression dans la lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique. 114 Livre blanc de la sécurité intérieure 2.3.3. Protéger les frontières en luttant contre l’immigration irrégulière Une pression migratoire inédite Depuis une vingtaine d’années, le continent européen est soumis à une pression migratoire permanente à ses frontières terrestres et maritimes sud-est et sud, ainsi que sur l’ensemble de ses frontières aériennes. En 2015, 1 822 177 étrangers en situation irrégulière ont été contrôlés aux frontières de l’Union européenne. Ce phénomène a connu une première accélération lors des révolutions du printemps arabe (2011), s’est considérablement amplifié à la faveur du conflit dans la zone irako-syrienne depuis 2014 et surtout en 2015 ; il est appelé à s’inscrire dans la durée. En 2019, la pression a fortement diminué mais demeure à des niveaux toujours élevés avec 139 446 migrants contrôlés (source Frontex). Au-delà son ampleur, il recouvre des risques d’une autre dimension car il a été utilisé par les réseaux terroristes pour permettre à leurs membres de se déplacer entre la zone de conflit et les États européens. La prégnance des mouvements secondaires qui impactent fortement la France, pays historique d’accueil, est vue comme une autre caractéristique importante de ce phénomène migratoire. Ces mouvements secondaires, cumulés à une menace terroriste prégnante depuis 2015, ont conduit nombre d’États membres, à rétablir les contrôles aux frontières intérieures. Il s’agit aussi d’assurer la surveillance du réseau ferré et, notamment, des liaisons internationales. Cette surveillance s’effectue sous la forme, entre autres, de patrouilles mixtes opérant sur le territoire de plusieurs états voisins. La sécurité des mobilités, notamment à travers le contrôle des flux, qu’ils soient maritimes (small boats), ou terrestres (axes routiers, axes frontaliers, ferroviaires, zones montagneuses) est indispensable à la maîtrise du phénomène migratoire et à la lutte contre l’immigration irrégulière. La pression aux frontières extérieures doit être abordée au travers de routes d’accès fluctuantes en fonction de la conjoncture et, notamment, des actions engagées sur le plan international et plus spécialement européen : Méditerranée orientale, depuis la Turquie vers la Grèce, Méditerranée centrale, depuis la Libye vers l’Italie, Méditerranée occidentale, depuis l’Algérie et, surtout, le Maroc, vers l’Espagne. Il faut également tenir compte du vecteur aérien, tant pour les mouvements secondaires que pour les entrées directes et, dans ce cas, aussi bien par le contournement de la réglementation que par le recours à la fraude documentaire. Enfin, il ne faut pas oublier l’Outre-mer et, notamment, Mayotte et la Guyane. Mayotte est emblématique de la problématique migratoire, avec près d’un habitant sur deux de nationalité étrangère (recensement INSEE 2017). Parmi cette population, un étranger sur deux est en situation irrégulière (rapport INSEE 2015). Pour faire face à cette situation un plan interministériel a été mis en place à l’été 2019 fondé sur la coordination inter-services, la PAF et la GN ayant pris à leur compte l’intégralité du volet maritime de la lutte contre l’immigration irrégulière. En Guyane, le phénomène est de moindre ampleur, avec 39 % de la population de nationalité étrangère. Dans ce département, la lutte contre l’immigration clandestine est imbriquée avec 115 la lutte contre l’orpaillage qui concentre près d’un tiers des étrangers en situation irrégulière de la zone. Un éco-système marqué par le contexte européen, ainsi que par les engagements internationaux de la France Le dispositif de protection des frontières extérieures de l’UE est gouverné par l’échelon communautaire. L’Union européenne établit des normes et les fait respecter (évaluations Schengen, évaluations de vulnérabilités des frontières). Elle dispose en outre, depuis 2004, d’une agence spécialisée (FRONTEX) qui s’est dotée récemment d’un Corps Européen des GardesFrontières et des gardes-côtes. En outre, l’Union européenne a adopté un nombre conséquent d’instruments ayant vocation à sécuriser les frontières, tant par rapport au risque migratoire, que face aux risques sécuritaires associés : contrôles systématiques de l’ensemble des fichiers existants pour les ressortissants de l’UE franchissant les frontières (depuis mars 2017) ; système entrées / sortie (enregistrement des franchissements de frontières extérieures pour les ressortissants de pays tiers, dans un premier temps) ; système de délivrance de visas en ligne (ETIAS) ; données des dossiers passagers (aérien dans un premier temps puis, éventuellement, maritime et terrestre). Clarifier le pilotage opérationnel pour assurer avec efficacité l’animation et la coordination des acteurs Sur le plan national, la Police aux Frontières (PAF) occupe une position centrale dans le dispositif de surveillance et de contrôle des frontières, ainsi que dans la lutte contre l’immigration irrégulière. La gendarmerie nationale, acteur concourant, prend, grâce à son maillage territorial, toute sa place dans cette mission en métropole et en Outre-mer. La PAF assure un rôle de coordination affirmée par une circulaire ministérielle du 23 août 2005 et réaffirmée par l’arrêté du 31 juillet 2019. Cette coordination est assurée aux frontières, avec la douane, qui accomplit également la mission de contrôle mais aussi, avec l’ensemble des forces concourant à la surveillance des frontières terrestres, (exemple des frontières italienne et espagnole). Son rôle d’animation du réseau d’officiers de liaison immigration déployés dans des états-tiers et, notamment, dans des aéroports internationaux, s’inscrit également dans cette logique. Elle s’exerce également dans le domaine de la lutte contre l’immigration irrégulière, tant pour ce qui est de la lutte contre les réseaux de passeurs et les filières d’immigration irrégulière (rôle de l’OCRIEST), que pour ce qui est de l’éloignement où, dans le cadre d’un partenariat étroit avec la DGEF, elle apporte son soutien et son expertise dans les domaines du contentieux, de l’identification, ou, encore, dans la réalisation des éloignements euxmêmes. Enfin, sur le plan européen, la PAF est le point d’entrée national de l’Agence FRONTEX. A ce titre, elle alimente cette dernière en statistiques et coordonne l’action des moyens mis à disposition par les autres administrations et envoyés en mission aux frontières extérieures (Hots Spots), sous l’égide de celle-ci. 116 Livre blanc de la sécurité intérieure Le contexte lié à un environnement géopolitique fragile et en perpétuel mouvement représente véritablement la principale problématique. A cela vient s’ajouter la complexité des règles nationales et européennes de lutte contre l’immigration irrégulière et de contrôle aux frontières. Une des problématiques réside dans la mobilité sans cesse croissante des migrants et la nécessité de pouvoir disposer d’outils (notamment de contrôles des données biométriques) qui soient adaptés et permettent ainsi de mieux faire face à ce phénomène. Il convient également de prendre en compte le maintien, à un niveau toujours élevé, de la sensibilité des frontières aériennes alors même que le trafic international connaissait une croissance continue jusqu’à la crise de la COVID-19, et que les exploitants d’aéroports et transporteurs aériens, acteurs économiques de premier plan, ont tendance à plaider en faveur de toujours plus de fluidité. Le premier des enjeux qui vient à l’esprit concerne la capacité à protéger les frontières extérieures. De ce point de vue la France devra contribuer, comme il se doit, à la constitution du Corps Européen des gardes côtes et gardes frontières, ainsi qu’à l’animation des réseaux d’officiers de liaisons immigration nationaux ou européens déployés dans les états-tiers, sans que cela n’obère ses capacités d’actions internes. Dans un second temps, il convient d’améliorer les éloignements, ce qui passe, d’une part, par une modification de la législation en matière d’asile, et d’autre part, par la contribution de chacun à la chaîne d’éloignement, notamment au niveau des interpellations et du traitement procédural initial. Notre capacité à développer des relations étroites avec les pays d’origine des migrants sera également un des éléments majeurs d’amélioration des reconduites des personnes qui ne remplissent pas les conditions de séjour. La lutte contre les filières s’inscrit également dans cette logique et concerne l’ensemble des acteurs. Devant le constat selon lequel l’implication des différents acteurs concernés est souvent très inégale. La mise en place d’un pilotage opérationnel, dont la DCPAF pourrait assumer la responsabilité, constitue une réponse pertinente. Cette proposition avait été émise dans le cadre du Plan Administration Publique 2022. Cela permettrait de renforcer son rôle de coordination et de pilotage des services (avec la DCSP, la DCCRS mais aussi la PP, et la DGGN), qui lui est attribué par le cadre réglementaire. Pour renforcer l’action de lutte contre l’immigration irrégulière, deux propositions complémentaires se démarquent. La création d’une DZPAF Île-de-France rattachée à la DCPAF, placée sous l’autorité du préfet de zone, serait pertinente. Cette réforme permettra, dans une région qui constitue un pivot massif en matière d’immigration irrégulière, de décloisonner et d’unifier les pratiques et mieux lutter contre l’immigration clandestine. La création d’une telle direction concilierait un pilotage national effectué par la DCPAF avec une autorité locale attribuée au préfet de zone. Confirmer la DCPAF comme animateur et coordonnateur en matière de lutte contre l’immigration irrégulière et d’éloignement, permettrait de mieux professionnaliser, prioriser et coordonner les objectifs et les moyens et, ainsi, d’améliorer les résultats en matière de lutte contre l’immigration clandestine, de lutte contre les filières et d’éloignement. Ce renforcement 117 du pilotage consisterait pour la DCPAF à élaborer la doctrine de la lutte contre l’immigration irrégulière afin d’améliorer notamment l’articulation entre les différents services et la professionnalisation des acteurs ; centraliser le renseignement sur le sujet, l’analyser et le partager ; dans le respect des compétences et des organisations de chaque force, orienter l’action des services, veiller et rendre compte de la mise en œuvre opérationnelle par les forces impliquées dans la lutte contre l’immigration clandestine des directives ministérielles ; proposer des stratégies d’action nationales qui pourraient ensuite être déclinées dans les zones sous l’autorité des préfets de zone, appuyés par les directeurs zonaux de la PAF (création d’un étatmajor zonal). À noter que les réorganisations très récentes des échelons centraux et zonaux de la DCPAF constituent un socle rénové qui permettrait de pleinement mettre en œuvre cette nouvelle stratégie d’action. Recentré sur un rôle stratégique et d’animation, l’échelon central de la DCPAF est désormais en capacité d’en assurer le pilotage. En effet, la DCPAF a acquis, au fil des ans, une expertise et une expérience reconnues, qui reposent notamment sur un modèle intégré de gestion de la lutte contre l’immigration irrégulière, englobant les approches administratives et judiciaires. Ce dispositif débute très en amont de notre territoire par un système de prévention des départs et la coopération avec les pays d’immigration et de transit, se poursuit par le contrôle aux frontières et l’action menée sur le territoire, allant de la mise en œuvre de l’éloignement au démantèlement de filières et à l’interpellation de trafiquants de migrants. Proposition : Conforter le rôle de la DCPAF en matière de lutte contre l’immigration irrégulière et de protection des frontières : –  réaffirmer la DCPAF comme l’interlocuteur incontesté et privilégié au niveau européen et international dans les domaines qui sont les siens –  coordonner la lutte contre l’immigration irrégulière, en lui confiant la charge de dresser l’état de la menace et des risques, de définir la doctrine, de proposer des priorités et des stratégies d’actions –  piloter et surtout assurer l’articulation entre les différents services –  compte tenu des spécificités liées à l’Île-de-France, créer une DZPAF, rattachée à la DCPAF afin d’améliorer le dispositif de lutte contre l’immigration clandestine 2.4. Mieux répondre aux crises contemporaines Le pilotage de la réaction publique à un événement et la gestion de crise sont au cœur des missions historiques du ministère de l’Intérieur, qui par ses préfets et ses réseaux, y compris à l’étranger, est le ministère par excellence de l’interservices et de l’interministérialité. En effet, en responsable de la sécurité (sécurités civile, publique, nationale), le ministère s’est progressivement forgé une compétence plus large du fait 118 Livre blanc de la sécurité intérieure de l’interconnexion des crises et de sa capacité, par le réseau préfectoral, à porter une réponse interministérielle. Fort des enseignements tirés de la gestion des crises survenues ces dernières années et quasi permanentes désormais, dans le domaine du terrorisme, des troubles à l’ordre public, des catastrophes naturelles ou de la santé, mais également du développement de nouveaux processus pour la gestion de crises intermédiaires, le ministère s’est employé à évoluer pour gagner en efficacité. A cet égard, la récente crise, hors normes, de la COVID-19 a montré sa résilience et l’engagement des différentes forces et notamment de la sécurité civile. Depuis 2010, le ministère de l’Intérieur accueille sur le site de Beauvau le « centre de crise Beauvau », activé pour faire face aux événements relevant de son champ de compétences. Ce même « centre de crise Beauvau » accueille, sur décision du Premier ministre, la cellule interministérielle de crise (CIC), lorsque les événements affectent plusieurs dimensions de la société et nécessitent une réponse publique interministérielle coordonnée. Dès 2017, tirant les enseignements des crises terroristes de grande ampleur de 2015 et 2016, le ministère de l’Intérieur organise son Centre de Veille (CdV), organe ministériel interservices permanent qui assure en continu le suivi des événements de bas de spectre et la structuration de la remontée d’informations. Le Livre blanc postule que le ministère de l’Intérieur doit demeurer, pour le bénéfice de l’action publique, l’acteur de référence de la gestion de crise. Il doit encore renforcer son rôle en la matière. Le réseau préfectoral assure la permanence de l’État la déclinaison territoriale et interministérielle de la réponse à la crise. Par la présence sur le territoire de ses effectifs de police, de gendarmerie et de sécurité civile, en lien avec les collectivités territoriales, il dispose de capacités de premier ordre. Outre les moyens humains et matériels du quotidien, le ministère coordonne et sait déployer au plus près de la crise tant des capacités rares que les moyens centraux ou nationaux qui devraient lui permettre de remplir son rôle y compris lors de situations très dégradées(25). A cet égard, il est indispensable que la résilience du Ministère, la complémentarité des structures, notamment dans le back-office, la fonction d’anticipation, l’interopérabilité des forces et le soutien intégré et robuste en matière de logistique opérationnelle, entre autres, soient posés comme des principes forts de la continuité des missions et de la gestion de crise. Les bilans des dernières crises et notamment celle de la COVID-19, sans préjuger du résultat des différents retours d’expérience qu’il conviendra de rendre systématiques, ni des mesures que l’Etat prendra, appellent cependant à des évolutions, tant au niveau central qu’au niveau déconcentré. Au niveau central, veiller à la coordination entre les états-majors opérationnels et le centre de veille du ministère Le suivi d’événement et la gestion de crise par le ministère de l’Intérieur reposent en premier lieu sur les compétences du préfet et sur la mobilisation des capacités, y compris de commandement, des directions générales. Celles-ci, compte tenu des moyens humains et matériels qu’elles déploient, 25 f. partie 2.5 « réaffirmer la résilience du ministère », livret V. 119 de leur connaissance des terrains et des phénomènes et de leur expertise, sont indispensables dans la réponse aux crises. La DGSCGC, la DGGN et la DGPN par le biais de leurs états-majors respectifs et de leurs différentes unités de coordination et de planification (notamment le CPGC de la DGGN et l’UCGE de la DGPN) sont donc appelées à continuer à tenir ce rôle central dans la planification et la conduite de la gestion de crise, dans une logique de directions menantes et concourantes et d’interopérabilité des forces, dans le cadre d’une relation renforcée avec le centre de veille du ministère pour assurer la structuration de la remontée d’informations auprès du ministre de l’Intérieur. Par ailleurs, la nature des différentes crises implique un renforcement de l’interministérialité. En effet, aujourd’hui, les crises peuvent concerner plusieurs départements ministériels : ministère de la Transition Écologique et Solidaire, ministère des Solidarités et de la Santé, ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, etc. Enfin, l’évolution des techniques et moyens de communication et en particulier des réseaux sociaux nécessite une meilleure prise en compte de la problématique de la communication dans la gestion de crise(26). Au niveau déconcentré, renforcer le rôle du préfet de département L’expérience des crises récentes, qu’elles soient terroristes, systémiques ou sanitaires, conduit, d’une part, à un renforcement du rôle du préfet en tant que « directeur des opérations ». Elle consacre, d’autre part, le département comme échelon privilégié de la gestion de crise et du pilotage des politiques de sécurité. En effet, la gestion de crise bénéficie de l’expertise et de la connaissance de l’écosystème local développées par les préfets, les directeurs départementaux relevant de la police nationale, les commandants de groupement de gendarmerie et les directeurs des services départementaux d’incendie et de secours. Disposant de l’expertise opérationnelle des forces de sécurité intérieure et des services d’incendie et de secours, le préfet de département apporte, dans le processus de décision, les éléments fondés sur une analyse territorialisée et globale (sociale, économique, enjeux de politiques publiques) et sur son expérience de la gestion des crises. Cela lui permet de décliner les directives des autorités ministérielles, en prenant en compte les réalités locales pour leur bonne mise en œuvre, en mobilisant les partenariats locaux de sécurité avec les élus et les forces vives de la Nation. Alors que les enjeux de sécurité ont bien souvent des causes et recouvrent des dimensions touchant d’autres politiques publiques, le préfet de département, en tant que représentant de chacun des membres du Gouvernement, est l’acteur pertinent pour mobiliser l’ensemble des leviers qui concourent à la paix publique, à l’ordre républicain (politique de la ville dans les quartiers sensibles, politique de cohésion des territoires en zone périurbaine et rurale, mobilisation des dispositifs économiques et sociaux en cas de conflit social) et à la gestion des crises. Il le fait en lien avec les sous-préfets d’arrondissement – dont le rôle a été crucial pour les gestions de crise des « gilets jaunes » et de l’épidémie de la COVID-19 –, les élus, les partenaires associatifs et dans son rôle réaffirmé de chef des services de l’État dans le département. 26 Cf. partie 137. « renforcer et améliorer l’alerte aux populations en période de crise », livret II. 120 Livre blanc de la sécurité intérieure Le préfet doit être en mesure d’analyser les risques capacitaires des acteurs publics ou privés afin d’améliorer la réponse aux crises. A cette fin, l’état-major de gestion de crise que constitue le Centre Opérationnel Départemental (COD), doit être formé de professionnels spécialisés et de représentants de chacun des services concourants (sapeurs-pompiers, policiers, gendarmes, ARS, DREAL, …) afin d’éclairer le préfet dans la gestion de la crise. Adapter les prérogatives du préfet délégué de zone de défense à la dimension des crises extra-départementales et intra-zonales L’échelon zonal est dorénavant reconnu comme levier adapté pour faire face aux crises dont le champ excède le département. Le Livre blanc en prend acte et propose de tendre vers un renforcement des capacités de gestion de crise de cet échelon territorial, sans préjudice des compétences des acteurs départementaux selon une logique de subsidiarité privilégiant la déconcentration de proximité. Il convient d’abord d’adapter la gouvernance des états-majors interministériels de zone de défense et de sécurité (EMIZ) et de les renforcer pour faire face à la cinétique et aux enjeux des crises. Les enseignements récents relevant le caractère hybride de crises qui impliquent à la fois les services de secours et les forces de sécurité, il apparaît nécessaire de s’attacher à restaurer le caractère mixte permanent (sécurité civile, police, gendarmerie) et interministériel de ces états-majors. Cela leur permettrait d’anticiper, de planifier et de conduire des crises de niveau zonal en disposant de l’ensemble des compétences requises et en y affectant des personnels formés et reconnus sur leurs compétences en matière de gestion de crise. Enfin, la multiplication des crises de longue durée et de faible intensité a mis en exergue le besoin pour les forces de sécurité de disposer en interne de nouvelles capacités de suivi d’événement et de gestion de crises au niveau zonal en appui et en complément des EMIZ, afin de contribuer à renforcer la réactivité et la résilience de l’État localement. C’est à cette fin que, par exemple, la gendarmerie crée pour ses besoins propres des centres zonaux de planification et de gestion de crise. Dans le cadre d’une crise régionale, ces centres seront en capacités de planifier et de conduire les opérations ; en cas de crise d’ampleur nationale, ils deviendront naturellement, en synergie avec les EMIZ, le relai des échelons centraux. Ces structures doivent contribuer à la cohérence entre tous les acteurs de la chaîne de gestion de crises dès la planification puis aux niveaux stratégique, opérationnel et tactique. Impliquer davantage les collectivités territoriales La généralisation des plans communaux de sauvegarde et leur élargissement aux EPCI doit être envisagé à l’horizon du Livre blanc. De même les Services Départementaux d’Incendie et de Secours (SDIS), administrés par les exécutifs départementaux, doivent faire l’objet d’une attention particulière compte tenu de leur importance dans la gestion des crises, au plus près des populations. A cet égard, il convient de généraliser les Schémas Départementaux d’Analyse et de Couverture des Risques (SDACR), documents opérationnels des Services d’Incendie et de Secours et mieux les articuler avec les outils à la disposition du préfet. 121 Mieux former à la gestion de crise En matière de suivi d’événement et de gestion des crises, l’humain constitue un point d’attention majeur. La complexité des situations de crise appelant à un haut degré de compétences et une vraie professionnalisation des acteurs, la recherche d’une efficacité poussée à son point le plus élevé de l’exigence doit rester une priorité, à tous les niveaux territoriaux du dispositif de gestion de crise. Ainsi, une attention particulière sera portée à la formation continue des préfets et des sous-préfets au titre de leurs attributions de directeurs des opérations de secours et de pilotes de la gestion de crise au niveau local. De plus, les crises imposent, par leur caractère polymorphe et interministériel, de disposer d’autorités et de chefs, aux échelons centraux et territoriaux, qui partagent une culture interservices, un socle commun de connaissances et une méthodologie rigoureuse de conduite de l’action face à la crise. Aussi, un effort doit ainsi être porté sur l’acquisition d’une culture professionnelle partagée par les hommes et les femmes placés à des postes de responsabilité, afin de leur donner un niveau élevé de performance, de réactivité et de technicité dans le traitement d’une crise majeure. Des thématiques nouvelles devront y être abordées (dimension cyber des crises ou suivi des médias sociaux par exemple). À cet effet, un service à compétence nationale est créé : l’Institut des Hautes Etudes du Ministère de l’Intérieur, issu de la fusion entre le Centre des Hautes Etudes du Ministère de l’Intérieur (CHEMI) et l’Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure et de la Justice (INHESJ), à compter du 1er janvier 2021. Le ministère pourra s’appuyer sur la mise en commun des expertises de l’INHESJ et du CHEMI et sur le plateau de formation à la gestion de crises, installé dans l’enceinte de l’Ecole militaire. L’institut dispensera ainsi des formations aux risques et à la gestion des crises, aux politiques interministérielles et interprofessionnelles de sécurité et à l’intelligence et à la sécurité économiques en incluant la dimension cyber. Ses formations devront être complémentaires et construites en lien étroit avec les écoles de formation du ministère, essentielles à la logique d’apprentissage et des perfectionnements des acteurs de la sécurité intérieure (ENSP, EOGN, ENSOSP, etc.). Placé auprès du secrétaire général, l’IHEMI développera également des actions d’innovation et de recherche sur les politiques publiques interministérielles et participera du renforcement de la réflexion stratégique et de la prospective ministérielles, en lien avec les démarches d’anticipation opérationnelle développées par les directions du ministère. Rénover les outils de la gestion de crise et rechercher l’interopérabilité voire la convergence des systèmes d’information La capacité des centres d’appels d’urgence à répondre efficacement aux sollicitations des citoyens en situation de détresse sera revue. La France doit être en mesure de proposer aux usagers du service public de secours et de sécurité un système plus simple et plus lisible au travers du numéro unique 112 à l’instar de la plupart de ses voisins européens ; c’est un tel système qu’ils ont appelé de leurs vœux, de manière quasi-unanime, aussi bien lors des assises territoriales organisées dans tous les départements que pendant la conférence de citoyens en janvier 2020. L’association des départements de France, particulièrement concernée du fait de la gouvernance des pompiers, plaide également en faveur du 112, « réponse évidente car elle 122 Livre blanc de la sécurité intérieure garantit la bonne coordination des acteurs du secours ». Une nouvelle organisation doit être expérimentée offrant accessibilité, efficacité et pertinence dans la prise en charge des demandes. La refondation des plateformes d’urgence doit s’accompagner de la mise en place d’outils technologiques permettant notamment une meilleure coordination entre l’ensemble des acteurs qui peuvent concourir à la réponse opérationnelle voire à la résolution de la crise. A cet effet, un programme interministériel a été lancé conjointement par les ministres de l’Intérieur et de la Solidarité et de la Santé et doit conduire à un modèle de plate-forme à deux niveaux garantissant une meilleure réponse aux appelants et une coordination renforcée des forces de sécurité et de secours. Enfin, les crises récentes ont confirmé la nécessité d’une modernisation du dispositif d’alerte et d’information des citoyens permettant de toucher efficacement en tout point du territoire la population lors d’une crise, sans avoir à mobiliser des moyens lourds insupportables pour les finances publiques. Il s’agit en effet d’avoir la capacité d’apporter de l’information et/ou alerte à tous les stades de la crise, de la vigilance à la post-urgence, avec résilience et donc redondance si besoin. Il est donc nécessaire d’orienter les efforts de l’État vers une capacité à transmettre un message mobilisateur, immédiatement compréhensible et recevable par une majorité de personnes sur une zone ciblée en multipliant les moyens et les vecteurs mis en œuvre (sirènes, téléphonie mobile, réseaux sociaux, web, etc.). L’alerte des populations doit aujourd’hui être envisagée sous un angle « multicanal » : le téléphone portable, les médias viennent s’ajouter aux vecteurs plus traditionnels que sont notamment les sirènes. Les enjeux d’interopérabilité voire de convergence des systèmes d’information devront être posés en interservices. En matière d’organisation, le ministère gagnerait à se doter d’un service cartographique ministériel après en avoir arrêté le périmètre et les contours en interservices. Propositions: – Veiller à la coordination entre les états-majors opérationnels et le centre de veille du ministère. –R enforcer le rôle du préfet de département dans la gestion de crise. – Adapter le niveau zonal à la dimension de crises extra-départementales. – Systématiser un parcours commun de formation des cadres dédié à la gestion des crises. – Mettre en place une plateforme de « débruitement »(27) commune forces de sécurité/services de secours pour optimiser les appels d’urgence (numéro unique d’appel, 112). – Moderniser le dispositif d’alerte et d’information des citoyens permettant de toucher efficacement en tout point du territoire la population lors d’une crise. 27 Plateforme de tri des appels reçus dans le cadre de la mise en place du numéro unique afin de dispatcher l’appel vers le service adéquat. 123 2.5. Alléger les missions périphériques des forces de sécurité intérieure Des missions « périphériques » identifiées depuis longtemps Alors que leurs missions sont rendues de plus en plus complexes du fait de l’imbrication de menaces et de risques protéiformes comme de la multiplicité des acteurs évoluant dans un environnement devenu international, les forces de sécurité intérieure appellent, depuis plusieurs années déjà, à recentrer leurs missions sur leur cœur de métier au service des citoyens. Les policiers et les gendarmes demeurent engagés dans des missions, qui traditionnellement restent incluses dans la sphère élargie de la sécurité, sans relever du métier de la police ou de la gendarmerie. Attribuées de longue date pour des motifs historiques ou par défaut d’autres structures en capacité d’assumer ces missions, la pertinence de leur exercice aujourd’hui par les forces de sécurité intérieure doit être appréciée au regard de la menace sur la sécurité intérieure et des attentes de la population illustrées notamment au travers des trois dimensions majeures du pacte de protection développées précédemment. Ces « missions périphériques », non prioritaires au sens des forces de sécurité intérieure, déstabilisent l’organisation des services, et restent par ailleurs coûteuses et démotivantes. En effet, les jeunes policiers et militaires de tous grades, notamment, qui se destinent à un métier au service de la sécurité de leurs concitoyens y voient une perte du sens de leur vocation. Ces derniers affirment être détournés de leurs missions opérationnelles qui devraient demeurer prioritaires, et confirment que la formation qu’ils ont reçue durant leur scolarité ne les prépare pas à ces missions, qui, pour un bon nombre d’entre elles, et à moindre coût, pourraient être transférées ou totalement assumées par d’autres administrations ou par des sociétés privées de sécurité. Le volume des missions périphériques est encore évalué à 8,7 % de l’activité totale de la police nationale en 2018 contre 9 % en 2017. La situation paraît plus favorable dans la gendarmerie (3,2 en 2018, contre 4 % en 2017)(28). L’écart entre 2017 et 2018 s’explique par la réduction, conjoncturelle, du temps consacré à l’établissement des procurations électorales (- 98, 3 %) en 2018. Certes, des avancées significatives ont été obtenues, ces dernières années, notamment par l’engagement de la DGPN dans un plan interne de simplification, conforté par un « plan pour la sécurité publique » annoncé par le ministre de l’Intérieur le 19 octobre 2016. Toutefois, la baisse des effectifs au sein des forces de sécurité intérieure jusqu’en 2012 et l’instauration de la police de sécurité du quotidien ont rendu plus visible la charge que représentent ces missions périphériques qui les détournent de la disponibilité attendue par leurs concitoyens. La modernisation de l’action publique de sécurité, de même que le développement de nouveaux outils grâce au numérique, mais également la consolidation du continuum de sécurité, autorisent l’ambition de 28 Rapports annuels de performance annexé au projet de loi de règlement pour 2018, missions : sécurités, cités par les députés Jean-Michel FAUVERGUE et Christophe NAEGELEN dans leur rapport sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu’il s’agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale- juillet 2019. 124 Livre blanc de la sécurité intérieure supprimer ou de transférer l’intégralité de ces missions dans les cinq prochaines années. La charge du transfert des missions L’examen précis par missions dites « périphériques » doit permettre avec méthode et expertise de faire apparaître trois grands types de missions nécessitant des évolutions : les missions qui doivent être abandonnées par les forces de l’ordre, celles qui peuvent être transférées au sein de l’Etat, à une autre administration, mais qui auront pour effet d’entraîner un transfert d’ETP du ministère de l’Intérieur vers le ministère concerné, et celles susceptibles d’être confiées, après étude, aux autres acteurs de la sécurité, comme les polices municipales et le secteur privé, mais dont le coût restera à la charge de l’Etat. Cette solution connaît toutefois un écueil puisqu’une réponse via les polices municipales ne peut être généralisée du fait de l’absence de couverture territoriale homogène des polices municipales : si ces dernières sont bien présentes dans la plupart des villes et des zones urbaines, la couverture des communes rurales est plus limitée avec 4 000 communes disposant d’une police municipale et à peine plus de mille qui disposent de plus de 5 agents. De même, les offres de service de la sécurité privée qui relèvent d’une fonction marchande, impliquent effectivement de trouver les financements opération par opération, notamment en ce qui concerne la surveillance humaine. Les évolutions envisagées devront éviter de faire payer deux ou trois fois (impôt national, impôts locaux, coût inclus dans une prestation marchande) le contribuable pour un service auparavant forfaitisé et couvert par l’impôt national. Dans ces conditions, l’alternative ne peut pas se résumer à un transfert pur et simple. Certaines évolutions pourront certainement localement modifier l’exercice des compétences par les forces de l’ordre et cela au travers des conventions de coordination qui, pour être acceptées par les élus, devront être discutées au cas par cas et qui impliqueront des contreparties sous forme d’offre de service par la police ou la gendarmerie. Enfin, des travaux sont d’ores et déjà en cours pour mener à bien un certain nombre de transferts, mais ils se heurtent souvent à un manque de volonté d’aboutir au détriment des attentes fortes des forces de l’ordre. Proposition: Transférer les missions périphériques en cinq ans en préparant les opérations par des missions d’inspections, internes au ministère ou interministérielles, afin de dresser un état des lieux objectif, d’obtenir des décisions partagées, et d’établir un calendrier Optimiser l’exercice de ces missions Les deux principales concernent, d’une part, les transferts et diverses gardes et, d’autre part, les missions parajudiciaires. Les évolutions envisageables dans l’exercice de ces missions doivent suivre plusieurs principes directeurs : effectivité de la mission, qualité dans la conduite, cohérence de l’action 125 publique, optimisation des moyens publics sur les missions essentielles de l’État. Les missions d’extraction, d’escorte et de garde La prise en charge complète des extractions judiciaires (extractions des personnes détenues, déjà sous écrou, pour être présentées à un juge) par le ministère de la Justice a été acté en 2010. Dans le respect d’un nouvel arbitrage interministériel datant de février 2017, le processus de reprise de la mission par le ministère de la Justice doit être mené à son terme. Les gardes de détenus dans les hôpitaux incombent dans certains cas aux forces de sécurité intérieure. En principe, les escortes de détenus hospitalisés dans un établissement de santé de proximité, dans une unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) ou dans une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) sont prises en compte par l’administration pénitentiaire conformément à la circulaire interministérielle du 8 avril 1963. Pour les gardes statiques, si la durée d’hospitalisation est inférieure à 48h, la garde est à la charge de la police. Si la durée d’hospitalisation est supérieure à 48h, le détenu doit être placé dans une unité spécialisée (UHSI ou UHSA), gardée par l’administration pénitentiaire. Mais, les gardes assurées par les forces de l’ordre peuvent durer beaucoup plus longtemps, ce qui entraîne souvent une désorganisation des services de sécurité publique. En effet, les UHSI n’ont pas toujours de places disponibles ou ne possèdent pas le plateau technique nécessaire au traitement de la pathologie du détenu. Policiers et gendarmes sont favorables à une reprise par l’administration pénitentiaire de la mission de garde de la totalité des détenus hospitalisés (hors UHSI et UHSA, pour lesquelles le partage des missions entre forces de l’ordre et administration pénitentiaire a déjà été réalisé). Cette évolution nécessitera des échanges avec le ministère de la Justice. Toutefois, les travaux du Livre blanc ont souligné l’intérêt que représenterait la création de services internes de sécurité aux établissements de soins, établissements publics, fondations, associations, en supprimant la limitation aux entreprises inscrites au SIRET. Dans le cas précis, il pourrait être envisagé de confier à la sécurité privée des fonctions de surveillance et de veille pour des personnes ne présentant pas de risque (selon classement des détenus par l’administration pénitentiaire), et sous réserve d’apporter des garanties quant à l’exercice du monopole de la force publique. L’escorte des détenus aux fins d’examens en milieu hospitalier sont programmés par l’administration pénitentiaire. La direction centrale de la sécurité publique en réalise une partie, bien qu’il s’agisse d’individus placés sous écrou et relevant en principe du ministère de la Justice (critère du placement sous écrou retenu par décision interministérielle de septembre 2010) conformément à la circulaire interministérielle du 8 avril 1963. Une évolution vers la sécurité privée est de nouveau envisageable, par exemple pour les véhicules et les conducteurs, voire les accompagnants peuvent relever de la sécurité privée. L’escorte des retenus pour la présentation aux autorités consulaires, aux juridictions administratives et judiciaires pour la mise en œuvre de leur éloignement est réalisée par les forces de sécurité intérieure. Dans le cadre de la lutte contre l’immigration irrégulière, la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) consacre autour de 100 ETP à cette mission. Afin 126 Livre blanc de la sécurité intérieure d’exécuter les mesures d’éloignement dont font l’objet, sur le territoire national, les étrangers en situation irrégulière démunis de passeport valide, ces derniers, lorsqu’ils sont retenus en centre de rétention administrative, sont présentés, sous escorte policière, aux autorités consulaires du pays de destination pour l’obtention d’un laissez-passer consulaire, indispensable à l’éloignement. Lorsqu’il s’agit d’étrangers sortant de prison, leur éloignement doit être organisé dès la sortie de l’établissement pénitentiaire vers le moyen de transport qui le réacheminera vers son pays d’origine. Pour ce faire, l’extraction est potentiellement nécessaire avec des intervenants multiples pour aboutir à la mise en œuvre opérationnelle de l’éloignement : sécurité publique, police aux frontières, gendarmerie, parquet, juge d’application des peines, y compris les autorités consulaires. Pour alléger cette mission, l’usage de la visioconférence doit être encouragé et développé. La DCPAF propose également de modifier les textes (art. L.552-12 et L.512-1 du CESEDA) afin de supprimer la possibilité pour le retenu de refuser la visioconférence. Comme pour les escortes et gardes de détenus en milieu hospitalier, cette mission pourrait être confiée à des prestataires privés, de nouveau en veillant aux garanties nécessaires pour l’usage de la contrainte. La garde des bâtiments préfectoraux doit avoir cessé fin octobre 2017, dans le cadre du « plan pour la sécurité publique ». A ce jour, encore 18 préfectures (hors DOM-COM et Corse) bénéficient toujours d’une présence policière. Les missions parajudiciaires La gestion des procurations électorales incombe aux juges d’instance et par délégation pour ce qui concerne les forces de sécurité intérieure aux OPJ et APJ selon le code électoral. Les tribunaux d’instance ne reçoivent pas les procurations à toute heure contrairement aux commissariats et brigades. Un projet de dématérialisation totale du processus de procuration électorale, porté par le Secrétariat général du ministère, devrait permettre de mettre un terme à cette tâche et aux nombreuses heures passées par les forces de l’ordre pour accueillir nos concitoyens souhaitant exercer leur devoir. Grâce à une disposition introduite par la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, il sera possible, à compter du 1er janvier 2022 de confier sa procuration à un mandataire inscrit dans une autre commune. Cette évolution aura pour corollaire la gestion des procurations dans le répertoire électoral unique (REU) dont les fonctionnalités intègreront d’une part, la possibilité d’indiquer pour chaque électeur s’il est mandant ou mandataire, contrôle qui actuellement échoit au maire. Cette reconfiguration substantielle du REU, par les garanties de sécurité qu’elle apporte, ouvre la possibilité de repenser le processus d’établissement des procurations notamment en permettant techniquement, via une procédure dématérialisée au mandant d’adresser sa demande de procuration, assortie d’un document d’identité directement au maire de sa commune. La prise en charge des ivresses publiques et manifestes (IPM) fait l’objet de discussions avec les réseaux de médecine de proximité pour réformer la prise en charge médicale de ces personnes. L’objectif est de permettre l’examen médical et la délivrance du certificat de non-admission de ces personnes dans les locaux de police et non plus dans les hôpitaux, afin 127 d’éviter aux forces de l’ordre des temps de transport coûteux en temps et en effectifs. Cette charge représente par exemple pour la DCSP encore 63 ETP au premier semestre 2019. La mise en œuvre de cette mesure du « plan pour la sécurité publique » se heurte cependant à des difficultés qui tiennent à la disparité des conditions tarifaires locales et à la désertification médicale de certains territoires. La police nationale a donc entrepris une démarche avec la direction générale de la santé pour évaluer l’intérêt d’une unification des tarifs. Malgré ces difficultés, 46 conventions ont été signées par les DDSP avec les ordres et associations de médecins. Les travaux du Livre blanc ont également permis de démontrer l’intérêt d’élargir la compétence des polices municipales en leur confiant le traitement de l’ensemble d’une procédure d’IPM (comme pour la conduite en état d’ivresse), de la constatation, à la présentation devant un médecin et la remise aux forces de l’ordre pour le traitement du dégrisement. Il n’est en revanche pas envisagé d’autoriser les polices municipales à ouvrir des cellules de dégrisement. La médecine légale de proximité pourrait également être allégée. Le principe de l’examen des gardés à vue dans les locaux de police est rarement respecté, obligeant les policiers à conduire la personne concernée à l’hôpital afin de s’y faire délivrer le certificat médical relatif à la compatibilité de la mesure de garde à vue avec son état de santé. Depuis 2015, des conventions devaient être signées dans chaque département par les directeurs départementaux de la sécurité publique, les commandants de groupement de gendarmerie et les agences régionales de la santé, sous l’autorité des procureurs de la République. Cette décision n’a toujours pas été mise en œuvre. Cette charge représente par exemple pour la DCSP encore 94 ETP pour le premier semestre 2019. La mise en place effective de ce dispositif constituerait une avancée majeure compte tenu des heures de mobilisation des patrouilles impliquées encore aujourd’hui. En complément, en zone police comme en zone gendarmerie, la carence récurrente des médecins pour délivrer le certificat de décès est régulièrement constatée, il est proposé d’inclure dans ces accords l’intervention des médecins au domicile des personnes décédées. L’assistance aux opérations funéraires (en zone de régime de police d’État perdure. En application de la loi du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, certaines opérations mortuaires ne nécessitent plus la présence de policiers. D’autres cependant, dans les seules villes placées sous le régime de la police d’État requièrent encore la présence de policiers. Le régime applicable en zone gendarmerie et en zone police mériterait donc d’être unifié afin que les policiers encore engagés sur cette mission en soient déchargés. Cette charge représente par exemple pour la DCSP encore 41 ETP au premier semestre 2019. Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le décret n°2020-352 du 27 mars 2020 prévoit la possibilité pour les opérateurs funéraires de procéder à la fermeture du cercueil, y compris dans les communes dotées d’un régime de police d’État en l’absence d’un fonctionnaire de la police nationale en cas de transport de corps hors de la commune de décès ou de dépôt, lorsqu’aucun membre de la famille n’est présent. Cette dérogation, qui demeure temporaire, n’a pas été étendue aux crémations. 128 Livre blanc de la sécurité intérieure À l’issue de l’état d’urgence, il conviendrait de demander la suppression complète de cette disposition et ainsi d’uniformiser le régime applicable en zone police et en zone gendarmerie ; cette évolution exigera une modification législative (article L. 2213-14 du code général des collectivités territoriales). L’enregistrement de pertes de documents administratifs relève de la compétence des services de police lorsqu’il n’y a pas de demande de renouvellement, et de la compétence des mairies en cas de demande de renouvellement. Cette distinction pourrait être supprimée et l’ensemble de la mission confiée aux mairies. Les délégations judiciaires à la suite d’enquêtes d’autres administrations (Inspection du travail, DREAL...) ou autorités indépendantes (HADOPI) requièrent une technicité très particulière (urbanisme, environnement, droit la consommation, du travail…). La plus-value des forces de l’ordre est limitée puisqu’elle consiste à réaliser des auditions qui viennent compléter la procédure initiale. Un travail commun avec le ministère de la Justice permettrait de réfléchir à une simplification de la procédure pénale pour éviter de demander aux policiers et aux gendarmes de reprendre une enquête initiée par une autorité spécialisée. Le transport des scellés illicites ou dangereux (armes, stupéfiants) doit faire l’objet d’un désengagement des forces de l’ordre. Un protocole signé le 6 janvier 2011 entre les ministères de l’Intérieur et de la Justice visait à décharger les forces de l’ordre des missions d’escorte de scellés sensibles. Ce protocole ne pouvait cependant pas être mis en œuvre en raison de l’impossibilité légale de confier cette mission à des prestataires privés. La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a modifié le code de la sécurité intérieure et permis d’étendre les prestations de transports sécurisés à « tout bien, objet ou valeur ». Estimant cependant la réglementation applicable aux sociétés de transports sécurisés inadaptée aux besoins comme aux difficultés opérationnelles rencontrées par le ministère de la Justice pour leur confier cette mission, le ministère de la Justice a sollicité le 16 juin 2017 le ministère de l’Intérieur afin que la police et la gendarmerie nationales poursuivent les transports sous escorte, jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée (modification de la réglementation applicable aux transporteurs de fonds dans le code de la sécurité intérieure ou prise en compte de cette mission par l’administration pénitentiaire). Le Livre blanc formule, à cet égard, des propositions pour permettre aux sociétés de sécurité privées d’atteindre et de présenter des niveaux de qualification et des garanties adéquates vis-à-vis des exigences de ces missions. Les déclarations à destination d’organismes tiers (assurances) doivent être simplifiées. De nombreuses plaintes sont prises dans les commissariats ou les brigades pour le compte de victimes mais à la demande d’organismes tiers (sociétés d’assurance, de téléphonie mobile, …). Il s’agit de plaintes ne nécessitant pas d’investigation, pas d’enquête, ni de police technique et scientifique. Les infractions concernées sont les vols simples (téléphone portable dans la poche sans aucun élément par exemple) ou des dégradations légères (de véhicules). Il pourrait être envisagé une simple déclaration sur l’honneur directement à l’organisme demandeur. Cette solution radicale a l’inconvénient d’échapper complètement aux forces de l’ordre et ne laisserait aucune 129 trace dans les fichiers et donc dans les statistiques de la délinquance. Une autre hypothèse pourrait être de faire cette déclaration sur l’honneur sur un site du ministère de l’Intérieur. Elle générerait un accusé de réception automatique qui pourrait être produit par la victime à son assurance (gain de temps, enregistrement dans les statistiques sans intervention de personnels de l’Intérieur). En cas d’impossibilité à se connecter au site ministériel, une borne automatique dans les commissariats et les brigades pourrait permettre de compléter sa déclaration sur l’honneur. Enfin, s’agissant des mesures de police prises par les maires, les échanges menés dans le cadre de la réflexion sur le continuum de sécurité ont permis d’envisager favorablement la création d’une fonction d’officier municipal de police judiciaire disposant d’une compétence d’attribution permettant de mener des opérations simples relevant de l’autorité judiciaire : transfert direct des procédures établies par les polices municipales au parquet sans passer par un officier de police judiciaire de l’État, gestion des procédures de conduite en état d’ivresse ou sous-stupéfiant, gestion des ivresses publiques et manifestes, mise en œuvre des amendes forfaitaires dans le domaine délictuel sous le contrôle des parquets, consultation des fichiers ouverts aux polices municipales sans passage par les services de police ou de gendarmerie. Ces évolutions constituent autant de missions susceptibles d’alléger la charge des forces de sécurité intérieure en développant l’action des polices municipales. Les missions de secours sur les plages : le code général des collectivités territoriales dispose que, dans les communes riveraines de la mer, la police municipale - dont est chargé le maire - s’exerce sur le rivage de la mer jusqu’à la limite des eaux. Ce même code prévoit que c’est le maire qui exerce la police des baignades et des activités nautiques. Si des nageurssauveteurs des compagnies républicaines de sécurité (CRS) participent, historiquement, à ce dispositif, il ne s’agit pas d’une mission propre des CRS, puisque la police des baignades ne relève ni des missions régaliennes de l’État ni de ses obligations légales. Par ailleurs, ce dispositif soulève aussi des questions juridiques et budgétaires que la Cour des comptes a déjà relevées dans ses rapports de 2012 et 2017. Le nombre de nageurs-sauveteurs CRS participant à la surveillance des plages et au secours aux personnes en difficulté dans le cadre des activités de baignade a donc progressivement été réduit à partir de 2008. En 2019, 295 nageurs-sauveteurs des CRS ont encore été mobilisés sur les plages de 61 communes dont la majorité sont situées en zone gendarmerie. Le prélèvement des policiers nageurs-sauveteurs au sein de chaque compagnie républicaine de sécurité conduit chaque année à la réduction du format des unités disponibles, de mai à septembre : l’équivalent de quatre unités de force mobile est ainsi consacré pendant cinq mois à l’accomplissement de cette mission, au préjudice d’autres besoins prioritaires (sécurité des grands rassemblements, sécurisation des espaces urbains et touristiques, voyages officiels, opérations de maintien de l’ordre). En outre, les CRS ne comblent pas un vide : tout titulaire d’un brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique (BNSSA) peut assurer cette mission ; dans les faits, elle est principalement dévolue à des sauveteurs civils recrutés sous contrat par les communes. Toutefois, les difficultés rencontrées pour recruter les ressources nécessaires en quantité et surtout en qualité nécessitent qu’un préavis adapté puisse être laissé aux communes concernées pour leur permettre d’anticiper suffisamment toute décision de retrait. 130 Livre blanc de la sécurité intérieure Tableau récapitulatif des mesures envisagées pour alléger les missions périphériques Mission périphérique Proposition d’action Extractions judiciaires Gardes de hôpitaux Transférer au ministère de la Justice détenus dans les Transférer au ministère de la Justice Avoir recours à des prestataires privés Faire usage de la visioconférence et avoir recours à des prestataires privés Escorte des détenus Escorte des retenus Garde des bâtiments préfectoraux Mettre fin à la mission Gestion des procurations Dématérialiser la procédure Prise en charge des publiques et manifestes ivresses Mobiliser la police municipale Médecine légale de proximité Signer des conventions locales Assistance funéraires Mettre fin à la mission aux opérations Enregistrement des pertes documents administratifs de Transférer aux mairies Délégations judiciaires Simplifier la procédure Transport des scellés illicites ou dangereux Avoir recours à des prestataires privés Déclarations à d’organismes tiers Mettre en place des déclarations sur l’honneur destination Missions de secours sur les plages Mettre fin à la mission Proposition : Pour permettre aux forces de l’ordre de retrouver le sens de leur mission : –R edéployer les policiers et gendarmes vers leur « cœur de métier ». – Redéfinir les aspects opérationnels nécessitant le savoir-faire ou les compétences exclusives des forces de sécurité intérieure. – Adresser un message fort et symbolique du transfert ou de la suppression d’un certain nombre de missions. – Développer le transfert de compétences des forces de sécurité intérieure vers d’autres acteurs de la sécurité au titre du continuum de sécurité, comme les polices municipales et la sécurité privée. 131 Le recours aux services d’incendie et de secours pour assurer les carences ambulancières Le secours d’urgence à personnes (SUAP) représente en moyenne 80% de l’activité des services d’incendie et des secours (SIS). Il s’agit d’un volume d’activité jamais atteint, avec une progression de près de 50% du nombre d’interventions en dix ans. Source de tensions croissantes sur les moyens et les personnels des SIS, la situation constitue un problème opérationnel majeur, de niveau national, avec des impacts sur les plans financier et humain pour les sapeurs-pompiers, tant professionnels que volontaires. Les missions non-urgentes concourent à une perte de sens dénoncée par l’ensemble des acteurs de la sécurité civile (élus locaux, organisations syndicales, fédération nationale des sapeurs-pompiers de France). Un travail de fond a été amorcé depuis un an avec le ministère des Solidarités et de la Santé qui donne des premiers résultats. En 2019, pour la première année depuis 10 ans, une baisse du SUAP (de l’ordre de 1 à 2%) est constatée sur un panel important de SIS. Il s’agit néanmoins d’aller plus loin. Cette situation est la conséquence de la prise en charge de missions moins urgentes, liées principalement à la désertification médicale et au besoin d’interventions à caractère social consécutives notamment au vieillissement de la population et de son maintien à domicile. Une source importante de missions non urgentes effectuées par les SIS a trait au défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés. Ces interventions effectuées à la demande des SAMU sont dites « carences ambulancières ». L’augmentation des interventions pour carences ambulancières est particulièrement préoccupante : elles représentent 10 % des missions réalisées par les SIS, alors même qu’elles ne font pas partie des interventions qui se rattachent directement à leurs missions de service public, définies à l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Ces interventions pour carences ambulancières font l’objet d’une prise en charge financière par les établissements de santé, sièges des services d’aide médicale d’urgence à un tarif qui est aujourd’hui contesté par les employeurs de SIS. Proposition : – Donner une définition légale de la carence ambulancière, permettant de mieux la définir juridiquement et, le cas échéant, de requalifier comme telle une intervention ex-post. – Mettre à plat le coût réel des carences ambulancières pour qu’elles soient prises en charge au juste prix. – Élargir cette réflexion sur l’usage de moyens de la sécurité civile, comme les hélicoptères, pour le transport inter-hospitalier qui, a minima, doit donner lieu à remboursement. 132 Livre blanc de la sécurité intérieure 3.  Clarifier et consolider les pouvoirs de police du maire et de la police municipale 3.1. Le maire, et les autres exécutifs locaux, pivots de la sécurité au plus près des citoyens 3.1.1. Consolider le pouvoir de police générale du maire et simplifier les polices spéciales Le maire est un des acteurs centraux de la sécurité doté de pouvoirs de police générale et spéciale qu’il exerce sur le territoire de sa commune. Il est classiquement chargé de veiller au « bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques ». Les pouvoirs de police n’ont de sens que si les sanctions afférentes présentent un caractère suffisamment dissuasif. Or, l’article R. 610-5 du code pénal énonce que « la violation des interdictions ou des manquements aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont poursuivis de l’amende de première classe » dont le montant maximal est de 38 euros, ce qui contraste avec la gravité des menaces ou des troubles que la réglementation de police peut avoir pour objet de prévenir. Le rehaussement de classe doit répondre à l’exigence d’efficacité. En parallèle, la forfaitisation est une deuxième piste à suivre afin d’automatiser les poursuites. Le maire dispose enfin de prérogatives de rappel à l’ordre et de transaction, prévues par le code de procédure pénale. À titre complémentaire, il est envisageable de confier au maire un pouvoir d’injonction de faire sous la forme d’une mise en demeure. Enfin, la procédure de mise en œuvre des polices spéciales gagnerait par souci de simplification à être harmonisée. Propositions : – Rehausser la sanction afférente au pouvoir de police générale du maire. –F avoriser la forfaitisation des poursuites. –A ssortir le pouvoir de police générale de mesures complémentaires. Le maire dispose de pouvoirs de polices spéciales qui gagneraient à être simplifiées. Chacune des polices spéciales dispose de son propre régime administratif et judiciaire, de ses propres règles procédurales, voies de recours et régimes de sanctions administratives et judiciaires ; la police de l’environnement et la lutte contre l’habitat insalubre sont particulièrement significatives à cet égard. Proposition : Simplifier et unifier les pouvoirs des polices spéciales du maire en développant les mesures de sanctions administratives 133 Si dans le domaine de la protection des populations le rôle de préfet est clairement défini et lui donne un pouvoir effectif de direction des opérations de secours, notamment lorsqu’un évènement dépasse les limites d’une commune, ce pouvoir n’existe pas dans le domaine de la sécurité. Il conviendrait de réfléchir à un pouvoir de substitution dans le domaine de la sécurité d’un maire défaillant par le préfet, sans devoir recourir aux procédures de mise en demeure préalable qui seraient restées sans résultat prévues par l’article L. 2215-1 du CGCT et sans faire application des règles de réquisition. Proposition : Le préfet doit pouvoir bénéficier d’un pouvoir de substitution effectif en cas d’inaction du maire dans le domaine de la sécurité Le président d’un établissement public de coopération intercommunale, le président d’un conseil départemental, ainsi que le président d’un conseil régional se trouvent être gestionnaires de domanialités sans disposer des moyens pour leur permettant de prendre les mesures de protection et de sauvegarde des domaines dont ils ont la responsabilité. Il serait utile de leur conférer un pouvoir de police sur le domaine dont ils ont la responsabilité et la capacité de faire constater les infractions, notamment les occupations illicites ou les dépôts sauvages, par des agents de la collectivité assermentés, capables de verbaliser et de conduire une procédure aboutissant à une sanction pécuniaire des contrevenants (amendes forfaitaires modulées). Cette capacité à gérer les infractions de leur domaine permettrait de limiter les interventions des forces de sécurité intérieure aux cas les plus graves ou nécessitant un pouvoir d’enquête. Enfin s’agissant des conseils départementaux leur implication dans l’implantation et le financement de centres de supervision de vidéoprotection permettrait notamment en milieu rural de faciliter le déploiement sur l’ensemble d’un territoire et assurer l’égalité d’accès à des outils de protection des habitants en dehors des zones urbaines. Proposition : Doter les présidents des EPCI, conseils départementaux, conseil régionaux, d’un pouvoir de police et de sanction pour protéger et préserver le domaine de leur collectivité. 3.1.2. Mieux répondre aux atteintes à la tranquillité publique Les incivilités présentent la difficulté de constituer des actes pouvant être perçus comme mineurs, mais dont l’impact auprès de ceux qui les subissent peut être majeur, cette différenciation mettant en échec la réponse institutionnelle qui n’est dès lors pas perçue comme pertinente et adaptée. Plus que dans tout autre domaine, seule une action conjointe de l’ensemble des acteurs du continuum est à même d’apporter une réponse crédible car plurielle, dont la sanction n’est que l’aboutissement d’un processus et non 134 Livre blanc de la sécurité intérieure plus une fin en soi. L’action des partenaires doit être mieux coordonnée afin de conforter les leviers de chacun d’eux. Cette action conjointe doit également mobiliser les citoyens eux-mêmes, tant dans la phase des signalements (la création de plateformes dédiées afin d’informer les autorités et de solliciter une réponse de leur part constitue des outils facilitant), que par des réactions citoyennes communes qui vont marginaliser les auteurs des incivilités et les dissuader d’agir de la sorte. Les signalements seront d’autant plus nombreux que les forces de sécurité intérieure seront plus accessibles en développant des instances de dialogue et en facilitant le contact avec la population. Ces actions du quotidien doivent être complétées par des interventions plus profondes qui s’articulent autour de la formation au civisme dans les écoles, de l’implication des citoyens et d’actions de communication notamment. Le rappel à l’ordre (article L. 132-7 du code de la sécurité intérieure), qui intervient dans des domaines infra pénaux, comme la transaction, sont des outils que le maire peut utiliser pour lutter contre les incivilités. Le premier est tout particulièrement adapté car il intervient pour anticiper un comportement délinquant. Il s’applique lorsque les faits sont susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques.  Pour les atteintes les plus graves et pour rendre la sanction plus crédible, il est nécessaire le renforcer les pouvoirs des maires, en leur conférant la possibilité de confisquer un bien mobilier ou d’édicter des interdictions pour faire cesser les nuisances. Pour lutter contre les rodéos, par exemple, les immobilisations ne constituent pas une mesure suffisante et il faut pouvoir saisir les deux roues ou les quads avant toute décision judiciaire pour faire cesser les nuisances. Proposition : Renforcer la lutte contre les incivilités en donnant au maire des prérogatives complémentaires 3.1.3. Etre plus ambitieux dans la prévention de la délinquance La politique de prévention de la délinquance a profondément évolué depuis son origine. Au-delà de la prévention dite « primaire » à caractère éducatif et social et s’adressant à de larges publics, complétée ces dernières années par une approche « situationnelle » et par le développement de la vidéoprotection, elle s’appuie désormais sur des approches plus individualisées en vue d’actions ciblées de prévention « secondaire » (tournées vers les publics les plus exposés à un premier passage à l’acte délinquant) et « tertiaire » (prévention de la récidive). La prévention de la délinquance, dans son volet assuré par les collectivités territoriales, a constamment évolué au cours des dernières décennies et a contribué à placer davantage le maire au centre du dispositif. Depuis la loi du 5 mars 2007, la politique municipale ou intercommunale de prévention de la délinquance est placée sous la responsabilité du maire qui est chargé de l’animer avec le soutien des institutions régaliennes, l’exercice des missions de sécurité publique et de prévention de la délinquance (article L. 132-1 du 135 code de la sécurité intérieure) lui est confié. Il anime sur le territoire de la commune la politique de prévention de la délinquance et en coordonne la mise en œuvre. Dans les communes de plus de 10 000 habitants et dans les communes comprenant une zone urbaine sensible, le maire préside le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (article L. 132-4 du code de la sécurité intérieure). Sa politique est coordonnée avec le représentant de l’Etat dans le département, qui préside le conseil départemental de prévention de la délinquance, d’aide aux victimes, de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes. La nouvelle stratégie nationale de la prévention de la délinquance fixe les actions prioritaires pour les cinq années à venir autour de quatre objectifs : la prévention de la délinquance des plus jeunes avant l’âge de 12 ans, la protection des publics vulnérables, une implication plus forte de la population et de la société civile dans la prévention de la délinquance et la production de tranquillité publique, une gouvernance rénovée. En matière de prévention de la délinquance, le maire peut décider d’un rappel à l’ordre ou proposer une transaction dans le cadre d’un partenariat avec les autorités judiciaires. Il dispose par ailleurs du Conseil pour les droits et devoirs des familles (CDDF), instance d’aide à la parentalité, et, en matière de protection de l’enfance, des passerelles ont été créées entre les champs d’action du maire et du Conseil départemental.   Si les textes existants en matière de prévention ne posent pas de problème, leur application sur le terrain reste extrêmement variable tant par l’implication des élus que par le contenu des sujets portés par les conseils locaux. Une clarification des structures, toujours affichée, jamais obtenue, serait fort utile et l’évaluation par la certification externe garantirait une égalité d’accès aux subventions. Par ailleurs, un travail important de valorisation de la fonction de coordonnateur devra être mené. Proposition : – Dans la lignée des principes de la PSQ, clarifier et simplifier les structures partenariales locales dans le sens d’une plus grande efficience. – Évaluer l’égal accès aux subventions par une certification externe. 3.1.4. Elargir les domaines d’intervention du maire pour garantir la cohérence de son action Certaines compétences complémentaires pourraient être confiées au maire, dans le domaine de la sécurité routière, de la police de l’environnement de proximité, du traitement des incivilités permettant une action cohérente sur tout un champ exercé en commun avec les forces de sécurité intérieure. Les policiers municipaux qui sont déjà investis dans le domaine de la sécurité routière, devraient pouvoir se voir confier le traitement judiciaire de l’ensemble des infractions au code de la route sur le plan contraventionnel et délictuel en lien avec les forces de sécurité intérieure (notamment pour les actes qui relèvent de la qualification d’OPJ). Dans le domaine de l’environnement de proximité, l’attribution aux policiers municipaux d’une compétence pour l’ensemble des atteintes à l’environnement de proximité (la mécanique sauvage, le stationnement 136 Livre blanc de la sécurité intérieure abusif, les dépôts sauvages d’immondices, les décharges sauvages, la gestion les épaves…), ainsi que pour les incivilités qui portent atteinte à la tranquillité publique aurait du sens. Concernant les atteintes à l’environnement, des moyens d’action élargis, par le maintien comme spécialité de la compétence « police rurale » devraient être envisagés. Il serait dommage de perdre les compétences des gardes champêtres par attrition de leurs effectifs qui diminuent année après année. Les objets trouvés qui n’apparaissent pas volés ou dangereux, les vacations funéraires, les mises en fourrière pourraient également être délégués aux polices municipales afin d’assurer un meilleur service de proximité. En ce qui concerne les ivresses sur la voie publique, il s’agirait d’associer les policiers municipaux à la procédure de gestion des personnes en situation d’ivresse publique manifeste sur la voie publique et de préciser les conditions d’acheminement par ces agents vers l’hôpital, préalablement à la rétention, après modification de l’article L. 3341-1 du code de la santé publique. De même, dans le cadre des missions de surveillance et d’assistance à la population lors des manifestations sportives, culturelles et récréatives, la police municipale a toute sa place pour réguler le public, surveiller les accès et gérer la circulation. En liaison avec les forces de sécurité intérieure, la référence au seuil de 300 spectateurs attaché aux manifestations sportives, récréatives et culturelles n’a plus lieu d’être et il est proposé d’ouvrir le champ de compétence des polices municipales sur toutes les activités locales sans niveau de seuil. Proposition : – Élargir la compétence de la police municipale dans le domaine de la sécurité routière, de l’environnement de proximité et du traitement des incivilités notamment – Élargir à la police municipale le traitement des Ivresses Publiques et Manifestes (article L.3341-1 du code de la santé publique) – Élargir la compétence des polices municipales sur toutes les activités locales, culturelles, sportives et festives (suppression des seuils) 3.2. La police municipale : vers une troisième force au service de la tranquillité publique 3.2.1 Une force qui cherche sa place dans l’organisation de la sécurité La police municipale est une police de proximité, au contact permanent avec la population ; elle bénéficie d’un ancrage local fort. A titre d’exemple, elle accompagne et encadre les activités municipales, marchés, fêtes et cérémonies, régule la circulation, réprime certaines infractions routières (dont les infractions au stationnement), modère les incivilités et assure la tranquillité publique. Avec 4 527 communes dotées d’une police municipale, la progression de cette force est constante depuis une vingtaine d’années ; en 2018 elle 137 comptait 23 000 policiers municipaux et 8 000 agents de surveillance de la voie publique (ASVP). Elle s’est professionnalisée, s’est équipée et les coopérations se sont renforcées avec policiers et gendarmes. Elle constitue bien une troisième force de sécurité. Elle exerce des missions par délégation mais également des missions qui lui sont propres, telles que définies par le code de la sécurité intérieure (article L.511-1) et le code général des collectivités territoriales (article L.2212-2)(29). Le Livre blanc de la Sécurité publique publié en 2012 faisait déjà le constat suivant : « Depuis trente ans, le rôle et le poids des polices municipales n’ont cessé de s’affirmer. Aujourd’hui, il n’apparaît pas que les missions respectives des services de sécurité nationaux régaliens et des polices municipales méritent de changer substantiellement de nature, ni qu’un mouvement supplémentaire de décentralisation ne se justifie. En revanche, toutes les conséquences opérationnelles doivent être tirées de la professionnalisation remarquable et de la croissance quantitative qu’ont connues de nombreuses polices municipales. (…) Symétriquement, les garanties déontologiques doivent être renforcées par la création d’une inspection nationale des polices municipales, dans un cadre à déterminer avec les élus locaux ». Ce constat établi par Alain Bauer et le préfet Michel Gaudin en 2012 garde sa pertinence aujourd’hui. L’objectif premier n’est pas tant de confier aux polices municipales des missions exercées actuellement par les forces de sécurité intérieure, mais avant tout de les conforter et de mieux reconnaître leurs spécificités en leur conférant les moyens juridiques nécessaires pour accomplir lesdites missions. La police municipale doit conserver, voire développer, son rôle de police de proximité au contact immédiat de la population, qui constitue son cœur de métier, tout en élargissant son champ de compétence. Cela présuppose une coordination avec les autres acteurs de la sécurité, un accompagnement, une montée en compétence et la mise en place des moyens de contrôle. 3.2.2. Répondre aux enjeux de coordination locale et de périmètres géographiques La convention de coordination, pilier du partenariat Le partenariat et la coproduction de sécurité doivent être envisagés dans le cadre des conventions de coordination, outil opérationnel à promouvoir et à développer afin d’établir et de définir une véritable stratégie de sécurité au niveau local. Le lien opérationnel entre les forces de sécurité intérieure et les polices municipales nécessite le déploiement de « conventions de coordination » qui définissent, une doctrine d’emploi, le rôle et les missions de chacun, les échanges d’informations utiles et les modalités 29 Selon l’alinéa 1 de l’article L. 2212-2 du CGCT, « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». L’article L. 511-1 du CSI énonce quant à lui que : « Sans préjudice de la compétence de la police nationale et de la gendarmerie nationale, les agents de police municipale exécutent, dans la limite de leurs attributions et sous son autorité, les tâches relevant de la compétence du maire que celui-ci leur confie en matière de prévention et de surveillance du bon ordre, de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité publiques ». 138 Livre blanc de la sécurité intérieure d’intervention conjointes. Ces conventions, outils efficaces de pilotage, gagneraient à se développer pour intégrer de manière plus précise les coopérations attendues. La convention est la contrepartie nécessaire pour permettre l’armement des policiers municipaux dans le respect du principe de proportionnalité basé sur le diagnostic local de sécurité. Elle doit consacrer les modalités concrètes du partenariat et développer les clauses relatives à la vidéoprotection, à l’accès aux fichiers, à l’interopérabilité tant des pratiques (opérations de sécurité commune, patrouilles communes) que du matériel, en intégrant la politique partenariale de prévention lorsque cela apparaît nécessaire. Actuellement le seuil de déclenchement des conventions est fixé à trois agents de police municipale depuis l’adoption de la loi du 27 décembre 2019, « Engagement et Proximité ». Une suppression du seuil serait souhaitable. Proposition : Systématiser les conventions de coordination dès le premier agent de police municipale pour définir les charges et les engagements réciproques de service Un périmètre géographique plus cohérent pour faciliter la mise en commun de moyens Le niveau intercommunal peut jouer un rôle dès maintenant, sans départir les maires de leur pouvoir de police. Afin d’éviter la discontinuité sur une aire urbaine, le regroupement en polices intercommunales dans le cadre d’EPCI ou de polices « pluri- communales » permettant la mise en commun temporaire ou définitive de tout ou partie des moyens et effectifs des polices municipales concernées(30). Cette préoccupation se retrouve dans des pays voisins comme l’Italie, qui, du fait d’une culture décentralisatrice plus forte, voit des pouvoirs de police locaux très développés inscrit dans des dynamiques de partage et de mutualisations. Le domaine de la vidéoprotection, nécessitant des investissements lourds, se prête particulièrement aux mutualisations tout comme la sécurisation des transports publics. Les agglomérations offrant une continuité urbaine devraient bénéficier de la présence de la police municipale sans discontinuité pour éviter les effets de déport de la délinquance. Pour y parvenir, la suppression du plafond de 80 000 habitants pour la mise en commun des policiers municipaux entre communes d’un seul tenant tel que défini par l’article L. 512-1 du code de la sécurité intérieure serait nécessaire. La création de polices intercommunales ayant été instituée par l’article 43 de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, l’attribution au conseil communautaire de la compétence du choix de création lèverait le frein imposé par les seuils actuels de majorité qualifiée. Le président d’EPCI serait chargé du recrutement et de la gestion administrative des policiers municipaux qui pourraient également exercer pour le compte de l’EPCI certains pouvoirs de police spéciale alors même que les maires 30 La mise en commun temporaire est instituée par la loi du 15 avril 1999 et la mise en commun permanente est instituée par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. 139 conservent leur pouvoir de police générale dont ils peuvent user de manière concurrente. Proposition : Faire de l’intercommunalité le support de la mutualisation des moyens et des ressources, et favoriser le développement des polices intercommunales sur la base du volontariat, supprimer les seuils non pertinents. Les mesures relatives à la gestion des ressources humaines La filière police municipale est aujourd’hui structurée. A la suite de la réussite à un concours, chaque agent suit une formation, est assermenté, applique le code de déontologie inscrit dans le code de sécurité intérieure et bénéficie de la qualification judiciaire de l’article 21 du code de procédure pénale. L’évolution professionnelle des agents de police municipale tout au long de leur carrière doit cependant être repensée pour offrir des opportunités en créant des échelons supplémentaires et des passerelles vers le corps d’encadrement et de direction. La formation doit être harmonisée, renforcée et dispensée de façon homogène au niveau national sous l’égide du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Le catalogue des formations doit couvrir l’ensemble des missions assurées par les agents. La coopération avec les forces de sécurité intérieure devrait être renforcée pour développer une formation opérationnelle et adaptée au continuum recherché. Une obligation de servir, pendant trois ans, la collectivité qui a financé la formation initiale, pourrait être instaurée, pour capitaliser le coût de la formation, à l’instar de la fonction publique d’État. Enfin, la fusion des cadres d’emploi des policiers municipaux et des gardeschampêtres dans un cadre d’emploi unique est envisagée, sans perdre la compétence de la police rurale. Cela présentera l’avantage d’unifier le statut et de gagner en cohérence, en compétences, et lisibilité. Pour mémoire, on comptait 726 gardes-champêtres en 2018. Proposition : Fidéliser les policiers municipaux en instaurant une obligation de servir de 3 ans au profit de l’employeur qui a supporté le coût de la formation. Veiller à l’uniformité de la déclinaison des formations au plan national pour les polices municipales. Fusionner les cadres d’emploi des policiers municipaux et des gardes champêtres dans un cadre d’emploi unique et conserver la compétence de la police rurale dans le cadre d’une spécialité des agents de la police municipale. 140 Livre blanc de la sécurité intérieure 3.2.3. Revoir les conditions d’exercice pour rendre plus efficace l’action des polices municipales La qualification judiciaire d’attribution des directeurs et chefs des policiers municipaux L’ouverture d’une compétence des polices municipales sur des champs délictuels comme la conduite en état d’ivresse, ou la détention de produits stupéfiants implique de garantir la validité de la procédure sans avoir à solliciter l’officier de police judiciaire (OPJ) territorialement compétent. Si le rehaussement de la qualification des policiers municipaux ne semble pas nécessaire, la délivrance (après formation et habilitation) de la qualification d’officier municipal judiciaire au profit du directeur ou du chef de la police municipale, serait un progrès indéniable. La compétence spécifique, qui s’exercerait uniquement dans le champ des missions de la police municipale, est proposée afin de les placer sous l’autorité des procureurs de la République et de décharger les OPJ de la police ou de la gendarmerie. Proposition : Instaurer une qualification d’officier judiciaire municipal au profit des directeurs de police municipale. La transmission des procès-verbaux Il convient par ailleurs de simplifier les procédures de transmission des procès-verbaux et renforcer le cadre d’action des polices municipales. Ainsi, permettre aux polices municipales d’adresser directement leurs procès-verbaux à l’officier du ministère public, en informant simplement l’OPJ, aurait du sens. La transmission par les services de police et de gendarmerie n’apporte pas de plus-value et rallonge les délais de transmission, alors que dans le même temps certaines procédures sont dématérialisées. Les dispositions de l’article 21-2 du code de procédure pénale qui imposent aujourd’hui qu’ils adressent leurs rapports et procèsverbaux, par l’intermédiaire des officiers de police judiciaire, au procureur de la République, n’ont pas vraiment de sens opérationnel et méritent d’être revues. Proposition : Modifier l’article 21-2 du code de procédure pénale, pour permettre la transmission directe des procès-verbaux au parquet par les polices municipales. L’accès simplifié aux fichiers de police L’accès des policiers municipaux aux fichiers de police constitue une demande récurrente pour l’amélioration de leur action et la sécurisation de leurs interventions. 141 Une première étape a été franchie avec l’instruction du 3 janvier 2019, qui détermine les conditions d’accès pratiques au Système d’immatriculation des véhicules (SIV) et au Système national des permis de conduire (SNPC). L’accès à ces fichiers est limité aux seules fins d’identifier les auteurs des infractions au code de la route qu’ils sont habilités à constater et sous réserve de la délivrance d’une habilitation individuelle. Les polices municipales demandent également un accès au Fichier des objets et véhicules volés (FOVeS) et au Fichier des personnes recherchées (FPR), y compris à partir de terminaux mobiles (de type NEO). Elles mettent en avant, tout comme certains maires, que l’accès à ces fichiers leur donnerait les informations nécessaires à la sécurisation de leurs interventions. Les policiers municipaux peuvent en effet se trouver placés en première ligne face à des individus dont le niveau de dangerosité n’est pas immédiatement identifiable. Le Livre blanc prend position en faveur d’une ouverture proportionnée et soumise au besoin d’en connaître, dans le but de sécuriser les interventions des policiers municipaux. Cette ouverture serait non seulement une facilité opérationnelle, mais aussi une vraie marque de confiance dans la professionnalisation des polices municipales. Proposition : Ouvrir aux polices municipales un accès proportionné au FOVeS et au FPR. Les brigades cynophiles municipales : à la recherche d’une réglementation et d’une doctrine d’emploi Il est par ailleurs nécessaire de donner un cadre légal aux brigades cynophiles œuvrant en police municipale. L’absence de réglementation et de doctrine nationale d’emploi de ces brigades canines rend leur constitution et leur emploi juridiquement aléatoires. Les questions de légitimité et de responsabilités afférentes ne peuvent être ignorées. Elles nécessitent la définition de règles contraignantes et de bonnes pratiques ainsi que des modalités de leur contrôle. L’élaboration par le ministère de l’Intérieur d’un décret en Conseil d’Etat précisant notamment les missions, les modalités d’hébergement, les obligations de formation et les conditions de réforme des chiens, ainsi que d’une doctrine d’emploi, permettra de répondre à ce besoin. On compte aujourd’hui 171 communes disposant d’une brigade canine. Proposition : Élaborer une réglementation et doctrine d’emploi des brigades cynophiles œuvrant en police municipale. 142 Livre blanc de la sécurité intérieure La vidéoprotection Un outil de sécurisation devenu majeur Depuis ses débuts au tournant des années 1980-1990, la vidéoprotection s’est progressivement installée comme un outil important des politiques de sécurité intérieure. Aujourd’hui la vidéoprotection est utilisée tant pour les politiques de prévention, notamment des actes de délinquance, que pour l’élucidation des crimes et délits en appui à l’action des enquêteurs. Elle est devenue un support technique important pour les forces de sécurité intérieure et peut pallier partiellement l’impossibilité qu’elles ont d’être présentes sur tous les terrains le nécessitant. Certains dispositifs se limitent à la mise à disposition a posteriori des images enregistrées, d’autres, plus ambitieux, permettent de les visionner et de les exploiter en direct à partir de centres de supervision urbain (C.S.U.) ou de PC vidéo. Outil important pour les forces de sécurité, la vidéoprotection a été largement adoptée par les acteurs ayant la charge de la sécurisation de lieux et de personnes. Alors que l’on dénombrait près de 15 000 caméras sur la voie publique en 2006, on en compte 60 000 en 2020. Si 436 communes s’étaient équipées en 2006, elles sont aujourd’hui 6 000. A côté des caméras sur la voie publique exploitées par les mairies ou les intercommunalités, les caméras ont été adoptées par les commerces et les bâtiments industriels et commerciaux. La vidéosurveillance paraissait à l’origine attentatoire à la vie privée et la loi de 1995 a conditionné son déploiement à des très nombreuses garanties, sous le contrôle de la CNIL. La loi institue un régime d’autorisation administrative accordée pour une durée de cinq ans sur la base d’un cahier des charges juridique et technique protecteur pour les libertés individuelles. L’opinion publique a progressivement évolué vers un consensus face aux apports de la vidéoprotection pour la sécurité collective. Par exemple, l’utilisation de la vidéoprotection dans l’identification des auteurs d’attentats terroristes a contribué à modifier la perception de ces dispositifs. Le contentieux relatif à la vidéoprotection est du reste très faible. La perception sociale de la vidéoprotection peut aussi être modifiée par une évolution du rapport à l’image à l’ère des réseaux sociaux. S’adapter aux nouvelles possibilités et aux nouveaux enjeux Aujourd’hui, la quatrième révolution industrielle incarnée par le numérique et l’accélération du rythme des innovations interroge fondamentalement le cadre juridique de la vidéoprotection. Face à l’évolution des usages possibles, des pratiques et des supports technologiques de dernière génération, le corpus juridique de la vidéoprotection semble en effet obsolète. Il repose en effet sur la loi du 21 janvier 1995, modifiée à la marge (loi sur la sécurité Intérieure de 2006, loi d’orientation et de programmation sur la sécurité intérieure de 2011, loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises notamment). La loi informatique et libertés modifiée au 1er juin 2019 a cependant posé des principes restrictifs à certains usages technologiques ou à certains usages de la vidéosurveillance dans les espaces privés. Il en ressort une forme de décalage entre l’état de la réglementation et la réalité technique et sociétale, notamment la multiplication des smartphones individuels alimentant les réseaux 143 sociaux. Ce constat plaide pour une refonte du régime afin que des normes plus adaptées permettent aux acteurs publics (Etat, collectivités locales) comme privés de suivre les évolutions de la société. Des pistes d’évolution L’installation et l’exploitation des dispositifs de vidéoprotection engendrant des coûts importants, les mutualisations sont un levier privilégié des élus locaux. L’échelon pertinent étant souvent intercommunal, il pourrait être envisagé d’autoriser l’emploi d’agents de sécurité privée dans des CSU sous le contrôle d’agents publics. En outre, à une autre échelle, les projets de conseils départementaux qui proposent de mailler leur territoire en équipements de vidéoprotection et de mettre en place des CSU départementaux en coordination étroite avec les maires et EPCI qui le souhaitent pourraient être soutenus. À cet égard, une mutualisation spécifique des équipements de vidéoprotection pourrait être mise en œuvre au niveau départemental, voire régional, pour assurer le contrôle des flux de transports. Le FIPD pourrait redéployer des moyens afin de faciliter la couverture territoriale de la vidéo-protection. Les nouveaux vecteurs et les nouvelles possibilités de connectivité rendent possible un accès à distance, y compris mobile, aux images de vidéoprotection. Une telle évolution faciliterait l’action des forces de sécurité intérieure en leur permettant de disposer, au travers de réquisition, sur leur lieu de travail (unité de gendarmerie et au commissariat) ou d’opération (via les tablettes « NEO »), de ces captations. Les images de vidéoprotection servent aujourd’hui essentiellement à la mise en œuvre des politiques de sécurité (prévention, enquêtes contre la délinquance et la criminalité) mais pourraient trouver d’autres usages. Ainsi, leur cadre d’emploi pourrait inclure la protection des agents en opération. Ceux-ci sont en effet l’objet de captations d’images durant leurs opérations mais à l’inverse ne disposent pas des moyens de fournir des enregistrements. Les finalités des images issues de la vidéoprotection (fixe et mobile) pourraient dès lors intégrer la protection des agents et renseigner sur les conditions dans lesquelles les interventions ont lieu. Propositions  : – Favoriser les mutualisations dans le déploiement des dispositifs de vidéoprotection – Autoriser l’emploi de vidéo-opérateurs professionnels dans des CSU sous le contrôle d’agents publics – Loger sur le cloud souverain les images de la vidéoprotection issue des collectivités locales 144 Livre blanc de la sécurité intérieure 4.  Construire un partenariat avec la sécurité privée, une profession en expansion 4.1. Gérer la croissance du champ d’action des entreprises de sécurité privée et trouver les ressources pour développer leur activité Les grands événements de 2015 et 2016 (COP21, Euro, etc.) ainsi que les vagues d’attaques terroristes ont mis en lumière le rôle que peut jouer la sécurité privée et la nécessité de développer une synergie croissante, aujourd’hui assumée, avec les acteurs publics. De son côté, le secteur de la sécurité privée est en attente légitime d’une visibilité sur ses perspectives économiques pour consentir à l’effort de structuration qui sera nécessaire à sa meilleure intégration au continuum de sécurité. De nombreux chantiers méritent d’être poursuivis : la régulation du secteur, notamment sur le plan du respect des règles et des procédures disciplinaires, mais également la consolidation et la certification de la formation des acteurs de la sécurité privée ainsi que la mise en place de normes d’encadrement. Une impulsion de l’Etat régulateur et prescripteur est indispensable. Le Livre blanc de la sécurité intérieure propose de tendre vers une position encore plus affirmée de la sécurité privée dans le continuum de sécurité. Il s’agira de ne plus se limiter à une coopération circonstancielle avec les forces de sécurité intérieure mais de faire émerger la sécurité privée comme un acteur à part entière du continuum et de structurer les interactions avec les forces régaliennes et municipales et tous les autres contributeurs à la sécurité globale. Cet objectif implique au préalable une montée en qualité, en fiabilité et en moralité du secteur de la sécurité privée. Dès lors, les attributions et les moyens des acteurs de la sécurité privée pourront être repensés. Partant, des mécanismes de contrôle et d’évaluation robustes seront indispensables pour s’assurer de la bonne contribution des acteurs privés à la sécurité globale. Le rapport des députés Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, « D’un continuum de sécurité vers une sécurité globale », publié en septembre 2018, a identifié ces questions et formule nombre de propositions que le Livre blanc fait siennes. La réflexion se nourrit aussi des auditions conduites, notamment avec les professionnels du secteur, et des contributions écrites proposées par les acteurs de la sécurité privée. Ce faisant, le Livre blanc prend acte que les seules tentatives de moralisation du secteur par la réglementation ne sont pas suffisantes. Il apparaît nécessaire de repenser l’économie globale des activités de sécurité privée pour tendre vers davantage de fiabilité et de qualité. 4.1.1. Un besoin de soutien de la puissance publique sur un marché concurrentiel et à faible marge La condition sine qua non au développement de la sécurité privée est l’établissement d’une relation de pleine confiance avec la population, l’Etat et les autres acteurs de la sécurité. A cette fin, plusieurs axes d’efforts doivent être envisagés. 145 Des mesures structurelles relatives au fonctionnement du marché de la sécurité privée Il est avant tout nécessaire de remédier à la faiblesse structurelle que constitue l’atomisation du secteur en de nombreuses sociétés dont certaines, parfois éphémères, ne sont pas en mesure de fournir les prestations de qualité qu’exige la contribution à la sécurité globale. Une première mesure consisterait à interdire la sous-traitance en cascade. Le fonctionnement actuel du secteur est tel que, dans une recherche de profitabilité, les prestataires de premier rang d’un contrat de sécurité sont tentés d’en confier la réalisation à une chaîne de sous-traitants sans contrôle réel sur leurs capacités professionnelles et le respect de la réglementation sociale. La limitation de la sous-traitance pourrait être modulée selon les besoins du secteur. Ainsi, des compétences très précises comme, par exemple, la sécurité électronique ou, en cas d’ouverture à des acteurs privés, l’activité cynophile, pourraient être exemptées de cette mesure. Proposition : – Limiter la sous-traitance en cascade pour les adjudicataires de marchés de sécurité privée. – Préserver les capacités de sous-traitance sur des compétences rares et qualifiées. Une autre mesure forte, qui pourrait soutenir les effets d’un encadrement de la sous-traitance, serait l’instauration d’une garantie financière par les entreprises souhaitant opérer dans le secteur de la sécurité privée. Le principal effet bénéfique recherché est la sortie du marché des entreprises qui intègrent le marché de la sécurité par effet d’aubaine et sans avoir les moyens ou l’intention réelle de fournir une prestation de qualité. L’effet pervers serait la disparition d’entreprises compétentes mais ne présentant pas la dimension suffisante pour opérer sur le marché. Cette mesure paraît cependant nécessaire pour assainir le secteur en luttant contre la concurrence déloyale, en garantissant la bonne exécution de la mission, et en protégeant les salariés de faillites. Construite comme une caution présentée par les entreprises et non pas, comme le craignent certains acteurs, pour s’acquitter d’éventuelles pénalités financières prononcées par le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), elle constituerait une preuve de la solidité financière des entreprises et de leur capacité à assurer la prestation contractualisée avec les donneurs d’ordres. Proposition : Après étude d’impact, et selon les effets de la limitation de la soustraitance, instaurer une garantie financière pour lutter contre la concurrence déloyale et mieux protéger les agents de sécurité privée. 146 Livre blanc de la sécurité intérieure Les prestataires peu vertueux ne sont pas seuls responsables des dysfonctionnements du secteur. Ainsi, des commanditaires peuvent confier des prestations à des entreprises non autorisées ou sanctionnées. Le manque d’information ou la négligence en sont une cause. Il ne peut aussi être exclu que cela s’explique par la priorité donnée à l’image du donneur d’ordre qui s’adjoint un prestataire de sécurité afin de rassurer une clientèle ou des partenaires mais sans recherche réelle d’un service de sécurité de qualité. Quelles qu’en soient les raisons, ces pratiques ne favorisent pas l’émergence d’entreprises de sécurité privée viables. Dès lors, il y a lieu d’introduire un régime de responsabilisation solidaire des donneurs d’ordre et, selon les cas, d’ouvrir la possibilité de sanctionner les donneurs d’ordre (publics comme privés) en fonction des infractions commises, lorsqu’ils ne font pas œuvre de vigilance. Proposition : Responsabiliser les donneurs d’ordre et réfléchir à la publication des sanctions par le CNAPS Enfin, tant que la logique de prix primera dans le recrutement de prestataires de sécurité, au détriment de la qualité, le secteur sera tenté par une compétition par le moins disant. Il est nécessaire d’introduire une notion de qualité dans les critères de recrutement des entreprises de sécurité. L’Etat donneur d’ordre, qui représente environ un quart du marché de gardiennage, peut ici jouer un rôle de prescripteur. Ces mesures structurelles relatives au fonctionnement du marché de la sécurité privée peuvent s’accompagner d’une démarche de labellisation des entreprises (tant sur le plan de la qualité de service que sur leur intégrité) qui pourraient se décliner en labels spécifiques selon les enjeux de sécurisation (OIV, sites SEVESO, grands événements). Renforcer l’identité et l’attractivité du secteur de la sécurité privée Le secteur de la sécurité privée souffre encore d’un déficit d’image et d’appartenance. Il peut être attribué à une croissance récente et rapide, une forte hétérogénéité et une intégration incomplète au continuum de sécurité. Remédier à ce déficit permettra au secteur de renforcer le sens de sa finalité et de se porter au niveau attendu des contributeurs à la sécurité globale. En premier lieu, il semble nécessaire de renforcer le sentiment d’appartenance à une profession de sécurité. Le port obligatoire d’un uniforme propre à la sécurité privée peut contribuer à cette identité et cette appartenance. Le port de l’uniforme, associé à une carte professionnelle sécurisée et un numéro d’identification, permet aussi d’assumer publiquement une fonction et de répondre de ses obligations sous peine de sanction (absence d’uniforme, port en-dehors des horaires et lieux de travail). Cet uniforme devrait reposer sur une base unique à toutes les entreprises de sécurité privée et cependant permettre à celles-ci d’intégrer des marqueurs qui leur seraient propres. 147 Proposition : Instaurer un uniforme pour la sécurité privée distinct des autres acteurs de la sécurité intérieure et y associer un numéro d’identification lié à la carte professionnelle sécurisée En second lieu, il sera utile que la profession soit revalorisée dans l’opinion publique. Cela peut être fait au moyen de campagnes de communication élaborées par les professionnels, qui peuvent être conjointes avec les autres acteurs du continuum, notamment la police nationale, la gendarmerie nationale, la sécurité civile et les polices municipales. Cela peut aussi se faire par une reconnaissance officielle de la contribution des agents privés à la sécurité globale, par exemple en ouvrant le champ des récipiendaires de la médaille de la sécurité intérieure. Proposition : Accompagner les acteurs de la sécurité privée en développant des actions conjointes de communication autour du continuum de sécurité. 4.1.2. Renforcer le capital humain du secteur de la sécurité privée Favoriser le recrutement d’agents de sécurité privée qui soient source de confiance Le secteur de la sécurité privée souffre de faiblesses en matière de recrutement : formation insuffisante, maîtrise inégale de la langue française, travail illégal, comportements incompatibles avec des fonctions de sécurité. Y remédier implique de mieux contrôler la moralité des demandeurs ainsi que les pratiques des recruteurs. La responsabilisation des donneurs d’ordres évoquée ci-dessus répond en partie à cette problématique. Il convient aussi d’apprécier plus rigoureusement la moralité des demandeurs, dès le recrutement et tout au long du contrat, afin de s’assurer qu’ils réunissent les conditions d’exercice de la profession. Il importe aussi de préciser les condamnations incompatibles avec l’exercice d’une activité professionnelle dans le secteur de la sécurité privée, et de rapprocher les standards recherchés de ceux appliqués dans les forces de sécurité intérieure. Cela peut inviter à supprimer l’obligation de reclassement en cas d’avis d’incompatibilité rendu pour occuper une fonction sensible. D’un point de vue pratique, ces opérations de criblage pourraient être confiées au service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) dont les moyens humains et techniques devraient être revus en conséquence. Proposition : Confier au SNEAS le soin d’apprécier rigoureusement la moralité des agents de sécurité privée tout au long de leur contrat. 148 Livre blanc de la sécurité intérieure Mieux former les agents de sécurité privée aux responsabilités de leurs missions La crédibilité de toute profession passe nécessairement par la reconnaissance de la qualité de ses formations et l’intégrité des examens. Le cas de la sécurité privée n’échappe pas à la règle et le secteur a déjà commencé à œuvrer en ce sens. Pour autant, la situation n’est pas encore satisfaisante. Il ressort des consultations effectuées que certaines formations à des certificats de qualification professionnelle (CQP) sont défaillantes, et que certains titres professionnels (autre voie d’accès à la profession) ne donnent pas lieu à contrôle réel et peuvent être usurpés. En premier lieu, il est indispensable de poursuivre le travail de fond engagé pour une plus grande rationalisation et un contrôle rigoureux des organismes de formation. L’encadrement de l’activité de formateur passe avant tout par la vérification de ses aptitudes et de son intégrité (absence de retrait de carte professionnelle ou d’une interdiction d’exercer). Dans la même logique, il apparaît nécessaire de dissocier formations et examens ou, a minima, de placer les examens sous le regard d’un tiers de confiance agréé par l’Etat. Pour lutter efficacement contre les fraudes et irrégularités constatées, il doit être envisagé de centraliser et harmoniser les contenus d’examen, et de les confier à des organismes autres que ceux en charge de la formation (sur le modèle, par exemple, du permis de conduire). Propositions : – S’assurer de la qualité des organismes de formation, et des formateurs, pour accroître la crédibilité des organismes de formation. – Confier le déroulement des examens à des acteurs indépendants des organismes de formation ou placer les épreuves sous le regard d’un tiers de confiance. Le renforcement du niveau d’exigence d’entrée en formation et d’aptitude professionnelle paraît également indispensable. En effet, dans les domaines sensibles, il est justifié de conditionner l’entrée en formation des agents à la justification d’une promesse d’embauche, afin de ne diffuser des informations sensibles qu’aux personnes appelées à réellement exercer (par exemple dans les emprises aéroportuaires). Il y a lieu également de s’assurer de l’aptitude professionnelle des dirigeants d’une entreprise privée de sécurité, qu’ils exercent ou non effectivement sur le terrain. Propositions : – Conditionner l’entrée en formation à la justification d’une promesse d’embauche pour les métiers qui nécessitent le partage d’informations sensibles. – Vérifier l’aptitude professionnelle des dirigeants de société de sécurité privée. 149 Plus structurellement, le secteur bénéficierait de la création d’une véritable filière de la sécurité privée. La formation y contribue, ainsi qu’à rendre possible un vrai parcours de carrière dans la sécurité privée (CQP, baccalauréat professionnel, BTS Management des métiers de la sécurité privée). Une telle évolution permettrait l’émergence d’un vivier pour l’encadrement intermédiaire qui fait défaut aujourd’hui à la profession (le taux d’encadrement est d’environ 2 %). C’est par l’intermédiaire de cet encadrement justement qualifié que pourront se développer, au contact des réalités opérationnelles, les coopérations et interactions entre le secteur de la sécurité privée et son environnement public. Le développement souhaité de cette filière doit conduire à l’ouvrir à l’apprentissage et à l’alternance. La nécessité d’avoir terminé sa formation avant de bénéficier d’un titre professionnel est un obstacle au développement de ces filières d’apprentissage. L’attribution d’un titre spécifique et provisoire, pour certaines fonctions limitativement définies peut y remédier. Proposition : Créer une véritable filière de formation aux métiers de la sécurité privée et l’ouvrir à l’apprentissage et l’alternance en entreprise. Pour développer l’interopérabilité souhaitée entre acteurs de la sécurité, la gendarmerie et la police nationales peuvent utilement participer à la formation des agents de sécurité privée. Elles doivent privilégier un accompagnement à haute valeur ajoutée, notamment sur la formation de formateurs et la formation de l’encadrement intermédiaire aujourd’hui manquant dans la sécurité privée. Proposition : Associer la police et la gendarmerie nationales à la formation des agents privés de sécurité. En sortie de formation, il est indispensable de renforcer le contrôle lors de la délivrance des titres professionnels. Les commissions délivrant les titres professionnels doivent davantage s’assurer de la réalité des compétences des demandeurs de cartes professionnelles, afin d’équilibrer les voies d’accès à la sécurité privée (CQP et titres). Aujourd’hui, le contrôle des aptitudes professionnelles est très formel et se fonde sur les documents à produire (attestations, certificats). Celui-ci mérite d’être plus poussé, a fortiori dans un domaine de la formation qui connaît des cas de fraude. Le CNAPS est, depuis 2015, chargé de contrôler les organismes de formation professionnelle. Cette évolution, positive, est encore récente et n’a pas montré tous ses effets ; elle doit être encouragée. 150 Livre blanc de la sécurité intérieure Proposition : S’assurer de la réalité des compétences détenues par les personnes détenant un titre professionnel. 4.1.3. Sous réserve de la fiabilisation du secteur et du renforcement du capital humain, étendre les compétences et prérogatives de la sécurité privée Dans un contexte de menace durable et d’attente de sécurité, il est nécessaire de mobiliser l’ensemble des ressources formées, agréées et disponibles. Au travers de l’extension de ses compétences, de nouvelles formes de collaboration avec les forces de sécurité intérieure et de l’utilisation encadrée de nouvelles technologies, la sécurité privée peut affirmer sa place au sein du continuum de sécurité. Le transfert de missions au profit d’acteurs privés doit répondre à trois exigences, facteurs inconditionnels de réussite : la mise en place de garanties suffisantes dans l’exercice des missions, l’exigence de l’interopérabilité sans laquelle l’efficacité de l’action serait fortement affaiblie, le contrôle défini et opéré par l’État des contributeurs privés à la sécurité globale. L’enjeu est double : conforter le rôle de la sécurité privée dans la sécurisation des lieux privés et mieux intégrer ces acteurs dans la chaîne de résilience et de sécurité de la Nation ; étendre le champ d’intervention de la sécurité privée à des missions aujourd’hui effectuées par les forces régaliennes pour lesquelles une plus grande coopération, voire une délégation sont envisageables. Le Livre blanc ne propose pas de modifier fondamentalement le champ de la sécurité privée. Celle-ci doit rester principalement au service de la sécurité des personnes et des biens privés. Ainsi, il n’est pas envisagé de faire entrer la sécurité privée dans des missions de sécurité publique. Conforter le rôle de la sécurité privée dans la sécurisation des lieux privés et mieux intégrer ces acteurs dans la chaîne de résilience et de sécurité de la Nation En se voyant confier de nouvelles compétences, la sécurité privée pourrait améliorer et renforcer son action première sur les sites dont elle a la charge. Par exemple, si les sociétés de sécurité privée étaient mobilisées pour la levée de doute sur des colis abandonnés, elles renforceraient leur action de sécurisation d’espaces dont elles ont la charge (transports publics, centres commerciaux). De même, en se voyant octroyer une compétence sur la voie publique, uniquement dans les abords immédiats des espaces qu’elles sécurisent, les sociétés privées renforceraient leur action et participeraient également à la sécurité globale. Il s’agit par exemple pour des agents de sécurité privée de pouvoir intervenir sur les terrasses des lieux de vie (restaurant, bars, cafés) dont ils peuvent avoir la charge. Proposition : Conforter les acteurs privés de la sécurité dans leur mission première en renforçant et étendant leurs compétences. 151 Ces évolutions nécessitent de revoir les moyens attribués aux agents de sécurité privée. En effet, le renforcement de la compétence de la sécurité privée sur son champ d’action traditionnel ne peut être envisagé sans lui donner les moyens d’une telle ambition. Cela implique d’abord de redéfinir les espaces, notamment la notion « d’abord immédiat », à la frontière entre espaces privé et public, en tenant compte des contraintes juridiques. Une action renforcée de la sécurité privée aux abords immédiats des lieux sur lesquels elle a compétence, peut consolider le continuum de sécurité des risques les plus aigus à la tranquillité publique, la délinquance ne s’arrêtant pas aux frontières géographiques, administratives et contractuelles. Dans le cas de la télésurveillance, la possibilité pour les opérateurs d’étendre leur offre de service en-dehors du domicile ou de l’entreprise doit également être étudiée pour la continuité de l’assistance aux personnes vulnérables. Cette précision dans le champ d’intervention de la sécurité privée serait valable tant pour les interventions humaines que pour la vidéo-protection. Si le pragmatisme peut l’emporter, comme les coopérations humaines le montrent dans la sécurisation des grands événements, il est nécessaire de stabiliser, sécuriser et pérenniser un cadre d’intervention pour que le continuum de sécurité puisse se renforcer. Proposition : Étendre les possibilités d’intervention de la sécurité privée sur la voie publique, par des moyens humains et techniques (notamment la vidéoprotection), en étendant la notion d’abords immédiats. Ensuite, il sera nécessaire de donner des moyens complémentaires aux acteurs de la sécurité privée afin de conduire leurs missions. Ils sont aujourd’hui limités à l’intervention humaine inscrite dans des procédures d’agrément parfois lourdes. Il est possible d’accroître les leviers de la sécurité privée et d’alléger en confiance les procédures qui s’y rattachent. Propositions : – Supprimer l’agrément pour l’exercice de mesures de palpation de sécurité, dans la mesure où tous les agents de surveillance et de gardiennage sont aujourd’hui formés à ces opérations. – Ouvrir à la sécurité privée l’activité cynophile de détection d’explosifs, sous le contrôle de l’État (certification, emploi, contrôle). La question de l’armement revêt une sensibilité particulière et ne fait pas l’unanimité dans le secteur de la sécurité privée. Une présence renforcée dans le continuum de sécurité crée des exigences et une exposition accrues pour les acteurs de la sécurité privée. Toute confusion avec les forces de sécurité publique est cependant à éviter. L’armement se situe à la croisée de ces chemins. Les Outre-mer présentent, à cet égard, des caractéristiques et des besoins particuliers. Si l’armement non létal peut être généralisé (type pistolet à 152 Livre blanc de la sécurité intérieure impulsion électrique), la situation dans certains territoires et pour certains types de missions (par exemple la protection des exploitations guyanaises d’orpaillage) invite à réfléchir sur l’évolution des textes pour tendre vers un armement plus lourd afin de permettre aux sociétés privées de sécurité de répondre de manière proportionnée à la réalité des menaces. Proposition : Autoriser l’armement non létal des agents de sécurité privée pour les agents agréés et exposés à un risque exceptionnel (décret n°2017-1844 du 29 décembre 2017). L’extension de ces moyens concerne également l’usage des nouvelles technologies. La progression qualitative des prestations offertes par la sécurité privée peut s’accompagner de certaines technologies comme les drones, les ballons captifs, ou encore les caméras-piétons, sous réserve de leur parfaite maîtrise et d’un contrôle effectif. Propositions : – Autoriser le recours à des technologies émergentes (drones, ballons, caméras-piétons) pour renforcer l’efficacité des professionnels de la sécurité privée et améliorer leur protection. – Favoriser les expérimentations de dispositifs de sécurité utilisant les nouvelles technologies (lutte anti-drones, technologies d’intelligence artificielle) sur des sites sensibles. Étendre le champ d’intervention de la sécurité privée à des missions aujourd’hui effectuées exclusivement par les forces régaliennes Les forces de sécurité intérieure font régulièrement référence à des missions dites « périphériques » fortement consommatrices de moyens et qui les éloigneraient de leur cœur de métier. La demande formulée par certains représentants des forces est de les transférer à des partenaires de la sécurité afin de dégager de la ressource temporelle et humaine pour la réorienter sur des missions prioritaires. La question qui se pose est celle de l’optimisation du positionnement et de l’utilisation des différentes composantes du continuum de sécurité sur le champ missionnel qu’ils couvrent tous ensemble. L’allègement de la charge des forces de sécurité intérieure ne devrait pas être l’occasion d’une réduction des effectifs, mais bien leur réorientation sur des missions prioritaires et que seules les forces régaliennes peuvent assurer. Le Livre blanc propose une association plus étroite des acteurs privés de la sécurité à l’exercice des missions. Les forces de sécurité intérieure garderaient un pouvoir de contrôle sur leur accomplissement, voire y participeraient sous un format allégé et partenarial, et pourraient toujours reprendre la main si nécessaire. De même, les formats d’association peuvent varier selon les territoires, en fonction des besoins locaux et des approches partenariales déterminées dans le cadre du continuum. Enfin, toute association poussée des acteurs privés devrait se faire au terme d’une expérimentation concluante. 153 Proposition : Étendre de manière coordonnée avec les polices municipales, le concours de la sécurité privée à certaines missions des forces de sécurité intérieure (gardes statiques, garde et transferts de détenus hospitalisés non dangereux, activités non régaliennes se déroulant dans les centres de rétention administratives, reconduites à la frontière, transfert et gardiennage des scellés, ivresse publique et manifeste). Pour aller plus loin, il serait même possible d’intégrer les acteurs privés de la sécurité dans la chaîne de sanction des infractions. Dans un cas limité, les agents privés mais pourraient, sous l’autorité des forces de sécurité intérieure, contribuer aux procédures en produisant des rapports et constats de faits délictuels au service de la réponse pénale. Dans un autre scenario plus volontariste, les agents, sous condition d’assermentation, pourraient être habilités à traiter intégralement des délits mineurs. On peut penser par exemple au vol à l’étalage pour les agents de surveillance présents dans les commerces. La sécurité privée peut également trouver une place accrue dans des politiques comme la sécurité routière. Dans ce domaine, elle fait office de partenaire technique des forces de sécurité intérieure (installation et maintenance des équipements, gestion des courriers). Avec un niveau de professionnalisation adéquat et une assermentation appropriée, les acteurs privés pourraient contribuer davantage. Il est même envisageable de leur permettre de procéder à des constatations d’infractions en lieu et place des fonctionnaires et militaires aujourd’hui mobilisés. De telles mesures mériteraient d’être expérimentées afin d’en valider l’intérêt, d’établir le processus, d’en évaluer le coût et d’identifier les contreparties à prévoir. Proposition : Confier aux agents privés et aux personnels assermentés la possibilité de participer à des procédures simplifiées pour des préjudices faibles. Renforcer la protection des agents de sécurité privée Le secteur de la sécurité privée profondément réformé, un capital humain encore davantage moralisé et formé, des prestataires identifiés et positionnés sur un socle de compétence défini et intégré dans le continuum, les acteurs privés auront trouvé une juste place dans la co-production de la sécurité globale. Leurs prérogatives et leur visibilité les exposeront à des actes de rébellion ou de violence. Assumer de faire prendre de l’envergure à la sécurité privée dans le continuum, c’est donc aussi conférer à ces professionnels une protection juridique adaptée. Il est dès lors nécessaire de prévoir la mise en place d’un cadre permettant mieux sanctionner les agressions physiques et verbales à l’encontre des agents privés de sécurité. Les prérogatives des agents de 154 Livre blanc de la sécurité intérieure sécurité impliquent également une forte responsabilité ; c’est pourquoi ce cadre doit aussi prévoir de sanctionner les contrevenants à la déontologie du métier et aux pratiques attendues de la profession. Proposition : Prévoir une protection juridique pour les agents privés de sécurité, avec circonstances aggravantes en cas d’agression. Ce cadre impliquerait aussi un régime de sanctions pour les agents privés contrevenant à la déontologie de leur métier et aux attendus dans l’exercice de leurs missions. 4.2. Développer les services de sécurité des entreprises, fonction interne de plus en plus indispensable pour faire face aux menaces Le second pilier de la sécurité privée réunit les services internes de sécurité des entreprises. Si nombre des mesures présentées pour les sociétés de sécurité privée sont applicables directement aux services de sécurité des entreprises (moralité, extension des compétences aux abords immédiats, formation, reconnaissance) ou peuvent leur bénéficier indirectement (réforme et moralisation des prestataires de sécurité privée), il est important de tenir compte des particularités de ce pilier de la sécurité privée. 4.2.1. Mieux reconnaître et animer le réseau des directeurs de sécurité des entreprises Les directeurs de sécurité des entreprises sont des parties prenantes au continuum de sécurité et, afin de les intégrer davantage, il est nécessaire de renforcer leur reconnaissance en tant que tels. Celle-ci peut être juridique, par une intégration au Livre VI du code de la sécurité intérieure. Elle peut aussi être symbolique, par la possibilité d’attribution de la médaille de la sécurité intérieure. Elle peut enfin être opérationnelle, par la constitution d’outils de travail (annuaire professionnel en lien avec les services préfectoraux) et, si besoin, l’intégration à des instances locales de mise en œuvre de la politique de sécurité intérieure. Pour ce faire, il faudra formaliser un « cercle de confiance » avec les directeurs de la sûreté/sécurité (principe de partage de l’information rendu possible par une obligation commune de secret professionnel). Proposition : Renforcer la reconnaissance du rôle des directeurs de sécurité en entreprise dans le continuum et les intégrer dans l’animation du continuum par la mise en place d’une relation de confiance mutuelle partageant le secret professionnel. 4.2.2. Développer de nouveaux services internes de sécurité Les services internes de sécurité sont aujourd’hui réservés aux seules entreprises inscrites au registre du commerce et des sociétés. Compte 155 tenu des enjeux internes de sécurité auxquels font face de nombreuses structures et de l’utilité collective des services de sécurité des entreprises, il y a lieu d’assouplir ce cadre juridique. Il pourrait utilement être ouvert aux associations et fondations, aux établissements de santé ou encore aux bailleurs sociaux. Proposition : Assouplir les conditions de création des services internes de sécurité. 4.2.3. Le cas particulier des entreprises de transport La sécurité dans les transports collectifs recouvre un large spectre qui s’étend de la petite incivilité (déjections, tapage) à la délinquance (vols, violences, harcèlement sexuel) et au risque terroriste. Pour répondre aux besoins de sécurité des citoyens en mobilité, selon les dispositions prévues à l’article L. 2261-1 du code des transports, qui prescrit que les exploitants sont tenus d’assurer la sûreté des personnes et des biens, les services de sécurité internes, au sens du Livre VI du code de la sécurité intérieure, gagneraient à se développer sur tous les vecteurs de transports collectifs de personnes. Le transport intérieur du quotidien, et notamment celui relevant de la compétence des collectivités régionales en tant qu’autorités organisatrices des mobilités, interroge sur les mesures à mettre en œuvre pour assurer la sécurité des personnes et prévenir les actes de délinquance. La particularité de ces enjeux a conduit les grands opérateurs à se doter de services de sécurité. Ainsi, depuis le début des années 1980, la RATP et la SNCF peuvent disposer d’un service interne de sécurité pour assurer un ensemble de mission (prévention, sécurité des personnes et des biens, protection des agents de l’entreprise et de son patrimoine, bon fonctionnement du service). Le niveau de professionnalisation atteint par ces services en fait des partenaires reconnus dans le continuum de sécurité. Cette reconnaissance s’est traduite par l’extension progressive de leurs capacités d’intervention (assermentation, armement, caméras-piétons). Proposition : Poursuivre la fiabilisation des acteurs de la sécurité dans les transports en renforçant le périmètre de vérification préalable à l’embauche de certaines catégories de salariés et les dispositifs de lutte contre la radicalisation. Alors que la question de la sécurité des mobilités se pose avec une acuité croissante du fait de l’intensification des trajets domicile-travail et de l’extension des aires urbaines, il est utile de repenser leur périmètre de missions, la coordination avec les autres acteurs du continuum (notamment les forces de sécurité intérieure et les polices municipales) et les exigences qui s’imposent. 156 Livre blanc de la sécurité intérieure Proposition : – Assurer une meilleure sécurisation de l’ensemble des lignes de transports, indépendamment des frontières administratives et territoriales, en revoyant le périmètre d’intervention des acteurs (forces régaliennes, polices municipales, services internes de sécurité des sociétés de transport) et en renforçant leur coordination opérationnelle. – Accroître les obligations portant sur les usagers des transports en commun vis-à-vis des services de sécurité et des forces de l’ordre (par exemple, obligation de pouvoir prouver son identité par une pièce agréée dans le périmètre des transports en commun) et de la sécurité collective (par exemple, pénalisation de certains comportements tel le transport d’armes ou d’artifices pyrotechniques). Le Livre blanc postule qu’il est possible de renforcer encore le positionnement de ces acteurs et la gouvernance de la sécurité dans les transports afin d’assurer une pleine intégration dans le continuum de sécurité. Proposition : Renforcer la gouvernance locale de la sécurité dans les transports entre les forces régaliennes, les polices municipales et les services de sécurité des sociétés de transport par le biais du conventionnement et des contrats d’objectifs(31). Plus généralement, une mise en cohérence du régime des services internes de sécurité permettrait d’accompagner cette meilleure prise en compte des transports dans les politiques locales de sécurité. Les prérogatives des services de sécurité interne de la SNCF et de la RATP doivent pouvoir être étendues aux services internes de sécurité des autres opérateurs de transport, à proportion de leur niveau de professionnalisation. Proposition : Permettre l’extension des prérogatives des services internes de sécurité de la RATP et de la SNCF à d’autres services internes de sécurité de transporteurs terrestres, à proportion de leurs niveaux de professionnalisation. Cette extension proportionnée gagnerait à être accompagnée d’une amélioration de ces prérogatives, notamment en matière de lutte contre la fraude. L’extension de la vidéo-verbalisation aux capteurs mobiles, le renforcement de l’efficacité des relevés d’identité notamment par le recours à des outils numériques, le développement de traitements de données personnelles permettant d’identifier les fraudeurs sur une longue 31 Loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs (« loi Savary ») du 22 mars 2016 157 durée et la transformation des contraventions en contribution forfaitaire au montant fixé par l’autorité régulatrice, sur le modèle du forfait poststationnement, sont à cet égard des axes de travail. Le recours à la reconnaissance faciale pour sécuriser les réseaux face au risque terroriste mérite aussi d’être expérimenté. Par ailleurs, d’autres moyens des sociétés de sécurité des transports pourraient être renforcés. Il conviendrait notamment de préciser les cas d’utilisation des armes face au danger. Proposition : Consolider les prérogatives et moyens des services de sécurité (préciser les cas d’utilisation des armes face au danger, simplifier les procédures dans l’exercice de leurs missions, conférer aux agents un pouvoir d’éviction des réseaux de transport, autoriser le recours aux équipes cynotechniques, améliorer les outils de lutte contre la fraude, autoriser l’expérimentation de la reconnaissance faciale dans le cadre de la lutte anti-terroriste). Encourager la mise en place de centres de commandement conjoints à la force publique et aux services internes de sécurité des transporteurs, avec accès à tous les réseaux de vidéoprotection. Sur les transports longue distance, l’aérien est aujourd’hui le vecteur le plus et le mieux contrôlé au prix d’un effort d’investissement massif et d’une réglementation volontariste issue des normes internationales. Les aéroports secondaires ne sont cependant pas à ce niveau de normes, de même que les autres vecteurs de transports. La question du contrôle du transport de personnes par bus reste, quant à elle, entière, notamment s’agissant des transports de longue distance et internationaux. Inspectés et contrôlés de manière trop occasionnelle, ces modes de transport relèvent d’une zone grise alors que ce sont des vecteurs massifs notamment de transport pour des marchandises prohibées et pour l’immigration irrégulière. A défaut d’une systématisation des contrôles, un travail sur les billetteries et le criblage des listes de passagers pourrait amorcer une véritable politique transfrontalière de contrôle des personnes afin de lutter contre la criminalité organisée, le terrorisme ou la traite d’êtres humains. Proposition : Adopter une stratégie de sécurité des transports de longue distance et internationaux par bus. Des progrès notables restent à opérer sur le transport maritime et fluvial en développant une véritable doctrine nationale de contrôle et en confiant ces missions de proximité (contrôle à l’embarquement et au débarquement) à des opérateurs privés sous la supervision des forces de sécurité intérieure. 158 Livre blanc de la sécurité intérieure Proposition : Adopter une stratégie de sécurité sur le transport maritime et fluvial. Vers les jeux olympiques et paralympiques Les jeux olympiques et paralympiques de Paris de 2024 seront un événement aux dimensions hors normes posant des enjeux de sécurité majeurs : 15 à 20 millions de visiteurs, grands rassemblements, mobilités multiples, délégations officielles. L’été 2024 verra donc une intense mobilisation des forces de sécurité intérieure en plus des missions quotidiennes qui continueront à être assurées et des renforts déployés dans le cadre des dispositifs de sécurité estivaux. Le recours à la sécurité privée pour la sécurisation des jeux olympiques sera indispensable, à l’image des prestations réalisées par les entreprises privées lors de l’Euro 2016. Les estimations portent à 25 000 le nombre d’agents de sécurité privée qui pourraient être nécessaires. Il est indispensable de permettre à la sécurité privée d’être au rendezvous de cet événement. En outre, les jeux olympiques constituent un marché majeur pour les entreprises françaises et un catalyseur unique pour permettre à la profession de changer de dimension. Tous les acteurs, y compris la sécurité privée, devront faire preuve de souplesse et d’adaptation, notamment de capacité de bascule de forces, en raison de la multiplicité de sites activés en même temps sur une longue période. La sécurité privée devra être en mesure de participer à la planification stratégique, opérationnelle et tactique des opérations sous l’égide de l’État. Des détachements au sein des entreprises concourantes de sécurité privée, de cadres dirigeants des forces de l’ordre et d’officiers supérieurs des armées, pourraient à cet égard être une aide précieuse. L’appui technologique permettra notamment d’appuyer les forces publiques ou privées. Les jeux olympiques ne seront pas un lieu d’expérimentation : ces technologies devront être déjà éprouvées, notamment à l’occasion de la coupe de monde de Rugby de 2023. Enfin, la réserve opérationnelle pourrait monter en puissance d’ici à 2024 en faisant appel à des personnels sélectionnés, formés, encadrés, et qui pourraient être réemployés à l’issue. Cela lui permettrait de contribuer : - à la formation initiale et continue des personnels de la sécurité privée (notamment de ses cadres) ; - à la mise en œuvre de services conjoints avec la sécurité privée lors des jeux olympiques. Proposition : – Associer la sécurité privée à la préparation des jeux olympiques dès la phase de planification des opérations. – Proposer un programme d’action en 2021-2022 afin de tester les 159 nouvelles technologies en vue de leur déploiement à échelle lors de la coupe du monde de rugby en 2023. – Optimiser la réserve opérationnelle en vue des jeux olympiques de 2024. 4.3. Prendre en compte la diversité de la sécurité privée au sein du continuum La définition de la sphère de la sécurité privée n’est pas aisée. Il est admis qu’y figurent les entreprises de sécurité privée et les services de sécurité des entreprises. Ce sont les deux familles professionnelles bien identifiées, souvent en interaction (les services de sécurité des entreprises ont recours à des prestataires de sécurité), et structurées avec une représentation professionnelle. L’évolution des métiers et des besoins invite cependant à se pencher sur l’existence d’autres acteurs de sécurité privée ou contributeurs. Il en découle toute une série d’implications en termes de reconnaissance, de compétence et de contrôle. Le Livre blanc propose de tenir compte de la sensibilité particulière de nombreux métiers de la sécurité pour les faire entrer dans le champ Livre VI du code de la sécurité intérieure, relatif à la sécurité privée. Il s’agit notamment des services de sécurité incendie et d’assistance à personnes (SIAP), dont les agents, acteurs quotidiens de la sécurité et ayant des accès privilégiés aux sites dont ils ont la charge, ne sont pas reconnus comme tels et ne tombent pas sous le champ de contrôle du CNAPS. Les installateurs de dispositifs de sécurité ou les salariés des entreprises de cyber-sécurité sont également des intervenants de premier rang dans la sécurité privée et ne sont pas couverts par le régime juridique adéquat. Enfin, les sociétés de service de défense, les entreprises de conseil en sécurité / sûreté et les entreprises françaises proposant des services de sécurité à l’étranger sont des acteurs de la sécurité privée et un segment économique d’importance qu’il convient de mieux reconnaître et prendre en compte. Proposition : Intégrer dans le livre VI du CSI les activités stratégiques en lien direct avec la sécurité privée. Associer systématiquement la sécurité privée à la gouvernance nationale et locale des questions de sécurité. 160 Livre blanc de la sécurité intérieure TROISIÈME LIVRET : SE RÉORGANISER POUR ASSURER LE PACTE DE PROTECTION ET DE SÉCURITÉ DES FRANÇAIS 161 1.  Bâtir une organisation des forces de sécurité intérieure adaptée aux enjeux et aux territoires Les travaux du Livre blanc ont montré la nécessité d’une rénovation profonde du pacte de protection et de sécurité pour répondre aux attentes fortes exprimées par les Français mais aussi pour adapter les missions et organisations aux menaces et enjeux sécuritaires de demain. Au moment où chaque acteur de sécurité redéfinit sa position, grâce à une vision beaucoup plus large au travers du continuum de sécurité, police et gendarmerie nationales doivent aborder leur transformation par une réflexion objective et ambitieuse sur les forces et faiblesses de leur organisation d’aujourd’hui. Les caractéristiques de la délinquance, souvent qualifiée de protéiforme, imposent une vision beaucoup plus étendue et interdisciplinaire du champ d’action des forces de sécurité intérieure intégrant les interactions aujourd’hui indispensables avec les différents acteurs, évoluant notamment au sein d’autres périmètres ministériels, des collectivités locales ou d’autres opérateurs. Cette évolution de la délinquance impose inéluctablement une adaptation des méthodes d’action et donc des organisations des forces de sécurité intérieure. Nombreux sont en effet les écueils rencontrés quand les forces affectées à la lutte contre la délinquance se présentent en ordre dispersé, sans coordination. Les organisations doivent appréhender la mission dont elles ont la charge selon une approche beaucoup plus globale et intégrée que celle qui a pu prévaloir pendant de longues années : elles doivent dépasser les frontières des services pour privilégier un regard transversal des questions à traiter en mutualisant les compétences et les connaissances. Ce sont ces principes qui caractérisent aujourd’hui le dispositif de lutte anti-terroriste, en organisant un chef de file sur l’ensemble des services opérationnels en coordination avec l’autorité judiciaire. Sur ce modèle, a été d’ailleurs élaboré le plan national de renforcement de la lutte contre les stupéfiants. Les propositions d’évolution dans la lutte contre la délinquance économique et financière ainsi que les atteintes à l’environnement et à la santé publique poursuivent la même approche. Dans ces conditions, les réorganisations préconisées reposent sur quelques principes directeurs : transversalité, décloisonnement mais également déconcentration et proximité avec le terrain au plus proche de la population à protéger. Les forces de sécurité doivent certes repenser leurs missions en prenant en compte les évolutions de la société française et la recomposition des territoires, ce qui se pose la question de l’adaptation de la répartition territoriale des compétences entre police et gendarmerie. Police et gendarmerie nationales doivent également apprendre à mieux partager et pour cela ajuster leurs organisations pour privilégier une appropriation partagée des enjeux en mutualisant et optimisant les moyens à leur disposition. Les outils, tels les offices centraux et /ou services à compétence nationale, constituent des supports particulièrement pertinents eu égard aux objectifs recherchés dans des domaines techniques de plus en plus spécialisés, donc nécessitant des compétences rares ou des investissements coûteux que la raison commande de rationaliser. 162 Livre blanc de la sécurité intérieure En outre, toutes les rencontres et les concertations ont permis de dresser le constat d’une organisation de la police nationale qui ne donne plus satisfaction et de l’espoir très largement partagé d’une transformation ambitieuse. La police nationale souffre avant tout de son morcellement. L’état des lieux confirme une attente générale de pilotage renforcé et affirmé, conforté par un décloisonnement vigoureux et appuyé sur une déconcentration volontariste. L’articulation de la préfecture de police avec le reste du dispositif policier national, clairement posée par la Cour des comptes et l’Inspection générale de l’administration, mérite également d’évoluer. Enfin, la dimension européenne et internationale des politiques publiques s’est considérablement affirmée, au cours des dernières années, dans le champ de compétence du ministère de l’Intérieur : qu’il s’agisse de la politique de l’asile, de la protection des frontières, de la police des étrangers, de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, de la sécurité civile ou encore des systèmes d’information, l’Union européenne, en particulier, joue aujourd’hui un rôle déterminant. Parallèlement, un nombre croissant d’enceintes internationales traitent désormais de sujets essentiels pour les politiques régaliennes relevant du ministère de l’Intérieur, comme le déploiement de missions civiles de l’ONU ou de l’UE, la dissémination des contenus terroristes sur Internet, le financement du terrorisme ou la politique migratoire. Enfin, des cadres de coopération structurés existent autour des enjeux méditerranéens, ou encore des pays d’Afrique subsaharienne. Face à ce constat le ministère de l’Intérieur est engagé dans une transformation de ses méthodes de travail par la création d’un échelon de coordination aujourd’hui manquant. Les échanges permis par les travaux du Livre blanc ont insisté, en particulier dans la perspective de la prochaine présidence de l’Union européenne par la France, sur la nécessaire et visible appropriation organique et stratégique de la dimension internationale et européenne par le ministère de l’Intérieur. 1.1. Dessiner l’organisation territoriale des forces de sécurité intérieure en conjuguant territoires, proximité et efficacité 1.1.1. Une organisation territoriale fondée sur un maillage dense L’organisation territoriale de la police et de la gendarmerie nationales se caractérise par un maillage dense, essentiellement fondé sur le département. La sécurité publique est ainsi organisée en directions départementales, ellesmêmes déployées, au sein de chaque département, en une ou plusieurs circonscriptions de sécurité publique. Au total, la sécurité publique dispose ainsi de 872 implantations territoriales, ouvertes 24 heures sur 24 au public. La gendarmerie nationale dispose quant à elle de groupements départementaux, répartis outre le chef-lieu, en compagnies, elles-mêmes composées de brigades de gendarmerie. Le réseau de la gendarmerie nationale comporte ainsi 3 766 unités, réparties dans les zones attribuées à cette force. Outre cette organisation départementale, les services spécialisés disposent de directions régionales, interrégionales ou zonales, selon les missions (police judiciaire, police aux frontières notamment). 163 La question de l’organisation territoriale ne se pose pas pour les forces mobiles, qui, par nature, sont appelées à se déplacer de manière régulière en fonction des besoins. Dans chaque département, les forces de police et de gendarmerie agissent sous l’autorité du préfet, responsable unique de la sécurité publique dans les territoires. Enfin, Paris et les départements de la petite couronne depuis la création de la police d’agglomération, relèvent de la compétence exclusive de la préfecture de police. 1.1.2. Une organisation qui a déjà évolué sous l’effet conjugué des mouvements démographiques et la nécessité de rationaliser les implantations territoriales Recouvrant plus de 96 % du territoire en métropole et Outre-mer, et concentrant près des 2/3 de la croissance démographique entre 2014 et 2019, la zone de compétence de la gendarmerie nationale (ZGN), dans laquelle réside la moitié de la population française, se trouve plus spécifiquement impactée par ces évolutions majeures. Plus que jamais, elle est constituée de territoires très divers, des plus ruraux à de véritables zones urbanisées. Parallèlement, le cœur de la zone de compétence de la police nationale (ZPN) que constituent les grands centres urbains se densifie souvent, nécessitant d’y concentrer les moyens, alors que nombre de villes moyennes connaissent des dynamiques démographiques moins favorables. L’évolution des modes de vie, le changement de la physionomie de la population, qui s’est agglomérée dans et autour des villes et qui vieillit, la transformation de la carte des collectivités territoriales ont amoindri la distinction théorique entre les territoires, accru les mobilités et fait évoluer la demande de sécurité des Français. L’urbain ne s’oppose plus au rural, les métropoles s’affirment tout en s’inscrivant dans des systèmes urbains bien plus larges où villes-centres et périphéries sont interdépendantes. L’émergence des intercommunalités et des regroupements de communes (communes nouvelles, communes-communautés) supplante le modèle communal ancien sur lequel la répartition des forces est basée. Ces évolutions démographiques ont conduit à revoir, entre 2003 et 2006, la répartition des zones de compétence territoriale entre la police et la gendarmerie. Ces redéploiements ont concerné 66 départements. Ils ont donné lieu au transfert de 219 communes en zone police, et de 121 communes en zone de gendarmerie.(32) Par ailleurs, il convient de mentionner que trois circonscriptions interdépartementales de sécurité publique ont été créées, pour adapter l’organisation aux enjeux de sécurité par-delà les découpages administratifs traditionnels. La création de la police d’agglomération constitue une autre illustration de cette adaptation des structures aux exigences territoriales. Mise en place à Paris, Lille, Lyon et Marseille, elle a consisté à fusionner plusieurs circonscriptions en une seule, sur un bassin de délinquance cohérent, avec comme enjeu une souplesse accrue d’intervention et une mutualisation 32 Rapport de la Cour des Comptes de 2011 sur la redéfinition des zones de compétences de la police et de la gendarmerie nationale. 164 Livre blanc de la sécurité intérieure des moyens d’intervention. Cet ajustement se poursuit, notamment, après les Yvelines, en Seine-et-Marne et dans l’Essonne. Entre 2009 et 2019, la gendarmerie nationale a resserré son dispositif territorial en procédant à la dissolution de 373 bridages territoriales. Ce mouvement a été interrompu, pour ne pas mettre en péril la couverture territoriale des zones rurales. Il a été remplacé par la création d’un nouveau mode de contact avec les citoyens, fondé sur les outils numériques (brigade numérique), ainsi que sur l’expérimentation de nouveaux modes d’organisation, tels que les brigades territoriales de contact, ou les brigades multimissions. Ces évolutions, réelles, restent malgré tout limitées et se heurtent à des pesanteurs paralysantes. L’organisation des territoires se transforme, au plus proche des préoccupations des acteurs de la vie civile (institutionnels, économiques, sociaux), il est sûr que le schéma actuel de répartition des forces de sécurité intérieure est trop binaire et doit évoluer vers une approche similaire, conjuguant pragmatisme local et vision stratégique de niveau ministériel. Les redéploiements entre la police et la gendarmerie étant de fait gelés depuis 2014, il sera avant tout nécessaire de faire un bilan des opérations conduites précédemment afin d’en mesurer les résultats en terme d’efficacité au regard des gains dégagés et des coûts supportés. 1.1.3. Définir une méthode claire et pertinente pour partager sur le territoire les compétences de la police et de la gendarmerie Selon la règle en vigueur, la responsabilité de la police nationale dans une commune est soumise au cumul de deux critères  : une population supérieure à 20 000 habitants et une délinquance ayant les caractéristiques de celles des zones urbaines, auxquels s’ajoute un troisième critère s’il s’agit de plusieurs communes, celles-ci devant former un ensemble urbain. Parce que les territoires ont changé, il est nécessaire de faire évoluer ces critères de répartition des forces de sécurité, d’un modèle quantitatif (seuil des 20 000 habitants, délinquance) à un modèle qualitatif reposant sur une analyse locale, pragmatique et objective. Avec un seul but : permettre à tout citoyen de bénéficier du service de sécurité publique le mieux adapté aux réalités du territoire sur lequel il se trouve. Cela doit se traduire par l’évolution du seuil de population qui, dans le contexte d’agrandissement de la maille communale, a perdu de sa signification. Ainsi, en dessous de 30 000 habitants, le principe serait de confier le territoire à la gendarmerie. Entre 30 et 40 000 habitants, attribution à la force la mieux adaptée aux caractéristiques de ce territoire et au-dessus de 40 000 habitants principe de compétence de la police nationale. Le ministre doit conserver la faculté de s’écarter de ces principes au regard de toute situation particulière. De la même manière, impactant dans des proportions comparables les zones de compétence de la police nationale (ZPN) et de la gendarmerie nationale (ZGN)(33), la délinquance ne peut suffire pour départager l’adéquation de telle ou telle force de sécurité à un territoire dans le sens où elle est la 33 Sur le total des crimes et délits, ainsi que les contraventions non routières, la police nationale en enregistrait 59,5 % (dont 14,6 % pour la préfecture de police) et la gendarmerie nationale, 40,5 % en 2019. Ces chiffres étaient de 59,3 % (dont 14 %) et 40,6 % en 2018. (source : SSMSI). 165 traduction d’une activité qui dépend essentiellement de l’action et de la présence des forces de l’ordre, ainsi que des modalités d’enregistrement des faits par les agents. En outre, tandis que la délinquance a tendance à s’uniformiser sur le territoire (cyber, escroqueries, terrorisme, atteintes aux biens, violences…), il n’y a pas de définition claire et partagée d’une délinquance qui serait propre à l’urbain. Il faut donc dorénavant s’appuyer sur d’autres éléments pour différencier ZPN et ZGN et adopter une vision pragmatique et locale, fondée sur la réalité des territoires et le service rendu à la population. ZPN et ZGN ne peuvent plus se définir par défaut l’une de l’autre, mais dans une optique de vraie complémentarité, justifiée par la réalité d’un territoire considéré, sur lequel leurs modes d’action et d’organisation les rendent, l’une ou l’autre, plus adaptées. Ainsi, la ZPN se caractérise par un principe général de concentration, dans une approche « verticalisée » : sur des superficies réduites (4 % du territoire national), s’agglomèrent à la fois des problématiques d’habitat avec une densité forte (1 300 hab/km² en moyenne, hors préfecture de police), d’activité économique et d’emploi, de nœuds de transports publics structurants et d’axes de communication traversants. La police s’organise pour faire face aux conséquences de ce principe de concentration en matière de sécurité publique, dans tous ses aspects. Elle assure à cet effet une présence et un accueil permanent (J7/H24), dans une logique de disponibilité immédiate. La ZGN se définit quant à elle par un principe général d’espace, dans une approche « horizontalisée » : sur une superficie très étendue (96 % du territoire), elle oblige à une rationalisation des moyens, pour faire face à des problématiques très réparties, différenciées d’un territoire à l’autre, y compris par la densité de population, et dominées par les mobilités. La gendarmerie s’organise dès lors pour optimiser sa réponse : être là et au moment où le citoyen a besoin d’elle, dans une logique de disponibilité sur-mesure. Si l’urbain dense et le rural profond ne font pas débat dans leur identification et dans la force de sécurité à laquelle ces territoires doivent être respectivement confiés, c’est sur le périurbain, id est la jonction entre l’urbain et le rural, soit 40 % du territoire métropolitain aujourd’hui (INSEE) dont les distinctions tendent à s’amenuiser, que se pose davantage la question du meilleur choix à faire. Par nature hétérogène, le périurbain ne peut plus aujourd’hui être traité dans une approche mécanique et déconnectée du cadre de vie des habitants. Au contraire, il appelle une réponse de sécurité publique différenciée et adaptée à la configuration locale. D’un périurbain à l’autre, police et gendarmerie seront alternativement en mesure d’apporter la réponse sécuritaire optimale. La qualité de cette réponse sera conditionnée par plusieurs facteurs-clés : –  organisation locale de la force compétente ; –  capacité à assurer une présence permanente, visible et rassurante, dans ces zones aux attentes différenciées ; –  capacité à monter en puissance de manière autonome pour gérer efficacement une situation particulière, soudaine ou prévisible. Ces facteurs-clés, une fois confrontés à la typologie du territoire, permettront de répartir celui-ci « au mieux disant » en termes de service public de sécurité, sous l’égide du préfet. Cette répartition doit être appuyée par des études d’impact et interrogée par un dialogue pluri-partenarial à l’échelon local, lequel est le mieux placé pour proposer d’éventuelles évolutions. La consultation préalable des élus locaux concernés par une opération de redéploiement des forces de l’ordre est d’ailleurs posée comme un postulat 166 Livre blanc de la sécurité intérieure dans chacune des contributions écrites émises par l’Association des Maires de France d’une part et l’Association des départements d’autre part. Ce dialogue devra aussi s’appuyer sur les dynamiques d’aménagement du territoire portées au plan local et, en particulier, sur la construction intercommunale et les schémas de cohérence territoriaux (SCoT). La dimension budgétaire, que ce soit pour l’État ou, souvent, à un titre ou à un autre, pour les collectivités, doit être pleinement intégrée à cette réflexion et sera souvent déterminante. 1.1.4. Sur ces principes, dessiner une carte rénovée de la répartition territoriale Cette réorganisation pourrait aller jusqu’à transférer à la gendarmerie nationale l’intégralité de la compétence territoriale sur certains départements, dès lors que la situation locale le justifie. Uniformiser le régime de la police d’État condition préalable à cette réorganisation ? Né de l’étatisation des polices municipales en 1941, le régime de la police d’État ne s’applique pas, formellement à la gendarmerie nationale. Il doit pouvoir lui être étendu. Un régime nouveau, tenant compte des orientations précédemment évoquées et redonnant toute sa place à la police du maire complémentaire de la police de l’État, doit permettre une vision à long terme et une stratégie d’ensemble qu’impose une répartition optimale des forces de sécurité intérieure sur le territoire, afin d’offrir aux Français le meilleur pacte de protection. Ce nouveau régime pourrait permettre la reprise par la gendarmerie nationale de certaines circonscriptions de police isolées et à faible effectif, y compris chefs-lieux de départements. Il pourrait donc conduire, à l’instar de la pleine compétence de la police nationale à Paris et sur les trois départements de sa petite couronne, à confier l’entière responsabilité de la sécurité publique à la gendarmerie dans certains départements peu peuplés. La police nationale y est en effet insuffisamment présente et isolée, déséquilibrant ainsi l’appui mutuel passant par la Coordination opérationnelle renforcée dans les agglomérations et les territoires (CORAT). Celle-ci est détournée de son cadre de réponse à un événement majeur imprévisible ou de crise, pour suppléer à l’impossibilité pour la police nationale de se renforcer rapidement dans le cadre de la sécurité quotidienne ou d’événements d’ordre public modérés. Dans les départements susceptibles d’être concernés par cette évolution, les fonctions d’officier du ministère public pourraient y être exercées par un officier de police judiciaire appartenant à la gendarmerie. Il est proposé que cette délimitation nouvelle des deux zones soit équilibrée dans le volume des moyens concernés dans un sens comme dans l’autre et que, pour s’assurer que les deux plateaux de la balance soient équivalents, cette évolution s’effectuera sans transferts de postes, au plan national entre les deux forces de sécurité. Elle permettra à la police nationale de concentrer ses efforts dans les plus grandes agglomérations urbaines et d’étendre à cet effet sa compétence territoriale sur certaines communes, offrant ainsi un pacte de protection renouvelé à leurs habitants. 167 La situation particulière des communes nouvelles Enfin, en cas de création de communes nouvelles dont une des composantes au moins est placée sous la compétence de la police nationale, le CGCT prévoit que l’ensemble du nouveau périmètre bascule en ZPN. Cette bascule automatique advient quelle que soit la physionomie des communes et n’est pas davantage conditionnée à une étude d’impact préalable. Une exception réglementaire a été insérée en 2017 mais sa mise en œuvre reste incertaine et fragile dans la durée ; surtout, elle ne peut intervenir qu’a posteriori, c’est-à-dire après la création effective de la commune nouvelle. L’amplification possible du mouvement de regroupements des communes est susceptible de conduire, par la mécanique juridique en vigueur, à une véritable restructuration du schéma territorial d’implantation et de compétence des forces de sécurité intérieure sans analyse des coûts induits, ni vision globale, ni prise en compte de la réalité des territoires. Il paraît donc nécessaire de supprimer cette automaticité(34) et de redonner au ministre de l’Intérieur la pleine capacité en matière de répartition territoriale des forces. Propositions: Faire évoluer la répartition territoriale entre police et gendarmerie : – Confier une mission d’évaluation des opérations de redéploiement déjà réalisées aux trois inspections (IGA, IGPN et IGGN). – Mieux faire coïncider la répartition des forces aux caractéristiques des territoires par une révision du régime de la police d’Etat et une adaptation des critères liés aux seuils de population en laissant la capacité de manœuvre finale au ministère de l’Intérieur. – Supprimer les critères d’automaticité de bascule en ZPN en cas de regroupement de communes dont l’une au moins est placée sous la compétence de la police nationale. 1.2.  Mener à bien une réforme ambitieuse et profonde de la gouvernance de la police nationale 1.2.1. Constat : un besoin de réforme et d’unité Toutes les rencontres et les concertations ont permis de dresser le constat d’une organisation qui ne donne plus satisfaction et de l’espoir très largement partagé d’une réforme refondatrice pour une police nationale dont la matrice n’a pas évolué fondamentalement depuis plusieurs décennies. En effet, la police nationale d’aujourd’hui s’est constituée progressivement par la création de structures spécialisées qui ont été conçues pour accomplir des missions particulières (police aux frontières, police judiciaire, police technique et scientifique, renseignement, maintien de l’ordre, protection des hautes personnalités, intervention spécialisée). Ce n’est que lors de la nationalisation des polices municipales, pendant la 34 Évolution également proposée par l’AMF dans sa contribution écrite au Livre blanc « postulats et attentes de l’AMF » datée du 14 février 2020. 168 Livre blanc de la sécurité intérieure seconde guerre mondiale, que la police a déployé une activité de sécurité publique dans les plus grandes communes. De son côté, la préfecture de police modernisait son organisation impériale au regard des enjeux spécifiques de la capitale, et, au-delà de Paris, étendait progressivement son autorité en banlieue. Si l’on y regarde de près, la police nationale a été en constante évolution depuis toujours mais ce n’est qu’assez récemment que des pistes de réorganisation plus structurantes ont été proposées, par exemple dans le rapport « sécurité horizon 2025 » remis par Patrice Bergougnoux au ministre de l’intérieur en juillet 2014. Les travaux du Livre blanc, et plus particulièrement les concertations, ont révélé un contexte favorable pour remobiliser l’ensemble des composantes de la police nationale qui aspirent de façon convergente à plus d’unité et de transversalité. La police nationale souffre de son morcellement, de son organisation en « tuyaux d’orgue », selon l’expression utilisée en 2019 par l’association des hauts fonctionnaires de la police nationale dans son rapport « quelle police pour demain ? ». L’état des lieux a confirmé une attente partagée d’un pilotage renforcé et affirmé, d’une plus grande lisibilité, de décloisonnement, de déconcentration et donc de conjuguer une fierté d’appartenance à une grande et puissante maison avec une agilité retrouvée. Ces évolutions sont notamment nourries du constat d’une nécessaire réforme de l’exercice de la mission de police judiciaire qui rencontre des difficultés pour attirer les jeunes talents. Les causes, auxquelles il faut trouver des remèdes durables, résultent essentiellement de la complexité accrue de la procédure pénale, alors que la société se tourne de plus en plus vers le judiciaire, voire le pénal, comme outil de régulation des tensions et des conflits de toute nature. Une véritable professionnalisation des fonctionnaires qui s’y consacrent peut en partie y remédier. En effet, la diversité actuelle des acteurs de l’investigation policière ne facilite pas l’acquisition d’une culture professionnelle commune à tous ces personnels, ni l’efficiente articulation des moyens et des services chargés d’enquêter. Par ailleurs, les directions départementales de la sécurité publiques demeurent des services généralistes, accueillant tous les publics sur l’ensemble du territoire et prenant en charge toutes les délinquances dans leur multiplicité et leur diversité, sans pour autant disposer des moyens et des capacités nécessaires pour y faire face. Il en ressort un besoin de clarification et de structuration des missions qui relèvent d’elles et des modalités d’action pour les accomplir(35). Dans ce contexte favorable, un projet qui viserait à redéfinir les modalités d’organisation de la police nationale aurait d’abord pour objectif de l’adapter aux enjeux contemporains en s’adossant à une vision stratégique, de décloisonner les énergies et de déconcentrer les décisions au plus près des territoires concernés. A contrario, les enjeux moins territorialisés, eu égard à leur coût, à leur caractère numérique, à leur dimension internationale ou aux savoir-faire très spécifiques qu’ils nécessitent, méritent d’être confiés à un pilote national. 35 D’ailleurs, une réorganisation des DDSP est en cours depuis 2014 qui vise à mieux identifier trois filières métiers cohérentes (voie publique, investigation et renseignement). 169 Ce projet aurait aussi pour objectif de clarifier et de poser clairement ce que doivent être les interactions entre la direction générale de la police nationale et la préfecture de police. Il ne saurait s’agir d’affaiblir la préfecture de police qui doit disposer de toutes les capacités utiles pour assurer l’ordre et la sécurité publics de la ville capitale et de sa banlieue. Néanmoins, comme le confirme la Cour des comptes dans son rapport de 2019, la préfecture de police doit inscrire son action dans un contexte plus vaste qui dépasse la plaque francilienne compte tenu du caractère national et international de certains phénomènes de délinquance, de terrorisme ou d’immigration clandestine. Pour cela, il est impérieux de s’affranchir de barrières pénalisantes pour chacune de ces grandes institutions, souvent de nature plus historiques ou culturelles que juridiques. Il y faudra de la volonté, de la détermination, de la constance, du courage et du sens du dialogue. Enfin, la réforme doit avant tout rechercher l’unité et la cohésion de toutes les forces, services et unités de la police nationale. Cela permettra d’offrir aux hommes et aux femmes qui y servent, quelque soient leur grade et leur statut, un cadre rénové ouvrant des perspectives d’amélioration de leur environnement de travail et des modalités de déroulement de leur carrière modernes qui répondent à leurs attentes. 1.2.2. Les deux hypothèses de transformation de la police nationale Deux scenarii de transformation ont émergé lors des travaux du Livre blanc. L’un et l’autre visent à trouver la voie d’une nouvelle cohérence globale pour la police nationale en transformant les fondements de son organisation, en rénovant ses règles de fonctionnement vertical et horizontal et en déconcentrant ce qui peut et doit l’être jusqu’au maillon le plus fin des structures policières sur le territoire. Point commun à ces deux options, une reconnaissance de ses différentes composantes métiers grâce à l’identification de filières qui correspondent aux grandes politiques publiques de sécurité ou aux grands métiers (police de sécurité du quotidien, ordre public, investigation, lutte contre l’immigration irrégulière, renseignement, etc.). Les propositions d’évolution, qui s’inscrivent dans un contexte plus vaste de transformation de l’Etat réaffirmé par le Premier ministre en juin 2019(36), confirment la nécessité d’aller plus loin en matière de déconcentration en déchargeant les échelons centraux de la police nationale de ce qui doit relever des services territoriaux et en leur réservant ce qui est leur vocation première - définir doctrine, outils, moyens et méthodes et assurer également des missions, certes parfois opérationnelles, mais ou très 36 Circulaire du 5 juin 2019 relative à la transformation des administrations centrales et aux nouvelles méthodes de travail 170 Livre blanc de la sécurité intérieure spécialisées ou stratégiques. Ainsi devront être transférées aux échelons territoriaux pertinents (départements et zones) les missions qui n’ont pas vocation à être réalisées de façon centralisée à Paris. Il convient de préciser que ce sont bien les ressorts départementaux et zonaux qui sont à chaque fois jugés pertinents car ils coïncident avec les grandes orientations d’organisation du pays en matière de sécurité et de défense. Les travaux ont donc mis en lumière deux pistes principales pour réformer la police nationale, elles sont en grande partie convergentes, en décloisonnant et en déconcentrant, mais leur étendue et leurs modalités diffèrent. A.  Première option : poursuivre et consolider les réformes engagées Certaines de ces réformes présentent l’intérêt d’être déjà engagées. Elles reposent notamment sur le constat des mutations profondes de la délinquance et de la crise des métiers de l’investigation qui imposent un puissant renouveau dans ce domaine. Dans ce contexte, l’un des axes de réforme consiste à désigner un chef de la filière de l’investigation au sein de la police nationale qui piloterait et organiserait cette fonction aujourd’hui émiettée et à laquelle manque un chef d’orchestre. Créer une filière judiciaire et une académie de l’investigation Selon cette hypothèse, un commandement unifié de l’ensemble des services de la direction centrale de la police judiciaire intégrerait, en tout ou en partie, certaines unités d’enquête de la direction centrale de la sécurité publique selon un curseur qui doit être finement déterminé. Cette réforme structurelle permettrait d’améliorer l’articulation opérationnelle entre les différents services d’enquête selon trois niveaux de délinquance (les infractions du quotidien qui nécessitent des investigations simples, les infractions intermédiaires, les infractions du « haut du spectre ») afin de raffermir la synergie entre ceux-ci. Le directeur central en charge de la filière ainsi instituée serait garant de la doctrine d’investigation qu’il établirait et qui s’appliquerait à tous les services d’enquête quel que soit le lieu et le niveau de délinquance. Il mettrait, à la disposition de tous, les meilleurs outils de renseignement, d’analyse criminelle, d’enquête et de formation. Cette réorganisation, cherchant à concilier stratégie et déclinaison opérationnelle impliquerait, pour créer une filière unique de l’investigation présente dans tous les départements, de définir des organisations adaptées au plus fin du maillage territorial en prenant en compte les bassins de criminalité et l’intensité des phénomènes à traiter. Cette réorganisation profonde du métier de l’investigation pourrait et devrait conduire, au sein de chaque zone, à réviser la carte des implantations actuelles. Il conviendrait de prendre garde toutefois à ne pas déposséder les DDSP de leur capacité à fournir une réponse judiciaire rapide et agile à la délinquance du quotidien, en bonne articulation avec les unités de voie publique. Apparue comme nécessaire pour renforcer la culture professionnelle partagée de tous les policiers concernés, une académie de l’investigation serait créée au bénéfice de ceux-ci. Elle constituerait le creuset unique des policiers d’investigation où ils pourraient bénéficier de l’ensemble des formations existantes, y compris les plus pointues, favorisant ainsi l’émergence d’un savoir-faire partagé par ceux qui enquêtent. Cette proposition répondrait en outre aux attentes des magistrats de voir 171 améliorée la qualité professionnelle des enquêteurs, confirmées dans le rapport Beaume de juillet 2014. Recentrer le siège sur la stratégie, le pilotage et l’évaluation Par ailleurs, les autres grandes directions métiers de la police nationale qui correspondent aux grandes politiques de sécurité (lutte contre l’immigration irrégulière, police de sécurité du quotidien, etc.) ne se trouveraient pas remises en cause dans leurs structures. Toutefois, leur recentrage sur des missions stratégiques serait amplifié par un fort mouvement de déconcentration au profit des échelons zonaux et départementaux. Dans ce cadre, chacune des directions métiers disposerait d’un échelon zonal déconcentré, comme c’est déjà le cas pour la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) et la direction centrale du recrutement et de la formation (DCRFPN), et aurait la charge de veiller, sous l’autorité des préfets, à la bonne application des stratégies nationales, à l’accompagnement et au soutien des services de police territoriaux et locaux. Achever la zonalisation déjà engagée conduirait donc à transformer rapidement les simples coordonnateurs zonaux de la sécurité publique en véritables directeurs zonaux (DZSP) et à créer des directeurs zonaux de la police judiciaire (DZPJ). Enfin, la place et le rôle de la direction des ressources et des compétences (DRCPN) sont clairement posés depuis plusieurs années. Dans la perspective d’un double mouvement de recentrage des grandes directions de la police nationale sur leurs cœurs de métiers et de déconcentration au bénéfice de la chaîne de commandement territoriale, cette direction de soutien devra devenir le seul interlocuteur en responsabilité au bénéfice des directions métiers, des territoires et des personnels. Il lui incombera pour cela de dialoguer véritablement avec les SGAMI rénovés, dont la gestion est désormais confiée au secrétaire général. Unifier la police nationale en Outre-mer Les nombreuses spécificités de ces territoires et leur isolement géographique ont conduit à y préfigurer une organisation particulière de la police nationale qui fait l’objet d’une expérimentation depuis janvier 2020 dans trois territoires aux caractéristiques différentes et très particulières (NouvelleCalédonie, Guyane, Mayotte). Cette expérimentation prend la forme d’une direction territoriale unique de la police nationale qui réunit l’ensemble des corps de métiers de police dans chacun de ces territoires. Ce modèle pourrait être étendu aux autres collectivités d’Outre-mer si l’évaluation, qui est attendue, en confirme l’intérêt et l’efficacité. L’intégration des SGAP en leur sein, qui devrait être une évidence, reste à réaliser. Cette hypothèse de transformation de la police nationale s’inscrit finalement dans un mouvement de réformes déjà engagé et progressif dont les effets attendus se trouvent par conséquent déjà relativement circonscrits et modestes. En outre, ce modèle consisterait avant tout à trouver un cadre partagé pour certains métiers, en particulier celui de l’investigation, qui est, c’est certain, le plus éclaté entre les différentes directions de police. Toutefois, en conservant le moule, qui s’est figé avec le temps, des directions centrales actuelles, la gouvernance globale de la DGPN, dont les écueils ont été dénoncés à maintes reprises, ne serait pas modifiée. 172 Livre blanc de la sécurité intérieure B.  Seconde option : décloisonner et déconcentrer pour unifier la police nationale Le second modèle, en poursuivant le même objectif de rassembler les diverses « briques » d’un même métier sous l’autorité d’un chef de filière positionné à chaque échelon territorial, pousse la logique de clarté et de simplicité jusqu’à son terme en instaurant une gouvernance unifiée. Le modèle préconise les adaptations de la gouvernance nécessaires à l’échelon central tout en veillant à les articuler au niveau déconcentré le plus fin. Des filières pour offrir à chacun des métiers de la police nationale : identité, culture partagée et cohérence dans l’action L’organisation de la police nationale est marquée par sa verticalité qui, au fil du temps, a juxtaposé des services aux compétences croisées. Par exemple, l’activité d’investigation est éclatée entre la police judiciaire, la sécurité publique, la police aux frontières et le service central de la police technique et scientifique. Cet entrecroisement de champs de compétence ne contribue pas à la lisibilité de l’action des policiers par les partenaires extérieurs. L’existence de doublons, en termes de missions ou d’équipements, est source parfois de rivalités voire de conflits entre directions. La multiplication des protocoles de coordination passés entre directions de police est révélatrice d’une organisation de plus en plus sclérosée. Dans ces conditions et partant des mêmes constats que l’hypothèse précédente, le deuxième modèle propose un regroupement de l’ensemble des métiers et des spécialités de la police au sein d’un nombre limité de filières métiers : paix et ordre publics, investigation, renseignement territorial, protection aux frontières, protection et intervention, assorti de missions transverses telles les ressources humaines et les moyens ou la coopération internationale. Chacun des policiers et agents de la police nationale relèverait par voie de conséquence de l’une de ces filières. Unifier la gouvernance de la police nationale Le DGPN, dont chacun attend qu’il soit en position de devenir le patron d’une organisation de grande taille et d’incarner la puissance et l’unité de la maison, doit pour cela pouvoir s’appuyer sur un directeur général adjoint, ayant autorité sur les directeurs nationaux en charge de chaque filière métier. La DGPN devra également pouvoir s’appuyer sur une direction nationale en charge des missions support, par nature transversales (ressources humaines, formation, budget). À la différence des actuels directeurs centraux, les directeurs nationaux thématiques chargés de piloter chacune des filières et rattachés au DGPN et à son adjoint, seraient donc déchargés des tâches de gestion des personnels ou des moyens pour leur permettre de se consacrer uniquement au pilotage national de la filière selon un schéma s’inspirant de celui qui est en cours aujourd’hui au service central du renseignement territorial et qui a donné de bons résultats depuis 2014. Cette évolution constitue le socle d’un pilotage profondément rénové de la police nationale qui devra nécessairement s’appuyer sur une gestion des ressources humaines unifiée, seule capable d’énoncer des principes de gestion uniformisés, condition nécessaire pour proposer à tous les policiers, 173 des parcours de carrière diversifiés au sein des différentes filières métiers de la police. Le modèle envisagé repose finalement sur une structuration à la fois pyramidale et déconcentrée : la chaîne ainsi constituée auprès du DGPN, son adjoint et des directeurs nationaux en charge d’animer la filière métier se reproduit du haut vers le bas, depuis l’échelon central jusqu’aux chefs de circonscriptions PN, en passant par des directeurs départementaux et zonaux de la police nationale. Ce mécanisme reposant sur une déconcentration poussée à son maximum sera articulé et juxtaposé avec des outils nécessairement nationaux parce qu’uniques tels la structure en charge de la coopération internationale, ou celle de la protection et de l’intervention (qui pourrait regrouper l’actuel SDLP et la FIPN / RAID). De même, certains services très spécialisés à l’échelon central doivent conserver leur capacité à assurer la conduite de l’action sur l’ensemble du territoire (criminalité organisée, anti-terrorisme). Ces unités à compétence nationale, quelle que soit leur consistance juridique, doivent être différenciées des structures en charge du pilotage des services déconcentrés. Instituer des directeurs territoriaux uniques de la police nationale Dans les territoires, des directions territoriales de la police nationale seraient créées au niveau départemental et au niveau zonal, regroupant les effectifs de police de chacune des filières sur le modèle des 3 directions territoriales de la police nationale qui sont expérimentées depuis janvier 2020 en Outre-mer. Les modalités de répartition des compétences s’établiraient comme suit : –  les directions départementales de la police nationale disposent de l’autorité hiérarchique et assurent la gestion « opérationnelle » des personnels et des moyens (en lien avec les SGAMI) ; –  les directions « filières » nationales jouent un rôle d’animation et de coordination sur les agents relevant de leurs filières respectives. Ce projet ambitieux permettrait de conforter l’échelon territorial et notamment l’autorité des préfets de zone et de départements, tout en favorisant le rôle d’animation des filières par les directions nationales ellesmêmes dégagées des contraintes de gestion, sur le modèle de celui du SCRT. Eu égard au poids des contraintes territoriales et au risque de dilution des spécialités au profit des missions généralistes, il est impératif, comme c’est le cas pour le RT, que les règles d’emploi de chacun des filières ainsi que les modalités de régulation et d’arbitrage soient codifiées dans des doctrines écrites dont la DGPN serait garante en dernier ressort. Ce projet qui se veut global peut susciter une crainte de déstabilisation provisoire de l’institution, focalisée sur une réorganisation aussi profonde, compte tenu de l’étendue des réformes à accomplir mais il peut aussi créer un opportun « choc de transformation », qu’il conviendra d’accompagner et de transformer en énergie positive. 174 Livre blanc de la sécurité intérieure Toutefois, l’objectif poursuivi par la réforme envisagée est avant tout celui d’une rénovation de la gouvernance de la police nationale. Sa mise en œuvre devra veiller à préserver au maximum les services tels qu’ils sont constitués aujourd’hui en les considérant comme des « briques » à placer dans la filière métier appropriée. Dans ces conditions, l’impact sur le fonctionnement quotidien des services territoriaux ne sera certes pas nul mais pourrait être plus limité. Dessiner une nouvelle cartographie budgétaire L’instrument le plus puissant pour que la réforme soit effective, sera de répartir différemment les responsabilités budgétaires en les unifiant à chaque échelon géographique : le directeur général au plan national, les préfets de zone et les préfets de département assistés des SGAMI et des directeurs territoriaux dans leurs périmètres géographiques de responsabilité. La cartographie actuelle du programme Police nationale apparaît aujourd’hui comme particulièrement complexe, reflétant en cela l’organisation actuelle des services. Le programme 176 compte en effet une douzaine de budgets opérationnels de programme (BOP), et près de 200 unités opérationnelles. Les BOP sont pour partie géographiques (un par SGAMI), et pour partie fonctionnels, adossés aux directions centrales. Ils composent ainsi une vaste matrice, dans laquelle se croisent des composantes verticales et transversales, qui rendent le pilotage du programme particulièrement difficile, s’agissant notamment du suivi budgétaire de la répartition des emplois. La réorganisation des services permettrait de simplifier cette organisation budgétaire, de manière à clarifier la répartition des compétences, et surtout, à construire un instrument de pilotage budgétaire transparent et performant. Cette réorganisation pourrait également s’accompagner d’une nouvelle déconcentration de la gestion budgétaire, avec la création d’unités opérationnelles au niveau départemental. Ainsi, les nouveaux directeurs territoriaux disposeraient d’un budget délégué qui leur permettrait d’exercer véritablement leur rôle de chef de service départemental, tant en moyens de fonctionnement que d’emplois budgétaires. Les enveloppes de ces unités opérationnelles départementales leur seraient déléguées par les SGAMI, avec lesquels ils pourraient ainsi construire un véritable dialogue de gestion. Dans ce schéma, la direction des ressources et des compétences de la police nationale aurait comme interlocuteurs privilégiés chacun des SGAMI, à l’instar de l’organisation budgétaire du programme administration territoriale. Au niveau central, un seul BOP subsisterait, au sein duquel les crédits relatifs aux différents services de l’administration centrale de la police nationale seraient répartis. 175 Articuler la préfecture de police avec la DGPN Les travaux du Livre blanc, les recommandations de la Cour des Comptes et de l’Inspection Générale de l’Administration, invitent à repenser l’articulation de la préfecture de police avec la DGPN. Tout en préservant les spécificités et les capacités de la préfecture de police, l’exigence d’une évolution qui conduira à renforcer la collaboration entre la préfecture de police et la DGPN contribuera à renforcer l’unité de la police nationale, à permettre une appréhension stratégique et globale des phénomènes impactant la plaque francilienne, mais qui la dépassent par leur nature ou leur ressort, et garantirait de bâtir des réponses opérationnelles plus coordonnées et plus efficientes. Dans tous les cas, et quand bien même les spécificités liées à la capitale appelleront à des adaptations, la mise en œuvre de ce deuxième modèle nécessitera une réflexion, métier par métier, quant au positionnement de la préfecture de police comme une entité déconcentrée, zonale, interdépartementale ou départementale au sein d’une police réorganisée sur l’ensemble du territoire national. La création d’une direction zonale de la police aux frontières en Îlede-France renforcera la prise en compte globale de ce phénomène international qu’un préfet rattaché au préfet de police, disposant à la fois des services chargés des mesures de police administratives et de cette direction zonale, pourrait coordonner tout en assurant le lien avec les préfets de département, comme avec le préfet de la région Île-de-France qui exerce des responsabilités complémentaires importantes. De même, la création d’une direction zonale de la police judiciaire, placée sous l’autorité du préfet de police mais pleinement positionnée dans la filière investigation, apporterait aux autorités judiciaires et administratives des leviers d’action supplémentaires tout en l’inscrivant enfin dans l’ensemble de la politique d’investigation – on peut songer au renseignement criminel ou à l’entraide judiciaire internationale - appliquée France entière. Elle pourrait conduire à rapprocher les deux directions régionales de la police judiciaire (DRPJ de Versailles et DRPJ de Paris) d’Île-de-France. Dans le domaine du renseignement territorial, des formes rénovées de partage réciproque de l’information devront être mises en place pour renforcer l’information des autorités gouvernementales et la capacité de synthèse nationale. Cette articulation clarifiée doit garantir que tous les objectifs implantés à Paris soient pris en compte ou par la préfecture de police, ou par l’échelon central. La police nationale dans son ensemble (la préfecture de police et la DGPN) sera la première bénéficiaire de ces nouvelles synergies. S’agissant de la lutte anti-terroriste, le partage des tâches entre la DRPP et la DGSI, désignée comme chef de file, marque une amélioration et garantit à la DGSI, placée en responsabilité nationale, que tout profil méritant de l’être est bien pris en charge par le mieux placé. Il faudra y veiller dans la durée : la désignation en cours d’un interlocuteur zonal par le DGSI doit y contribuer. Enfin, la BRI de Paris qui fait déjà partie de la force d’intervention de la police nationale (FIPN) gagnerait à être transformée en antenne du RAID (cf. propositions relatives aux équipes d’interventions spécialisées). 176 Livre blanc de la sécurité intérieure 1.2.3. L’autorité préfectorale : incarnation territoriale de la sécurité Dans un contexte de fortes tensions marquées par la gestion de crises d’ampleur inédite ou d’opérations de maintien de l’ordre récurrentes en particulier dans les métropoles, la responsabilité de l’autorité préfectorale, incarnation de l’État sur le territoire, en charge de la première des missions, assurer la sécurité de tous, doit être plus que jamais affichée. La réorganisation de la police nationale doit ainsi être l’occasion de réaffirmer l’autorité des préfets de département, ainsi que des préfets de zone lorsqu’un évènement excède les limites départementales. Cette autorité doit rester pleine et entière en matière de sécurité et d’ordre public, sans préjudice bien sûr des attributions de l’autorité judiciaire. Les préfets de département mettront en œuvre la réforme dans leur département et constitueront des relais et des appuis territoriaux précieux. Le cadre légal de l’autorité préfectorale, quelle que soit l’organisation de la police L’échelon opérationnel de base est le département et le préfet de département est incontestablement l’autorité chargée d’élaborer les stratégies de sécurité et de fixer les objectifs des services qui concourent à leur mise en œuvre au quotidien. Il est seul comptable devant le Gouvernement et les élus de la sécurité et de l’ordre public sur son ressort. Les orientations récentes du gouvernement renforcent d’ailleurs très clairement le positionnement de son représentant au niveau départemental. L’article 11 du décret du 29 avril 2004 dispose que « les préfets de département sont chargés de l’ordre public et de la sécurité des populations ». L’article 17 de ce même décret complète en indiquant « qu’ils ont autorité sur les chefs des services déconcentrés dont les services de la police nationale, le commandant de groupement de gendarmerie départementale et le directeur départemental des services d’incendie et de secours ». L’article L 122-1 du CSI est encore plus explicite : « le préfet de département anime et coordonne l’ensemble du dispositif de sécurité intérieure (…) il dirige l’action des services de la police nationale et des unités de la gendarmerie nationale en matière d’ordre public et de police administrative ». Enfin l’article R 1311-7 du code de la défense détaille les prérogatives du préfet de zone, notamment la possibilité de mettre à disposition d’un ou plusieurs préfets de département les moyens de l’Etat existant dans la zone : cela rend d’autant plus pertinent le fait de disposer d’une structuration solide de la police nationale au niveau de la zone de défense afin de répondre de façon globale et efficace aux sollicitations du préfet de zone. S’inspirer du point d’équilibre trouvé pour les futures directions zonales de la sécurité publique si la réforme de la police nationale est engagée La doctrine d’évolution de la DCSP établit clairement que le champ opérationnel relève exclusivement des DDSP, y compris au siège de chaque zone. Les DZSP se concentreront pour leur part sur le contrôle de la mise en œuvre des dispositifs découlant des stratégies arrêtées par les différents préfets de la zone, sur la professionnalisation des cadres de direction en leur prodiguant des conseils et en les accompagnant (afin de rompre avec le relatif isolement des DDSP), sur le renforcement du contrôle interne 177 et la maîtrise des risques, sur la mise en place d’un fonctionnement des services selon une logique de modularité et de mutualisation (entraide interdépartementale ou zonale), etc. Il s’agit donc d’améliorer l’efficience du fonctionnement global des DDSP de la zone, sans interférer avec les sujets opérationnels du quotidien qui doivent rester pleinement assumés par chaque DDSP sous l’autorité de son préfet. Le DZSP pourra de son côté jouer encore mieux son rôle de conseil du préfet de zone. Le projet d’article 2 du décret portant création des DZSP établit d’ailleurs que « le DZSP est placé sous l’autorité du préfet de zone de défense et de sécurité et des préfets de département dans leurs domaines de compétence respectifs ». Au terme de la réforme, il y aura des directeurs départementaux de la Police Nationale (DDPN) dans chaque département et six directeurs zonaux (DZPN). S’agissant des relations entre les préfets et les futurs DZPN, on peut appliquer les mêmes principes généraux que ceux qui ont été exposés supra s’agissant des DZSP. En effet, les DZPN n’auraient pas vocation à traiter au premier chef des sujets opérationnels, qui resteraient gérés par les DDPN sous l’autorité de leur préfet de département. Le préfet de zone aurait en la personne du DZPN un interlocuteur plus solidement établi que le DZSP, car il aurait à lui seul la vision d’ensemble sur tous les métiers de la Police. Quant au préfet de département, au lieu d’avoir plusieurs directeurs détenteurs chacun d’une seule partie de la palette « police nationale », il disposerait avec le DDPN d’un chef de police de haut niveau capable de mettre en œuvre sous son autorité une stratégie globale de sécurité, associant tous les métiers autour d’objectifs communs. Le niveau opérationnel se trouverait donc bien à ce niveau départemental, avec un axe fort entre le DDPN et le préfet de département, pouvant bénéficier de l’appui de l’échelon zonal en cas de crise majeure. Les adjoints du DDPN, chargés chacun d’un des métiers (renseignement territorial, investigation…) continueraient bien entendu d’entretenir des relations directes avec le Préfet, même si l’interlocuteur naturel serait désormais le DTPN. A cet égard, les trois DTPN mis en place en Guyane, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie ne semblent pas avoir amoindri la responsabilité hiérarchique des Préfets ou Haut-Commissaire concernés, bien au contraire. Il convient de souligner que les DDPN et DZPN devraient également assurer le management de leurs équipes en ce qui concerne l’activité judiciaire, en relation avec les procureurs de la République pour les premiers et les procureurs généraux pour les seconds. S’agissant enfin du rôle des SGAMI, la mise en place des DZPN n’aurait pas vocation à affaiblir les préfets délégués à la défense et à la sécurité. Au contraire, les secrétaires généraux des SGAMI disposeraient d’un interlocuteur unique pour la police nationale au lieu de traiter avec cinq ou six directeurs territoriaux cherchant chacun à obtenir les meilleurs arbitrages en termes de budget ou d’avancements. Ce travail de coordination serait fait en amont de la discussion entre le PDDS et le DZPN, facilitant ainsi le travail des SGAMI. 178 Livre blanc de la sécurité intérieure La réforme de la police nationale, l’occasion de s’interroger sur l’adaptation et l’harmonisation des organisations préfectorales La responsabilité nouvelle qui sera confiée au préfet de zone pour piloter la mise en œuvre de la réforme sur son ressort, y compris au titre des attributions du SGAMI, alors même que croissent les exigences de sécurité dans les métropoles chefs-lieux de zone, doit conduire à évoquer la question du pilotage de la mission sécurité qui incombe au préfet du département, chef-lieu de région, chef-lieu de zone. En effet, cette question donne déjà lieu à des choix divers, en dehors bien sûr des organisations propres à la capitale avec le préfet de police, et aux Bouches-du-Rhône(37). Ainsi, à Lyon, le préfet délégué exerce une partie des missions de sécurité ailleurs attribuées au directeur de cabinet du préfet de département. La pratique varie, sans ce que cela soit fondé sur des raisons objectives en fonction du lieu, du moment ou de la composition du binôme préfet de zone/préfet délégué, voire du trinôme si l’on considère les attributions du directeur de cabinet. La sortie d’une logique strictement géographique plaiderait pour une harmonisation des pratiques entre les préfets de zone et les PDDS tout en permettant une prise en compte des problématiques de sécurité de certaines métropoles qui ne sont pas chefs-lieux de zone. Deux recommandations peuvent ainsi être formulées : –  la généralisation du « modèle lyonnais » à l’ensemble des zones, en alignant le Grand-Est sur les autres chefs-lieux, avec comme limite la nécessité pour le préfet délégué de se partager de manière équilibrée entre la direction du SGAMI et le pilotage de la fonction sécurité du département chef-lieu, ce qui supposera le renforcement de son équipe –  le relèvement du classement du poste de directeur de cabinet d’autres métropoles (parmi lesquelles Toulouse, Nantes, Nice, Grenoble…) ; on observe à cet égard que ces postes sont aujourd’hui en CFIII voire IV, ce qui ne paraît pas toujours correspondre à l’acuité des enjeux de sécurité dans ces départements. Quelle que soit l’hypothèse retenue, une évolution réglementaire du code de la sécurité intérieure pourrait s’envisager pour ajouter à la liste des autorités civiles autorisées à décider de l’emploi de la force les préfets délégués pour la défense et la sécurité et les directeurs de cabinet, ce qui rapprochera utilement le droit de la pratique. Cette transformation profonde de la police nationale, quelle que soit l’option choisie, impliquera une mobilisation sans précédent pour en concevoir tous les détails et prendre en compte tous ses impacts. Transformer cet immense chantier en réussite impose qu’un robuste dispositif de conduite du changement soit mis en place dès que le gouvernement se saisira des recommandations du Livre blanc. 1.2.4. Conduire le changement et accompagner la transformation Toutes les hypothèses de transformation constituent des projets qui provoqueront des changements en profondeur. On ne peut envisager de réaliser de telles réformes sans établir au préalable une solide méthode de conduite du changement qui devra être à la fois agile, rigoureuse 37 Le rapport IGA-IGPN-IGGN rendu en septembre 2019 conforte d’ailleurs l’organisation préfectorale mise en œuvre depuis 2012. 179 et parfaitement planifiée pour ne pas impacter l’action de sécurité quotidienne. La planification et la conduite de ces réformes impose qu’une robuste équipe projet dédiée soit installée auprès du directeur général de la police nationale. Composée de cadres expérimentés du ministère de l’Intérieur, de l’administration centrale et territoriale, de la police nationale et d’experts (ex : la mission appui conseil de l’IGPN composée d’experts de la conduite de projets), elle proposera les scénarios efficaces, les calendriers et les mesures nécessaires à la mise en œuvre de la réorganisation. Dans le cadre du mandat qui sera confié à un membre du corps préfectoral, chargé de la coordination de l’équipe, tous les aspects devront naturellement être parfaitement anticipés, coordonnés et préparés (dialogue social, répartition des missions et des effectifs, organigramme, problématiques RH, conséquences matérielles et immobilières, aspects juridiques, calendrier de la réforme, communication, etc…) pour assurer la réussite de la transformation de la police nationale. La transformation de la police nationale prendra une place prépondérante dans son agenda social. L’échange et la discussion avec les autorités administratives et judiciaires seront nécessairement intégrés dans le cahier des charges de l’équipe projet. Enfin, afin d’amplifier les effets de la réforme, il sera nécessaire qu’un dispositif d’accompagnement soit mis en place afin que les territoires et les effectifs soient associés et informés. En effet, l’adhésion des personnels sera le gage de la réussite de cette entreprise de régénération. Proposition: Unifier la police nationale en regroupant les métiers au sein de filières animées à chaque échelon territorial par un directeur unique de la police nationale : – Réorganisation de la gouvernance centrale de la DGPN par la création d’un adjoint au DGPN et de directeurs nationaux en charge d’animer chacune des filières métiers de la police. – Déconcentration du modèle de gouvernance rénové au plus près du territoire et de la population. – Confirmation du rôle et de l’autorité des préfets dans le cadre de cette réorganisation. – Adaptation de la cartographie budgétaire par une redéfinition des niveaux de responsabilités budgétaires à chaque échelon de l’organisation. Lancement d’une équipe-projet chargée transformation selon les échéances fixées 180 d’accompagner la Livre blanc de la sécurité intérieure 1.3.  Mettre en œuvre des instruments adaptés pour répondre à la montée en puissance de thématiques spécialisées 1.3.1. Les offices centraux et les services à compétence nationale, instruments souples et adaptés pour coordonner une politique thématique de sécurité Les offices centraux(38) sont des outils créés de longue date dans le domaine judiciaire pour prendre en charge des politiques ciblées et thématiques de lutte contre certaines formes de délinquance. Instruments de coordination pour mettre en œuvre une politique spécifique, ils se sont développés sur des sujets divers, comme la répression de la grande délinquance financière, la lutte contre le travail illégal, contre la délinquance itinérante, plus récemment contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique. Tout récemment encore a été inauguré par le ministre l’office antistupéfiant (OFAST). Rattachés à une direction de la police ou de la gendarmerie nationales, ils se voient confier une mission spécifique à caractère opérationnel, présentant une dimension nationale et interservices. Ils assurent, dans ce cadre, la centralisation, la coordination et la diffusion de l’information auprès des services de police et de gendarmerie, ainsi que d’autres ministères en fonction de leur champ de compétences. Ils permettent d’accueillir des personnels de différentes administrations ayant des prérogatives judiciaires ou un intérêt particulier à suivre un phénomène de délinquance clairement identifié. Depuis quelques temps, se sont également développés les services à compétence nationale(39), qui rattachés soit à un ministre soit à un directeur ou un sous-directeur d’administration centrale, sont amenés à assurer un rôle de coordination et d’animation dans des domaines beaucoup plus divers, contrairement aux offices intervenant exclusivement en matière judiciaire. Le principe de fonctionnement et de réussite repose avant tout sur la capacité de coordination et d’animation de la politique dont les offices ou les SCN ont la charge, leur permettant alors de se positionner comme de véritables chefs de file dans le domaine concerné. Compte tenu de leur multiplication et de la diversité de leurs missions et de leur positionnement, il conviendrait de dresser un inventaire et de réaliser une évaluation du fonctionnement de ces structures, dont les avantages sont réels, notamment au plan opérationnel, mais qui présentent également des risques en termes de complexité de l’organisation administrative ou de dispersion des moyens. L’appropriation de leurs missions, de leur champ d’investigation ainsi que de leur rôle d’animation constitue un enjeu majeur à évaluer pour s’assurer de leurs exercices effectifs. L’évaluation devra clairement déterminer si les offices et SCN doivent être conçus comme un outil de mutualisation et de coopération renforcée entre services au profit d’une politique ou si au-delà ils exercent réellement un rôle de chef de filât. 38 Articles D4, D8 et D8-1 du Code de procédure pénale 39 décret du 9 mai 1997 portant création et organisation des services à compétence nationale 181 Proposition : Confier une mission inter-inspections (IGA, IGPN, IGGN) d’évaluation des offices et de propositions pour consolider leur organisation et leur fonctionnement. 1.3.2. Les courses et jeux, illustration de la pertinence d’une structure construite sur une centralisation de l’information et une spécialisation technique À titre d’illustration, d’aucuns ont pu s’interroger sur la pertinence et l’intérêt de concentrer autant de compétences et de prérogatives au sein d’un seul et même service.   La question a été posée au sujet du service central des courses et jeux (SCCJ). En effet, aux termes de l’arrêté du 27 juin 2008 modifié relatif aux missions et à l’organisation en sous-directions de la direction centrale de la police judiciaire et portant création de services à compétence nationale, le SCCJ est chargé de la surveillance des établissements de jeux, des champs de courses, des paris hippiques et sportifs et des jeux liés aux nouvelles technologies. Il exerce une mission de police administrative et de police judiciaire. Il est en charge également de la surveillance des compétitions d’e-sport et des inspections en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme dans les établissements ludiques. Il veille enfin au respect de la régularité et de la sincérité des jeux, quels qu’ils soient, ainsi qu’à la protection des joueurs et à la défense des intérêts de l’Etat, et procède aux enquêtes administratives relevant du domaine réglementaire des jeux. Le service central des courses et jeux est composé aujourd’hui de quatre divisions : –  la division des casinos et des clubs ; –  la division des affaires judiciaires ; –  la division des courses et des paris ; –  la division de la logistique et de la coordination opérationnelle. Pour faire face à la réduction des effectifs dans le corps de conception de direction et pour dégager des synergies, il est envisagé de regrouper sous une seule autorité les divisions des casinos et des clubs et des courses et des paris. Cette nouvelle entité regrouperait toutes les missions de police administrative du service central des courses et jeux. Le SCCJ compte en centrale plus d’une cinquantaine de fonctionnaires pour plus de soixante-dix correspondants territoriaux travaillant tous dans ce domaine et implantés dans les DIPJ pour la plupart. Si l’exercice cumulé par ce service central de quatre formes d’autorité (autorité de tutelle vis-à-vis des casinos et des clubs en partage avec la Direction des Libertés Publiques et des Affaires Juridiques et des PMU et de la FDJ avec l’Autorité Nationale des Jeux, autorité administrative (e-sport) ou service de renseignement du second cercle (communauté du renseignement), autorité de contrôle au sens du code monétaire et financier et enfin autorité de police judiciaire au sens du code de procédure pénale) peut interroger, force est effectivement de constater que le SCCJ 182 Livre blanc de la sécurité intérieure et son réseau de correspondants par les différentes missions hybrides qu’ils exercent, contribuent à alimenter un cercle vertueux entre police administrative et police judiciaire l’un pouvant se nourrir de l’autre dans le respect des règles de gestion de l’information en recueillant toutes les autorisations nécessaires à leur exploitation. Cette capacité de rassembler en un seul service autant de compétences variées est souvent décriée par les opérateurs mais contribue à maintenir l’autorité de l’Etat dans un domaine où s’exerce un commerce qui n’est pas ordinaire puisque prohibé à la base par la loi 1836. 1.3.3. Cybersécurité, organiser une réponse globale et coordonnée face à une menace croissante L’outil numérique, en abolissant les traditionnelles barrières technologiques, a modifié de manière intrinsèque la manière des individus et des organismes d’appréhender la vie en société, mais il facilite aussi les trafics illicites et les escroqueries. La cybercriminalité représente une menace nouvelle et différente en pleine expansion, avec des modes opératoires de plus en plus élaborés, dans un contexte de numérisation croissante des sphères publique et privée. En 2019, près de 80% des entreprises françaises déclaraient avoir fait l’objet d’une cyberattaque dans l’année. Les cybermenaces sont au cœur des préoccupations des Français dont le nombre de victimes ne fait que croître d’année en année, qu’il s’agisse d’escroqueries sur Internet, d’attaques contre les systèmes, d’atteintes aux mineurs, de messages de haine, de propagande ou de désinformation. Mais les cybermenaces des prochaines années toucheront un champ encore plus vaste, allant de la sécurité routière et industrielle, à la sécurité des grands événements en passant par la sécurité des données personnelles. La lutte contre la cybercriminalité et plus globalement l’appréhension de l’ensemble des cybermenaces, c’est à dire des atteintes à la sécurité publique dans l’espace numérique, constitue une des priorités de l’Etat, et tout particulièrement du ministère de l’Intérieur, qui s’est organisé pour identifier et répondre au mieux à ces menaces, assurer la résilience des systèmes et lutter contre ces nouvelles formes de criminalité qui méconnaissent les frontières. La stratégie nationale de sécurité du numérique d’octobre 2015 et la revue stratégique de cyberdéfense de mars 2018 ont affirmé cette ambition au niveau interministériel. La diversification, la massification et le rythme d’évolution des cybermenaces imposent aujourd’hui une meilleure coordination au sein même du ministère de l’Intérieur pour améliorer le service rendu à la population. Ils nécessitent, de plus, une plus forte synergie entre la prévention, la protection, l’innovation et l’approche répressive dont le cloisonnement est de nature à nuire à une efficacité optimale. La compétence concurrente du parquet de Paris en matière d’atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données, la forte dissémination des infractions connexes, en métropole et dans les Outre-mer, requièrent également une meilleure coordination entre les échelons centraux et territoriaux. Enfin, face à la multiplication des cyberattaques d’ampleur internationale, le ministère doit se doter d’une capacité de gestion de crise, afin, d’une part, d’assurer la continuité de ses services, et, d’autre part, d’apporter une réponse rapide et adaptée aux populations et aux entreprises victimes. 183 Il apparaît prioritaire de consolider le niveau de coordination stratégique et de donner plus de visibilité aux actions majeures du ministère de l’Intérieur dans le champ de la lutte contre les cybermenaces. La DMISC a montré toute sa pertinence dans les différents chantiers qu’elle a eu à conduire depuis 2016. Par la coordination ministérielle qu’elle a exercée tout au long des travaux de la revue stratégique cyber défense(40), elle a notamment permis une meilleure compréhension de l’engagement du ministère de l’Intérieur et des enjeux de la lutte contre la cybercriminalité. Pour autant, elle souffre de moyens inadaptés aux enjeux actuels de la mission qui lui est confiée, pouvant difficilement assurer la plénitude de ses attributions dès lors qu’elle est saisie d’un projet complexe nécessitant de concentrer ses ressources, ce qui n’est pas rare dans cette matière en perpétuelle évolution (conduite du groupe de pilotage stratégique en lien avec les grands opérateurs de l’Internet, feuille de route ministérielle, état de la menace, revue stratégique de cyberdéfense, etc.). Tout ce qui précède démontre la nécessité d’accroitre le pilotage ministériel des enjeux relatifs aux cybermenaces en créant : –  une délégation ministérielle aux partenariats, aux stratégies et aux innovations de sécurité (DPSIS) issue de la fusion de la DMISC(41) et de la DCS(42) –  un service central à compétence nationale, bi-force, placé sous la tutelle du ministre, rattaché organiquement à la direction générale de la gendarmerie nationale. La réponse globale aux enjeux de cybersécurité impliquera de prendre en compte les missions suivantes : –  établir l’état de la menace liée au numérique en liaison avec les directions générales de la police et de la gendarmerie nationales, les partenaires extérieurs, y compris académiques et à l’international, et l’ensemble de l’écosystème de la cybersécurité –  élaborer et mettre en œuvre, dans un cadre interministériel, la stratégie du ministère de l’Intérieur, et ses capacités judiciaires face aux cybermenaces –  coordonner les actions stratégiques et opérationnelles des différents acteurs, au plan central et dans les territoires, dans le domaine de la prévention, de la protection, de l’innovation, de la gestion des crises et de l’action répressive sans préjudice du rôle exclusif de la DGSI, en renseignement comme en judiciaire, dans la détection et l’entrave d’attaques cybernétiques ayant une origine ou une influence étatique(43) 40 Travail interministériel conduit par le SGDSN et qui a donné lieu à la rédaction d’un document stratégique de référence pour l’ambition française en matière de cyberdéfense. La mise en œuvre des actions prévues par ce cadre est suivie régulièrement par le cabinet du Premier ministre (CODIR et COPIL Cyber). 41 Délégation ministérielle aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces 42 Délégation aux coopérations de sécurité 43 Cette compétence propre relative aux atteintes aux Systèmes de Traitement Automatisé de Données (STAD), visées aux articles 323-1 et s. du code pénal, relève de la protection des intérêts fondamentaux de la nation. Les atteintes au STAD non crapuleuses visant les personnes morales de droit public (Etat, administrations déconcentrées, collectivités territoriales, établissements publics, etc.) et les Opérateurs d’Importance Vitale (OIV) sont donc uniquement traitées par la DGSI. 184 Livre blanc de la sécurité intérieure –  garantir au ministère de l’Intérieur les plus hautes compétences en matière d’innovation pour les capacités techniques nouvelles, en veillant à la cohérence et en animant et développant les convergences indispensables en la matière, tout en favorisant une coordination étroite avec le SCN PTS sur le sujet de la preuve numérique –  optimiser, en tenant compte des moyens existants, les politiques d’acquisition d’équipements, en particulier pour les plus coûteux, en profitant, par ailleurs, des opportunités de financements extérieurs, particulièrement européens et sans préjudice des compétences du SAILMI –  harmoniser les protocoles d’enquête qui le nécessitent, à décliner et promouvoir ensuite, autant que de besoin, à travers des projets de formations mutualisées et innovantes –  déterminer et organiser les mesures de prévention et de protection à destination des victimes, personnes physiques et morales –  assurer le dialogue avec les partenaires nationaux et internationaux du ministère. Il s’appuiera tout particulièrement sur les capacités et outils développés par la gendarmerie et la police nationales, au plan national (C3N, OCLCTIC, PHAROS, etc.) jusqu’au niveau local. La création de pôles régionaux de ce SCN CYBER contribuera à cet objectif. –  informer la DGSI de toute cyber-attaque susceptible de révéler une influence étatique ; obligation qui incombait jusqu’alors aux trois services compétents en matière de cybercriminalité, à savoir l’OCLCTIC (DGPN/ DCPJ), la BEFTI (DRPJ de la préfecture de police de Paris) et le C3N (DGGN). Sans préjudice des attributions de la nouvelle DAIE(44) du ministère de l’intérieur, il sera nécessaire d’assurer la coordination et le pilotage stratégique du ministère en matière de cyber (suivi de l’état de la menace, prévention, protection, coordination des actions de formations et des budgets), et la conduite des négociations européennes (pour s’assurer que les besoins opérationnels du ministère sont bien pris en considération et, à tout le moins, que leur déclinaison en France n’obère pas sa capacité d’actions). Une vigilance toute particulière devra être observée pour aboutir à une articulation cohérente des missions entre le SCN cyber et la DPSIS, condition de réussite du pilotage ministériel des enjeux relatifs aux cybermenaces. Proposition: Créer un service à compétence national Cyber rattaché à la direction générale de la gendarmerie nationale. 1.3.4. P olice technique et scientifique, évoluer pour une organisation efficiente et cohérente Face à une délinquance de plus en plus complexe, la PTS moderne fait partie des appuis judiciaires développés pour concourir directement à la réussite des investigations, que ce soit face à la délinquance du quotidien, au terrorisme ou à la criminalité organisée. Les sciences forensiques sont 44 Direction des affaires interntionales et européennes 185 devenues centrales dans les missions des services d’enquête. Dans le cadre d’une procédure pénale elle aussi toujours plus complexe et exigeante, la PTS représente un gage d’efficacité permettant des enquêtes plus courtes et garantissant la matérialisation des faits comme l’identification des auteurs, en perspective du procès pénal. Il s’agit d’un axe de développement stratégique pour la police et la gendarmerie nationales qui consacrent des efforts considérables pour répondre à un besoin qui continuera à croître tel que le Livret IV du Livre blanc, consacré aux technologies, le développe. Depuis plusieurs décennies, la gendarmerie s’est progressivement dotée d’une chaîne criminalistique uniforme qu’elle a intégrée au cœur de sa fonction investigation dans une logique de subsidiarité, correspondant aux modes d’action que lui imposent les territoires qui lui sont confiés. De son côté, confrontée à l’organisation complexe de ses différentes directions centrales et services traitant de PTS, la police nationale va créer un service à compétence nationale chargé de la police technique et scientifique (SCN-PTS). Ses travaux de préfiguration doivent aboutir à la réorganisation complète de son dispositif pour le 1er janvier 2021. Conformément à la feuille de route du ministère de l’Intérieur de 2018, des travaux de convergence ont été initiés depuis septembre 2018 entre la police et la gendarmerie, afin d’identifier les axes d’une meilleure répartition de leurs moyens respectifs dédiés à la PTS. Pour gagner en cohérence et en efficacité dans le service rendu, ces travaux de convergence trouveront leur concrétisation avec la création d’un service à compétence nationale (SCN) PTS qui sera commun aux deux forces, rattaché au Directeur général de la police nationale. La création de ce SCN PTS doit contribuer à uniformiser les procédés de prélèvements et les méthodes développées sur les plateaux techniques, à penser en commun l’implantation des laboratoires, la carte des prestations offertes et les investissements à faire. Davantage qu’aujourd’hui, il permettra à chacun de profiter des avancées de l’autre sur l’ensemble des domaines de la criminalistique, tandis qu’en tout point du territoire, chaque citoyen victime bénéficiera des mêmes capacités dans la résolution des faits de délinquance. Au travers de ces méthodes communes, magistrats et enquêteurs pourront trouver également une meilleure lisibilité et des facilités de compréhension qui permettront d’intensifier leur recours aux laboratoires publics plutôt qu’aux structures privées, pour l’exploitation des prélèvements effectués sur les scènes d’infraction. En matière de recherche et développement, les structures mises en place ont permis des avancées techniques notables et régulièrement brevetées ainsi que le développement de projets de recherche portés avec des partenaires nationaux et européens. Le SCN sera chargé de dresser un état de ces innovations en vue de poursuivre les travaux engagés, puis de partager les résultats avec l’ensemble des acteurs de la PTS et de la criminalistique. Parmi les missions qui pourraient être confiées à ce nouveau service à compétence nationale, il est proposé : –  d’uniformiser progressivement la doctrine générale d’emploi (protocoles d’intervention, procédés de prélèvement, d’analyse et de comparaison), pour permettre à chacun de profiter des avancées de l’autre, tout en assurant aux requérants une meilleure lisibilité ; 186 Livre blanc de la sécurité intérieure –  de garantir au ministère de l’Intérieur les plus hautes compétences en matière d’innovation en PTS, veillant à la cohérence et en animant et développant les convergences indispensables en la matière tout en favorisant une coordination étroite avec le SCN cyber sur le sujet de la preuve numérique ; –  optimiser, en tenant compte des moyens techniques existants, les politiques d’acquisition d’équipements, en particulier les plus coûteux, en profitant, par ailleurs, des opportunités de financements extérieurs, particulièrement européens ; –  harmoniser les formations qui le nécessitent et promouvoir ensuite, autant que de besoin, des formations mutualisées dans les domaines les plus techniques ou spécialisés ; –  en matière de gestion de crise : planifier et faciliter les appuis mutuels et la nécessaire montée en puissance sur chaque événement important. Les compétences techniques du futur SCN / PTS ne préjugent pas des missions de déchiffrement du CTA et de captation à distance du STNCJ au profit de tous les services d’enquête judiciaire. Proposition: Créer un service à compétence nationale Police Technique Scientifique, rattaché à la direction générale de la police nationale. 1.4. Consolider l’intervention spécialisée par une organisation cohérente sur l’ensemble du territoire Le caractère, la localisation et la cinétique des attaques terroristes observées ces cinq dernières années ont conduit les forces de sécurité intérieure à repenser leurs capacités de réaction pour gagner en réactivité et en puissance. En 2016, un plan de renforcement des équipements des brigades anticriminalité (BAC) de la Police nationale et des Pelotons de Surveillance et d’Intervention de la Gendarmerie (PSIG) a été mis en place. Les effectifs des BAC et des PSIG choisis ont été augmentés et ces unités ont bénéficié de meilleurs matériels : protection individuelle améliorée, armes plus modernes et dispositifs de transmission plus efficaces. Une nouvelle doctrine d’action et d’intervention permet dorénavant à toutes les unités d’intervenir plus rapidement en renforts des premières patrouilles engagées. Elle favorise grandement l’interaction entre les forces de l’ordre et les secours pour que ces derniers puissent intervenir auprès des blessés dans les plus brefs délais, même en zone d’insécurité. La formation individuelle et collective de l’ensemble des personnels du ministère de l’Intérieur a été améliorée avec une professionnalisation plus poussée et la multiplication d’exercices majeurs, sous l’égide des préfets. Elle permet à l’ensemble des acteurs d’être mieux préparés à réagir, plus réactifs et mieux coordonnés en cas d’attaque terroriste. 187 Sous l’égide de l’Unité de Coordination des Forces d’Intervention (UCOFI), l’élaboration d’un schéma national d’intervention (SNI) en 2016 a amplement amélioré la réponse aux attaques terroristes grâce à un emploi optimisé des unités d’intervention spécialisée et une plus grande coordination. Il permet une réduction des délais d’intervention avec la suspension ponctuelle du critère de zone de compétence territoriale au bénéfice du critère de proximité dans une situation d’une gravité extrême et une optimisation des moyens des forces d’intervention spécialisée de la Gendarmerie et de la Police Nationales, avec la possibilité donnée au GIGN, au RAID et à la BRI PP de s’apporter mutuellement un concours capacitaire, limitant la redondance d’équipements rares et onéreux et réduisant ainsi les coûts. Les efforts de rationalisation des équipements et la coopération entre les différentes unités d’intervention spécialisée doivent continuer à être recherchés. La création de sept nouvelles antennes GIGN et RAID depuis 2015 permet une meilleure couverture du territoire national et une rationalisation des moyens. L’évolution de la menace terroriste et les besoins accrus en intervention spécialisée ont conduit en 2015 à la création de 3 antennes GIGN supplémentaires en métropole (Nantes, Tours et Reims), une en Outre-mer (Mayotte) et à la transformation des PI2G en antennes GIGN, portant ainsi leur nombre à sept antennes GIGN Outre-mer et six en métropole. Le GIGN assure le commandement de ces antennes, le choix de leur équipement, la sélection et la formation de ses personnels, garantissant ainsi une parfaite interopérabilité. La réforme structurelle du RAID a été menée à terme avec l’intégration des sept GIPN métropolitains en antennes RAID en 2015, la création de trois antennes RAID supplémentaires (Montpellier, Toulouse et Nancy) en 2016 puis l’intégration des trois GIPN ultramarins en antennes RAID en 2018 et 2019. La compétence du RAID en intervention spécialisée est affirmée dans l’ensemble de la zone confiée à la police nationale, à l’exception notable de Paris intra-muros, où la BRI-PP reste seule compétente. Aussi, afin de consacrer une véritable interopérabilité des agents et d’assurer un commandement unique au sein du RAID, il est proposé de créer une antenne RAID à Paris, à partir de la composante «intervention spécialisée» de la BRI-PP, intégrée au sein du RAID. Une partie de l’unité actuelle constituera la BRI de la direction régionale de la police judiciaire de Paris, à l’instar des autres BRI sur le territoire (DCPJ). En raison de la situation particulière de la capitale, le lien entre le préfet de police et le chef de l’unité du RAID de Paris restera direct, dans le respect des règles de saisine. Si cette évolution était retenue, le régime indemnitaire des fonctionnaires concernés devra être pris en compte et aménagé. Proposition: Créer une antenne RAID à Paris en intégrant la composante «intervention spécialisée» de la BRI-PP au sein du RAID. 188 Livre blanc de la sécurité intérieure 1.5. Renforcer le traitement transversal des questions européennes et internationales de sécurité intérieure au sein d’une direction dédiée La dimension communautaire et internationale des politiques publiques s’est considérablement affirmée, au cours des dernières années, dans le champ de compétence du ministère de l’Intérieur : qu’il s’agisse de la politique de l’asile, de la protection des frontières, de la police des étrangers, de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, de la sécurité civile ou encore des systèmes d’information, l’Union européenne, en particulier, joue aujourd’hui un rôle déterminant. Parallèlement, un nombre croissant d’enceintes internationales traitent désormais de sujets essentiels pour les politiques régaliennes relevant du ministère de l’Intérieur, comme le déploiement de missions civiles de l’ONU ou de l’UE, la dissémination des contenus terroristes sur Internet, le financement du terrorisme ou la politique migratoire. Enfin, des cadres de coopération structurés existent autour des enjeux méditerranéens, ou encore des pays d’Afrique subsaharienne Face à ce constat le ministère de l’Intérieur est engagé dans une transformation de ses méthodes de travail par la création d’un échelon transversal aujourd’hui manquant. Il est souhaitable que le ministère soit doté, au sein du secrétariat général, d’une direction des affaires européennes et internationales, à même d’élaborer une stratégie ministérielle, d’organiser la mobilisation collective sur les sujets structurants et de s’assurer en interne de la bonne appropriation des questions communautaires et internationales. Il est souhaitable que le ministère soit doté, au sein du Secrétariat général, d’une direction des affaires européennes et internationales, à même d’élaborer une stratégie ministérielle, d’organiser la mobilisation collective sur les sujets structurants et de s’assurer en interne de la bonne appropriation des questions communautaires et internationales. Alors que le ministère de l’Intérieur est le premier acteur de la sécurité intérieure dans l’Union européenne en termes d’effectifs, la mise en place d’une Direction des affaires européennes et internationales (DAEI) parait pleinement justifiée. De façon synthétique, les compétences de la DAEI auraient vocation à s’articuler autour de missions : –  de synthèse à travers une chancellerie diplomatique chargée de préparer les échéances diplomatiques du ministre, –  d’interface organisant la réponse aux demandes extérieures, assurant un contrôle qualité des productions et un appui à l’arbitrage en cas de divergences interservices, –  de négociation et de pilotage sur les priorités ministérielles relevant du champ de plusieurs directions, –  de veille et d’anticipation au profit de la communauté ministérielle, –  de conception et de déclinaison d’une stratégie internationale du ministère, à travers l’établissement de liens de coopération institutionnelle et d’actions d’influence. 189 La DAEI n’a pas vocation à se substituer à la direction de la coopération internationale (DCI placée auprès de la DGPN) qui doit conserver son monopole en matière de coopération institutionnelle, technique et opérationnelle, en associant la DGPN, la DGGN et la DGSCGC. Le réseau des attachés de sécurité intérieure (ASI) et des officiers de liaisons (ODL) représente un maillage essentiel en matière de coopération de sécurité. En complément de la DCI, le ministère dispose, pour la coopération technique internationale, de Civipol, opérateur de droit privé chargé de mission de service public. Cette dualité, outre le fait que les champs d’action de la DCI et de Civipol ne sont pas identiques, permet de développer des opérations de coopération technique portées intégralement par le ministère ou, pour d’autres, par son opérateur qui peut ainsi mobiliser des moyens et des ressources externes (financements multilatéraux, ressources expertes autres que le ministère, partenariats privés). Si la nouvelle DAEI n’a pas vocation à se substituer aux structures existantes, elle doit être en mesure de compter sur ces réseaux et relais pour la mise en œuvre de ses orientations. La nouvelle organisation du pilotage des affaires européennes et internationales au ministère de l’Intérieur aurait aussi vocation à lui permettre de contribuer efficacement au travail interministériel de préparation des grandes échéances diplomatiques de la France, à l’instar de la présidence française de l’Union européenne au premier semestre 2022. La DAEI viendrait ainsi porter les grandes orientations du ministère de l’Intérieur et assurer une présence renforcée au niveau communautaire et international. Proposition: – Renforcer l’action et le positionnement du ministère aux niveaux communautaire et international. – Concevoir et décliner une véritable stratégie internationale du ministère, à travers l’établissement de liens de coopération institutionnelle et d’actions d’influence. – Permettre au ministère de l’Intérieur de contribuer efficacement au travail interministériel de préparation de la présidence française de l’Union européenne, au premier semestre 2022. 2.  Coordonner le pacte de sécurité, une mission-clef pour le ministère de l’Intérieur 2.1. Mieux ancrer le développement du continuum de sécurité dans l’organisation du ministère L’organisation actuelle du ministère ne porte pas le continuum et les partenariats de façon lisible et ne produit pas une réflexion centrée sur les questions de sécurité par des spécialistes. Une organisation dédiée devient indispensable pour progresser. 190 Livre blanc de la sécurité intérieure 2.1.1. Une gestion du continuum et des partenariats dispersée et peu lisible dans l’organisation actuelle La direction générale de la police nationale gère les affaires de la police (doctrine, formation emplois, moyens, contentieux) et la direction générale de la gendarmerie exerce les mêmes fonctions pour l’arme. Deux directions juridiques ont accompagné le développement des activités de sécurité, du niveau local et du secteur privé : la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) et la direction générale des collectivités locales (DGCL). Direction juridique par excellence, la DLPAJ a pensé les corpus réglementaires et législatifs des professions réglementées (transporteurs de fond, entreprises privées de sécurité, enquêteurs, etc…). Plus récemment elle a porté les textes relatifs à la vidéoprotection. La DGCL au titre de ses compétences portant sur les collectivités locales, a porté les textes concernant les compétences des élus et notamment celles des maires dans le cadre de l’exercice de leurs pouvoirs de police, général ou spéciales. Dans la même logique elle a porté les textes relatifs aux gardes champêtres puis ceux des polices municipales. Ces deux directions se sont acquittées de leur mission en mobilisant les compétences internes qui sont par nature juridiques et non pas sécuritaires. La complexité de certains sujets et l’ampleur pris par des activités comme la protection privée ou la vidéo ont conduit à développer des entités spécialisées, telles que le conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS en 2012) ou la délégation aux coopérations de sécurité (DCS en février 2014). Ces structures spécialisées ont eu le mérite d’organiser le dialogue avec les professionnels, de développer une réflexion propre, de traduire en droit les besoins d’encadrement et de protection des libertés, mais également d’organiser le contrôle administratif. Malgré l’investissement professionnel de leurs équipes, ces structures ne parviennent pas à se saisir de la totalité des sujets et notamment de penser le continuum de sécurité jusqu’au plus près de l’usager, du résident, du citoyen. 2.1.2. Confier le pilotage du continuum à une structure dédiée Aussi pour répondre au besoin croissant de sécurité, dans une conception globale et couvrant les champs publics comme privés, le ministère de l’Intérieur doit s’organiser pour prendre en compte la réflexion sur l’organisation et les règles de régulation que lui seul peut porter. Une structure nouvelle doit voir le jour pour jouer ce rôle de concepteur et de développeur du continuum vers les partenaires extérieurs. Ni la DGGN, ni la DGPN, directions spécialisées, ne peuvent porter les questions relatives à la conception et à l’organisation des opérateurs locaux. Elles peuvent y contribuer par leur expertise et les corps de doctrines qu’elles ont développées. Aussi le temps de réfléchir à une nouvelle organisation est venu afin de concrétiser les ambitions et de porter des missions qui ne sont pas prises en compte globalement. La future structure à créer devra prendre en charge les questions de doctrine portant sur le rôle et les missions des élus responsables d’exécutifs locaux (maires, présidents d’EPCI, présidents de conseils départementaux et régionaux) pour penser les pouvoirs de police 191 et leurs modalités de mise en œuvre au sens de l’exercice de la mission de sécurité, la gestion de leur domaine au titre de la protection et du bon ordre. Elle devra être compétente pour les polices municipales, afin de définir les missions, les corpus de formation, les équipements, les doctrines d’emploi notamment des unités spécialisées, et les matériels. Elle traitera également des services de sécurité des entreprises publiques ou privées, pour définir leur champ de compétences, les agréments et les formations, l’exercice de moyens de contrôle et de verbalisation voire de coercition. Les entreprises de sécurité privées au sens large, protection humaine, protection électronique, lutte contre la cybercriminalité, seront prises en compte par cette structure pour définir les champs de compétence, les formations et les outils de contrôle. La régulation de la profession restant dans la compétence du CNAPS. Enfin, celle-ci s’attachera à la nécessaire coopération internationale en lien avec les autres directions du ministère chargées des questions de sécurité tant civile que délictuelles. La fusion en cours de la DCS avec la DMSIC et la mission normalisation pour former une délégation ministérielle aux partenariats, aux stratégies et aux innovations de (cyber)sécurité (DPSIS) répond à cet objectif de convergence. La DPSIS, enrichie de compétences juridiques aujourd’hui assurées à la DGCL et la DLPAJ, constituerait une « délégation au continuum » stratégique, capable de formaliser et d’animer des doctrines de partenariat, en lien avec les directions métiers. La création d’une direction ou d’une délégation permettra d’identifier un interlocuteur unique au sein du ministère et donner de la lisibilité sur une organisation dont l’avenir est lié à la croissance des effectifs et du nombre de polices municipales et d’entreprises de sécurité privée. Proposition : Créer une direction au sein du Ministère chargée de penser le continuum, le rôle des différents acteurs de la sécurité, les règles de doctrine, les référentiels métiers et de formation, être l’interlocuteur des partenaires extérieurs. 2.2. Consolider le contrôle des acteurs du continuum 2.2.1. Confier le contrôle des polices municipales aux inspections du ministère de l’Intérieur En l’état actuel, le dispositif d’inspection et d’évaluation des polices municipales, sous l’égide de l’Etat, est celui instauré par la loi de 1999 sur les polices municipales et repris dans le code de la sécurité intérieure dans son article L. 513-1. Il prévoit que le ministre de l’Intérieur puisse diligenter l’inspection d’un service de police municipale à la demande du maire, du président de l’EPCI, du préfet ou du procureur, et après avis de la commission consultative des polices municipales. Les vérifications peuvent être opérées par les services d’inspection générale de l’Etat (IGA, IGPN, IGGN). 192 Livre blanc de la sécurité intérieure Dans la pratique, les inspections de polices municipales sont très rares. Ainsi, quelques cas seulement ont été recensés, les missions étant conduites par l’IGPN seule. En effet, le dispositif s’avère très difficile à mettre en œuvre car il requiert l’avis de la commission consultative des polices municipales (CCPM). Cet avis est certes non contraignant, mais la CCPM se réunit très rarement. Alors que le renforcement du continuum de sécurité appelle à un rôle accru des polices municipales, d’ores-et-déjà constaté ces dernières années, il semble pertinent de réaffirmer la compétence des inspections du ministère (IGA assistée par l’IGPN et l’IGGN) et de renoncer à l’avis préalable de la CCPM, quitte à l’informer annuellement des missions conduites. Proposition : Réaffirmer la compétence des inspections du ministère de l’Intérieur (IGA, IGPN, IGGN) en matière de contrôle des polices municipales et supprimer l’avis préalable de la commission consultative des polices municipales (CCPM) afin de rendre le mécanisme plus souple et effectif. 2.2.2. Réguler le secteur de la sécurité privée Les dispositions juridiques relatives à la sécurité privée figurent au Livre VI du code de la sécurité intérieure, qui énumère une série d’activités susceptibles d’être exercées par des personnels privés intervenant dans le champ de la sécurité : surveillance et gardiennage, surveillance armée, transport de fonds, protection physique des personnes, vidéoprotection, services de sécurité des bailleurs d’immeuble, services internes de sécurité des entreprises de transport (SNCF et RATP), protection des navires, agences de recherches privées. L’évolution du cadre normatif relatif aux activités privées de sécurité a permis l’émergence de la notion de complémentarité avec les forces de sécurité intérieure. La loi d’orientation et de programmation pour la sécurité (LOPPSI) du 21 janvier 1995 prévoit en effet que les activités privées de sécurité « concourent à la sécurité générale ». Par la suite, la LOPPSI du 14 mars 2011 a reconnu que les sociétés privées de sécurité étaient devenues « un acteur à part entière de la sécurité intérieure » et qu’elles pouvaient intervenir « dans des domaines où certaines compétences peuvent être partagées, voire déléguées par l’État ». Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, tout en mettant en évidence des limites rigoureuses, considère que les entreprises exerçant des activités privées de sécurité, « du fait de leur autorisation d’exercice, sont associées aux missions de l’Etat en matière de sécurité publique » (DC n° 2015-463 QPC du 9 avril 2015). Pour autant, le champ des activités susceptibles d’être confiées à des sociétés privées de sécurité en lien avec une mission de sécurité publique reste étroit. Le cadre législatif exclut en effet toute délégation générale de pouvoirs de police administrative (conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel) et interdit l’intervention des agents privés de sécurité sur la voie publique sauf circonstances exceptionnelles particulièrement encadrées. Par ailleurs, leurs pouvoirs d’inspection et de filtrage sont soumis à un agrément spécifique. En outre, les conditions d’armement n’ont été que récemment assouplies à travers d’une part, 193 la création d’un statut d’agent privé de sécurité armé et d’autre part, la possibilité pour les agents de surveillance humaine d’être dotés d’armes non létales (décret n° 2017-1844 du 29 décembre 2017 relatif à l’exercice de certaines activités privées de sécurité avec le port d’une arme). Malgré ce cadre contraignant, le champ d’intervention des sociétés privées de sécurité peut les amener à être associées, dans certaines circonstances, à l’exercice de missions de sécurité publique. D’une part, l’Etat peut externaliser à des sociétés privées de sécurité des missions de surveillance et de garde statique de bâtiments publics. D’autre part, les agents privés de sécurité peuvent être associés, sous la forme d’une « coproduction de sécurité », à un dispositif de sécurisation de sites ouverts au public lors d’événements sportifs, culturels, commerciaux ou récréatifs. Ce second type d’intervention, en voie de développement, illustre la place accordée aux entreprises privées de sécurité afin d’alléger les tâches de filtrage et de surveillance des forces de sécurité publique. Ainsi ce secteur en fort développement tant sur les champs d’intervention que par le nombre de ses acteurs nécessite une régulation que seul le ministère de l’Intérieur est en mesure de mettre en œuvre en mobilisant son réseau de spécialistes de la sécurité. Proposition : Confier à une structure dédiée au continuum la conception des règles de régulation et la concertation avec les professionnels. 2.2.3. S’appuyer sur un CNAPS rénové pour accompagner le développement de la sécurité privée La sécurité privée présente, en dépit de certains progrès réalisés, un panorama très hétérogène et des faiblesses structurelles entravant sa contribution à la sécurité globale. La sécurité privée reste en effet un milieu soumis à de fortes contraintes économiques, qui se professionnalise lentement et encore exposé à des risques de fraude. Il s’agit maintenant de permettre à la sécurité privée de se développer en lui offrant des perspectives réalistes, valorisantes mais surtout économiquement viables, en la plaçant néanmoins sous une tutelle plus exigeante des forces régaliennes. À cet égard, la création du CNAPS en 2012 a marqué une étape importante. Cet établissement public est chargé d’une mission de police administrative (octroi des autorisations, agréments et délivrance des cartes professionnelles), d’une mission disciplinaire (contrôles et poursuites) et d’une mission de conseil et d’assistance à la profession. Toutefois, l’état actuel du contrôle de la profession au travers du CNAPS ne s’avère pas suffisant. Se pose dès lors la question d’une nouvelle impulsion de l’Etat, notamment en vue des grands événements à venir (Coupe du monde de rugby en 2023, Jeux olympiques en 2024). Fort de près de 10 ans de recul, les points d’amélioration du fonctionnement du Conseil sont bien identifiés : faiblesse des moyens face à l’ampleur de la mission, lourdeur des procédures et longueur des délais, opacité de l’information, carence de représentativité de la profession au sein du collège. 194 Livre blanc de la sécurité intérieure Le Livre blanc propose de faire tendre le CNAPS vers quatre objectifs principaux : un organisme de contrôle effectif, des procédures claires, simples et des délais raccourcis, une information plus fluide et transparente, davantage d’écoute de la profession. Ces objectifs et la perspective d’une montée en puissance des acteurs privés de la sécurité impliqueront de renforcer les capacités de contrôle du CNAPS. Il est d’abord proposé de revoir l’objet du contrôle du CNAPS (habilitations, cartes professionnelles) afin de limiter, en amont, le risque de fraude. Ensuite, le fonctionnement et le périmètre du CNAPS doivent être revus, en insistant sur l’importance des contrôles que ce dernier diligente, et sur les sanctions prises en conséquence. En effet, si la régulation mise en œuvre par le CNAPS sur la base des dispositions du livre VI du code de la sécurité intérieure s’avère pertinente dans la majorité des cas, il apparaît néanmoins que, pour les dossiers les plus lourds et complexes, les outils à disposition du régulateur sont inadaptés et affaiblissent sa crédibilité. L’ensemble des voies d’amélioration de la régulation de la sécurité privée et la plupart des solutions ont déjà été identifiées par les acteurs qui se sont penchés sur le sujet(45). Le Livre blanc, conforté par les réflexions partagées au ministère de l’Intérieur et les auditions conduites durant la phase de consultation, fait siens nombre des constats et propositions qui y figurent. L’objet des contrôles du CNAPS : une consolidation nécessaire En toute premier lieu, il apparaît nécessaire de prendre, en amont, des mesures de contrôle et d’encadrement de la profession et des marchés de prestation. Premièrement, il serait opportun d’instaurer une logique de certification des professionnels et des sociétés qui ouvre des droits d’exercice différenciés. Cette mesure favoriserait l’adéquation entre les besoins des commanditaires et la qualité des prestations des sociétés de sécurité privée. En outre, il est envisageable de délivrer des accréditations de différents niveaux pour les agents privés de sécurité et d’instaurer une démarche de certification. Deuxièmement, la mise en place de cartes professionnelles sécurisées qui fassent mention des compétences des agents apparaît indispensable. Les habilitations et les cartes ainsi délivrées pourraient faire l’objet d’une révision périodique. Le retrait de la carte professionnelle par le CNAPS déjà prévu si l’intéressé a fait l’objet d’une condamnation inscrite au casier judiciaire (B2), si son comportement ou ses agissements sont incompatibles avec l’exercice de ses fonctions ou s’il fait l’objet d’un arrêté d’expulsion ou d’une interdiction du territoire - doit être étendu aux cas où il ne dispose plus d’un titre de séjour permettant de travailler ou s’il ne satisfait plus aux conditions d’aptitude professionnelle prévues par le CSI. Enfin, il conviendrait d’introduire dans les cahiers des charges des marchés de sécurité des clauses relatives à la certification des personnels et des structures. Les sites à sécuriser pourraient également faire l’objet d’un régime de classification qui conditionne les droits et les devoirs d’exercice. 45 Rapport public annuel de la Cour des comptes (2018), rapport parlementaire « D’un continuum de sécurité vers une sécurité globale » des députés J.-M. Fauvergue et A. Thourot (2018) 195 Proposition : – Instaurer une logique de certification des professionnels qui ouvre des droits d’exercice différencié. – Mettre en place de cartes professionnelles sécurisées et étendre les causes de retrait aux titulaires. Faire évoluer l’organisation et le fonctionnement du CNAPS Le CNAPS est dirigé par un collège faisant office de conseil d’administration, dans lequel siègent des représentants de l’État des représentants de la profession, des personnes qualifiées et des magistrats de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire. Localement, les commissions locales d’agrément et de contrôle (CLAC) délivrent les autorisations d’exercice et prononcent les éventuelles sanctions disciplinaires. Une commission nationale d’agrément et de contrôle (CNAC) sert d’instance de recours. CLAC et CNAC sont composées de représentants de l’État de représentants de la profession, et de magistrats de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire. Au collège du CNAPS, la répartition des sièges est telle que l’Etat n’est pas assuré de la pleine maîtrise des orientations prises alors même que l’établissement public a en charge la supervision d’une profession réglementée sur une mission régalienne. Il apparaît dès lors nécessaire de donner à l’État davantage de poids et de leviers au sein du collège du CNAPS, par exemple en augmentant le nombre de sièges attribués (par exemple à la DGPN et à la DGGN) ou en leur octroyant des droits de vote majorés. Cette évolution romprait avec une pratique du CNAPS qui consiste à donner, tant localement que nationalement, une voie importante aux représentants de la profession. Le CNAPS fait ainsi figure de quasi ordre professionnel. Il est indispensable que les professionnels puissent s’exprimer et être entendus pour le bon fonctionnement du secteur. Néanmoins, une trop grande confusion des rôles pourrait nuire à la bonne régulation du secteur. Proposition : Renforcer le poids de l’État dans le collège du CNAPS afin de l’assurer d’un contrôle effectif d’une profession réglementée dans un domaine régalien. L’expression et la représentation de la profession sont cependant nécessaires et constituent une attente forte des acteurs de la sécurité privée. Cette demande émane essentiellement des prestataires (employeurs et organisation syndicales), mais trouve aussi un écho chez les donneurs d’ordres. Partant, il ne serait ni illégitime, ni inutile d’adapter la représentation des représentants de la profession. La révision de la composition du collège, pour y inclure ceux qui ne sont pas actuellement représentés (les donneurs d’ordres), est une possibilité. Une autre option serait la formation d’une commission d’information non délibérative indépendante du collège. 196 Livre blanc de la sécurité intérieure La reconfiguration de l’interaction entre le CNAPS, la CNAC et les CLAC est un autre chantier qu’il est important d’engager. Dans le schéma actuel, en matière de police administrative et de pouvoir disciplinaire, l’essentiel de la prérogative est confié aux CLAC. Pourtant, le CNAPS joue de facto un rôle important : ainsi, la Cour des comptes relevait en 2018 que 80 % des décisions de police administrative étaient prises par le CNAPS par délégation de signature des CLAC. La mise à jour des textes ferait œuvre de cohérence et normaliserait une situation qui s’est instaurée dans les faits. La fonction disciplinaire au CNAPS pourrait aussi être perfectionnée en limitant les risques de collusions entre le CNAPS (délégations) et les CLAC. La fonction d’instruction et la fonction disciplinaire doivent être clairement séparées pour une bonne administration. L’exercice actuel de la fonction disciplinaire fait apparaître des risques de conflits d’intérêts pour des participants aux commissions locales ou à la commission nationale. Proposition : – Transférer le pouvoir de police administrative au directeur du CNAPS. – Renforcer l’indépendance de la fonction disciplinaire (dépaysement, prévention des conflits d’intérêts des membres des commissions). L’indispensable rehaussement des moyens du CNAPS Face à l’ampleur de la mission et en vue d’une montée en puissance de la sécurité privée, il est nécessaire de revoir les moyens humains, budgétaires et techniques du CNAPS. Sur le plan des effectifs, le CNAPS se révèle peu attractif, recrutant une part importante de contractuels peu formés et volatiles, et exposé à des risques de manquements déontologiques. A cet égard, le renforcement des passerelles entre le ministère de l’Intérieur (notamment la DLPAJ et la DCS) et le CNAPS permettrait à ce dernier de disposer de ressources expérimentées et formées. Par ailleurs, les prérogatives actuelles des agents du CNAPS ne leur permettent pas, faute d’assermentation, de relever des infractions et de dresser des procès verbaux. Ils sont seulement en mesure de réaliser des rapports de contrôle, facteur de longueurs et de lenteurs de procédure, ainsi que d’un moindre effet dissuasif sur les entreprises et personnes contrôlées. Proposition : – Enrichir la ressource humaine du CNAPS, par la formation et le recours à des personnels qualifiés (détachements de fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, consultation d’experts). – Permettre aux contrôleurs du CNAPS de relever et de faire cesser des infractions au travers de l’assermentation. 197 2.2.4. Animer localement le continuum La mise en œuvre du continuum implique des adaptations pour un certain nombre de dispositifs, comme y invite la stratégie nationale de prévention de la délinquance 2020-2024. Tout d’abord, la coordination locale de la prévention de la délinquance doit être confortée. La création d’un secret de la sécurité intérieure partagée par tous les acteurs locaux qui concourent à cette politique permettrait de faciliter grandement les échanges locaux dans le cadre du secret partagé. Certains partenaires importants ne pouvaient pas jusqu’alors accéder au secret partagé faute d’être soumis à une quelconque obligation de secret professionnel. De même, l’obligation de moralité commune à tous ces acteurs permettrait de renforcer la confiance qui les unit. Proposition : Créer un secret de la sécurité intérieure pour les acteurs du continuum de sécurité, dont l’obtention soit conditionnée à des enquêtes administratives de sécurité. En termes de structures, les conseils départementaux de prévention de la délinquance (CDPD), présidés par le préfet, les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), présidés par le maire, et les conseils intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CISPD), ont fait la preuve de leur pertinence, chacun à leur niveau. En application du principe de vision élargie du continuum de sécurité, leur composition doit être ouverte pour inclure l’ensemble des acteurs locaux pertinents. Pour garantir la cohérence des actions locales de sécurité, ces instances doivent devenir des instances pivot des dispositifs de coordination et de consultation du continuum de sécurité, citoyens compris. Sur un plan plus technique, la création récente des directions des sécurités au sein préfectures a permis de professionnaliser le suivi départemental des politiques locales de sécurité. Leur renforcement doit être poursuivi. Au niveau infra-départemental, la possibilité de créer des CLSPD communs à plusieurs communes qui partagent les mêmes enjeux de sécurité et de délinquance, à une échelle plus restreinte que l’intercommunalité, doit être reconnue, notamment lorsque plusieurs communes partagent une même police municipale. En outre, le renforcement des fonctions de coordinateurs CLSPD/CISPD doit être poursuivi, à la fois par leur reconnaissance formelle au titre des fonctions participant au continuum de sécurité et soumises, à ce titre, à l’exigence de moralité et au secret de la sécurité intérieure, mais aussi par le développement d’une doctrine nationale et, pour la décliner, d’une offre de formations visant spécifiquement les divers volets de leur action. Quant à la déclinaison opérationnelle des politiques locales de sécurité, les groupes de partenariat opérationnel, en zone sécurité publique, et les brigades de contact, en zone gendarmerie nationale, ont montré leur efficacité. Ces dispositifs de mise en œuvre concrète de la police de sécurité du quotidien doivent donc continuer à être déployés. 198 Livre blanc de la sécurité intérieure Propositions: – Permettre explicitement la création de CLSPD communs à plusieurs communes. –R econnaître les fonctions de coordinateur CLSPD/CISPD. 199 200 Livre blanc de la sécurité intérieure QUATRIÈME LIVRET : PORTER LE MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR À LA FRONTIÈRE TECHNOLOGIQUE 201 1.  Renforcer la contribution du ministère de l’Intérieur à la protection de la vie numérique et technologique de la Nation 1.1.  Sécuriser les identités numériques La numérisation de la société et des services proposés entraîne une nécessaire adaptation des systèmes d’identité pour faire face aux nouveaux défis qui se posent. Ceux-ci sont d’abord liés au fait que, transposée dans la sphère numérique, l’identité est devenue une notion complexe à géométrie variable. Celle-ci recouvre plusieurs ensembles : les données numériques des personnes, les données produites sur les réseaux sociaux, l’identité numérique pour les services publics, les traces numériques des objets connectés, ainsi que les moyens d’identification et d’authentification en ligne. La garantie de l’identité de chacun bénéficie à la vie collective et à l’exercice des libertés publiques. En effet, il s’agit par exemple de sécuriser l’accès aux droits, de garantir la liberté d’expression dans l’espace numérique, de prémunir les citoyens contre les fraudes à l’identité numérique. Ces garanties doivent toutefois être portées par l’Etat dans le respect des droits fondamentaux et de la vie privée. L’offre de service et la sécurisation de l’identité numérique ne doivent en effet pas devenir un levier de contrôle numérique de la société. 1.1.1. Achever la sécurisation électronique des titres régaliens La définition de l’identité individuelle, le contrôle de l’état-civil ou la validation de ses modifications sont des prérogatives de l’autorité judiciaire. Toutefois, le ministère de l’Intérieur joue un rôle éminent dans la garantie concrète de l’identité à travers la délivrance matérielle des titres (identité, voyage, séjour). Bien que la détention d’un titre d’identité ne soit pas obligatoire en droit, en pratique, la vie sociale est très difficile sans disposer d’une telle attestation ou preuve sécurisée de son identité. Pouvoir présenter un titre reconnu avec confiance est indispensable aux citoyens dans leur vie quotidienne, mais également au niveau international, lors du passage des frontières. Les exigences se sont en outre fortement accrues en termes de niveau de sécurisation des documents d’identité admis. Le nombre des usurpations d’identité constaté en France est en effet très important, avec des conséquences dommageables dans la vie quotidienne des victimes. Aujourd’hui, la carte nationale d’identité (CNI) n’est pas sécurisée à l’égal du passeport et du titre de séjour des citoyens étrangers en France. De plus, quand la carte d’identité vaut titre de voyage, la remise à niveau de son niveau de sécurité est une condition de la pérennité de sa reconnaissance. Le 20 juin 2019, l’Union européenne a adopté un règlement renforçant la sécurité des cartes d’identité délivrées par les Etats membres aux citoyens de l’Union. A compter du 2 août 2021, un composant électronique comprenant les données biométriques sera obligatoire pour les titres fabriqués afin de rendre plus fiables la vérification de l’authenticité, de la validité et de la correspondance du titre avec son porteur. Jusqu’ici, en France, seuls les 202 Livre blanc de la sécurité intérieure passeports et les titres de séjour disposaient de composants. La France était l’un des cinq derniers États-membres de l’Union européenne à ne pas disposer d’une carte d’identité électronique. Proposition : Afin de mieux protéger les Français contre l’usurpation d’identité et d’éviter que la carte d’identité vienne à ne plus être reconnue partout en Europe comme preuve d’identité, la Carte nationale d’identité sera dotée d’une puce électronique sécurisée à partir de 2021. 1.1.2. Susciter et promouvoir un écosystème d’identités numériques robustes L’établissement de la confiance dans les relations numériques suppose, dans de nombreuses situations, des mécanismes fiables de reconnaissance réciproque. Le déploiement d’identités numériques est essentiel pour permettre à chacun de prouver qui il est, à chaque fois que nécessaire. A défaut, le manque de confiance peut conduire les parties à ne pas s’engager. De plus, les besoins de la vie numérique dépassent le seul besoin de confiance dans l’identité. Ainsi, la garantie de l’heure et de la date précise à laquelle un acte est accompli (horodatage électronique), l’archivage électronique certifié et garanti, la signature électronique, sont la plupart du temps liés à l’existence d’une ou plusieurs identités numériques de confiance. Les identités numériques sûres fournissent également une protection contre l’usurpation, contre la fraude et contre l’accès par des personnes non autorisées à des données personnelles. Le choix d’un mécanisme d’authentification ou d’identification, ainsi que le degré de sécurisation qui y est associé, varient en fonction de l’acte numérique accompli. L’identité numérique choisie dépend du contexte : situation de la vie quotidienne, exercice professionnel, échange d’informations dont la confidentialité est protégée par la loi. Les garanties nécessaires sont encore plus fortes s’il est question d’un acte dont les conséquences juridiques ou financières sont lourdes (par exemple dans les domaines de la santé, de l’assurance, des finances ou de l’immobilier). Quel que soit le niveau d’exigence requis, chacun doit pouvoir accéder à des solutions de confiance permettant des parcours numériques simples à mettre en œuvre, aisément disponibles et respectueux des droits fondamentaux. Plus le niveau de sécurité désiré est élevé, plus les contraintes de vérification sont exigeantes. Dans l’Union européenne, cette reconnaissance mutuelle des niveaux de sécurité « substantielle » et « élevé », fondée sur un référentiel commun et une interopérabilité entre Etats-membres, est prévue par le règlement européen eIDAS du 23 juillet 2014(46). La réglementation européenne eIDAS, permet de classer en trois niveaux les nombreuses familles d’identités et de services numériques de confiance : faible, substantiel et fort. 46 Règlement (UE) n ° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur. 203 Niveau Faible Substantiel Élevé Méthode de preuve et de vérification de l’identité lors de la création de l’identité numérique Mécanisme d’identification et d’authentification Peu sensibles (ex : consultation de données) Vérification limitée de l’identité du demandeur Identification simple (ex : identifiant et authentification par mot de passe sécurisé par protection standard) Sensibles (ex : modifier des données, accéder à des données sensibles) Vérification d’identité du demandeur et limitation substantielle du risque (possession physique et authenticité du titre, validité lors de la démarche) Identification à deux facteurs (ex : authentification sécurisée par des moyens cryptographiques qualifiés) Sensibles (ex : conséquences juridiques ou financières sérieuses) Identification évidente du demandeur via une ou plusieurs caractéristiques physiques individuelles Identification à deux facteurs (ex : authentification sécurisée par des moyens cryptographiques qualifiés au niveau renforcé) Usages Soutenir un écosystème français d’identités numériques robustes contribue à l’élévation générale du niveau de cybersécurité. Le Programme interministériel France Identité Numérique(47), créé à la demande du Premier ministre par une lettre de mission du 5 janvier 2018 et dont le ministère de l’Intérieur est l’un des trois piliers, a vocation à concevoir et déployer une solution d’identité numérique sécurisée, dans le cadre du référentiel eIDAS, à fournir et à déployer des solutions d’identification numérique et à soutenir l’existence d’un écosystème complet d’identités et de services numériques, couvrant tous les besoins des citoyens et des résidents en situation régulière en France, des organisations publiques et des entreprises. Au-delà de l’accès aux services publics, l’action de l’État a aussi pour objectif de veiller à la complétude et à la diversité de l’écosystème national d’identités numériques, afin que tous les usages économiques et sociaux soient satisfaits. Tout particulièrement, une identité sécurisée de niveaux 47 Le programme interministériel France Identité Numérique est placé sous l’autorité de la ministre de la Justice, du ministre de l’Intérieur et du secrétaire d’Etat au Numérique. 204 Livre blanc de la sécurité intérieure à la fois substantiel et élevé est nécessaire pour que certaines démarches administratives sensibles puissent être accessibles numériquement. Or, il est très difficile à une organisation privée d’offrir un niveau de garantie élevé sans la coopération de l’État. En effet, toute identité numérique ayant vocation à être le prolongement de l’identité civile d’une personne ne peut s’envisager sans rattachement à l’état-civil, prérogative de l’État depuis 1792. En cela, une identité numérique garantie par l’État se distingue de la simple empreinte numérique découlant des usages en ligne (préférences, activités…) et des avatars commerciaux (nom déclaré, email, moyen de paiement…). L’identité numérique proposée par l’État constitue ainsi le prolongement dans le monde numérique de l’un des plus anciens services publics fournis par la puissance publique dans le monde physique à ses citoyens : assurer leur droit à l’identité grâce à l’état-civil et le certifier par la délivrance de titres d’identité. Les données d’identité, au sens régalien du terme, correspondent aux données d’identité dites « pivot » définies par le règlement européen eIDAS : nom, prénom, date et lieu de naissance, sexe. Ce sont au demeurant les seules données à la disposition de l’État qui, à la différence des grands acteurs mondiaux d’Internet, ne tracent ni ne recoupent les comportements, habitudes ou préférences numériques des usagers. L’intervention de l’État dans la fourniture d’une identité numérique de niveau élevé se justifie enfin pour des motifs de souveraineté : les Français doivent avoir la garantie qu’à l’avenir, ils auront toujours la faculté de recourir pour leurs actes les plus importants à une identité numérique indépendante de celles offertes par les grandes plateformes numériques privées. Aucune offre d’identité numérique de niveau élevé n’existant en France, il est nécessaire de combler cette lacune. L’État est le mieux placé pour relever ce défi, sans qu’il prétende au monopole de l’ensemble des identités numériques. Il peut s’appuyer sur les titres d’identité et de voyage sécurisés qu’il délivre : le passeport électronique, le titre de séjour électronique et, en 2021, la CNI électronique (CNIe). Cette identité numérique proposée par l’État sera cependant aussi utilisable aux niveaux « faible » et « substantiel », qui recoupent actuellement l’essentiel des usages, comme les autres identités numériques publiques ou privées déjà disponibles. Au regard des missions d’intérêt général de l’État et des valeurs de la République, cette solution d’identité numérique sera gratuite et universelle. Son usage demeurera facultatif et révocable à tout moment : les citoyens et résidents pourront recourir à d’autres identités lorsque d’autres acteurs publics ou privés en offrent la possibilité. L’identité numérique régalienne permettra ainsi à chaque usager qui le souhaite de s’identifier et de s’authentifier en ligne de manière simple et sécurisée avec la garantie de l’État. Cette identification en ligne sécurisée est conçue pour : –  protéger les usagers comme les acteurs publics, économiques, et sociaux des risques d’usurpation d’identité et de fraude en ligne, renforçant ainsi la confiance d’ensemble dans le numérique ; –  offrir aux usagers un accès simplifié à des services numériques en ligne à valeur ajoutée existants et futurs ; 205 –  renforcer la sécurité pour des téléservices existants et faciliter la dématérialisation d’usages sensibles pour réduire significativement les déplacements (pouvant ainsi contribuer à l’accès aux droits de personnes isolées ou en situation de handicap), rendez-vous et échanges de données non sécurisés ; –  rendre aux usagers la maîtrise de leurs données d’identité, trop souvent partagées sans contrôle, et au-delà, la maîtrise d’autres données personnelles sensibles dont l’accès sera ainsi sécurisé, sous le seul contrôle de l’usager et sans marchandisation ; –  pouvoir utiliser son identité numérique (et sa carte nationale d’identité électronique comme moyen d’authentification forte) pour la réalisation d’actes de signature. Alicem, application pour ordiphone développée par le ministère de l’Intérieur et l’Agence nationale des titres sécurisé, constituera un premier prototype de cette identité numérique hautement sécurisée. Cette identité numérique, facultative et révocable, ouvrira accès à tous les services offerts par les partenaires de FranceConnect, de manière plus sécurisée qu’un couple ordinaire identifiant / mot de passe(48). Le projet Alicem, par sa dimension innovante, constitue ainsi une expérience de préfiguration grandeur nature préalable à la conception de l’offre universelle d’identité numérique qui sera associée au futur titre d’identité (comme au passeport ou au titre de séjour). Les conclusions qui en seront tirées permettront de construire de manière progressive et agile une identité numérique de niveau élevé garantie par l’État dans les meilleures conditions. D’autres solutions d’identification, sans nécessité de reconnaissance du visage à l’inscription, seront proposées à tous les Français lors du déploiement de la nouvelle CNIe. Propositions : L’État prend les engagements suivants : – Fournir, à compter du déploiement de la nouvelle carte nationale d’identité électronique à l’été 2021, une identité numérique souveraine du niveau de sécurité le plus haut. Elle aura pour caractéristiques d’être facultative, gratuite et universelle. – Définir les conditions dans lesquelles les fournisseurs d’identités numériques, aussi bien publics que privés, pourront adosser leur service (de niveau «substantiel» ou «élevé») à l’identité numérique régalienne, dans le cadre d’un partenariat équilibré et dans le respect de la protection des données des utilisateurs. Par ailleurs, l’État coopérera avec l’ensemble des entreprises concernées dans le cadre du Contrat stratégique avec les industries de sécurité signé le 5 février 2020 dans le cadre du Conseil national de l’industrie. – Notifier à la Commission européenne, dès que l’écosystème français sera suffisamment complet, un schéma national d’identification qui permettra sa reconnaissance mutuelle partout en Europe. 48 Aucune donnée biométrique ne sera conservée, et les données de l’identité numérique ne seront conservées que sur l’ordiphone de l’utilisateur. La sécurité sera garantie par les informations figurant dans la puce électronique du passeport ou du titre de séjour, ainsi que par la vérification que le titre est bien celui de la personne titulaire lors de l’inscription, par reconnaissance du visage. 206 Livre blanc de la sécurité intérieure – Soutenir l’initiative de la Commission européenne d’engager une révision du règlement eIDAS sur les identités et services numériques de confiance et contribuer aux réflexions au niveau européen sur la self sovereign identity (SSI)(49). 1.1.3. Mettre l’usage des identités numériques à la portée de tous par des solutions fédérées simples et accessibles Assurer sa propre sécurité sur Internet exige le respect d’une hygiène numérique. Par exemple, il est recommandé par l’Agence chargée de la sécurité numérique (ANSSI) d’utiliser un mot de passe unique pour chaque service, de le choisir suffisamment compliqué pour qu’il ne soit pas détectable et de le changer tous les trois mois. Face à de telles difficultés, il est possible pour l’usager de simplifier sa vie numérique en recourant aux services de fournisseurs et de fédérateurs d’identité numérique. Pour les services publics numériques, l’État a conçu depuis 2016 « FranceConnect ». Celui-ci poursuit l’objectif de permettre de s’identifier en ligne de manière simple et sécurisée avec la garantie de l’État. Toutefois, le niveau de sécurisation de FranceConnect devra être étendu aux niveaux « substantiel » et « élevé » afin de lui permettre d’intégrer la future identité numérique régalienne de niveau élevé. Proposition : Le ministère de l’Intérieur adaptera ses téléservices à l’ensemble des fonctionnalités permises par le fournisseur d’identités régalien et proposées par le fédérateur d’identité FranceConnect(50). 1.2.  Renforcer les capacités ministérielles et contribuer à l’élévation du niveau général de cybersécurité 1.2.1. Le ministère de l’Intérieur, acteur de la cybersécurité Les enjeux de sécurité numérique et de cyberdéfense comme priorité nationale apparaissent dès le Livre blanc de la défense nationale de 2008, aboutissant à la création de l’ANSSI en 2009. L’édition de 2012 en fait une priorité, traduite notamment dans la stratégie nationale pour la sécurité du numérique (2015). Dernièrement, la transposition de la directive européenne NIS (loi du 26 février 2018) puis la loi de programmation militaire du 13 juillet 2018 ont renforcé la protection des infrastructures essentielles en consacrant de nouvelles mesures pour les opérateurs d’importance vitale et les opérateurs de services essentiels. Le ministère de l’Intérieur couvre un large spectre d’enjeux cyber, au croisement de la cyberpuissance, de la sécurité numérique du quotidien ou encore de la lutte contre la cybercriminalité, le cyberterrorisme infiltré 49 Mode de gestion décentralisé de l’identité avec des données réparties sur différents registres. 50 A l’exception des démarches qui nécessiteraient un niveau de confiance supérieur à celui de FranceConnect, qui ne pourraient s’effectuer que par le biais d’une identité électronique correspondant au niveau requis. 207 et les tentatives d’ingérence. Cette position l’a conduit à développer des compétences dans différents métiers. Ainsi, la DGSI, la DCPJ, la préfecture de police ou encore la DGGN conduisent, via des structures dédiées, des cyber-opérations, des enquêtes numériques et des actions de prévention. Objet de cyberattaques, le ministère a mis en place une chaîne de sécurité des systèmes d’information, dont un centre de cyberdéfense (C2MI) sous la responsabilité du service du haut-fonctionnaire de défense. Enfin, le ministère s’est doté en 2016 d’une délégation ministérielle à la lutte contre les cybermenaces (DMISC) pour animer le réseau cyber du ministère et de ses partenaires. En outre, afin de s’adapter à une criminalité en mutation perpétuelle, les directions et services du ministère ont développé différents outils de suivi : l’état annuel de la menace cyber piloté par la DMISC en lien avec l’ensemble des acteurs du ministère de l’lntérieur, le centre de réponse à des incidents cyber (CSIRT) de la DCPJ, plateformes (Pharos de signalement des contenus illicites ou suspects, Perceval de fraude à la carte bancaire). Le maillage territorial du ministère a intégré les enjeux cyber, avec la mise en place de réseaux et de référents prenant en charge une ou plusieurs des missions correspondantes. Au total, 80 % des policiers et gendarmes formés au cyber sont déployés dans les territoires et la DGSI dispose d’un référent par département. Différentes évolutions organisationnelles récentes confirment aussi la tendance de renforcement de ces expertises cyber, à l’image de la mise en place du service technique national de captation judiciaire (STNCJ) début 2018. Dès lors, quatre ambitions pourraient être portées par le ministère de l’Intérieur dans le domaine cyber : –  Garantir la maîtrise et la capacité d’agir du ministère en matière cyber ; –  Être l’acteur de référence en matière de lutte contre la cybercriminalité ; –  Devenir un acteur clé de la gestion de crise cyber ; –  Accroître la résilience cyber de la société civile. Afin de relever les défis de la sécurité numérique, une « feuille de route » a été produite en 2018 par la DMISC, qui donne corps à une première stratégie de lutte contre les cybermenaces élaborée en 2017. Cette feuille de route constate que les missions et les compétences du ministère sont peu lisibles, alors que 10 millions d’euros (hors T2) sont engagés tous les ans et que 8 600 agents sont formés (dont 10 % luttant à temps plein contre les cybermenaces)(51). En effet, si l’investissement de chaque direction dans le cyber a permis une montée en compétence notable dans les dernières années, une amélioration de la coordination et des initiatives dans ce domaine bénéficierait à la réponse ministérielle dans son ensemble. C’est ce qu’ambitionne ce Livre blanc en proposant la création d’un SCN Cyber (cf. livret 3, 1.3.3.). 51 Au total, 2650 ETPT sont impliqués dans les missions cyber. 25% des ETPT luttent en permanence contre la cybercriminalité, soit 426 enquêteurs-procéduriers et 272 analystes numériques. Hormis les personnels formés de la DGSI qui exercent majoritairement en administration centrale, 80 % des policiers et gendarmes formés sont déployés dans les territoires. 208 Livre blanc de la sécurité intérieure Aux difficultés de gouvernance stratégique, s’ajoutent des difficultés d’ordre budgétaire, technique, juridique et opérationnel, qui impactent la capacité du ministère à recruter à bon niveau. 1.2.2. Renforcer quantitativement et qualitativement les capacités humaines du ministère de l’Intérieur Si le ministère de l’Intérieur a intégré les enjeux cyber dans son organisation et sa montée en compétences, son empreinte dans l’écosystème de cybersécurité reste faible. Cette faible position est d’autant plus dommageable que, compte tenu de son positionnement sur les enjeux sécuritaires croisés (cf. supra), le ministère peut jouer un rôle de premier plan dans le renforcement de la cybersécurité de la Nation. Afin de faire face aux besoins cyber, la feuille de route 2018 identifiait un objectif d’augmentation de 50% des ETPT à horizon 2022. Le Livre blanc propose de retenir cet objectif comme étant un minimum à atteindre. Il recommande, dans ce plan de rehaussement des moyens humains, de doubler le nombre d’enquêteurs cyber à temps plein, dans les unités spécialisées (C3N, OCLCTIC, DGSI, BEFTI), ainsi que les enquêteurs primo-intervenant. En outre, le ministère doit se donner les moyens de porter ses compétences à l’état de l’art et de les ajuster au gré des besoins, fortement évolutifs, des enjeux cyber. Au recrutement, le ministère peut s’engager vers une plus grande ouverture à des profils externes à l’administration apportant des compétences adaptées de haut niveau. Pour recruter les meilleures compétences, le ministère doit se donner les moyens de proposer des niveaux de rémunération compétitifs au risque de ne pas pouvoir rivaliser avec les entreprises privées, alors que le secteur cyber est fortement compétitif au plan salarial. Durant la carrière, des parcours de formation doivent être tracés afin de maintenir les ressources à un niveau de compétences élevé. La forte évolutivité des questions cyber implique d’avoir une vigilance accrue sur ces enjeux de formation. Par ailleurs, une offre de formation aboutie peut renforcer l’attractivité du ministère, par le maintien de l’employabilité des agents. Par ailleurs, des parcours de carrière devront être déterminés par une vision globale des emplois (cybercriminalité, SSI, innovation). Sur l’ensemble de ces sujets, une attention particulière devra être portée aux cadres A+, afin de disposer au plus haut niveau de l’administration du ministère d’une vision globale des enjeux cyber, de piloter la matière au niveau central comme à l’échelon déconcentré et d’intégrer massivement les institutions de l’écosystème cyber (ANSSI, DGSE, DGA, COMCYBER). Les partenaires du ministère de l’Intérieur doivent également poursuivre leur effort de montée en capacité cyber, et notamment le ministère de la Justice. Face à la croissance du cybercrime, il est indispensable de penser également les compétences cyber des magistrats spécialisés et de poursuivre l’effort entamé y compris au niveau de l’instruction et en déconcentré. 209 Propositions : – Augmenter d’au moins 50 % d’ici 2022 le nombre d’ETPT engagé dans les missions cyber et dans cette dynamique, doubler le nombre d’enquêteurs cyber à temps plein, dans les unités spécialisées (C3N, OCLCTIC, DGSI, BEFTI), ainsi que les enquêteurs primo-intervenant. – Favoriser les recrutements externes en offrant des niveaux de rémunération attractifs. – Développer une politique de formation et d’accompagnement volontariste sur les métiers cyber. – Favoriser l’acculturation et la formation des cadres aux enjeux cyber. 1.2.3. Renforcer les capacités techniques du ministère de l’Intérieur face aux cybermenaces Face à une évolution rapide de technologies sophistiquées, le ministère de l’Intérieur doit se doter d’outils à l’état de l’art en matière de lutte contre les cybermenaces et développer les techniques spéciales d’enquête numériques. Afin de relever les nouveaux défis cybersécuritaires, le ministère devrait renforcer ses outils d’investigation numérique. Les techniques de renseignement en source ouverte (ROSO) sont un premier axe de progrès à intégrer dans la formation initiale et continue des agents. De manière plus volontariste, les techniques d’extraction à tous les niveaux, les moyens de déchiffrement et d’investigations numériques des IOT au CTA et de captation de données informatiques (sur appareils, à distance) au travers du STNCJ doivent être renforcées. Passée la collecte des données, les forces de sécurité intérieure doivent se doter d’outils spécialisés d’analyse automatisée et rapide de métadonnées. Proposition : Investir dans les capacités techniques d’investigation numérique. 1.2.4. Renforcer les capacités de gestion des crises Peu de crises peuvent échapper au risque cyber. Certaines le sont nativement, avec des risques croissants de failles cyber engendrant des fragilités dans l’espace physique (ex : attaque virale d’un réseau énergétique ou de transport) ; certaines sont des crises physiques prenant collatéralement une dimension cyber (ex : attaque d’infrastructures étatiques et diffusion de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux durant la crise de la COVID-19). Si la gestion des crises cyber appartient à l’agence nationale pour la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), il revient le plus souvent au ministère de l’Intérieur de conduire la gestion des crises « physiques » sur le territoire national. En effet, le point central d’une telle gestion de crise est la prise en compte du continuum espace numérique / physique et plus particulièrement l’impact physique des désordres numériques. En outre, le réseau territorial du ministère de l’Intérieur est un acteur central de la gestion des crises cyber, notamment de faible et moyenne intensité, 210 Livre blanc de la sécurité intérieure en raison de ses 4 000 points d’accueils (préfectures, sous-préfectures, brigades de gendarmerie, commissariat de police). En effet, le ministère de l’Intérieur tire de ses capacités territoriales un puissant levier d’action cyber(52) et une solide base de résilience, à la fois dans la protection des infrastructures ministérielles (SSI) et dans sa capacité à lutter contre la cybercriminalité. La planification dédiée aux crises d’origine cyber ou comportant un volet cyber fait aujourd’hui défaut. Elle permettrait d’optimiser les compétences dont dispose le ministère localement en les mettant en réseau, et de préparer, en amont, les mesures à prendre en cas de crise (Plan ORSEC « Cyber »). En outre, l’action du Centre de cyber-défense du ministère de l’Intérieur (C2MI) mériterait d’être renforcée et complétée afin d’assurer un haut niveau de résilience aux systèmes d’information et de communication du ministère. Dès à présent, un fonctionnement 24h/24 doit être envisagé en parallèle de l’amélioration de ces capacités de détection des attaques de premier niveau et de pilotage de la réponse par des Security Operations Centers (SOC) au plus près de l’administration technique des SI. Proposition : Dresser des plans ORSEC « cyber » de résilience territoriale. 1.2.5. Disposer d’une vision juste et fiable de la cybercriminalité Paradoxalement, si la matière cyber concerne l’ensemble des acteurs de terrain jusqu’aux services territoriaux de la DGPN et de la DGGN en charge de l’accueil des victimes, du recueil des plaintes et de l’accomplissement des premières mesures conservatoires ou de criminalistique, les indicateurs permettant de caractériser la menace restent lacunaires empêchant un suivi précis de la cyberdélinquance. Le SSMSI identifie les atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données (STAD), mais l’incertitude reste importante en raison du non recours au dépôt de plainte par de nombreuses victimes, et parce qu’une partie de la cybercriminalité n’est pas identifiée comme telle la nomenclature actuelle de statistiques de la délinquance (cyber-escroqueries, pédopornographie, etc…). En outre, au stade de la prise de plainte, le phénomène cyber est mal appréhendé, et par conséquent mal identifié et reporté, surtout sur le bas du spectre qui recouvre la cyberdélinquance de masse. La mise en place de téléservices et plateformes dédiés (cybermalveillance.gouv.fr, Pharos, Perceval, Thésée) concourt à une meilleure appréhension du phénomène cybercriminel. 52 SSI, SIC préfectures, enquêteurs spécialisés NTECH GN et ICC PN, premier accueil cyber des correspondants NTECH de la gendarmerie nationale et des premiers intervenants cyber de la police nationale. 211 Proposition : Simplifier et systématiser les déclarations d’incident par les victimes et les fournisseurs d’accès. Produire et exploiter des statistiques enrichies par ces nouvelles démarches en : – conditionnant le remboursement des conséquences d’une attaque cyber par les assureurs à une déclaration simplifiée de la victime (sans nécessairement systématiser le dépôt de plainte) ; – invitant les fournisseurs d’accès à Internet à un monitoring des adresses IP correspondant à des infrastructures cybercriminelles sur la base d’une liste adresses ; – obligeant les fournisseurs à signaler aux autorités les adresses IP de la liste noire les plus actives ; – ajoutant des capacités d’intelligence artificielle aux logiciels de prise de plainte afin de mieux catégoriser les contentieux. 1.2.6. S’engager sur les territoires en construisant et animant une communauté cyber territoriale Le maillage territorial de cybersécurité repose d’une part sur le réseau territorial de l’Etat que porte essentiellement le ministère de l’Intérieur et, d’autre part, sur des prestataires privés. Ainsi, la coordination en matière de cybersécurité est placée sous l’égide des préfets de région, notamment au travers de la politique d’intelligence économique à travers les comités régionaux d’intelligence économique (les CRIET) qui s’assurent, notamment, de la mise en place d’actions de sensibilisations aux cyber-risques. Le traitement au niveau régional est essentiel, de même que l’approche par l’intelligence économique, mais ces deux approches sont insuffisantes pour couvrir l’ensemble des enjeux cyber au niveau de besoin le plus adéquat. Compte tenu de la prégnance de la question cyber et de son imprégnation dans le territoire, il apparaît désormais nécessaire de disposer d’une vision départementale dans la politique de défense civile locale en réunissant autour du préfet et du procureur de la République un état-major de sécurité cyber. Ces approches locales doivent associer au mieux les partenaires de l’État dont le directeur académique des services de l’Éducation nationale sur les enjeux d’éducation aux risques. La stratégie cyber doit être déclinée localement au niveau des collectivités, des PME, des citoyens, en partenariat avec les organismes spécialisés. Il est nécessaire de s’appuyer sur les expertises, notamment de l’ANSSI. L’Agence délivre aujourd’hui trois types de qualifications : audit SSI, prestataires de réponse à incident de sécurité, prestataires de détection d’incident de sécurité. 212 Livre blanc de la sécurité intérieure Propositions : Créer des états-majors cyber départementaux auprès des préfets. Créer un quatrième niveau de qualification ANSSI visant à traiter la remédiation de masse auprès des PME, TPE et particuliers. 2.  Simplifier la vie des citoyens et l’exercice des missions des agents publics grâce aux technologies 2.1. Élargir les canaux et les plages d’accès des citoyens aux services publics Les attentes vis-à-vis de la disponibilité numérique de l’ensemble des services publics se sont développées ces dernières années. Si les services publics de la sécurité intérieure ne sauraient être exclusivement numériques ou imposer le recours à la voie numérique, il est en revanche indispensable qu’ils sachent offrir l’option d’une interaction numérique chaque fois que le citoyen le souhaite et que la nature de la démarche administrative ou judiciaire le permet. Les services publics de l’Intérieur ont depuis longtemps intégré la dimension numérique. Un bilan rétrospectif conduit à souligner l’importance des progrès accomplis ces dernières années pour simplifier la vie des citoyens. Quelques exemples suffisent à le démontrer : pour la plupart des démarches physiques, la généralisation de la prise de rendez-vous en ligne ; la déconcentration en mairie des démarches relatives aux cartes d’identité ou aux passeports ; la demande dématérialisée par le vendeur du certificat d’immatriculation lors de l’achat d’un véhicule ; la réinscription en ligne sur les listes électorales consécutive à un déménagement. Malgré ces efforts, force est de constater que l’interface numérique avec les citoyens devrait encore être substantiellement accrue. Sous réserve que la médiation numérique soit choisie et non subie, et que le contact humain prenne le pas à chaque fois que nécessaire, la qualité des relations avec la population pourrait s’en trouver rehaussée. Plusieurs types d’interactions sont concernés, qui soulèvent des enjeux différenciés : les appels d’urgence, la gestion des situations de crise, les demandes d’informations générales, les téléservices administratifs ou les sollicitations de la force publique. Le ministère de l’Intérieur entend donc aller bien plus loin, et s’inscrire pleinement dans l’objectif de numérisation de la totalité des démarches qui le rendent possible. 2.1.1. Mobiliser tous les canaux numériques pour enrichir l’offre des moyens de contact La plainte en ligne Démarche du domaine de la sécurité intérieure la plus emblématique, la plainte pénale ne doit plus être laissée par principe à l’écart du mouvement de dématérialisation. 213 Un dispositif de pré-plainte en ligne existe depuis 2008. Mais son champ est resté limité à des catégories d’infractions contre auteur inconnu. Par ailleurs, la démarche en ligne doit obligatoirement être suivie d’un déplacement physique pour acquérir force juridique, quelles que soient les circonstances ou l’utilité d’un entretien pour l’enquête. Malgré ces limites, la demande est forte, et 469 250 pré-plaintes ont été déposées en 2018. Manifestement, ce dispositif, qui a constitué un progrès dont l’expérience acquise sera précieuse, ne suffit plus au regard des possibilités de la technologie et de la maturité des comportements en ligne. C’est pourquoi, au printemps 2019, le Président de la République a demandé aux ministres de l’Intérieur et de la Justice de préparer un télé-service de plainte en ligne de plein exercice, sur un large périmètre d’infractions. Ce chantier s’avère toutefois particulièrement délicat sur le fond. La plainte pénale ne saurait être banalisée à l’excès. La plainte est un acte de droit sérieux qui engage juridiquement son auteur. La mise en cause d’une personne visée par une plainte peut déboucher sur des conséquences graves et parfois irréversibles pour elle. Sans jamais fragiliser davantage la situation des victimes, le dépôt de plainte doit toujours être l’occasion d’identifier d’éventuelles contradictions. Dans de nombreuses situations, l’état psychologique et émotionnel de la victime doit être pris en compte, et le questionnement à la fois empathique et rigoureux peut aider à la verbalisation d’éléments indispensables à l’enquête. La conversation entre le plaignant et l’enquêteur peut conduire à une meilleure distinction, entre les faits établis et les éléments de ressenti relevant d’interprétations à vérifier. En résumé, la médiation numérique et l’absence d’interaction physique constituent un terrain nouveau pour la prise de plainte, dont le déploiement nécessite des précautions particulières. Il rencontrera sans doute des bornes, soit en raison de la nature des faits, soit en fonction du contexte, soit par rapport à la victime. Ce chantier est également techniquement assez lourd, car le téléservice doit s’interfacer avec les logiciels de travail des enquêteurs, eux aussi en cours de refonte. Après des études préliminaires, une équipe a été mise en place le 1er janvier 2020 pour conduire le projet. Elle proposera un périmètre quant au champ infractionnel concerné et engagera les travaux informatiques de développement du télé-service. L’interconnexion avec les logiciels de rédaction de procédures utilisés par les enquêteurs policiers et gendarmes justifie une synchronisation des calendriers, soit un débouché prévu entre 2021 et 2022. Proposition : Un téléservice de dépôt de plainte, sur un périmètre d’infractions à définir, sera développé d’ici à 2022, et synchronisé avec la dématérialisation de la procédure d’enquête pénale sur l’ensemble de la chaîne « intérieur-justice ». Le ministère de l’Intérieur travaillera en lien étroit avec la Délégation interministérielle de l’INA et la DNUM devra s’assurer du concours nécessaire de la DILA, service du premier ministre développant habituellement les interfaces « usagers » des télé-services des ministères. 214 Livre blanc de la sécurité intérieure Les autres plateformes et télé-services de sécurité intérieure Ces quinze dernières années, police et gendarmerie nationales ont développé plusieurs plateformes de télé-services permettant aux usagers, soit de solliciter des renseignements, soit de signaler des évènements non urgents qu’il est nécessaire de porter à la connaissance des autorités. Ces télé-services sont tous mutualisés entre la police et la gendarmerie nationales. Nom PHAROS Usage Créée en 2009 à la direction centrale de la police judiciaire, cette plateforme commune policegendarmerie permet aux internautes de signaler les contenus illicites présents sur Internet. Les 27 agents de la plateforme constatent les contenus signalés, qualifient les infractions pénales qui y correspondent, et initient, s’il y a lieu, une enquête en l’orientant sur un service territorial compétent. En 2018 PHAROS a reçu plus de 163 000 signalements, principalement dans les domaines des escroqueries, des atteintes aux mineurs, des discriminations et de l’apologie et la provocation à des actes terroristes. PERCEVAL  Exploité par le service central de renseignement criminel de la gendarmerie nationale, ce service permet à l’ensemble des citoyens de signaler une fraude à la carte bancaire. Pour avoir accès à la plateforme, la victime doit toujours être en possession de sa carte bancaire, ne pas être à l’origine des achats en ligne, et avoir déjà fait opposition auprès de sa banque. Cela exonère la victime de devoir déposer plainte. La plateforme réalise des recoupements et recherche particulièrement la mise à jour des séries de faits commis par des délinquants d'habitude. Par la suite, un service de police ou une unité de gendarmerie peut être saisie de l’enquête par le parquet compétent. PERCEVAL a reçu 200 000 signalements en 2019 pour un préjudice moyen de 468 € 215 Signalement de violences sexuelles ou sexistes (VSS) Inauguré le 27 novembre 2018, le portail donne accès à un dialogueur en ligne (« tchat ») et permet aux victimes de violences sexuelles et sexistes d’entrer en contact avec des policiers ou des gendarmes spécifiquement formés à leur prise en charge. Il est proposé à chaque victime une écoute et un accompagnement personnalisé pouvant conduire à l’orientation vers une prise en charge sociale et/ou psychologique, ainsi qu’à une prise de rendez-vous dans un service de police ou une unité de gendarmerie pour un dépôt de plainte. Le contact peut se faire anonymement. En 2019, 5 946 tchats donnant lieu à 2 024 signalements ont été recueillis en zone police nationale et 969 tchats en zone gendarmerie. Signalement aux services d’inspection générale de la police ou la gendarmerie Les deux forces de sécurité ont mise en place un téléservice permettant aux usagers, via le renseignement d’un formulaire, de porter à la connaissance des services d’Inspection des faits qu’ils jugent contraires à la déontologie. THESEE  Piloté par la direction centrale de la police judiciaire, le projet constituera le premier télé-service de plainte complète en ligne, destiné aux victimes d’escroqueries sur Internet. Lorsque les conditions du dépôt de plainte ne sont pas réunies, THESEE permettra aux internautes d’adresser des signalements, toujours en matière d’escroqueries en ligne. Les agents de la plateforme réaliseront recoupements et rapprochements afin d’identifier les auteurs ou groupes criminels de faits sériels. Sous le pilotage de l’autorité judiciaire, les dossiers d’enquête pourront être transmis à des services territoriaux de police ou de gendarmerie. Les indicateurs de satisfaction révèlent que les usagers qui les utilisent sont majoritairement très satisfaits des télé-services. Pour autant, l’offre souffre encore d’un manque de notoriété. En outre, la multiplicité et la spécialisation des plateformes est parfois préjudiciable à la fluidité du parcours des usagers, et des efforts d’orientation doivent être faits pour orienter les usagers dans leurs démarches à partir d’un point d’accès unifié. Propositions : Une nouvelle étape substantielle de renforcement des plateformes de téléservices sera franchie d’ici à 2021 : les compétences de la plateforme VSS seront très largement étendues, elles intégreront le traitement des violences conjugales, les infractions de discriminations et le cyberharcèlement. La nouvelle plateforme Thésée ouvrira au 2ème semestre 2020. 216 Livre blanc de la sécurité intérieure Renforcer la notoriété des télé-services par une logique de guichet unique et l’harmonisation des interfaces (passer d’une logique de plateformes à une logique de services) : – Améliorer l’ergonomie des parcours usagers de l’ensemble des téléservices par le recours à des compétences spécialisées en expérience usager ; – Étoffer les équipes de développement et de maintenance des téléservices pour répondre à la forte montée en charge résultant des Plan de transformation numérique ministériel ; –D e manière transversale, étudier l’intérêt et les priorités d’intégration du traitement automatisé du langage naturel dans les différents téléservices, y compris la plainte en ligne (DINUM, Lab IA, ST(SI)²) La brigade et le commissariat numériques Dès 2018, la gendarmerie a complété ses modalités de contact avec la population (patrouilles, accueil en brigade et réception des appels téléphoniques) par une offre numérique. La brigade numérique nationale, située à Rennes, reçoit 24h/24 toutes les sollicitations non urgentes des usagers de la France entière, par dialogue écrit (“tchat” clavier). L’accès s’effectue via une plateforme multicanale depuis le site Internet de la gendarmerie et les comptes institutionnels de réseaux sociaux (Facebook et Twitter). Une montée en régime régulière lui attrait plusieurs centaines de sollicitations variées par jour : sécurité du quotidien, problèmes cyber, questions relatives à des réglementations spécialisées, questions relatives au recrutement, etc. Certaines situations entraînent des pointes d’activité : cela a notamment été le cas pour la gestion de la crise pandémique, avec la multiplication par 10 des sollicitations quotidiennes, soit jusqu’à 2 000 sollicitations par jour. Pour la police nationale, bien que la majorité des sites recevant du public sont ouverts 24/24h, la police nationale n’avait pas jusqu’alors créé de structure d’accueil du public numérique généraliste. En 2020, en raison de la crise sanitaire du COVID-19, certains sites d’accueil ont été fermés. En compensation, une plateforme numérique de discussion permettant de renseigner le public sur le fonctionnement des services de police pendant le confinement, a été ouverte et proposée sur le site Internet de la police nationale. Ce «tchat», était ouvert 7 jours sur 7, de 8h à 21h00, et permettait aux agents de police eux-mêmes de répondre et d’orienter les internautes en fonction de leurs interrogations. La plate-forme a immédiatement rencontré un vif succès ; plus de 65 000 conversations ont été enregistrées du 26 mars au 19 mai, cette plateforme a reçu en moyenne 1 200 à 1 600 sollicitations quotidiennes, avec des pics à 2 500 suivant les annonces gouvernementales. Il a été décidé de pérenniser ce téléservice de messagerie instantanée, afin qu’il serve de base à la création d’un « commissariat numérique » qui proposera de plus amples services et modalités de communication avec la population d’ici début 2022 (prise de rendez-vous, prise de main courante etc.). 217 Propositions : Poursuivre l’enracinement au cours des prochaines années, dans une logique interopérable et complémentaire, du concept de brigade et de commissariat numériques. Cela se fera dans une logique de développement agile de nouveaux services et de consolidation progressive des bases de connaissance permettant de répondre à la population. À terme, des services de réponse automatisés pourront être associés à destination des publics familiers et en demande de ce type d’outils. L’appel de secours La rénovation des systèmes d’information de la sécurité civile et la construction pour la première fois de la plateforme numérique nationale NexSIS, qui restera toutefois adaptable aux configurations locales, permettra le traitement des flux multicanaux d’information. Sa conception prévoit dès l’origine de prendre en compte, outre les flux téléphoniques, les applications smartphones labellisées, les courriels, les SMS, les appels numériques, les messageries de réseaux sociaux, etc. Simplifier le parcours de l’usager par l’intégration des téléservices La simplicité du parcours numérique de l’usager est une condition de l’accessibilité, c’est-à-dire de l’égal accès de tous au service public sans distinction de compétences numériques. La multiplication des téléservices proposés par les administrations est une excellente chose, à condition qu’ils soient intégrés ou coordonnés entre eux, sans sacrifier ni la sécurité, ni la capacité de l’usager à maîtriser l’utilisation qui est faite de ses données personnelles. De plus en plus, les usagers sont amenés à se connecter à un téléservice pour fournir des justificatifs à un autre service, ou à naviguer entre différents portails d’administration pour effectuer successivement plusieurs démarches liées entre elles. Par exemple, un dépôt de plainte pour vol de sac à main ou de portefeuille entraîne la délivrance d’un récépissé de dépôt de plainte qui liste les objets et valeurs dérobés. Ce justificatif est nécessaire pour solliciter le renouvellement des titres d’identité et de voyage, du certificat d’immatriculation, de la carte VITALE, de la carte de transport, etc. Les services publics numériques doivent donc s’organiser en plateformes capables de dialoguer entre elles de manière ponctuelle et sécurisée. Cette architecture numérique est également plus rapide et moins coûteuse à faire évoluer au fil du temps car lorsqu’une procédure administrative est modifiée, il n’est besoin que d’adapter le système informatique concerné par le changement, et éventuellement ses interfaces (API), et non l’intégralité des systèmes informatiques connectés. Plusieurs types de fonctionnalités sont souhaitables : –  faciliter l’accès aux données et documents administratifs personnels : permettre à l’usager de récupérer directement les données et documents dont il a besoin pour effectuer d’autres démarches administratives, ou autoriser une administration à fournir certaines pièces à une autre ; 218 Livre blanc de la sécurité intérieure –  suivre l’avancement des procédures administratives : permettre à l’usager de suivre les différentes étapes d’avancement d’une procédure qui le concerne, grâce à des notifications électroniques. –  autoriser ou être informé en toute transparence lorsqu’une administration accède aux données personnelles : donner à l’usager le pouvoir d’autoriser une administration à accéder à certaines de ses informations personnelles, pour une finalité explicite. Dans certains cas prévus par la loi, l’administration pourra procéder d’initiative, à condition d’en informer l’usager par notification. Dans d’autres cas encore, toujours prévus par la loi, comme dans le cadre d’une enquête judiciaire ou de certains contrôles, l’administration sera dispensée de demander l’autorisation ou de l’obligation d’informer l’usager, ou bien l’information pourra n’intervenir qu’ultérieurement, lors de la clôture de la procédure. Propositions : Simplifier le parcours numérique de l’usager par l’intégration des téléservices : – Les téléservices du ministère de l’Intérieur seront à l’avenir tous conçus pour s’interfacer avec les autres aspects de la vie numérique de l’usager, tout particulièrement les démarches administratives complémentaires. – L’usager pourra accéder de manière permanente à l’ensemble des documents administratifs personnels, établis au titre des missions du ministère de l’Intérieur. – Les téléservices nécessitant ou produisant des justificatifs pourront alimenter ou être interrogés directement par d’autres téléservices, de manière sécurisée. Les interfaces de programmation applicative (API) permettront à l’usager : i) de télécharger ou d’autoriser la transmission directe des documents dont il a besoin ; ii) de sélectionner et de contrôler celles des informations qu’il entend partager, en vertu du principe de minimisation des données personnelles Outre la simplification liée au fédérateur interministériel d’identités numériques FranceConnect, le ministère prévoira chaque fois que possible la compatibilité de chaque projet avec le futur Dossier numérique du citoyen 2.1.2. Développer l’interactivité numérique dans la communication à des fins de prévention, d’information ou d’action opérationnelle Améliorer les remontées d’information proactives dans les situations de danger Lorsque les conditions juridiques sont réunies, en coordination entre le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice, des dispositifs spécifiques sont temporairement mis en œuvre, en cas d’enlèvements ou d’attentats venant de se commettre. 219 Depuis 2006, le dispositif « Alerte enlèvement ! » permet de diffuser massivement à la population, sur l’ensemble du territoire national, un message et une photographie en cas d’enlèvement d’enfant. Une plateforme téléphonique dédiée est alors ouverte. Depuis 2015, en cas de mis en œuvre du dispositif « Alerte attentat ! », deux plateformes, l’une téléphonique et l’autre numérique, peuvent être ouvertes pour recueillir tout témoignage, susceptible de revêtir une importance pour l’enquête. Ces deux dispositifs reposent sur un outil logiciel capable de traiter les signalements téléphoniques recueillis par les opérateurs du 17, un numéro en 800, ou via le formulaire Internet. Les fiches renseignées sont directement adressées aux enquêteurs pour traitement et vérification. Il convient cependant d’adapter et de moderniser les méthodes de diffusion des appels de police judiciaire au public, en cas d’alerte et d’appel à témoignage. A cette fin, police et gendarmerie ont lancé un projet de Portail unique de témoignage en ligne (TEL). Son but est de construire un outil générique adaptable à une très grande variété de situations et commun aux deux forces de sécurité intérieure. Le projet prévoit que seront ainsi diffusables par Internet les informations relatives à des personnes (victime disparue, victime à identifier, mis en cause recherché), à des objets (volés ou découverts), voire à des appels à témoins. Ce portail Internet sera couplé à un dispositif de transmission du témoignage recueilli à l’enquêteur en charge du dossier. En matière de sécurité civile aussi, il est souhaitable de pouvoir partager, par des dispositifs à la fois protégés et automatisés, l’intégralité des informations mobilisables autour d’une victime dès le déclenchement de l’intervention et au fil et à mesure de leur enrichissement. Propositions : Le ministère créera un nouveau portail générique sur Internet, accessible à tous, afin de gérer l’ensemble des appels à alerte et à recueil de témoignage. Les plateformes « Alerte enlèvement !» et «Alerte attentat !» seront préservées, mais étroitement coordonnées avec le site Internet, par renvoi. Réfléchir au recueil d’information en source ouverte pour détecter des situations de danger et d’urgence Les technologies d’analyse automatisée du langage écrit, qui reposent sur l’intelligence artificielle, permettent de procéder à de l’analyse et de l’extraction de contenus, et traitent des volumes d’informations qu’il serait hors de portée d’effectuer manuellement. Afin d’améliorer la gestion de l’alerte et la détection rapide de situations dangereuses non signalées aux centres opérationnels, il est possible d’expérimenter l’automatisation de la captation d’informations en sources ouvertes librement accessibles sur les réseaux sociaux. La sécurité civile et la gendarmerie nationale ont déjà participé à de premiers partenariats prometteurs avec des chercheurs spécialisés, cofinancés par le ministère de l’Intérieur et ayant donné lieu à publication. 220 Livre blanc de la sécurité intérieure Par ailleurs, les technologies prédictives de traitement de données massives permettent de modéliser de manière de plus en plus fiable et automatisée certains phénomènes, à l’aide de données anonymisées internes, publiques ou obtenues par le biais de partenariats. Il s’agit soit d’optimiser la couverture opérationnelle en fonction de modulations d’activités prévisibles, soit de détecter des signes précurseurs d’un phénomène inhabituel justifiant une montée rapide en capacité. Plusieurs services départementaux d’incendie et de secours ont ainsi construit des pilotes de modélisation de la sollicitation opérationnelle en fonction de paramètres prévisibles tels que la météo, les manifestations publiques, les déplacements de population, etc. Ces démarches seront reprises et consolidées dans le cadre du projet NexSIS. De la même manière, l’expérimentation par la sécurité civile de la localisation mobile avancée (AML), permettant de mieux géolocaliser les appels à des numéros d’urgence, s’inscrit dans cette démarche. Gendarmerie et police nationales sont également directement intéressées par le développement de ce type d’outils. Il est également possible de démultiplier la capacité des centres d’appel en cas de pic d’activité en proposant au public qui le souhaite de converser avec un dialogueur pour les échanges les plus simples. Une condition de succès incontournable pour ce type de démarche est que le dialogueur doit être patiemment et correctement configuré et pré-entrainé. À tout moment, l’usager devrait avoir la possibilité d’opter préférentiellement pour un échange humain, ou bien de sortir d’un contact humain-machine au profit d’un contact humain sur simple manifestation de volonté. Propositions : – Conduire un programme de veille, de recherche, développement et expérimentation des dispositifs de détection automatisée des situations de danger par l’analyse automatisée des réseaux sociaux. – Développer les programmes de modélisation de l’activité opérationnelle prévisionnelle, par le recours à des données anonymisées, afin d’optimiser la réponse opérationnelle et de mieux lisser l’allocation des besoins disponibles dans le temps. – Mettre en œuvre une feuille de route à moyen terme permettant de recourir à des assistants conversationnels en cas de crise, afin de démultiplier les capacités de prise d’appel. Fiabiliser et rendre plus attractive l’information générale d’ordre préventif ou de communication institutionnelle Les enjeux relatifs aux dispositifs d’information générale sont de trois ordres : –  Sécuriser et fiabiliser l’information : le contenu diffusé au public par les institutions doit être clair et fiable. Une erreur dans le contenu pourra être analysée comme un mensonge par la population. Pour cela, les projets de communications doivent pouvoir être rapidement validés, avec une exigence de cohérence multicanale. –  Uniformiser les visuels diffusés par chaque institution, en cohérence avec les prescriptions de charte graphique ministérielle et interministérielle : il pourrait s’avérer utile de concevoir un visuel unique pour le partage 221 d’information avec la population afin de créer des repères identifiables et immédiatement reconnaissables du grand public. –  Identifier et placer les forces de sécurité intérieure comme des vecteurs réguliers d’information, dans le respect des initiatives ou des prérogatives des autorités préfectorales, gouvernementales ou judiciaires. Les services publics de la sécurité intérieure pourront s’appuyer sur un réseau d’information de proximité, notamment appuyé sur les comptes de réseaux sociaux animés aux échelons territoriaux. Les réseaux sociaux sont en effet une source attestée d’information pour de nombreux segments de la population, ce qui a conduit les forces de sécurité intérieure à se les approprier pour véhiculer des messages non urgents, ou même pour relayer alertes ou informations de crise en direction des populations. La ligne éditoriale poursuivie par ces comptes est de traiter de l’information générale et du lien avec la population, des messages de prévention, du recrutement, de l’appui aux missions opérationnelles, et de la lutte contre la désinformation (notamment lors de mises en causes de l’institution). Proposition : En lien avec la DICOM, une veille devra être périodiquement assurée afin de vérifier s’il y a lieu de repositionner à l’avenir cette action de communication sur d’autres supports sociaux, en fonction de l’évolution des habitudes de la population, soit prise globalement, soit par segment homogène comme les jeunes générations. 2.1.3. Le perfectionnement de l’alerte et de l’information aux populations par les canaux numériques En cas d’accident, de sinistre, de catastrophe ou de trouble grave à l’ordre public, l’alerte et l’information concourent à la protection générale de la population et à la prévention des risques de panique. Cela vaut aussi bien en matière de sécurité civile que de sécurité publique. L’alerte intervient au moment de l’événement et repose sur la diffusion d’un signal sonore ou d’un message afin d’avertir d’un danger et d’inciter à adopter des gestes réflexes de sauvegarde. L’information consiste plutôt en la diffusion d’informations fiables sur la situation ou de consignes comportementales contextualisées par rapport à l’évènement. Son champ temporel est cependant souvent plus large que l’alerte (préventive, concomitante à l’évènement, ou en aval de l’évènement). L’information englobe donc la communication de crise. L’infrastructure de relais de l’alerte de sécurité civile reste très insuffisante malgré deux décennies de tentatives de modernisation. Le réseau national de sirènes demeure en partie obsolescent, et géographiquement parcellaire. Pourtant, le principe de ce mode d’alerte robuste et résilient reste pertinent. La rénovation ou l’installation d’équipements se justifie particulièrement dans les zones concernées par 222 Livre blanc de la sécurité intérieure un risque naturel ou technologique répertorié et bien identifié par des riverains pré-sensibilisés. Ailleurs, l’information diffusée sous forme sonore peut plus couramment susciter l’incompréhension, voire de la panique ou des mauvais réflexes. L’élargissement des canaux de diffusion recherché depuis 2009 par le Système d’alerte et d’information des populations (SAIP) a jusqu’ici connu des résultats mitigés. Les opérateurs de télécommunications nationaux n’ont guère montré de volonté d’adaptation spontanée de leurs installations techniques, et l’expérience de l’application sur ordiphone entre 2015 et 2018 s’est soldée par un échec. Pourtant, un volet d’alerte par téléphonie mobile plus consistant et plus performant serait sans doute un outil très utile dans la plupart des configurations. Les relais médiatiques ou les réseaux sociaux apparaissent souvent performants en termes d’information, mais ne répondent que très partiellement au besoin de diffusion de l’alerte initiale. Les retours d’expérience sur l’incendie d’un site industriel à Rouen du 12 février 2020, ainsi que pour la crise sanitaire de la COVID-19, soulignent la nécessité de rénover plus activement le dispositif d’alerte et d’information des populations. De surcroît, cette remise à niveau est rendue en partie obligatoire d’ici à juin 2022 par la directive européenne de décembre 2018 qui prévoit «l’envoi de messages groupés» aux téléphones mobiles dans les zones d’alerte de danger. Il s’agit d’employer les meilleures technologies disponibles pour renforcer profondément le dispositif et diversifier les modalités d’alerte comme d’information du public. Dans certaines situations telles que le besoin d’assistance ou de secours, il faudrait même pouvoir établir des canaux interactifs. Le nouveau Code européen des communications électroniques permettra d’imposer aux opérateurs les développements techniques nécessaires à l’émission massive et simultanée de messages à tous les terminaux localisés dans le périmètre de couverture d’une ou plusieurs antennes-relais de téléphonie mobile. Une étude de cadrage a été lancée fin 2019 pour préparer le nouveau projet d’alerte aux populations, baptisé «FRAlert», en intégrant les contraintes qui pèsent sur les services publics de la sécurité intérieure : –  Capacité d’adresser des messages à l’ensemble des terminaux présents dans la zone définie lors de l’alerte ou d’un évènement, statique ou mobile, à destination des résidents comme des visiteurs de passage, quel que soit le fournisseur de service ou le modèle de terminal ; –  Capacité de recensement du nombre total de terminaux mobiles actifs dans la zone définie, afin d’évaluer la densité de la foule lors des grands rassemblements, pour mieux détecter les risques de saturation et de vulnérabilité aux mouvement de foule dangereux ; –  Capacité d’alerte non seulement à l’intérieur du périmètre de danger mais aussi à proximité, afin de favoriser l’évacuation des lieux en cas de danger. Deux technologies voisines ont été expertisées par l’étude, la diffusion cellulaire (Cell Broadcast en anglais) et le SMS géolocalisé (ou LB-SMS), et conclut à leur complémentarité. La technologie de diffusion cellulaire, est privilégiée dans de nombreux pays, car plus robuste à l’encombrement de réseau que l’envoi de sms et autorise jusqu’à 1 300 signes. 223 Le ministère de l’Intérieur continuera à s’appuyer sur les médias, tant au niveau national que dans les territoires, via les partenariats historiques avec les médias du service public et la coopération spontanée des autres médias, et à travers les comptes officiels du ministère sur les réseaux sociaux. Le ministère développera également des partenariats pour garantir le relais en situation de crise par un certain nombre d’applications de service en ligne parmi les plus utilisées par les Français. Propositions : Le ministère de l’Intérieur lance en 2020 un nouveau programme d’alerte et d’information des populations «FR Alert» avec 2022 pour horizon de déploiement effectif du service d’alerte sur terminaux mobiles : « le 112 inversé ». À plus long terme, le ministère de l’Intérieur participera aux réflexions prospectives de la Commission européenne relatives à la possibilité d’utiliser la constellation satellitaire Galileo comme vecteur complémentaire d’alerte, en priorité au bénéfice des zones non ou mal couvertes par la téléphonie mobile. Le ministère de l’Intérieur s’attachera aussi à intégrer le principe d’un raccordement de l’ensemble des outils d’alerte et d’information à un système d’information intégré, géographiquement granulaire. 22.  Mettre à l’état de l’art technologique le poste de travail de l’agent 2.2.1. Adopter la mobilité applicative pour simplifier l’accès à l’information professionnelle de manière sécurisée Du poste de travail fixe au poste de travail nomade À la suite d’une expérimentation, la police et la gendarmerie nationales ont engagé en 2017 les programmes NEO et NEOGEND, visant à doter les effectifs de tablettes et smartphones sécurisés permettant d’accomplir certaines missions en mobilité. Massivement déployés fin 2017/début 2018, les terminaux permettent aux policiers et aux gendarmes d’avoir accès sur le terrain à leur système d’information et aux logiciels informatiques utiles à l’accomplissement de leurs missions : fichiers de police, procès-verbal électronique, intranet, Internet, messagerie personnelle, etc. Les applications logicielles connectées à différents systèmes d’information et bases de données professionnels, dont le catalogue s’enrichit progressivement, sont développées par le ST(SI)2 ou avec son appui technique. Les enquêtes de satisfaction ainsi que les études, réalisées par les inspections ou par des organismes extérieurs, convergent dans le constat de l’impact très positif de NEO sur les capacités des agents. En rendant ces derniers plus autonomes, et en leur offrant des services numériques sur la voie publique, là où ils étaient jusqu’alors dépendants des communications radios avec leur centre opérationnel ou d’un retour dans leur service ou unité, NEO/ 224 Livre blanc de la sécurité intérieure NEOGEND a fortement contribué à améliorer le service rendu au public, à sécuriser les interventions, et assurer une présence sur le terrain accrue. NEO/NEOGEND est devenu le véritable pivot de la stratégie numérique des forces de police et de gendarmerie en mobilité, et depuis 2017, plus aucune application métier n’est conçue sans que la question de son adaptation à un usage mobile ne soit prise en compte dès l’origine, y compris lorsqu’elle est développée par d’autres directions du ministère. Plus encore, NEO/NEOGEND est le support d’une stratégie digitale qui, audelà d’une offre de bureau mobile, fera entrer les forces de sécurité dans une véritable numérisation de l’espace des opérations, où les actions de nos agents pourront être optimisée et le recueil d’information automatisé. Il s’intègre par ailleurs dans l’écosystème de l’agent connecté dont il constitue la premières et principale brique. Dans la sphère de la sécurité civile, les besoins d’outils numériques en mobilité sont également très présents, quoiqu’un peu différents. La projection est principalement centrée sur l’intervention urgente. En revanche, la prévalence d’un modèle mixte entre professionnalisation et volontariat rend particulièrement opportune le développement des interactions numériques afin d’optimiser à tout moment la gestion de la ressource disponible sans l’épuiser. La plateforme numérique des secours de nouvelle génération, NexSIS, offrira de nouveaux moyens d’échange de données résilients et interopérables qui seront des vecteurs de progrès dans la conduite opérationnelle. Les sapeurspompiers volontaires pourront plus facilement déclarer leur disponibilité et gérer la compatibilité entre leur activité professionnelle principale et leur engagement civique. La communication et le partage d’information, ainsi que la gestion constante des paramètres de sécurité des personnels engagés, sera facilitée par une connectivité renforcée en mobilité, qu’il s’agisse de terminaux individuels ou d’équipage ou de connectivité directe des équipements d’intervention. Propositions : Passer du principe d’un déploiement par équipe à un déploiement individuel : À l’occasion du marché public NEO/NEOGEND en cours de renouvellement, le parc de terminaux augmentera sensiblement pour permettre une attribution personnelle à chaque policier ou gendarme exerçant des missions opérationnelles sur le terrain Assurer les capacités de développement pour répondre aux fortes attentes des agents, notamment dans le domaine de l’investigation : Si NEO/NEOGEND a été très rapidement adopté par les agents, il a fait naître de nombreuses attentes. Il conviendra que les ressources nécessaires soient dévolues au développement de nouvelles applications afin d’exploiter tout le potentiel du projet. Les usages dans le domaine des métiers de l’investigation devront être spécifiquement explorés Accompagner le changement et adapter les stratégies et doctrines d’intervention à l’aune de ce nouvel équipement : NEO/NEOGEND a contribué à changer les modes d’intervention des forces. L’impact sur les métiers de la sécurité n’est pas encore 225 pleinement évalué, ni pleinement exploité. La police et la gendarmerie devront accompagner le déploiement de cet outil de doctrine d’emploi Développer le volet de connectivité en mobilité des intervenants et des équipements d’intervention de la future plateforme numérique de la sécurité civile, NexSIS, en partant des besoins opérationnels concrètement recensés Adapter l’offre de formation pour mieux intégrer le numérique ubiquitaire : La mise à disposition de nouveaux outils numériques étant différemment appréhendé par les agents, il est fondamental que l’offre de formation soit adaptée aux besoins et aux attentes de chacun Favoriser les synergies avec les autres ministères : Le ministère de l’Intérieur a été pionnier dans le déploiement de terminaux mobiles sécurisés. Il a d’ores et déjà été convenu avec deux autres ministères qu’ils pourront profiter de l’offre de terminaux sécurisés SECDROID à l’occasion du second marché qui sera notifié en 2020. D’autres synergies pourront être recherchées Offrir un poste de travail en mobilité iso-fonctionnel avec celui du bureau et concevoir des outils de nomadisme numérique Expérimenté en 2019 et inscrit à l’offre de service de la DNUM en 2020, NOEMI est un poste de travail informatique nomade, constitué d’un ordinateur portable chiffré et connecté au réseau interministériel de l’État par une connexion 4G sécurisé. Cette offre nomade sera progressivement étendue aux usages opérationnels des forces de sécurité. Plusieurs dizaines de postes seront attribués au premier trimestre 2020 dans les services de police et de gendarmerie afin de mener une expérimentation plus générale et de définir au mieux les besoins et les usages attendus. Ainsi, la DCPAF a expérimenté NOEMI dans le cadre du contrôle aux frontières, permettant de positionner très rapidement des postes mobiles ayant accès aux systèmes d’informations de la Direction générale des étrangers en France. Son pendant sous Linux, Ubiquity, est développé par le ST(SI)² afin de compléter l’offre pour le ministère tout en maîtrisant le coût de la solution de nomadisme dans son ensemble. Proposition : Expérimenter au sein des services de terrain l’usage de NOEMI/Ubiquity et évaluer leur complémentarité avec NEO. Assurer la veille technologique pour compléter l’écosystème de projection opérationnelle sur le terrain Au-delà du déploiement des terminaux NEO/NEOGEND, les forces de sécurité intérieure doivent s’approprier les possibilités offertes par les objets connectés, et réfléchir à l’intégration de ces objets dans un écosystème connecté dont le terminal NEO/NEOGEND, déjà appelé à remplacer la radio, pourrait en être le cœur. 226 Livre blanc de la sécurité intérieure Le gilet tactique et la tenue d’intervention intelligents. La DGGN a lancé une étude visant à tester un démonstrateur de gilet tactique connecté et la sécurité civile travaille également sur des concepts de tenues d’intervention connectées. Ces équipements opérationnels auraient pour objectifs d’améliorer l’ergonomie des équipements connectés avec l’idée d’unifier dans un gilet la connectivité et la gestion de l’énergie des équipements, et d’augmenter la sécurité de l’agent sur le terrain en facilitant le déclenchement d’alertes multicanales (phonie, caméra, identification et géolocalisation) mais aussi en travaillant à leur automatisation progressive via des capteurs spécifiques. Plus spécifiquement, sapeurs-pompiers, policiers et gendarmes ont besoin, dans les équipements complexes, de pouvoir bénéficier du développement de la géolocalisation au sein des espaces intérieurs, couplées à des cartographies numérisées en trois dimensions. Enfin, compte-tenu du risque physique spécifique qu’occasionne la lutte contre l’incendie, les sapeurs-pompiers évalueront et expérimenteront l’opportunité d’équiper les tenues d’interventions de capteurs de données physiologiques pendant l’intervention, à des fins de sécurisation des personnels. Proposition : La première brique du démonstrateur de gilet tactique intelligent visera à permettre la connexion d’une caméra-piéton au terminal afin de permettre la retransmission d’images à un coût raisonnable dès que cela sera juridiquement possible. Les lunettes ou casques de réalité augmentée. Plusieurs cas d’usages en matière de sécurité sont à explorer, dans le domaine du contrôle aux frontières pour l’interrogation des fichiers de police, dans le domaine de l’intervention ou de la gestion de crise pour apporter à l’agent des informations opérationnelles ou des instructions, dans le domaine judiciaire pour la mise en œuvre de technologies de reconnaissance du visage ou encore la lecture automatisée des plaques d’immatriculation. La préfecture de police et un groupement de gendarmerie départementale ont expérimenté certains usages dès 2017, en s’appuyant sur la seule technologie disponible à l’époque : les « Google Glasses ». Mais il s’agissait d’une technologie grand public balbutiante et mal adaptée aux différentes contraintes opérationnelles (port du casque, discrétion...) et l’expérimentation n’a pas été concluante en termes d’ergonomie. Il conviendra donc de renouveler l’expérience avec des acteurs spécialisés dans le domaine de la sécurité et sur la base de technologies plus performantes et plus adaptés à l’environnement des métiers des policiers, des gendarmes et des sapeurs-pompiers. Proposition : Renouveler dans les cinq ans à venir une expérimentation « lunettes et casques connectés » sur la base d’équipements dont l’ergonomie aura été spécialement étudiée pour le confort opérationnel en projection. 227 Le véhicule connecté. Le véhicule de patrouille, de surveillance ou d’intervention ne doit plus être considéré comme un simple moyen de transport mais être conçu, dès l’origine, comme un poste de travail complet et autonome. Pour devenir de véritables bureaux mobiles projetables en tout lieu, certains véhicules pourraient être équipés de connections hauts débits et de différents capteurs tels que des lecteurs automatisés des plaques d’immatriculation ou des capteurs vidéo permettant le renvoi d’image au centre de commandement. Certaines missions (telles que les opérations de contrôle aux frontières ou les situations de crise) se prêtent également à l’aménagement de véhicules en postes de commandement mobiles, équipés d’un accès au réseau interministériel de l’État. L’analyse des besoins opérationnels a conduit à définir un prototype de poste de commandement opérationnel mobile et autonome qui pourrait être systématiquement déployé dans les services territoriaux départementaux. Il pourrait prendre la forme d’un véhicule utilitaire équipé dès d’origine de relais radios indépendants et de connexions haut débit, de moyens informatiques pré-installés ayant accès à l’environnement de travail complet en intranet ou, à défaut, au catalogue NEO/NEOGEND, de caméras sur pylône déployables avec système d’enregistrement et logiciels d’analyse vidéo pour exploitation en temps réel, de capacités de réception de flux audio/vidéo d’institutions partenaires par le biais d’une interface aux standards du web. L’équipement embarqué devrait aussi permettre le traitement de plans de ville ou bâtimentaires sur grand écran avec la visualisation des positions GPS des équipages et patrouilles (véhiculés et piétons). La projection des données géographiques et architecturales en 3D renforcerait également les capacités d’analyse et la coordination des unités en intervention. Enfin, dans une optique de coordination de gestion de crise et d’aide à la décision, tout ou partie de ces informations devraient pouvoir être partagé avec ou renvoyé vers différents acteurs et autorités à l’occasion d’une intervention. Proposition : Développer dans les cinq prochaines années un projet de PC opérationnel mobile avec des technologies mutualisées « Sécurité intérieure ». La robotique opérationnelle. Les progrès rapides de l’agilité mobile et de l’autonomie des robots par IA embarquée ou connectée justifient le développement d’un programme de veille et d’expérimentation de leurs concours au service des interventions dangereuses, qu’il s’agisse de la sécurité civile (lutte contre l’incendie, traitement des incidents liés aux matières dangereuses, déminage) ou des interventions du RAID et du GIGN. 2.2.2. Développer plus rapidement la dimension spatiale Les métiers de la sécurité intérieure sont fréquemment des métiers de l’urgence, de l’investigation, de la compréhension de situations inattendues, dissimulées ou complexes. Le travail collectif en temps réel exige un échange 228 Livre blanc de la sécurité intérieure constant d’informations, la restitution de situations et d’ambiances pour la prise de décision à très court délai. L’oralité a longtemps été dominante, à travers la prééminence du flux radio ou du compte-rendu téléphonique. Le corpus des techniques de visualisation de l’information est un champ qui s’est particulièrement étoffé ces dernières années et il convient de mettre ce savoir au service du bon accomplissement des missions opérationnelles. Outre la complémentarité entre l’image, le son et la restitution verbale, la cartographie numérique et la vision aérienne enrichissent considérablement l’information et permettent sa meilleure appréhension humaine par la visualisation spatiale. Le développement massif des objets connectés la rend en outre de plus en plus indispensable. Renforcer la dimension cartographique En 25 ans, le numérique a bouleversé les conditions d’élaboration et de disponibilité de l’information géographique. La précision et la normalisation du géoréférencement(53) prendra de plus en plus d’importance à l’ère de la politique des données. Il convient donc d’intégrer dans tous les systèmes d’information du ministère l’utilisation de services de normalisation et de géocodage(54) des adresses. Si des progrès importants ont été accomplis, le plein potentiel de la géomatique(55) est loin d’être atteint dans notre ministère, pourtant très ancré dans les territoires. Pour le ministère, se doter d’un corpus cartographique complet, multiéchelles, mobilisable et partageable, avec des couches métiers protégées, est un impératif pour la numérisation de l’espace des opérations, en premier lieu pour afficher la localisation des moyens en temps réel. L’Institut géographique national est l’opérateur interministériel de l’État pour le référencement de l’information géographique. Ses données sont désormais ouvertes et librement accessibles aux autres services publics administratifs pour servir de socle à la création de données « métiers ». Il est en cours de redéfinition des fondamentaux d’un service public de la donnée géographique souveraine et évolue progressivement vers une géoplateforme capable de traiter de la donnée vivante en temps réel. Sa réorganisation en janvier 2019 prévoit le soutien explicite du continuum de défense et de sécurité, avec la création d’une communauté d’acteurs. Il a lancé plusieurs projets dont pourrait grandement bénéficier le ministère de l’Intérieur, notamment via le Géoportail désormais disponible sur le réseau interministériel de l’État parmi lesquels l’orthophotographie de l’ensemble du territoire au cours de la prochaine décennie, par vagues de départements, la cartographie mobile par lidar de certaines villes, et la récupération et la mise à disposition sous formats standards de données bâtimentaires. Il apparaît stratégique pour le ministère de l’Intérieur et les services publics de la sécurité intérieure, qui exercent des fonctions régaliennes et doivent 53 Le géoréférencement est l’opération par laquelle on confère à une entité cartographique un emplacement spatial sous forme de coordonnées géographiques. 54 Le géocodage est la transformation d’une adresse en coordonnées géographiques ; le géocodage inversé permet de retrouver l’adresse correspondant à des coordonnées. 55 - La géomatique est la discipline issue du croisement de la cartographie et de l’informatique, profondément marquée par les technologies du web. 229 assurer une présence sur l’intégralité du territoire national de nouer avec l’opérateur un partenariat étroit, confiant et solide. Proposition : À l’instar du ministère des armées, le ministère de l’Intérieur devrait conclure un accord structuré de partenariat durable avec l’Institut géographique national. Si les liens sont déjà nourris avec le ST(SI)², la PP, la DGSCGC et les SDIS, le ministère pourrait aller plus loin dans une logique de fertilisation croisée : – Le ministère de l’Intérieur pourrait contribuer par ses ressources, ses véhicules et ses missions projetées à enrichir et accélérer la construction de la composante géographique du système d’information de l’État – L’IGN pourrait aider le ministère à développer le corpus géographique utile aux usages de la sécurité et du secours Les besoins métiers à satisfaire sont nombreux et variés : ingénierie territoriale, cartographie de la délinquance et des risques, aide à la gestion de la paix publique et de la sécurité routière, cartographie opérationnelle continue ou en épisode de crise, visualisation géographique des données d’investigation, etc. Le constat doit être dressé d’un éclatement des systèmes d’information géographiques actuellement déployés au sein des services de la sécurité intérieure (le SIG-SI du STSI2, le GéoPortail de la PP, et le portail Synapse de la DGSCGC). Les démarches de coopération, d’intégration et de synchronisation entre les différents services porteurs demeurent limitées, même si des conventions d’échange de données et de services cartographiques ont été passées. La structuration renforcée de la filière géomatique, respectueuse de la diversité des approches et des besoins métiers, mais garante de la cohérence et de l’interopérabilité des systèmes est indispensable. Au cours des prochaines années, il convient donc d’identifier les compétences géomatiques et les productions pour dégager des axes de mutualisation et de centraliser et valoriser les référentiels essentiels pour les forces de sécurité. La gouvernance géomatique devra garantir l’interopérabilité et la maîtrise évolutive des outils, en confirmant le choix de protocoles génériques et standardisés dans un souci d’indépendance technique. Si le maintien de plusieurs centres de ressources pourrait se justifier, ceuxci devraient fonctionner en réseau selon une logique de répartition et de complémentarité des actions, en étant soumis à l’autorité fonctionnelle de la gouvernance. Les objectifs à atteindre sont de fournir un service géomatique universel de base à l’ensemble des agents du ministère sans authentification, agrémenté de services thématiques de données 230 Livre blanc de la sécurité intérieure retraitées(56), de mettre en place un guichet ministériel unique de recueil et de traitement des demandes cartographiques métiers, de développer un catalogue de services accessibles via API dont une partie serait protégée par l’authentification. Proposition : – Créer un SIG ministériel partagé, avec comme étape intermédiaire l’optimisation des dispositifs existants en assurant une cohérence et une réelle interopérabilité au niveau ministériel. – Créer un comité de pilotage ministériel de coordination géomatique, sous l’impulsion de la DNUM. Maîtrise la 3e dimension : donner une nouvelle mobilité aux technologies de sécurité intérieure et lutter contre une menace aérienne low cost. Systèmes agiles et multi tâches, les drones de sécurité intérieure donnent une mobilité décisive aux technologies. Ils prolongent ainsi l’action des gendarmes, policiers et sapeurs-pompiers au plus près d’une victime à secourir, d’une zone à protéger, d’agents isolés ou encore d’une scène d’infraction dont l’accessibilité n’est pas immédiatement souhaitable (rapport de force défavorable, zone polluée) ou possible (zone battue par les feux, zone escarpée). Selon les enjeux opérationnels à traiter (évènement majeur planifié ou non, opération technique spécialisée, intervention du quotidien), les drones de sécurité intérieure peuvent avoir une longue endurance (tels que les drones « de la capacité nationale » déployés à l’occasion de grands évènements), des fonctionnalités spécifiques pour les services d’intervention, d’enquêtes, de criminalistique ou de la gendarmerie des transports aériens, ou des capacités simples pour le quotidien au sein des unités et services de sécurité publique. Largement plébiscités par les forces de sécurité intérieure pour leur facilité d’utilisation, ils constituent une capacité à part entière déjà bien développée ou en cours de déploiement (255 drones détenus par la gendarmerie, 235 drones au sein de la police nationale). Ils sont utilisés après une formation réalisée au sein des forces aériennes de la gendarmerie nationale et de la sécurité civile ou de l’Armée de l’air (gendarmerie nationale : 327 pilotes, police nationale : 146). Or, l’engagement de tels outils supposent une robustesse et fiabilité indispensables, notamment dans les commandes transmises à l’appareil, qui reposent directement sur les fréquences utilisées et la certification des appareils. 56 Avec par exemple les fonctionnalités suivantes : fonds de plans, géocodage/ géocodage inversé, accès protégé à la fonction «Streetview» de Google, calculs d’itinéraire et calculs isochrones / isodistances, couches géographiques enrichies non confidentielles, fonctionnalités d’ajout graphique d’informations par les utilisateurs telles que des traces GPX, outils de signalement, etc. 231 Proposition : Poursuivre la trajectoire d’équipement et de formation GN et PN. Contribuer à l’élaboration d’une certification avec redondance des systèmes critiques pour une fiabilité garantie. Attribuer au ministère de l’Intérieur des fréquences dédiées à la mise en oeuvre des drones. Élaborer un cadre d’emploi ad hoc pour les drones de la police nationale prenant le relai du cadre dérogatoire de l’arrêté du 17 décembre 2015 relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans personne à bord, aux conditions de leur emploi, aux capacités requises des personnes qui les utilisent et à l’utilisation de l’espace aérien par ce type d’aéronef. Par ailleurs, alors que le drone est désormais un objet grand public, le ministère de l’Intérieur met en œuvre des capacités de contremesures depuis 2016, afin de protéger des personnalités, des sites et des convois ou encore ses propres opérations. S’appuyant sur une capacité nationale principalement exercée par la garde républicaine et la préfecture de police, ou sur des capacités prépositionnées sur des sites sensibles ou dans les zones de défense et de sécurité, les forces de sécurité intérieure déploient des moyens de détection et de brouillages en lien avec le SGDSN, l’agence nationale des fréquences, le commissariat aux communications électroniques de défense et la haute autorité de défense aérienne. Proposition : Dans la perspective des JO 2024, renforcer le continuum de sécurité aérienne. en permettant aux forces de sécurité privée, affectées à la protection d’emprises sensibles limitativement identifiées ou agissant dans le cadre d’un dispositif de sécurisation d’un grand rassemblement de personnes, de mettre en oeuvre des moyens de détection des drones aux abords immédiats du site protégé. en limitant corrélativement leur action à la lecture du numéro identifiant du drone (à l’exclusion de toute autre information et notamment de l’identification du propriétaire du drone tel qu’inséré dans le système d’information étatique infodrone). 2.2.3. Moderniser la gestion de crise et l’activité opérationnelle par un accès plus direct et plus partagé à la donnée utile Promouvoir l’usage de la géomatique dans l’exercice des missions de sécurité Signe de l’importance opérationnelle de la géomatique et du volant de besoins non encore satisfaits, de très nombreux projets sont en cours. 232 Livre blanc de la sécurité intérieure Ils prévoient de multiples fonctionnalités, telles que la cartographie des interventions en cours, la géolocalisation des équipages, le développement d’outils cartographiques de conception de manœuvre généraliste ou de maintien de l’ordre, la géolocalisation et échange par messagerie instantanée des appelants du 17, un système géomatique de gestion de crise, la représentation 2D ou 3D de plans d’intervention. La cartographie numérique partagée est l’une des conditions de la bonne interopérabilité dans un dispositif complexe d’acteurs hétérogènes. A titre d’exemple, la préfecture de police ne gère pas moins de 700 couches de données géographiques recueillies auprès d’une centaine de partenaires institutionnels. Les interconnexions entre différents SIG publics et privés sont amenées à se développer fortement. Parallèlement, l’usage de la cartographie décisionnelle n’a toujours pas atteint son optimum. Il importe de dépasser le cadre actuel des cartographies matérialisant la répartition de la délinquance pour apporter au décideur une vision géographique de tous ses leviers de manœuvre et contraintes (RH, logistique, renseignement, open Data). Par ailleurs, pour la gestion d’interventions, de grands événements ou de crise, la cartographie doit servir de support à la visualisation des données en temps réel afin de faciliter la prise de décision. Elle doit également permettre le développement des analyses spatio-temporelles, conformément à la discipline en développement baptisée GeoINT. Mais les données utiles à l’action et à la décision, même si elles doivent quasiment toujours être géoréférencées, dépassent de loin les seules données géographiques. Sont ainsi concernés les plans types et multiéchelles et caractéristiques des établissements, équipements et lieux sensibles dans lesquels les services publics interviennent, l’Appel automatisé d’informations évènementielles circonstanciées pour mieux gérer les interventions, les raccordements à certains réseaux d’objets connectés : géolocalisation d’objets mobiles, situation en temps réel, optimisation de trajet, l’offre des services de visualisation immersive (réalité augmentée, diminuée ou complètement simulée), l’affichage systématique de métadonnées qualifiant la fiabilité de l’information disponible. 233 Partager la donnée utile pour optimiser l’exercice des missions Selon les grandes missions des forces de sécurité intérieure, les possibilités de mobilisation des données sont multiples. Gestion des évènements, Mission de l’intervention et la gestion de l’ordre public Enjeux Police de sécurité du quotidien Investigation Intervention et renseignement spécialisée Gestion de crise Donner au commandement central la vue globale et actualisée en temps réel des opérations et des ressources  Identifier tout équipement, établissement ou zone sensible dans le contexte de l’évènement en cours  Permettre un partage en temps réel de la position des ressources engagées sur un dispositif  Générer ou numériser un plan de la zone d’intervention Disposer en tout lieu d’un système d’informatique géomatique résilient et indépendant de la continuité de la connectivité des réseaux Permettre aux effectifs engagés de connaitre leur propre position et celle des autres patrouilles, de communiquer entre elles et le centre de commandement, et réduire la latence des consignes Localiser des évènements d’après les autorisations délivrées (revendicatif, festif, sportif) Permettre la diffusion d’instructions par le responsable du dispositif, grâce à l’intégration avec un outil de communication Positionner et partager les ressources des différentes forces intervenantes Permettre l’intégration et la modification en direct de nouveaux fonds de cartes (inondations, incendies) Donner à tous les intervenants la possibilité de visualiser les informations utiles à leur action, y compris celles fournies par les capteurs des territoires intelligents Cartographier la délinquance constatée et les interventions récemment réalisées dont la mémoire ou l’impact reste vivant Assurer à moyen terme l’interopérabilité cartographique avec les dispositifs de surveillance judiciaire et administrative Partager de l’information visuelle avec les polices municipales, les agents de sécurité privée, etc Disposer de capacités à cartographier des zones de crises et gérer les espaces intérieurs en 3D Partager ces informations au travers d’un système interopérable Proposition : – Promouvoir les projets de cartographie opérationnelle en support des différentes missions de la sécurité intérieure et du secours en engageant plusieurs chantiers prioritaires de front et en mode projet. – Mettre en place un guichet unique ministériel pour le traitement des demandes cartographiques métier en s’appuyant sur l’acteur SIC le 234 Livre blanc de la sécurité intérieure plus en pointe (étude préalable à mener). – Imposer l’interopérabilité des applications cartographiques concourant à une même mission afin de limiter les doubles saisies et les besoins de formation à des outils différents. – Inscrire progressivement la sécurité civile et les services de police et de gendarme dans la mouvance des « jumeaux numériques bâtimentaires », à des fins de modernisation de la planification opérationnelle des interventions dans les établissements complexes. Le recueil préalable des plans numériques en 3D des principaux équipements sensibles ou de grande taille, et leur enrichissement par des couches métiers (dispositifs de vidéo-protection, réseaux d’hydrants, circulations et issues de secours, etc) faciliteront la gestion des interventions. – Évaluer l’opportunité, la robustesse, l’ergonomie et la plus-value du recours aux technologies numériques immersives dans la planification et l’intervention, puis les expérimenter. 3.  Mettre à l’état de l’art de manière synchronisée les grandes infrastructures technologiques de la sécurité intérieure Comme à toutes les organisations, les technologies numériques permettent au ministère de l’Intérieur d’organiser plus efficacement ses missions régaliennes et de mieux répondre aux attentes de la population. Le bouleversement récent des infrastructures et des architectures numériques pose également un défi redoutable de transition sans solution de continuité vers une organisation en plateformes. Il s’agit simultanément d’apurer la «dette technologique» qui touche une myriade de bases de données, de logiciels et de systèmes d’information, tout en proposant sans attendre de nouveaux services fondés sur la circulation et le partage plus grand des données, aussi bien à destination du public que des agents publics. Le respect des grands principes du numérique public s’impose à l’infrastructure technologique de la sécurité intérieure. Ses systèmes d’information et services numériques doivent en respecter les référentiels, qu’il s’agisse de privilégier le logiciel ouvert ou libre, de rechercher l’interopérabilité des systèmes, de préférer les solutions contractuelles réversibles lors de la passation de commande publique ou bien encore de mutualiser les coûts de développement à l’échelle la plus large possible. Ces principes servent des valeurs et des objectifs pluriels : résilience de l’Etat en cas de défaillance du fournisseur, préservation de l’autonomie de la décision publique par l’évitement de toute dépendance monopolistique, développement d’une politique d’intérêt général de réutilisation de la donnée publique, protection renforcée des données personnelles, élévation du niveau de cybersécurité, maîtrise de la dépense budgétaire financée par le contribuable. 235 3.1.  Accélérer la transformation numérique du ministère de l’Intérieur 3.1.1. Vers un modèle de développement numérique à l’état de l’art Dans toutes les réalisations informatiques du ministère, le recours au logiciel libre est étudié en priorité, et choisi par défaut lorsque des solutions approximativement équivalentes sont disponibles. Cela permet de bénéficier des apports de la communauté des développeurs, ainsi que de la sécurité que procure l’accès au code source et aux correctifs régulièrement développés. Les coûts globaux moyens de possession s’avèrent substantiellement plus bas, bien que des prestations d’intégration et de soutien soient nécessaires. Il convient toutefois de réaliser une étude préalable solide. L’intégration d’un composant mature, stabilisé et d’usage générique est réalisable sans difficulté majeure. En revanche, il est indispensable de prévoir des ressources plus largement dimensionnées pendant tout le cycle de vie du produit quand il s’agit d’un logiciel en forte évolution ou à adapter à des besoins de personne publique très spécifiques. Lorsqu’aucune solution libre satisfaisante n’est disponible, la solution recherchée en second rang est le logiciel ouvert, avant les logiciels propriétaires. L’informatique publique s’est organisée en communauté interdépendante animée par la Direction interministérielle du numérique (DINUM), échangeant de manière croisée logiciels et composants. Avec ceux des ministères des armées et de l’économie et des finances, en raison de la variété des métiers qu’ils appuient et de leur poids en volume d’activité, les services informatiques du ministère de l’Intérieur constituent l’un des piliers de la communauté interministérielle, qu’ils relèvent de la Direction du numérique (DINUM), du Service des technologies de la sécurité intérieure (ST(SI)²) ou de l’Agence du numérique de la sécurité civile (ANESC). L’application du principe de subsidiarité gagne en impact à mesure que la DINUM enrichit son catalogue d’offres. De plus en plus, l’informatique du poste de travail et les outils collaboratifs ont vocation à être traités à l’échelon interministériel, comme c’est le cas de la visioconférence ou de la messagerie sur terminal mobile. C’est aussi le cas du réseau interministériel de l’État. En revanche, les grands systèmes spécifiques aux métiers du ministère, souvent uniques en France, doivent être conçus et développés en interne (fichiers des titres régaliens, fichiers des permis de conduire et de l’immatriculation des véhicules, fichiers de rédaction des procédures judiciaires, fichiers de conservation des antécédents de police judiciaire, mains courantes informatisées, fichiers biométriques, etc.). Un lien étroit est nécessaire entre les compétences informatiques et l’expertise opérationnelle des agents des métiers concernés tout au long de la vie du logiciel. Beaucoup de systèmes concernent soit des technologies de pointe en mutation rapide (police technique et scientifique, fusion de données, etc.), soit des environnements normatifs évolutifs. La réactivité requiert de la modularité, afin de pouvoir modifier l’un des composants sans 236 Livre blanc de la sécurité intérieure avoir à rebâtir une nouvelle cathédrale numérique à chaque évolution. Le découpage en lots distincts des marchés publics traduit cette ambition. L’imbrication des missions exige une bien plus grande interopérabilité entre les systèmes que celle déployée par le passé. Les nouvelles infrastructures et architectures numériques le permettent plus aisément. Il faut absolument s’en saisir afin de mettre le point de vue de l’usager au cœur de la conception des services. Une meilleure circulation de l’information supprimerait les charges de saisies multiples (principe : « Dites-le nous une seule fois ») qui sont autant d’occasions d’introduction d’erreurs de frappe. Les fonctionnalités des systèmes à produire, ainsi que les données qui les alimentent, ne sont pas les seuls domaines touchés par les bouleversements numériques. Les méthodes de conduite de projet et de développement informatique ont considérablement évolué, tout comme les infrastructures associées. Ainsi, le ministère s’est doté d’infrastructures en nuage, qui permettent à différents opérateurs de proposer de nouvelles méthodes de développement et d’exploitation des systèmes d’information. Ces infrastructures sont ouvertes à d’autres opérateurs publics situés en dehors du ministère. La volonté d’améliorer le taux de succès et l’interactivité des projets informatiques a engendré des méthodologies nouvelles de conduite de projets. Agiles, elles apportent plus de souplesse, tout en imposant aux experts métiers de prioriser les fonctionnalités à développer en fonction de leur valeur ajoutée pour les utilisateurs finaux. Elles cherchent à éviter les longs «effet tunnel» des cycles de développement classiques. Le concept de «DevOps» correspond à la capacité de l’équipe projet de regrouper tous les métiers du numérique qui étaient auparavant répartis entre plusieurs entités. En découle une grande autonomie, une responsabilité accrue mais aussi la transformation profonde des métiers du numérique et une nouvelle répartition entre la réalisation et l’exploitation. Le ministère a besoin de partager au travers de tous les acteurs du numérique des méthodes et des outils pour largement développer les pratiques agiles. Ceci lui permettra de conduire des projets avec un plus faible taux d’échec tout en adaptant mieux ses réalisations aux attentes des usagers et des agents. Le recours plus fréquent à des communautés et des groupes utilisateurs doit lui aussi permettre une expression du besoin plus précise et adaptée aux attentes des utilisateurs finaux. Le ministère doit faire face à des crises dont l’enchaînement est inédit. A ce titre, il doit pouvoir développer les outils qui lui sont nécessaires avec une grande réactivité. Il importe que les contraintes réglementaires s’alignent sur ce besoin, au moins dans l’organisation des actes à réaliser. La déclinaison de la directive police-justice interroge donc notre modèle : faut-il l’adapter différemment pour être plus agile, faut-il un cadre légal rénové ou la présence d’autorités de contrôle indépendantes au sein des forces pour arriver au principe de responsabilité qui prévaut pour le RGPD ? Le développement numérique du ministère a besoin de retrouver des marges de manœuvre budgétaire et RH pour aborder les enjeux de demain. Ainsi, la part du budget consacré aux infrastructures ainsi que celle dédiée au maintien en condition opérationnelle (MCO) grève près de 70 % du budget alloué au numérique et une part importante du potentiel humain. 237 Alors qu’il importe de tourner davantage les services numériques vers les usagers, il est nécessaire de rationaliser les investissements dans les infrastructures, y compris sur le stockage et le traitement de données dont les différents niveaux de sensibilité peut permettre une externalisation. Cette dernière devra être abordée sous la double analyse du coût et de la sécurité à y associer (technique et souveraineté). La récente réorganisation numérique ministère (création d’une direction du numérique le 1er janvier 2020) concrétisera au cours des prochaines années l’intégralité des synergies escomptées (dont l’internalisation de certaines compétences critiques indispensables), dans le respect de l’équilibre avec l’attention et la réactivité due à l’expression des besoins métiers. Propositions : – Le ministère mettra l’usager au cœur de sa stratégie numérique, en multipliant par deux le nombre de projets qui le concernent directement au cours des trois prochaines années. – Le ministère développera le recours aux méthodes agiles pour lancer et conduire ses grands projets numériques, afin de mieux épouser les besoins des utilisateurs grâce aux itérations qu’elle permet. La pleine réalisation des opportunités offertes par l’informatique en nuage sera recherchée, à travers l’intégration plus large des méthodes DevOps dans les équipes. – Développer l’interopérabilité des Systèmes d’information (échanges de données des entre les logiciels de rédaction de procédure de la police et de la gendarmerie et ceux de la justice, CISU et échanges sur les systèmes de la sécurité civile (SGO Nexsis), systèmes de numérisation de l’espace des opérations police et gendarmerie (BDSP et MCIC2). – Développer une marque numérique du ministère avec une vision de l’offre de service qu’il souhaite fournir (respect de la confidentialité des données personnelles, frugalité, service aux usagers, efficacité des forces de sécurité intérieure). 3.1.2. Moderniser les réseaux fixes et mobiles à l’ère de la 4 et de la 5G Le réseau des communications mobiles Les réseaux actuels des communications mobiles des forces de sécurité intérieure sont en fin de vie et doivent être remplacés par un «radio réseau du futur». En effet, ils sont à bande étroite (équivalent 2G) et ne permettent que l’acheminement de la voix. Ils sont segmentés entre les différentes forces de sécurité intérieure et ne correspondent plus aux usages sociaux. L’extinction de leur maintenance industrielle est programmée. Le futur réseau s’appuiera sur la technologie 4G standardisée au niveau mondial. Il sera donc nativement interopérable entre toutes les forces et audelà, avec les acteurs tiers publics et privés qui concourent à la protection de la population. Les extensions de fonctionnalités intègreront les conférences audio et vidéo, la géolocalisation des terminaux, l’intégration des données 238 Livre blanc de la sécurité intérieure dans les outils des salles de commandement. Les terminaux de dernière génération pourront se substituer à plusieurs équipements (terminal actuel, ordiphone professionnel, tablette embarquée, bip des sapeurs-pompiers, etc.) ; il en résultera donc une meilleure ergonomie en opération. Il sera également évolutif vers les capacités de la 5G : haut débit mobile amélioré, connectivité de masse pour l’Internet des objets, haute fiabilité et faible latence pour certaines interventions critiques. A long terme, le réseau supportera donc le développement des applications et usages qui naîtront avec la 5G comme le développement des objets connectés, le suivi en temps réel des véhicules connectés des forces, les applications de réalité augmentée ou virtuelle, la robotique autonome et les drones connectés. La réflexion du ministère de l’Intérieur devra garantir une veille active et intégrer dans ses choix d’investissement l’évolution rapide des constellations satellitaires à orbite basse, et des cas d’usage qu’elles offrent, en lien avec les autres ministères régaliens intéressés. En effet, celles-ci sont susceptibles d’apporter résilience et redondance face à la dégradation des réseaux de surface du fait de catastrophes ou d’attaques cyber, de faciliter le déploiement rapide de bulles tactiques en raison de l’économie de relais radio temporaires à installer, et de conserver à tout moment une optique d’optimisation de la dépense d’investissement et de maintenance. Propositions : –  Le ministère de l’Intérieur investira dans la refonte complète du réseau critique mobile des forces de sécurité intérieure, dans une logique de connectivité avec l’ensemble des opérateurs de services publics qui déploient leur activité sur le territoire. La direction de programme pilote une feuille de route technologique très dense en lien avec l’industrie de sécurité et l’échelon européen. –  Le réseau radio du futur constituera une infrastructure essentielle pour la transformation numérique des services publics en mobilité et deviendra un actif stratégique de l’État. Les premiers déploiements sont prévus pour intervenir à compter de 2022. –  De premières expérimentations et préfigurations partielles sont d’ores et déjà lancées et se développement d’ici à 2022 : bulles tactiques mobiles en 4G pour les forces d’intervention (RAID-BRI, GIGN) dans le cadre du projet «PC STORM», expérimentation de l’échange multimédia 4G sur NEO dans deux départements, déploiement anticipé en ordre public à la préfecture de police, expérimentation au SDIS de l’Essonne. Les réseaux filaires À l’image des usages personnels, le transport des données du ministère a vocation à connaître une croissance exponentielle. Qu’il s’agisse des échanges inter-personnels, du fonctionnement des SI métiers, de transports de données multimédia (vidéo, voix, radio, conférences) ou des échanges de données indispensables à l’intelligence artificielle, tous les usages sont aujourd’hui limités par la bande passante disponible pour les entités du dispositif territorial, mais aussi dans la capacité en entrée des datacenters en central comme dans leur communication inter-site. 239 Des cas d’usage précis, comme la capacité à centraliser puis traiter les données de vidéoprotection liées à un attentat, sont aujourd’hui irréalisables alors que le nombre de données collectées ne cesse de croître. L’approche interministérielle sur le sujet du réseau interministériel de l’État (RIE) permet d’obtenir un réseau mieux sécurisé que si un ministère le portait seul, mais peut rendre moins agile le pilotage de son extension de capacité et nécessite pour le ministère de correctement synchroniser les ambitions de sa transformation numérique avec les augmentations de débits de ses emprises. Des travaux importants sont pour autant menés par la DINUM et le SGDSN pour à la fois augmenter la capacité et la résilience des boucles de transport tout en permettant à chaque ministère de choisir des modes de résilience adaptés à ses besoins sur les boucles de captation au plus près de ses entités. La très forte dépendance au numérique, encore soulignée par la crise de la COVID-19, doit faire l’objet d’une gestion des risques y compris sur l’aspect réseau filaire. La résilience du RIE, et par conséquent des opérateurs sousjacents, doit être considérée avec la plus haute priorité. Proposition : Le ministère souhaite suivre une feuille de route numérique ambitieuse, il doit pouvoir disposer d’un réseau robuste et performant pour la mener à bien. Les capacités de ce dernier ne doivent pas être un frein à ses ambitions : – Multiplier les accès terminaux à très haut débit pour augmenter la bande passante disponibles pour les usages des agents et augmenter drastiquement les capacités des datacenters centraux. – Permettre le traitement au sein des emprises opérationnelles du ministère d’une partie des données, y compris afin de ne pas engorger inutilement les installations centrales. – Autoriser pour les petits sites une connexion hors RIE, par un accès sécurisé direct sur Internet avec un réseau de repli organisé sur un RRF ou PC Storm. – Travailler des solutions de repli en cas d’indisponibilité du RIE, notamment par l’utilisation de réseau radio haut débit ou des solutions satellitaires. Le ministère travaillera à étudier les flux de données qu’il conviendra de prioriser en pareilles circonstances. 3.1.3. Développer les centres d’hébergement des données, l’informatique en nuage et les systèmes distribués L’informatique en nuage (cloud computing) est devenue un levier majeur de la transformation numérique des organisations, et donc du ministère de l’Intérieur au sein de la sphère de l’informatique publique. Si elle correspond d’abord à une évolution structurelle du monde informatique contemporain, elle peut contribuer à mieux répondre à certains besoins numériques des métiers du ministère de l’Intérieur : accès instantané et à distance, modularité et adaptabilité, mutualisation des 240 Livre blanc de la sécurité intérieure systèmes informatiques, et réalisation de la maintenance et du support par le fournisseur. Ainsi, l’informatique en nuage est mieux adaptée que les architectures antérieures aux besoins de projection territoriale des agents en mobilité, à l’absorption de variations et pics d’activité qui caractérisent l’activité du ministère, et au besoin d’évolutivité plus grande des systèmes d’informations ministériel pour suivre les mutations incessantes de l’environnement physique et législatif des services publics de sécurité intérieure. La doctrine nationale de l’informatique en nuage intègre les enjeux de sécurité et de souveraineté numériques, de maîtrise des données et de réversibilité des engagements pris par l’Etat vis-à-vis des entreprises de services numériques. Elle est conjointement conçue et déployée par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, la Direction générale des entreprises, la Direction interministérielle du numérique et les différentes directions ministérielles du numérique, dont celle du ministère de l’lntérieur. Elle prévoit une organisation hybride public/privé en trois cercles, adaptés à des niveaux différenciés de sensibilité des données et des applications : –  le premier cercle est celui des clouds strictement internes à l’État ; –  le deuxième cercle correspond à un projet de « cloud dédié à l’État » mais qui sera construit avec les outils standards d’un industriel du secteur et bénéficie à tout moment des innovations technologiques de l’industrie ; –  le troisième cercle est celui des « clouds externes », pour des données peu sensibles, qui pourront être accessibles via les catalogues de références portés par les centrales de commande publique. Le ministère de l’lntérieur demeurera l’un des piliers de l’informatique de l’État. Il fait partie des trois principaux ministères qui proposent, et qui continueront à le faire, une offre interne d’informatique en nuage. Le cloud du ministère de l’lntérieur accueillera des catégories de données et d’applications souvent critiques, qui méritent une protection élevée, et qui correspondent à des fonctions régaliennes directement liées à la continuité et à la souveraineté de la vie de la Nation. Afin de conserver un niveau de sécurité numérique acceptable dans un contexte où l’empreinte numérique de ses activités s’étend, le ministère a besoin d’investir dans un ou plusieurs sites informatiques nationaux supplémentaires, tout en rationalisant progressivement son architecture d’hébergement déconcentrée actuelle, à savoir les datacenters et datarooms du ministère répartis sur le territoire. Dans l’esprit du continuum de sécurité, au-delà du cloud interne, c’est l’ensemble des offres des trois cercles qui a vocation à s’ouvrir aux divers partenaires effectuant des missions d’intérêt public, sur la base d’une politique tarifaire claire et équitable. Certaines applications de sécurité intérieure sont particulièrement gourmandes en matière de bande passante ou de capacité de stockage, sans pour constituer des traitements informatiques de sensibilité élevée, tels que les stockages d’image issus de la vidéoprotection avant extraction. À l’inverse, la doctrine qui a prévalu jusqu’ici, excluant le traitement ou l’hébergement distant dans le cloud, n’est pas satisfaisante, et guère juridiquement justifiée, dès lors que ces données peuvent être protégées par le chiffrement. C’est pourquoi, il conviendrait d’ouvrir de manière claire et définitive la possibilité aux opérateurs territoriaux, sauf exception, de pouvoir héberger ces données en nuage. En contrepartie, des conditions 241 de sécurité et d’interopérabilité à respecter seraient définies, dans le domaine du chiffrement et des modalités techniques d’accès par les services régaliens. Les besoins de prestations de cloud interne recouvrent l’ensemble de la gamme technique : IaaS, PaaS et SaaS. Il s’agit de permettre au ministère de l’lntérieur d’atteindre un niveau de performance informatique supérieur, avec des solutions techniquement à l’état de l’art, dans une cohérence technologique entre l’offre interne et celles portées par les industriels. Il est très important que les logiciels puissent fonctionner de manière fiable lorsqu’ils sont déplacés d’un environnement informatique à un autre. L’emploi des technologies de dernière génération permettrait ainsi de gagner en modularité et en vitesse d’exécution. De plus, l’offre numérique en nuage devra être accessible à l’ensemble des ministères par interfaces applicatifs et respecter le référentiel de sécurité SecNumCloud défini par l’ANSSI. Toutes ces caractéristiques sont indispensables pour garantir l’interopérabilité avec le cloud étatique dédié du cercle 2, duquel le ministère attend les mêmes orientations. Il est également indispensable que les clouds 1 et 2 soient aisément interconnectables avec les autres solutions externes. L’interconnexion inter-clouds est nécessaire pour doter le ministère de l’Intérieur d’une capacité de débordement, aussi bien pour la gestion répartie de grosses quantités de données que pour satisfaire des pics de puissance de calcul. Atteindre le niveau d’interopérabilité requis nécessite une évolution de la géographie actuelle des partenariats public/privé pour les marchés publics à venir. Il paraît d’ailleurs opportun d’envisager un nouveau cadre juridique permettant à un prestataire de fournir une solution d’orchestration et la plateforme matérielle associée, et de les installer dans les emprises du ministère. En contrepartie de la mise à disposition d’une fraction de la puissance de calcul de la plateforme, le ministère de l’lntérieur aurait la charge de garantir de bonnes conditions d’hébergement (sécurité physique, fourniture énergétique, système de refroidissement, partage des responsabilités pour la supervision quotidienne de la plateforme). Le prestataire pourrait quant à lui commercialiser l’autre partie de la puissance de calcul à d’autres organismes éligibles, en premier lieu ministères et opérateurs d’importance vitale. L’informatique en nuage est un domaine de haute technicité. Développer une offre robuste exige de consentir de nouveaux investissements substantiels pour revoir et développer l’infrastructure informatique vers une offre cloud interne sécurisée, et de s’attacher les compétences informatiques nécessaires. Le ministère de l’lntérieur doit disposer de la latitude et des moyens de conduire une politique de ressources humaines informatiques adaptée à l’ambition de souveraineté et de résilience d’un cloud interne souverain, dans un marché spécialisé du travail étroit et particulièrement concurrentiel. L’orientation cloud que doit résolument poursuivre le ministère de l’Intérieur, de nature centralisatrice, n’est nullement exclusive d’autres besoins de développement informatique. La capacité du ministère à s’inscrire dans le mouvement des véhicules et des objets connectés, et à exploiter la vaste quantité de données utiles à ses activités opérationnelles qu’ils collecteront, ne doit pas être bridée. La stratégie d’infrastructure doit donc aussi prévoir pour de nombreux usages le renforcement de capacités de calcul et d’hébergement de données locales ou régionales. 242 Livre blanc de la sécurité intérieure Leur multiplicité contribuera in fine par redondance à l’établissement d’un service de bon niveau de disponibilité et des réflexions ultérieures devront présider à la détermination du meilleur équilibre à forger entre centralisation et distribution. Propositions : – Le ministère de l’Intérieur maintiendra l’une des trois principales offres de cloud interne de l’État non seulement pour satisfaire ses besoins propres mais aussi pour servir les autres départements ministériels qui le souhaitent et, au-delà, l’ensemble de la sphère publique ou d’intérêt public – Le cloud du ministère de l’Intérieur accueillera des catégories de données et d’applications critiques ou essentielles, qui méritent une protection élevée, et qui correspondent à des fonctions régaliennes liées à la continuité et à la souveraineté de la vie de la Nation. L’offre respectera le référentiel de sécurité SecNumCloud défini par l’ANSSI – Afin de conserver un niveau de sécurité numérique acceptable, le ministère de l’Intérieur investira dans un ou plusieurs sites informatiques nationaux supplémentaires – Les prestations de cloud interne recouvriront l’ensemble de la gamme technique, de l’infrastructure au logiciel, et n’emploieront que des briques logicielles standardisées et ouvertes afin de gagner en modularité et en vitesse d’exécution – Le cloud interne sera conçu pour être interopérable et s’interconnecter aux autres dispositifs de la stratégie nationale, afin de doter le ministère d’une capacité de débordement permettant de répartir de grosses quantités de données ou de satisfaire des pics de puissance de calcul – La stratégie d’infrastructure informatique du ministère de l’Intérieur prévoira pour certains usages des capacités de traitement territorialement distribuées, adaptées aux véhicules connectés, à l’Internet des objets et au traitement des mégadonnées territoriales – Pour certaines applications des opérateurs territoriaux aujourd’hui encadrées par une règlementation nationale, exigeantes en capacités de traitement ou de stockage mais à la sensibilité limitée, le ministère de l’Intérieur adoptera une doctrine ouverte à l’informatique en nuage, en contrepartie d’obligations de chiffrement et d’interopérabilité 3.2.  Construire une politique des données et mobiliser les technologies d’intelligence artificielle L’organisation mieux urbanisée des systèmes d’information doit aller de pair avec une politique de la donnée plus ambitieuse et davantage structurée. En effet, fournir des services numériques efficaces exige une alimentation en données de qualité et pertinentes pour le service numérique considéré. Et ce, que les données soient à l’origine traitées au sein du ministère ou 243 bien qu’il faille les recueillir à l’extérieur chez d’autres partenaires, et les rafraîchir selon la périodicité requise. De vrais progrès restent à accomplir dans ce domaine afin que les agents puissent disposer d’informations replacées dans leur contexte opérationnel, qu’il s’agisse par exemple d’analyse de la délinquance, de gestion de flux de personnes ou du contrôle de la légalité d’actes administratifs. 3.2.1. Mieux gérer le capital de données dans le respect de la vie privée L’extraordinaire diversité des catégories de données produites, recueillies et traités, ainsi que leur répartition par directions et services soulève un énorme enjeu de cartographie. Or, cette documentation, fastidieuse et presqu’herculéenne, n’est en qu’à ses prémisses. Selon les différentes cultures métiers, l’enjeu de la valorisation des données n’est pas perçu avec la même acuité. A l’interface entre les différents métiers, l’utilisation de davantage de référentiels partagés de systèmes d’information et de données permettrait des échanges plus fluides avec les ministères de la justice, des finances ou des armées. Leur développement et leur utilisation sont des pré-requis pour la création de services sans discontinuité, pour la confection automatisée de statistiques cohérentes ou encore pour le déploiement d’une politique d’archivage électronique robuste. Au cours de la prochaine décennie, l’existence de ces cartographies et référentiels de données constituera un capital décisif, qui conditionnera la possibilité de faire appel à la science des données et à l’intelligence artificielle pour les métiers de la sécurité intérieure. Aujourd’hui, le niveau de connaissance, la perception des cas d’usage possibles de réutilisation fonctionnelle des données capitalisées ou de modélisation par les données, ainsi que la capacité de procéder à de premiers déploiements de ces technologies de rupture, restent disparates au sein du ministère. En outre, culture technique et culture juridique restent bien trop étanches au regard des enjeux de modernisation et des contraintes légitimes imposées par le Règlement général pour la protection des données, la Directive police-justice et la Loi informatique et liberté en termes d’études d’impact sur l’utilisation de données personnelles. Cela freine l’agilité et la capacité d’innovation du ministère. Une politique de la donnée plus ambitieuse doit donc être formulée et dotée d’une gouvernance et de moyens proportionnés. Celle-ci s’attachera à prendre en charge les échanges internes mais également depuis ou vers l’extérieur, à densifier la publication de données en source ouverte, et à tirer profit des travaux de recherche. Une réflexion doit être menée pour étudier la possibilité de faire porter nos actes réglementaires sur les données plutôt que les traitements. Ainsi la question des applications qui consomment la géolocalisation individuelle des agents du ministère pourrait se limiter à autoriser le stockage et la consommation de ces données par les applications jugées utiles par le ministère, et éventuellement contrôlées comme telles a posteriori par la CNIL ou le délégué à la protection des données du ministère. 244 Livre blanc de la sécurité intérieure Déclinant les textes généraux, le ministère de l’Intérieur a mis en place un cadre de gouvernance des données qui s’applique à la sécurité intérieure, à l’exclusion des données relevant du secret de la défense nationale. Ce cadre précise les principes directeurs de cette politique, et notamment : –  la responsabilité des directeurs d’administration centrale vis-à-vis des données produites dans leur périmètre, qui nécessite de s’appuyer sur un administrateur des données métier dans chaque direction et d’un responsable fonctionnel pour chaque application ; – la conformité réglementaire, en particulier vis-à-vis de la protection des données personnelles, qui implique une important capacité juridique pour produire les actes réglementaires relatifs à la protection des données ; – le principe d’actif de l’État qui fait des données un patrimoine public à gérer avec rigueur, notamment pour la réutilisation maximale des référentiels au sein du ministère et des données dites d’intérêt général ; – le devoir d’inventaire et de transparence, condition de ces réutilisations, mais qui permet aussi à chaque responsable de valoriser ses données dans son périmètre ; – la standardisation, qui permet l’interopérabilité des données entre les systèmes d’information et les applications, la mutualisation des données et leur partage. Le principe d’ouverture des données (open data) s’applique. Toutefois, un certain nombre de données opérationnelles traitées par les forces ne sont pas visées par cette obligation. La conformité intègre la protection des données personnelles, pilotée par le délégué ministériel à la protection des données. Ce volet, pour produire les actes réglementaires et les études d’impact relatives à la protection des données (EIVP) des traitements utilisés par les forces, nécessite une importante capacité juridique associée à des compétences numériques incluant les aspects de sécurité informatique et informationnelle. La conformité juridique étant un prérequis à la mise en production d’un nouvel outil numérique, la capacité de production des dossiers et le rythme des échanges entre les forces et la direction juridique du ministère dimensionne largement l’agilité et la capacité d’innovation numérique du ministère en matière de sécurité intérieure. Par ailleurs, la standardisation est un prérequis à l’interopérabilité des outils, donc des acteurs des différentes directions métier du ministère, mais aussi à la mutualisation des données de référence et au partage de jeux de données utiles. En la matière, si la création du ST(SI)² a permis de rapprocher les référentiels et les standards utilisés par les directions générales de la police nationale et de la gendarmerie nationales, les travaux ont montré que les systèmes et les données utilisées par les autres acteurs du ministère n’étaient le plus souvent pas standardisés et donc interopérables. Propositions : – Cataloguer les différents registres et sources de données d’intérêt, afin que tous les responsables de projets et développeurs puissent localiser les données normalisées dont ils ont besoin, dans le respect des règles juridiques d’accès. 245 – Développer les passerelles entre les métiers afin de consolider l’interopérabilité entre les systèmes et d’enrichir et de fiabiliser mutuellement les différentes bases de données. Ce point fondamental permet de ne pas imposer aux métiers un outil générique inadapté tout en ayant le bénéfice d’échanges complets et rapides au profit de l’efficacité opérationnelle. – Renforcer les structures de l’administration centrale en charge du volet conformité des traitements, tant en volume qu’en compétences nouvelles. 3.2.2. A pprendre à produire davantage de connaissance et à éclairer davantage l’action par la réutilisation des données Produisant de plus en plus de données, notamment grâce à leurs objets connectés et à leurs terminaux NEO/NEOGEND, les forces de sécurité intérieure réalisent leurs missions dans un environnement où les données produites par des tiers seront de plus en plus nombreuses. Face à cette double évolution, elles doivent développer une stratégie de valorisation de la donnée. Cette valorisation pourra revêtir quatre objectifs complémentaires : l’analyse des données du passé, notamment dans des outils décisionnels, l’enrichissement de l’information opérationnelle en temps réel, le développement algorithmique, et la valorisation de certaines données vers l’extérieur. L’analyse des données du passé comme outil de rétrocontrôle et d’aide à la décision Les forces de sécurité, ces deux dernières décennies, ont investi dans des outils d’analyse de données. Leurs infocentres concentrent et permettent d’analyser un grand nombre de données opérationnelles (statistiques de la délinquance, activité, interventions…). L’utilisation des infocentres est devenue essentielle au pilotage de l’activité, tant pour rendre compte des actions effectuées (à titre d’exemple, fournir le recensement quotidien de l’activité déployée par la gendarmerie durant la crise de la COVID-19) que pour analyser les phénomènes rencontrés et ainsi orienter les actions futures ou mieux allouer les moyens (allocation des renforts de force mobile durant les plans anti-cambriolages ou durant les périodes d’affluence saisonnière). Ces outils devront évoluer pour pouvoir prendre en compte des volumes de données de plus en plus importants (géolocalisation des patrouilles, données de l’INSEE…). Ils ne permettent pas non plus, à ce jour, d’intégrer et de croiser des données externes avec les données internes, ce qui peut être essentiel pour certaines missions (sécurité des mobilités s’appuyant sur l’analyse des données réelles des transporteurs, mais aussi des flux de personnes et de véhicules dans les différents réseaux). Cependant la bonne utilisation de ces outils supposera de travailler sur les compétences des forces, tant pour le socle minimal des utilisateurs que pour bénéficier de compétences spécialisées dans la préparation et le traitement de données afin de bien alimenter ces outils. 246 Livre blanc de la sécurité intérieure Face à l’explosion et à la diversité des données issues des techniques de renseignement, la création d’un outil d’analyse et de croisement apparaît nécessaire. La DGSI porte l’initiative d’un tel projet au profit de tous les services de la communauté du renseignement. Proposition : Préparer les forces à l’utilisation d’outils d’analyse décisionnelle bigdata, via l’évolution de leurs systèmes mais aussi l’adaptation des compétences. L’enrichissement de l’information opérationnelle en temps réel Prolongeant le besoin exprimé ci-dessus pour l’analyse décisionnelle, la multiplication des données disponibles permettra de disposer en temps réel d’un nombre croissant d’informations. La situation tactique pourra ainsi être enrichie par des données opérationnelles (géolocalisation des patrouilles, éventuellement des agents des partenaires, voire dans certains cas d’une personne ciblée par une enquête ou une intervention), des données de contexte (points d’intérêt, densité, état des réseaux…) et des données de capteurs (images de vidéo, détection d’anomalies, messages d’alerte multimédia envoyés par les usagers ou par des partenaires). Il apparaît donc nécessaire de travailler à l’acquisition des données extérieures. Face au risque d’avalanche de données auquel seront soumis les agents (opérateurs de centres opérationnels/centres de commandement, commandement, intervenants), il sera également nécessaire de définir les besoins précis de chaque niveau, et de travailler à l’ergonomie (notamment par les outils cartographiques) voire à l’automatisation de la présentation des données dans les systèmes de gestion des opérations. Propositions : Développer une stratégie de d’échange de données avec les partenaires locaux (territoires, gestionnaires de grands établissements recevant du public) et nationaux (opérateurs de transport, de cartographie…). Repenser l’ergonomie des systèmes d’information de commandement afin d’intégrer la possibilité d’amener des données variées à chaque intervenant selon son besoin. L’apprentissage machine Le développement d’un volet d’intelligence artificielle (IA) au sein de la future feuille de route d’innovation numérique transversale, qui impliquera toutes les directions du ministère, apparaît indispensable, comme l’ont fait le ministère des armées ou le ministère chargé de la santé. De nombreuses applications sont en effet envisageables. Outre l’assistance cognitive, l’intelligence artificielle permettra aussi aux agents de se dégager d’un grand nombre de tâches répétitives, en automatisant ces tâches. 247 Les domaines techniques de l’IA sont variés et ouvrent de nombreuses fonctionnalités telles que faciliter l’accès des usagers et des agents à l’information, développer la traduction ou la transcription automatiques, détecter la langue ou reconnaître un locuteur, extraire des informations d’intérêt telles que les entités nommées(57), accélérer le traitement de la vidéo par élimination ou sélection de scènes sur requête sémantique, détecter des schémas de communication, d’attaques, de fraudes, de comportements financiers, masquer des passages, extraits ou parties de documents à des fins de protection de la vie privée. Le moteur dominant des technologies d’automatisation par IA réside désormais dans la modélisation par les données (apprentissage machine, apprentissage profond et apprentissage par renforcement). Le processus impliqué est celui de l’optimisation d’une fonction mathématique à partir d’un jeu souvent très volumineux de données, qualifié de jeu d’apprentissage. Les technologies d’IA comportent donc deux phases bien distinctes, qui peuvent et qui doivent chacune bénéficier d’un régime juridique sur mesure : la phase de constitution du jeu d’apprentissage, d’entraînement et de test d’une part ; la phase opérationnelle d’autre part. Dans les deux cas, un traitement de données est nécessaire, mais avec un impact et des risques radicalement différents pour les personnes. Lors de la phase d’entraînement déployée pour développer un algorithme performant, il est indispensable de disposer de données personnelles tirées d’exemples opérationnels concrets au plus proches du réel =. En revanche, l’algorithme ne conserve pas de données personnelles une fois achevé le processus d’entraînement, et celles-ci n’ont pas de conséquences opérationnelles à l’égard des personnes concernées. Il s’agit d’un objet mathématique, dont toute la valeur économique et opérationnelle réside dans la convergence réussie des paramètres. La phase opérationnelle (dite de production) exploite des données nouvelles, entièrement indépendantes des données d’apprentissage. Elles sont extraites des missions de recherche et d’investigation en cours, et l’emploi de l’algorithme doit se justifier en finalité et en proportionnalité dans ce cadre. Le traitement peut légitimement entraîner des conséquences défavorables pour les personnes visées si celles-ci représentent une menace. Il convient donc d’appliquer aux données opérationnelle le droit commun des données : principe de finalité et de proportionnalité, durées strictes de conservation, contrôle indépendant, etc. Une autre difficulté se pose fréquemment pour la réalisation d’IA dans les matières touchant à la sécurité intérieure. Par nature, l’intérêt recherché par beaucoup de ces outils est de pouvoir discriminer entre une situation représentative d’une menace et une situation non porteuse d’une telle 57 La « reconnaissance des entités nommées » consiste à apprendre à une machine à repérer au sein d’un énoncé tous les mots se référant à une entité réelle : personnes, organisations, lieux, évènements, etc. Les entités nommées se distinguent des mots « abstraits » de l’énoncé linguistique. En fonction des mots qui entourent ces entités et de la construction du discours, la machine peut apprendre à déterminer leur nature et à construire les graphes relationnels référençant leurs attributs et qualifiant les types de relations qui existent entre différentes entités. La reconnaissance automatique des entités nommées possède un fort potentiel au service de l’investigation, par sa capacité à analyser rapidement un très grand nombre de documents et à en extraire de l’information. Elle peut également permettre d’identifier et d’occulter certaines mentions ou informations nominatives avant de donner accès à certains documents. C’est utile avant publication des décisions de justice ou accès aux archives de police pour les données relatives aux victimes ou aux tiers. 248 Livre blanc de la sécurité intérieure menace. Pour apprendre à un algorithme à différencier ces deux situations, il faut disposer d’exemples des deux catégories, donc de données n’ayant rien à voir avec la menace. Or, tout le droit habituel des fichiers de police ou de renseignement est construit sur le principe de finalité, qui dispose que seules les données relatives aux personnes en lien avec un acte de délinquance ou une menace peuvent faire l’objet d’un traitement. Propositions : Dissocier juridiquement la phase d’apprentissage par rapport au droit positif actuel des traitements de données. Construire, sur la base de l’intérêt public, un cadre assoupli sur certains critères comme la durée de conservation ou le fait que seules les données caractérisant de manière avérée la menace sont utilisées. D’autres garanties peuvent parfaitement être apportées en contrepartie : exclusion de tout usage opérationnel pour les données d’entraînement, conservation par un tiers de confiance indépendant des services investigateurs, pseudonymisation « dans toute la mesure compatible avec la finalité d’apprentissage visée ». Mais les nombreuses questions juridiques que soulèvent les intelligences artificielles seront loin d’être épuisées par le seul règlement du sujet des jeux d’apprentissage. Comme le rappellent les recommandations d’avril 2019 du Groupe d’Experts nommé par la Commission européenne, les projets d’IA interrogent l’éthique sous des prismes très divers : la maîtrise et la responsabilité humaine, la fiabilité technique et la sécurité, la protection de la vie privée, la transparence et l’explicabilité, le risques de biais contraires à l’équité ou à la non-discrimination, le bien-être collectif ou encore l’auditabilité. Si une partie de ces principes sont incorporés dans le droit positif, la plupart de trouvent pas de réponse abstraite générale mais doivent s’apprécier in concreto, domaine par domaine. De plus, il arrive que ces principes entrent en contradiction les uns avec les autres : la transparence algorithmique peut affaiblir la sécurité et faciliter les attaques, le respect de l’équité implique de collecter plus de données que ne le commanderait le principe de minimisation, la performance peut être négativement corrélée à la minimisation des données, etc. Des compromis sont alors nécessaires, qui doivent être documentés et justifiés. Le développement inévitable des projets d’IA entraînera la multiplication des besoins de rédaction et d’évaluation d’études d’impact au titre des principes éthiques. Cela exigera des compétences juridico-techniques internes de plus en plus affirmées et spécialisées. Dans la société numérique contemporaine, les services publics de la sécurité intérieure comme toutes les autres organisations, devront conduire une politique renouvelée de la gestion des données (collecte des données, capitalisation sur les données relatives aux menaces avérées, extraction des échantillons de données pertinents, selon une approche ternaire. Les données sont d’abord collectées, raffinées et sélectionnées pour produire un renseignement particulier dans une thématique et un dossier donné. Les données relatives aux menaces avérées mériteront d’être capitalisées, dans un spectre variable mais élargi par rapport à aujourd’hui (données brutes, 249 données recoupées, produits finis de renseignement). Des échantillons de données pertinents correspondant au cas d’usages de logiciels de modélisation par les données (IA) mériteront d’être spécifiquement extraits, mis en qualité et insérés dans des jeux d’apprentissage à des fins de constitution non pas d’un « capital informationnel », mais d’un « capital technologique » métier. La valorisation vers l’extérieur Certaines données de sécurité intérieure gagnent de la valeur en étant partagées. Il peut s’agir tout d’abord de données d’intérêt public, dont l’ouverture (open data) permet la réutilisation par des tiers. Ce genre de réutilisation, immédiatement bénéfique pour les utilisateurs et donc pour le service public, peut également engendrer des bénéfices pour les forces. Ainsi, la base de données des horaires d’ouverture au public des brigades de gendarmerie, est publiée en open data et mise à jour quotidiennement depuis sa création en 2018. Elle est réutilisée par différents acteurs, publics (l’annuaire du site service-public.fr) ou privés (Qwant Maps ou encore Pages Jaunes, qui alimente notamment Mappy et Apple Plans). Ces réutilisations permettent d’améliorer le service au public, mais réduisent aussi les appels téléphoniques des usagers recherchant ce type de renseignement. Il peut s’agir également de partenariats, aux fins de recherche académique ou de développements industriels. D’une part, les chercheurs sont demandeurs d’accès aux données des forces, lesquelles sont également demandeuses de partenariats de recherche sur certaines dimensions des métiers de sécurité intérieure. De ce fait, les centres de recherche de l’ENSP et de l’EOGN, mais aussi les laboratoires de la police et de la gendarmerie, points d’entrée naturels pour la majorité des partenariats de recherche, pourront valoriser un certain nombre de données auprès de chercheurs. Enfin, dans le prolongement de la valorisation par apprentissage machine, les données générées par les forces peuvent être valorisées par les industriels. Ceux-ci, en accédant à certaines données, pourront développer des outils plus adaptés aux besoins des forces. Ils pourront également en faire un avantage concurrentiel pour mieux vendre leurs produits à des tiers, notamment à l’export. Ces partenariats industriels doivent être explorés, y compris en recherchant un intéressement financier du ministère. Proposition : Etudier juridiquement, en lien avec l’APIE, le cadre permettant de bénéficier d’un intéressement financier en échange de la mise à disposition de données auprès d’industriels, dans le respect du code des marchés publics. 3.2.3. Adopter des interfaces hommes machines plus adaptées pour les métiers en projection La précédente décennie fut celle de la mise en place de grands systèmes d’information répondant à des besoins du ministère organisés en grands domaines. Ils ont compartimenté en silo les données, tout à la fois pour des raisons techniques et réglementaires, notamment dans le but de 250 Livre blanc de la sécurité intérieure respecter les finalités de traitement. Ainsi, le partage d’informations entre systèmes s’en est trouvé limité à quelques interfaçages applicatifs, et l’agent devra souvent consulter un ou plusieurs systèmes puis alimenter différentes applications. Au regard de la profusion de données et du volume à analyser quotidiennement, la tendance n’est donc plus d’avoir autant d’interfaces que de systèmes, mais bien de faciliter la vie des agents et des usagers en leur apportant l’information agrégée, et en fournissant des outils qui permettent de synthétiser l’information pour permettre à l’agent de travailler de façon efficace et à l’usager d’obtenir le service attendu. Le ministère doit disposer de systèmes d’informations modernes qui présentent dans des interfaces intuitives une information lisible, synthétisant des informations massives issues de plusieurs domaines qui permettent à l’agent d’apporter une plus-value dans le traitement de ses missions. Ces systèmes doivent être adaptés aux métiers, dans des parcours utilisateurs basés sur l’agent, y compris lorsque celui-ci réalise des missions qui englobent des actions administratives et des actes judiciaires. Les usagers quant à eux doivent être guidés dans la multitude de services qui leurs sont offerts, tout en leur demandant uniquement les informations nécessaires à leur requête (recours à l’identité numérique et « Dites le nous une fois »). Ainsi, l’automatisation de tâches répétitives ou laborieuses, y compris dans le traitement des parcours des victimes et des demandeurs doit être généralisée. L’usager pour sa part pourra lui aussi avoir recours à des robots conversationnels (chatbots) pour obtenir les informations essentielles dont il a besoin. Afin de permettre aux agents, aux forces de sécurité intérieures et aux secours de travailler plus efficacement, il importe d’avoir recours à l’intégration du traitement du langage naturel dans les outils du quotidien (commandes vocales ou de speech to text) Les moyens de travail nomades devront se généraliser, non seulement pour permettre le télétravail mais surtout pour permettre le rapprochement des militaires et des fonctionnaires de leurs concitoyens, sans retour impératif dans les locaux pour le traitement des missions. Les expérimentations autour de la réalité augmentée devront certainement conduire à l’introduction de nouvelles technologies dans les véhicules ou l’équipement des forces. Ses moyens de nomadismes permettront notamment de contextualiser l’information présentée en ayant recours à la géolocalisation des agents comme des données recueillies. Ces facilités, qui deviendront la norme, permettront aux personnels du ministère d’être plus performants en étant à la fois plus disponible grâce au gain de temps que les nouvelles interfaces lui offriront, mais aussi grâce à une proximité renforcée et une facilité à se projeter dans les situations opérationnelles. Propositions : Envisager pour chaque nouveau système la relation de l’utilisateur au système sous les nouveaux prismes de la dictée vocale, de la réalité augmentée, de la saisie automatisée et unifiée et de la présentation de données agrégées. Avoir recours à l’intelligence artificielle pour automatiser les tâches 251 fastidieuses, recouper les informations opérationnelles, faciliter les échanges avec les agents et les usagers. Le recours systématique à des travaux d’ergonomie sera plébiscité par la gouvernance du numérique, que les projets soient conduits en méthode agile ou non. Utiliser une solution interministérielle d’archivage pour mettre en place au sein du ministère une politique efficace en la matière. 4.  Mobiliser les technologies biométriques dans le respect des valeurs et des normes de l’État de droit Composantes techniques et scientifiques majeures de l’enquête judiciaire ou de la surveillance de police, les biométries sont depuis longtemps indispensables à la recherche des auteurs d’infractions, au rapport de la preuve, ainsi qu’à la préservation de la paix publique. Leur rôle n’a cessé de s’étoffer depuis plus d’un siècle, au fil des progrès de la science et de la technologie et d’importantes perspectives sont encore à venir. Tout service public moderne de sécurité doit s’y adapter et y recourir, dans le respect des valeurs et des normes de l’Etat de droit. La technique ne se suffit jamais à elle-même : elle s’insère toujours dans une stratégie décidée par le magistrat, l’enquêteur ou, dans les matières non judiciaires, par l’autorité administrative. Les compétences professionnelles de ces autorités, sous le contrôle des parties à la procédure juridictionnelle ou des autorités administratives indépendantes, les amènent à faire preuve de discernement quant aux possibilités et aux limites des différentes biométries. 4.1.  Bien définir les biométries pour nourrir un débat public de qualité Par définition, les biométries reposent sur des éléments de la personne humaine qui sont suffisamment uniques et permanents. Leur raison d’être est de concourir à l’authentification ou à l’identification avec le degré de fiabilité le plus élevé possible. L’opération d’authentification consiste à rapprocher une trace recueillie sur une scène d’infraction (ou la donnée biométrique d’une personne dont on veut vérifier l’identité), avec une donnée biométrique dite de référence dont on dispose par ailleurs. La concordance garantit l’authenticité du lien par comparaison en «1 contre 1». Fondamentalement, l’authentification répond aux questions : cette personne est-elle bien qui on pense qu’elle est ? Cette personne est-elle bien qui elle déclare être ? L’opération d’identification consiste à retrouver, parmi un ensemble de données de référence, celle qui concorde avec une trace d’origine inconnue (ou la donnée biométrique de référence d’une personne dissimulant son identité). On cherche aussi à détecter l’ensemble des cas de signalisation correspondant à une même personne, pour établir la délinquance en série. Il s’agit d’une comparaison dite «1 contre N», N étant la taille du fichier de 252 Livre blanc de la sécurité intérieure référence. L’identification répond à la question : cette personne est-elle déjà connue du système, et si oui, sous quelle(s) identité(s) ? La biométrie recouvre l’ensemble des techniques permettant de reconnaître un individu à partir de ses caractéristiques physiques, biologiques, voire comportementales. Il en existe de nombreuses : les empreintes papillaires (composées des empreintes des doigts et des paumes de la main), l’empreinte génétique de l’ADN, le visage, l’iris de l’œil, la voix. Les recherches scientifiques identifient progressivement d’autres biométries : l’odeur corporelle, le contour de l’oreille, la façon de se mouvoir (la démarche). Il faut donc distinguer deux grandes catégories de données : les traces (collectées en milieu non contrôlé telles qu’une scène d’infraction) et les données biométriques de référence (ou empreintes, qui sont conservées et sont liées à une personne ou identité connue). Juridiquement, les données biométriques ont un statut très encadré. Le haut degré de concordance traces/personnes entraîne un risque élevé de traçabilité, ce qui a emporté en Europe leur classement automatique dans la catégorie des données sensibles au sens du Règlement européen pour la protection des données (RGPD) et de la loi Informatique et liberté. Afin de limiter les risques, notre système juridique interdit de relier les bases biométriques de sécurité intérieure aux fichiers d’état-civil, des titres d’identité ou des titres de voyage. Par conséquent, les services de police ne peuvent signaliser que les personnes ayant commis des actes de délinquance d’un certain niveau de gravité, ou collecter des données biométriques de personnes non suspectées pour l’identification des cadavres inconnus. Le recueil sans conservation peut également intervenir vis-à-vis de personnes pouvant apporter des éléments à l’enquête afin d’exclure les traces qu’ils auraient pu laisser sur ce qui est devenu une scène d’infraction. Les principaux cas d’usage professionnels des biométries en sécurité intérieure sont : –  Le domaine criminalistique : identification ou authentification de l’identité alléguée d’auteurs d’infraction ; identification des traces collectées sur les traces d’infraction ; identification ou authentification de cadavre ou de personne disparue ; par assimilation, l’identification de personnes incapables, inconscientes ; –  La prévention ou la détection de l’usurpation d’identité, ou le contournement du refus d’énoncer son identité, dans certaines procédures administratives, comme la délivrance d’un titre d’identité sécurisé ou le cadre juridique de la vérification d’identité sous certaines conditions précisément encadrées ; –  L’authentification certaine d’une personne, pour contrôler l’accès à certains espaces sensibles à protéger impérativement, ou pour garantir la fiabilité forte d’une identité numérique. –  En matière administrative, vérification de la légalité de la présence sur le territoire d’une personne dont il faut vérifier le statut. Toutes les biométries ne présentent ni les mêmes possibilités, ni les mêmes limites, ni les mêmes contraintes d’utilisation. Les deux données biométriques les plus permanentes sont le profil génétique individuel et l’empreinte papillaire. Mais elles sont difficiles à recueillir sans la coopération de la personne, et impossibles à traiter à distance. Le visage et la voix présentent l’intérêt de pouvoir être recueillies à distance à et l’insu 253 des personnes légitimement surveillées, mais elles sont beaucoup plus variables, et donc beaucoup moins fiables que les précédentes dans de nombreuses circonstances. D’autres biométries, qui semblent secondaires comme l’odorologie, présentent cependant un véritable intérêt dans des situations où les précédentes sont inopérantes. Le fonctionnement, les performances et le contrôle d’un système biométrique s’analysent globalement, et à travers chaque sous-système allant du capteur, au traitement du signal, au stockage de la donnée et aux moteurs de rapprochement biométriques. Face aux développements scientifiques et technologiques récents, le ministère a besoin d’augmenter l’activité de veille et de recherche à caractère opérationnel en matière biométrique, en coopération étroite avec les institutions homologues au niveau international et des laboratoires de recherche publics ou privés de différentes disciplines. Sur cette base, les services publics du ministère pourraient passer d’une position de consommateurs de technologies biométriques à une logique de prescripteurs de développements appliqués correspondant mieux à leurs besoins, par orientation plus précoce du marché. Proposition : Créer un Laboratoire d’innovation biométrique français, commun au SCPTS et au PJGN, pour développer davantage de projets de recherche collaborative, au niveau national comme au niveau international. 4.2.  Adopter une approche criminalistique multi-biométrique Les biométries opérationnelles sont nées à des époques différentes et se sont développées de manière relativement étanche, ce pli ayant été exacerbé par la doctrine nationale de stricte segmentation des fichiers. Aujourd’hui, les bases biométriques du ministère de l’Intérieur demeurent totalement autonomes les unes par rapport aux autres. Particularité française supplémentaire : au sein des fichiers de police, les données génétiques et papillaires sont isolées dans des fichiers spécifiques dits « d’identification ». Par conséquent, les identités qui sont enregistrées entre les différents fichiers n’y sont pas automatiquement harmonisées. Des données relatives à une même personne peuvent être enregistrées sous des identités différentes d’une base à l’autre. Cela complique et alourdit inutilement le travail des enquêteurs, qui doivent interroger des bases différentes, mais aussi réaliser des saisies multiples. Lorsque des erreurs sont introduites à l’occasion des signalements, les anomalies ne sont que rarement détectées et rectifiées. Ce fonctionnement rend très difficile la détection de l’utilisation d’alias de la part de personnes mises en cause. De plus, cette ségrégation historique est à l’origine d’un retard français dans l’utilisation efficiente des données biométriques dans les fichiers par rapport à nos pays partenaires et à l’Union Européenne. Il convient aujourd’hui de réexaminer l’apport des biométries aux métiers de la sécurité intérieure en développant une vision et une stratégie 254 Livre blanc de la sécurité intérieure d’ensemble. Plusieurs institutions de police technique et scientifique parmi les plus pointues chez nos voisins européens, dont celles de l’Allemagne et du Royaume-Uni, se sont engagées dans l’approche multi-biométrique, en adoptant une donnée biométrique pivot. L’ensemble de leurs fichiers utilisant des éléments biométriques sont interconnectés via l’élément pivot, dans le strict respect des conditions d’inscription et de durée de conservation. L’Union Européenne, dans le cadre des évolutions du système d’information Schengen (SIS) et de la mise en place de l’interopérabilité des fichiers européens, a érigé comme principe le fait d’associer des données biométriques à des données opérationnelles et biographiques. Ces évolutions sont actées par des règlements européens qui s’imposent à la France. La police technique et scientifique française et les services en charge des fichiers de documentation criminelle gagneraient beaucoup à adopter la même approche multi-biométrique. Il en résulterait une automatisation de la fusion des fiches d’antécédents judiciaires à l’aide de l’identifiant associé aux empreintes digitales dans le fichier national. Cela améliorerait l’exactitude du fichier, allègerait la charge des enquêteurs et renforcerait grandement l’efficacité de la lutte contre la délinquance d’habitude. Cette approche offrirait également aux services opérationnels la possibilité de déterminer à partir de données biométriques si une personne est recherchée ou si elle se trouve légalement sur le territoire. Au total, les fichiers de police du ministère de l’Intérieur doivent évoluer, pour intégrer la multi-biométrie, a minima afin de permettre la mise en conformité avec les systèmes européens, c’est-à-dire en associant aux fiches des personnes recherchées transmises au SIS les empreintes digitales et à moyen terme la photographie des personnes concernées. Idéalement, c’est une interopérabilité générale qui devrait être recherchée avec les systèmes européens : l’évolution de fond du SIS, initialement purement alphanumérique et qui traite désormais les données biométriques papillaires et bientôt génétiques et faciales, doit être pris en exemple pour faire évoluer le fichier des personnes recherchées actuel. L’interopérabilité signifie que les agents du ministère de l’Intérieur devraient disposer des outils adéquats leur permettant d’interroger via une interface unique l’ensemble des systèmes nationaux et européens auxquels ils ont légalement accès, tant à partir de données alphanumériques que biométriques (empreintes digitales, photographie de face), depuis les locaux de l’unité comme en mobilité sur le terrain. L’objectif est de pouvoir déterminer de manière rapide et fiable si la personne dont l’identité est vérifiée ou contrôlée est inscrite dans un ou plusieurs fichiers à des fins d’attention. Il s’agit d’informer l’agent interrogateur si elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire ou administrative, nationale, européenne ou même internationale, si elle est légalement présente sur le territoire ou non, et selon le cadre juridique, si elle est connue pour des antécédents délictuels ou criminels. 255 Propositions : Engager la police technique et scientifique française dans le mouvement européen de convergence vers la multi-biométrie : – Fiabiliser la cohérence et la mise à jour des identités inscrites dans les différents fichiers de police autorisés, par recoupement automatisé. – Retenir par défaut l’empreinte digitale comme donnée pivot, sans s’interdire à terme, de retenir pour certains profils une autre donnée pivot en fonction des informations disponibles. Veiller impérativement à être au rendez-vous de l’interopérabilité multi-biométrique prévue par les systèmes d’information européens dans le domaine de la justice et de la sécurité intérieure. A cet effet, l’architecture des principaux fichiers de police judiciaire (FPR, TAJ, FAED, FNAEG) devra être refondue. Une stratégie d’évolution de l’ensemble des systèmes biométriques devra être définie. À l’instar de l’échelon européen, étudier la possibilité d’interroger des applications administratives avec des traces ou empreintes collectées dans le cadre de la prévention du terrorisme et des infractions pénales graves, ainsi que des enquêtes afférentes, comme cela est prévu pour les systèmes européens actuels(58) et futurs(59) autres que le SIS. Étendre la fiabilisation des identités au niveau international : – À court terme finalisation de la cession automatisée des Empreintes Digitales au Système D’Information Schengen. – À plus long terme : organiser l’interopérabilité avec les systèmes d’information Européens. 4.3.  Moderniser l’usage des biométries « historiques » Contrairement à une idée reçue, de nouvelles marges d’améliorations substantielles de la performance biométrique apparaissent continûment dans le domaine de la recherche criminalistique, même pour les biométries historiques. Il faut les exploiter au moyen d’une doctrine d’investissement, de maintenance et de formation adaptée. Au moment où le débat public se focalise sur l’expérimentation du recours à la biométrie du visage dans l’espace public, il est important de rappeler que le renforcement des dispositifs biométriques de sécurité intérieure passe aussi par la modernisation des outils criminalistiques existants. Les deux approches ne sont pas exclusives l’une de l’autre, et il serait regrettable que l’une évince l’autre. Il subsiste encore une lourdeur inutile de certaines méthodes de prélèvement, désormais désuètes. Celles-ci pourraient être simplifiées grâce à la dématérialisation complète des opérations sur les deux versants de la chaîne de traitement des données biométriques : les traces et les données de référence. 58 VIS, EURODAC 59 EES, ECRIS-TCN. ECRIS est le système européen d’information sur les casiers judiciaires créé en 2012 (décision du Conseil n°2009/316/JAI du 6/04/2009 et décision-cadre n°2009/315/ JAI du 26/02/2009), et modernisé en ECRIS-TCN afin d’inclure les ressortissants de pays tiers suite à l’adoption du règlement (UE) 2019/816. 256 Livre blanc de la sécurité intérieure Des pistes de recherche sont déjà identifiées en matière d’intelligence artificielle. Pour les empreintes papillaires, il s’agirait d’automatiser par analyse d’images le positionnement des points caractéristiques probants, appelés «minuties». A terme, sous réserve de la réduction du taux d’erreur à des niveaux infinitésimaux, l’interrogation de bases de données d’empreintes digitales au moyen de traces papillaires pourrait être automatisée. En génétique, il s’agirait d’assister l’expert dans la discrimination des mélanges d’ADN lors de l’analyse des traces biologiques, ou encore dans l’évaluation de la force probante du résultat de l’analyse pour les profils présentant un caractère partiel. Les pistes de recherchent visent également à améliorer la fiabilité du moteur de rapprochement dans le domaine des recherches en parentèle, ou encore développer des techniques d’identification discriminante des vrais jumeaux. Il s’agirait également de pousser le champ de recherche appliquée de la génétique prédictive à partir des données traces. Certaines traces pourraient donner des indications sur l’âge approximatif ou d’autres caractéristiques physiques permettant d’accélérer l’enquête. Cette approche, déjà explorée mais encore émergente, mérite d’être développée dans le cadre de coopérations européennes et internationales. Par ailleurs, afin de fluidifier les échanges à l’échelle européenne, il est souhaitable de mettre en place une automatisation des transmissions de données biographiques issues des rapprochements génétiques entre les pays signataires du traité de Prüm. A cet effet, la mise en œuvre d’un référentiel européen des infractions (de type ECRIS amélioré) permettrait une comparaison optimale entre les différentes bases de données au sein des Etats membres, tout en apportant les garanties nécessaires afin de contrôler mieux et plus facilement la légalité des interrogations(60). Ce référentiel devrait être construit avec la justice, sur la base de la table des natures d’infraction (NATINF), lesquelles devront être renseignées avec les informations rentrées actuellement au FNAEG à l’image de ce qui se fait pour le FAED. Propositions : Achever la dématérialisation de l’intégralité de la chaîne de traitement biométrique, sur les deux versants : (i) Pour le prélèvement des traces sur scène d’infraction, au moyen d’appareils spécialisés de prise de vue ; (ii) Pour toutes les procédures de recueil des empreintes sur personne (suspects, témoins, victimes, tiers, cadavres) en fonction du régime juridique qui l’autorise, et dans toutes les situations de mobilité opérationnelle. 60 Dans le cadre de l’application du traité de Prüm, un Etat membre peut accéder aux informations contenues dans le FNAEG et relatives à un profil génétique dès lors qu’un rapprochement a été réalisé entre le profil génétique d’une trace de question d’un pays membre et un profil de la base française, en particulier le profil d’un individu identifié. Or, les comparaisons et les échanges avec les autres Etats membres doivent être restreints aux seuls profils de traces de question qui relèvent du champ infractionnel prévu à l’article 70655 du CPP. Il en est de même en sens inverse pour les interrogations françaises des bases des pays membres. Ce contrôle de légalité, actuellement manuel, interdit l’automatisation des échanges des données biographiques relatives aux individus dont les profils ont été rapprochés, ce qui limite l’efficacité de ces coopérations. 257 Rendre compatibles l’ensemble des capteurs avec l’ensemble des applications biométriques du ministère pour simplifier procédures de recueil et enquêtes . Développer un capteur d’empreintes digitales sans contact, comme la caméra d’un terminal NEO-NEOGEND. Développer un module technique d’interrogation des fichiers judiciaires en mobilité à partir de la captation numérique d’une empreinte digitale, pour les opérations de vérification d’identité ou d’investigation judiciaires qui le justifient. Plus spécifiquement, selon une demande du DGPN et du DGGN, autoriser de plein droit le recueil d’empreinte digitale dans le cadre d’une vérification d’identité, par analogie avec ce que prévoit le règlement (UE) n° 2018/1862 relatif au Système d’information Schengen(61). Mutualiser le moteur de rapprochement du FAED entre les différentes applications de police afin de pouvoir les interroger à partir d’empreintes digitales et accroître sa puissance de calcul pour accélérer le temps de réponse et rendre possible l’utilisation en temps réel en mobilité. Élaborer une feuille de route conjointe entre police et gendarmerie nationales pour mettre les technologies d’intelligence artificielle les plus récentes au service des biométries criminalistiques, afin d’accroître leur fiabilité et d’assister les enquêteurs et experts de police technique et scientifique. 4.4.  Consolider l’usage criminalistique de la reconnaissance du visage En matière de biométrie du visage, l’objectif scientifique et technique général doit être d’hisser cette biométrie le plus possible au niveau des deux biométries historiques, papillaire et génétique. Le rapprochement en identification est déjà possible technologiquement et juridiquement depuis près d’une dizaine d’années. Ainsi, l’article R. 40-26 du code de procédure pénale autorise son usage au sein du traitement des antécédents judiciaires. Pour les enquêtes de grande ampleur, le service central de la police judiciaire et l’institut de recherches criminelles de la gendarmerie nationale utilisent aussi des outils de traitements vidéo rapides. Il convient d’être conscient que, pour plusieurs années encore, c’est en matière criminalistique que les progrès technologiques en matière de reconnaissance du visage seront les plus immédiatement exploitables pour les services de la sécurité intérieure. En effet, les agents bien formés qui les exploitent ont toute latitude temporelle pour faire varier les paramètres 61 Référence : Article 43 du Règlement 2018/1862 Lorsque des photographies, des images faciales, des données dactyloscopiques et des profils ADN sont disponibles dans un signalement dans le SIS, ces photographies, images faciales, données dactyloscopiques et profils ADN sont utilisés pour confirmer l’identité d’une personne qui a été localisée à la suite d’une recherche alphanumérique effectuée dans le SIS. Les données dactyloscopiques peuvent, dans tous les cas, faire l’objet de recherches pour identifier une personne. Toutefois, les données dactyloscopiques font l’objet de recherches pour identifier une personne lorsque l’identité de la personne ne peut pas être établie par d’autres moyens. À cette fin, le SIS central contient un système de reconnaissance automatisée d’empreintes digitales (AFIS). 258 Livre blanc de la sécurité intérieure techniques en fonction des circonstances de l’enquête sans la pression d’urgence du temps réel. Par ailleurs, les usages possibles de recherche en différé dans un cadre de renseignement ou de recherche semi-automatisée dans le cyber-espace public pourraient faire l’objet d’un développement encadré et d’une reconnaissance juridique mieux établie en droit français. Développer ces technologies permettrait d’exercer les missions de sécurité intérieure plus efficacement, sur des milieux ou des situations probablement mieux circonscrites que peut l’être un contrôle aléatoire sur la voie publique. La biométrie du visage présente des avantages spécifiques car elle permet un traitement dématérialisé de la scène d’infraction, ce qui constitue une approche complémentaire des biométries papillaires et génétiques qui nécessitent un traitement physique de la scène d’infraction Elle présente aussi de plus grandes limites, notamment une moindre permanence liée aux évolutions morphologiques et au vieillissement et le fait que des individus apparentés peuvent avoir des caractéristiques faciales proches, comme les vrais jumeaux Des pré-requis indispensables à la montée en puissance de la biométrie faciale sont d’améliorer la qualité des images de référence contenues dans le traitement des antécédents judiciaires. Il s’avère aussi nécessaire de développer les technologies de captation et de traitement de l’image biométrique du visage, telles que la photogrammétrie qui améliorera la performance avec une mise en œuvre simple (un appareil photo embarqué sur un terminal mobile). Progresser dans ce domaine repose sur un plan d’action pluriannuel conjoint à la police et à la gendarmerie nationales pour faciliter le recours à la biométrie du visage dans les enquêtes de police judiciaire, afin d’augmenter la proportion des affaires élucidées. Propositions : Dresser l’état des lieux de la qualité des photographies actuellement conservées dans la base nationale du Traitement des antécédents judiciaires. Sur cette base, définir une méthode et des directives de mise en qualité progressive de ces données. Le relèvement des critères de qualité de signalisation accroîtra la performance globale du rapprochement entre les images traces et les images de référence, en fonction aussi de l’évolution des capacités algorithmiques. Mettre en œuvre l’automatisation des contrôles de qualité technique à l’aide de systèmes d’intelligence artificielle. Cela permettrait de sécuriser la qualité d’acquisition des données par une application d’aide à la prise de vue et de détecter automatiquement avant l’insertion les photos non conformes techniquement ou juridiquement(62). Envisager la création d’une base de données biométrique du visage de plein exercice, mutualisée entre les différentes applications de police. Elle comprendrait d’une part comme aujourd’hui les images 62 A titre d’exemple, une photo mal cadrée ne sera pas conforme techniquement, tandis qu’une photo de tatouage sur certaines parties corporelles ne sera pas conforme juridiquement. 259 de références, mais aussi d’autre part, l’ensemble exhaustif des traces non identifiées, à l’instar de ce qui existe pour les traces papillaires et génétiques. Ce dispositif permettra d’accroître le niveau d’identification a posteriori, au service notamment de la lutte contre la délinquance sérielle. Expérimenter en situation réelle puis, si le résultat est positif, déployer largement des technologies de captation et de conservation de la donnée de référence en trois dimensions. Accentuer la veille et les recherches scientifiques relatives aux critères de permanence des données biométriques du visage (impact de la croissance ou du vieillissement, modifications morphologiques, etc.). Actualiser régulièrement, sur la base des progrès scientifiques et techniques, la doctrine d’emploi de la biométrie du visage, qui permet de valider ou non par expertise humaine (en 1 contre 1) les propositions automatisées du moteur de recherche (en 1 contre N). 4.5.  Construire les fondations d’un usage opérationnel de la biométrie vocale en criminalistique et en surveillance Dans un contexte d’augmentation tendancielle des documents audio à traiter, recourir de façon croissante à la reconnaissance vocale est un champ aussi nécessaire que prometteur pour les missions d’enquête et de surveillance. La voix peut varier de manière significative avec le temps et l’âge, l’état de santé, l’état émotionnel. Par sa variabilité intrapersonnelle, elle n’est donc pas une technique biométrique aussi fiable que les empreintes papillaires ou l’ADN. Il convient donc de rester prudent et mesuré quant à tout usage à grande échelle. L’objectif est d’accroître au cours des prochaines années le niveau de maîtrise théorique et pratique du domaine de validité des différentes techniques de comparaison de voix. Cela recouvre plusieurs chantiers : l’approfondissement des caractéristiques spécifiques de la voix au regard des principaux paramètres de variabilité, afin de définir des critères de fiabilité acceptable, l’étude systématique de la variabilité liée aux capteurs sonores, ainsi que l’amélioration de ces derniers, la détermination des conditions techniques de soustraction de l’environnement sonore. La biométrie vocale permettrait dans un premier temps la comparaison de voix à des fins de rapport de la preuve judiciaire (1 contre 1). Le premier objectif est de renforcer l’admissibilité et la recevabilité des résultats proposés par les moteurs de rapprochement dans le cadre judiciaire. Dans un second temps, bien que le sujet soit techniquement complexe, la comparaison de voix à des fins d’identification (1 contre N) pourrait fournir une assistance très utile, tant en matière d’enquête que de surveillance, aussi bien judiciaire qu’administrative. Le principal projet de recherche collaborative et opérationnelle aujourd’hui engagé, Voxcrim, associe le SCPTS, l’IRCGN, trois laboratoires de réputation européenne (le Laboratoire informatique d’Avignon, le Laboratoire Parole et Langage, le Laboratoire de Phonétique et de Phonologie) ainsi que le Laboratoire national de métrologie et d’essais. Il est soutenu par l’Agence nationale pour la recherche. 260 Livre blanc de la sécurité intérieure Faire progresser la discipline de la biométrie vocale passe aussi par l’élaboration d’un patrimoine de données issues de sources et de circonstances très variées, le recours aux technologies d’apprentissage par intelligence artificielle, la formation progressive en France d’un vivier de spécialistes en comparaison de voix forensique et la création d’une base de signatures vocales qui pourrait être limitée aux seuls finalités de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. La limitation des finalités du fichier de signatures vocales conservées sur longue durée ne ferait pas obstacle à ce que, sur la décision ou sous le contrôle d’un magistrat, la comparaison vocale soit utilisée au cas par cas dans d’autres types d’affaires, au regard des circonstances de l’espèce, sans recourir à cette base. Propositions : Cristalliser grâce à la recherche développement et innovation les garanties technologiques de la biométrie vocale à vocation opérationnelle. Créer des embryons de bases de référence, strictement séparées entre : (i) Des bases pseudonymisées à des fins de recherche, développement et innovation, créées à partir d’échantillons de bonne qualité issus de la diversité des cas d’usage métiers, pour l’apprentissage, la calibration des systèmes et le contrôle de qualité des résultats. (ii) Une base de signatures vocales de références en vue d’applications criminalistiques ou de surveillance, limité à la lutte antiterroriste et à la lutte contre la criminalité organisée, dans un premier temps à titre expérimental et temporaire. Le prélèvement des voix pourra être intégré au processus de signalisation. (iii) Choisir un format de stockage limitant la perte d’information et maximisant la préservation des caractéristiques utiles aux opérations de discrimination. Inscrire d’emblée la biométrie vocale naissante à vocation opérationnelle dans une perspective multi-biométrique. Poursuivre un programme de recherche synchronisé entre le SCPTS et l’IRCGN leur permettant de demeurer des acteurs de référence internationale en criminalistique vocale, à travers la poursuite d’actions de recherche collaborative et la participation aux défis d’évaluation internationaux en reconnaissance de la parole. 4.6.  Améliorer le traitement d’une biométrie complémentaire : l’odorologie L’odorologie repose sur le principe scientifiquement validé de l’unicité et de la stabilité de l’odeur humaine. Celle-ci est cependant particulièrement complexe à analyser, car elle se matérialise par plusieurs centaines de composés organiques volatils différents. En outre, ceux-ci se répartissent en une composante primaire (qui aurait une base génétique et est stable dans le temps), une composante secondaire (éléments endogènes), et une composante tertiaire (éléments exogènes). C’est donc sur la base de la composante primaire qu’il est possible d’identifier un individu. Le contact direct avec un objet considéré n’est pas indispensable au dépôt de l’odeur individuelle sur cet objet. « L’empreinte olfactive » est définie comme la 261 trace odorante laissée par un individu sur un support physique ou dans l’air, et perceptible par l’odorat ou chimiquement caractérisable par l’analyse. Deux méthodes de rapprochement sont actuellement utilisables : l’approche cynophile et l’approche chimique. Dotés de remarquables aptitudes olfactives et mnésiques, les chiens ont la capacité de mémoriser et discriminer finement les mélanges d’odeurs. Ces deux approches sont tout-à-fait complémentaires. L’emploi parallèle de deux techniques différentes qui corroboreraient l’une l’autre leurs résultats renforcerait notablement la force probante de l’exploitation des traces odorologiques devant les tribunaux. Deux objectifs distincts méritent d’être poursuivis dans le cadre d’un programme de développement de cette technique particulière de police scientifique. Le premier objectif consiste à rechercher l’amélioration des performances d’identification en odorologie. À l’aide d’études scientifiques, une piste est d’optimiser la conservation des odeurs en développant de nouveaux supports de prélèvements, en standardisant les opérations et les supports, et en améliorant leurs conditions de stockage. Des études par cohorte d’analyse doivent permettre d’affiner les calculs statistiques permettant l’individualisation d’une personne à partir d’un chromatogramme. Pour l’approche canine, comme tout tissu présenté au chien est irrémédiablement considéré comme souillé, et donc non ré-exploitable, le nombre de comparaisons possibles est limité par le nombre de tissus disponibles. Tout procédé qui permettrait de s’affranchir de cette limite par duplication de l’odeur humaine sur d’autres tissus ou supports aurait une grande valeur policière. Le second objectif est de mutualiser le fruit des travaux complémentaires menés respectivement par la police et la gendarmerie nationale. Le Service central de police technique et scientifique étudie plus spécifiquement les processus de discrimination et d’identification canine et l’institut de recherches criminelles de la gendarmerie nationale cherche à développer le corpus méthodologique de l’approche chimique, en définissant un profil biométrique olfactif par analogie avec le profil génétique individuel. La convergence vers un moyen de prélèvement commun, utilisable tant par les équipes cynophiles que les personnels de laboratoire, apparait cruciale pour éliminer tout biais d’interprétation lié au prélèvement lui-même. L’utilisation d’un support analytiquement propre doit être privilégiée. Les techniques d’identification doivent quant à elles demeurer indépendantes, afin de préserver la force probante des résultats corroborés. Propositions: Poursuivre les programmes de recherche appliquée d’amélioration des performances d’identification en odorologie en développant de nouveaux supports de prélèvement standardisés, en optimisant les conditions de stockage, en explorant la voie de la duplication des prélèvements, en approfondissant les corpora statistiques de profilage individuel, et en déterminant les conditions optimales de travail des chiens. Tout en conservant les deux pôles d’expertise, mieux combiner les programmes de recherche et promouvoir la diffusion horizontale dans 262 Livre blanc de la sécurité intérieure les deux forces des savoirs de l’odorologie canine et chimique. Un axe de convergence à court terme pourrait porter sur le kit de prélèvement. Préserver l’indépendance scientifique et technique des rapprochements cynophile et chimique, afin de disposer d’une force probante plus forte pour les résultats corroborés. 4.7.  Expérimenter la reconnaissance du visage dans l’espace public À l’instar de ce qui se pratique dans plusieurs pays européens, il apparaît hautement souhaitable d’expérimenter la reconnaissance faciale dans les espaces publics, afin de maîtriser techniquement, opérationnellement et juridiquement cette technologie à des fins de protection des Français. Plusieurs raisons y poussent. Les performances de la technologie progressent très vite. Tant les Britanniques que les Allemands déclarent avoir obtenu un taux de faux positifs réduit : 0,1 % pour les premiers en situation non contrôlée sur la voie publique ; 0,18 % pour les seconds en situation semi-contrôlée dans une gare très fréquentée de Berlin. Maîtriser la chaîne technologique même à petite échelle prend du temps, et une courbe d’apprentissage est nécessaire pour optimiser le taux d’acquisition, réduire le taux de faux positifs, qualifier les capteurs et les bases de référence. Maîtriser la chaîne humaine en temps réel est tout aussi délicat. Même à 0,1 %, rapporté à des flux de personnes importants, le taux d’erreur reste très substantiel. Une chaîne de décision humaine doit absolument être capable d’éliminer les faux positifs résiduels et éviter des conséquences négatives pour les personnes. Sans expérimentations ciblées, il est impossible de quantifier les difficultés de déploiement à l’échelle de grands réseaux, en termes de charge de calcul, de coût des matériels de déploiement, d’évaluation des différentes catégories d’algorithmes, etc. Certaines situations graves pourraient justifier des déploiements ponctuels rapides et mobiles, qui sont d’ores et déjà possibles chez nos voisins. Or, sans expérimentation préalable, il sera impossible d’activer de tels dispositifs du jour au lendemain dans des conditions efficaces. Les expérimentations permettraient de traiter et d’approfondir certains paramètres. La comparaison des potentialités des différents types de capteurs est un premier axe d’expérimentation. Certains pays privilégient l’emploi de capteurs fixes, d’autres de capteurs tactiques tels que des caméras posées sur trépieds mobiles ou véhicules stationnés, voire encore des drones. D’autres encore considèrent l’intérêt des caméras-piétons dont sont dotés certains agents de la force publique. Le deuxième porte sur les finalités retenues, qui peuvent être soit strictement judiciaires, soit intégrer des finalités préventives pour des motifs de haute gravité, tels que la prévention du terrorisme ou de la réitération d’activités criminelles et délictuelles graves (criminalité organisée, violences physiques). Le troisième axe porte sur les cas d’usage possible en identification (par exemple protection de bâtiments sensibles contre le risque terroriste, sécurisation d’évènements, identification de personnes recherchées, opérations antidélinquance de gravité élevée, lutte contre le hooliganisme, sécurisation des établissements pénitentiaires). Dans certains cas, les expérimentations de reconnaissance faciale pourraient être ouvertes à des opérateurs non étatiques, à des fins de localisation, à condition qu’elles soient strictement bornées dans un espace et un intervalle de temps limités. On peut penser 263 à la localisation du propriétaire d’un bagage abandonné dans une gare ou un aéroport, à la localisation de l’auteur de franchissement d’une zone interdite d’accès au public dans un établissement sensible, à localisation de l’auteur d’un acte de violence en flagrant délit. Les expérimentations devraient être progressives et ordonnées. Ce n’est qu’une fois un certain degré de maîtrise technique et opérationnelle obtenu qu’elles pourraient donner lieu à des conséquences juridiques pour les personnes identifiées par rapprochement. Ainsi, une première phase devrait systématiquement consister à qualifier la technologie « à blanc », en zone réservée à un public informé et volontaire, ayant la capacité d’éviter l’expérimentation. La seconde phase ne serait activable qu’après vérification que les paramètres techniques d’erreur sont limités et adéquatement gérables par un processus humain. L’expérimentation pourrait se dérouler en situation réelle, mais toujours avec information préalable du public, permettant de valider l’effet dissuasif ou non de la technologie. La troisième phase consisterait en une série d’expérimentations géographiquement ciblées et temporellement limitées, en situation pleinement réelle, sans information préalable, sur le fondement de l’intérêt public, afin d’évaluer l’apport concret de la technologie à l’identification des personnes recherchées ou surveillées. Au regard de la sensibilité pour les libertés individuelles et des inquiétudes soulevées dans le débat public, de telles expérimentations devraient s’effectuer sur un mode transparent, ouvert au regard de différentes parties prenantes. Tout d’abord, la composition des listes de référence devrait, pendant l’expérimentation, être soumise soit à l’autorité judiciaire, soit à une instance administrative indépendante selon les régimes juridiques. Le programme complet des expérimentations devrait être borné dans le temps et assorti d’un numerus clausus. La traçabilité de tous les rapprochements positifs, même erronés, devraient être conservée pour les autorités de contrôle, afin que l’évolution du taux d’erreur soit objectivé. Un organe indépendant devrait disposer d’un accès permanent au déroulement de l’expérimentation, pendant toute sa durée. Il publierait sa propre analyse afin d’éclairer le débat public. Il conviendrait aussi de saisir l’opportunité des expérimentations de reconnaissance du visage pour tester aussi le déploiement en situation opérationnelle de techniques d’analyses d’images par intelligence artificielle. L’objectif ne serait plus l’identification ou la localisation d’une personne par reconnaissance biométrique, mais l’analyse de contextes ou la détection de scènes potentiellement constitutives de danger pour les personnes ou correspondant à des situations délictuelles ou criminelles. Propositions : Lancer un programme d’expérimentation de la reconnaissance du visage en temps réel dans l’espace public, borné dans le temps, soumis à un numerus clausus et ouvert au regard transparent d’une instance extérieure indépendantes. Ce programme pourrait explorer une approche multi-capteurs, multifinalités. Pour chaque cas d’usage, un protocole expérimental progressif devrait 264 Livre blanc de la sécurité intérieure être observé : qualification à blanc, expérimentation en situation réelle avec information du public et possibilité d’évitement, expérimentation en situation complètement réelle. Le changement de phase ne pourrait s’effectuer que lorsque les conclusions de la phase précédente sont positives. 4.8.  Le volet éthique de la recherche et du développement de l’usage opérationnel des biométries La modernisation des outils biométriques, et notamment l’adoption des nouvelles biométries (reconnaissances du visage, de la voix et de l’odeur), pose, de façon croissante, des questions éthiques. Face à la place grandissante des algorithmes d’intelligence artificielle dans la société, le débat public s’est pleinement emparé des enjeux éthiques. Le caractère très sensible de ces questions est encore amplifié lorsqu’il s’agit de biométrie, a fortiori des nouvelles biométries. En effet, les biométries adossées à l’intelligence artificielle ambitionnent d’automatiser et d’augmenter les capacités d’identification de personnes par des données personnelles à caractère biologique. Ces procédés engendrent de fortes réticences et alimentent un sentiment de surveillance intrusive et massive qui pourrait mettre en péril les libertés fondamentales. L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne(63) souligne que les droits et libertés qui peuvent être exposés à des risques sont nombreux et de natures variées. Il s’agit notamment du droit à la vie privée et la protection des données personnelles, de la non-discrimination, des libertés de réunion et d’expression, du droit à une bonne administration, ou encore de la dignité et du droit à un procès juste. La CNIL identifie quatre principaux risques directement liés aux biométries modernes, notamment à la reconnaissance faciale(64) : la protection de données sensibles, la captation de données et ses potentialités d’usage, et enfin les risques de biais. Le développement des nouvelles biométries ne peut s’envisager sans tenir compte de ces risques et apporter les principes et garanties d’utilisation adaptés. La première des garanties face à ces risques est de poser un principe d’utilisation des technologies biométriques non équivoque et qui fasse consensus. Il s’agit notamment de préserver le nécessaire équilibre entre liberté et sécurité. L’acceptabilité de ces technologies repose en effet sur leur apport effectif en matière de protection des populations et d’amélioration de la sécurité personnelle et collective. Cette perception repose amplement sur le degré de confiance que les citoyens ont dans les autorités utilisant ou autorisant l’utilisation de telles technologies. Pour ces raisons, le Livre blanc de la sécurité intérieure postule que ces technologies doivent être utilisées à des fins de protection des populations et des sites sensibles et se fonder sur un principe de nécessité, de légalité, de proportionnalité et de contrôle. Partant de ce principe socle, plusieurs mesures sont envisageables pour la prévention des risques liés à ces technologies et l’encadrement et le contrôle de leur mise en œuvre. 63 FRA Focus – Facial recognition technology : fundamental rights considerations in the context of law enforcement (2019) 64 Reconnaissance faciale - pour un débat à la hauteur des enjeux (novembre 2019) 265 Le rapport Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne (2018) esquisse plusieurs pistes que le Livre blanc de la sécurité intérieure fait siennes. En amont, il s’agit d’intégrer les enjeux éthiques dès la formation des ingénieurs et la conception des outils d’intelligence artificielle. L’appropriation et la compréhension de ces technologies doit aussi être favorisée en en favorisant l’« explicabilité », en conduisant un débat public informé, voire en développant l’évaluation citoyenne plus en aval. D’une façon plus générale, des systèmes de contrôle et d’évaluation doivent être mis en place par le développement de l’audit (le rapport propose la création d’un corps d’experts publics assermentés). Au niveau stratégique, ces technologies pourraient faire l’objet d’une supervision par un comité d’éthique ad hoc, sur le modèle du Comité national d’éthique. Par ailleurs, les travaux et auditions conduits dans le cadre du Livre blanc ont identifié une série de mesures conservatoires. Dès les expérimentations envisagées en amont du déploiement des technologies adossées à l’intelligence artificielle, un cadre protecteur doit être mis en place. Il inclut l’anonymisation ou, à défaut, la pseudonymisation des données collectées. Celles-ci doivent en outre être stockées sur des espaces sécurisés placés sous le contrôle de tiers de confiance. Le Livre blanc estime que les défaillances de ces technologies, notamment les biais, peuvent être réduits à l’usage. Les technologies d’intelligence artificielle reposant sur les effets d’apprentissage, il est nécessaire de réduire dès l’amont ces risques en perfectionnant les outils. La réduction des biais en aval repose ainsi sur des phases d’apprentissage robustes, dans lesquelles les données des utilisateurs sont fortement protégées. Enfin, le maintien d’une main humaine dans la prise de décision et le contrôle des technologies est primordial. Les algorithmes d’intelligence artificielle sont en premier lieu des outils d’aide à la décision. Ils peuvent intervenir à des degrés variables dans la prise de décision, selon la complexité des enjeux, mais, s’ils bénéficient d’une forme d’autonomie, ils doivent toujours être susceptibles d’une reprise en main ou d’un contrôle direct ou a posteriori de la part d’opérateurs. 5.  Renforcer la capacité d’innovation technologique du ministère de l’Intérieur 5.1.  Développer une recherche et innovation ouverte 5.1.1. La recherche et innovation, un enjeu clef au ministère de l’Intérieur Dans un monde en évolution rapide, qui voit l’Etat confronté à des forces criminelles protéiformes et contesté par des acteurs numériques privés internationaux, la capacité de recherche et d’innovation des forces de l’ordre et de secours est fondamentale. Dans ce domaine, le ministère de l’Intérieur fait face à quatre principaux défis : –  Se mettre en capacité de répondre aux menaces qui pèsent sur la société dans le domaine numérique et se prémunir des attaques cyber ; 266 Livre blanc de la sécurité intérieure –  Développer des outils à l’état de l’art pour l’exercice de ses missions de sécurité et de secours ; –  Détenir en propre le savoir-faire pour répondre à ses besoins immédiats ou critiques et avoir une capacité prospective d’expérimentation sur les besoins émergents ; –  Assurer la souveraineté française en matière d’industries de sécurité par ses propres développements et par ses partenariats avec les entreprises françaises. Face à de tels besoins, un écosystème de la recherche et de l’innovation en matière de sécurité intérieure s’est progressivement développé au ministère de l’Intérieur. Les directions métiers, les structures de formation ou les instances en charge de la coopération internationale du ministère de l’Intérieur ont développé des compétences en montage et conduite de projets, sollicitations de financements nationaux ou européens, partenariats académiques voire industriels. Ainsi, la DGPN (par la PTS, le Centre de recherche de l’ENSP et son conseil scientifique) et la DGGN (conseil scientifique, observatoire national des sciences et technologies de sécurité) ont des politiques de recherche et d’innovation dynamiques. Par ailleurs, plusieurs services ont par nature vocation à faire de la recherche, tels les Centres de Recherche (à l’ENSP, l’EOGN, l’ENSOSP), le SCPTS ou encore le PJGN. Les directions métiers, de la DGSI, la DGPN(65) et la DGGN, voient leurs participations dans des projets de recherche nationaux ou européens se multiplier. Le fonds d’investissement pour les études stratégiques, prospectives et les innovations (FIESPI), mis en œuvre par le CHEMI, propose de cofinancer des études de recherche dans les thématiques fixées annuellement par le comité des études du ministère de l’Intérieur. Les entités citées ci-dessus restent pilotes pour ces études, en dehors de celles qui peuvent désormais être labellisées par le village de l’innovation du CHEMI. Des pôles de compétences se dégagent(66), auxquels s’ajoute une structure dédiée à l’innovation numérique au sein de la DNUM. Le Livre blanc propose de construire le cadre et de fournir les moyens pour permettre au ministère de l’Intérieur de devenir un acteur de recherche et d’innovation à la hauteur des défis qu’il affronte. 5.1.2. Développer une politique de recherche et innovation pleinement partenariale Au sein du ministère de l’Intérieur, renforcer la convergence des projets d’innovation L’ensemble nécessite d’offrir plus de lisibilité et une structuration plus claire. La vision sur les gisements d’intelligences et leurs activités est en effet trop limitée. La liberté donnée aux directions et services pour prendre des initiatives de R&D au plus proche de leurs besoins a permis au 65 La DDSP des Bouches-du-Rhône est partenaire du projet SAFECARE coordonné par Airbus sur la prévention de la malveillance qui viserait un établissement hospitalier. 66 La DGPN a lancé en mars 2019, via l’ENSP une chaire d’enseignement supérieur et de recherche (sécurité globale). Appuyée sur Lyon III et l’UTT, elle s’inscrit dans le continuum de sécurité puisque destinée aux cadres publics et privés. L’EOGN a quant à elle créé en 2014 le Master « Droit et stratégies de sécurité » avec Paris II Panthéon Assas. 267 ministère de l’Intérieur de bénéficier d’une dynamique d’innovation. Cette structuration présente cependant l’inconvénient d’un cloisonnement excessif préjudiciable à la prise en compte des transversaux peuvent et au portage de priorités ministérielles. La création du ST(SI)² entre la police nationale et la gendarmerie nationale a contribué à rapprocher progressivement les programmes d’innovation. Au-delà des programmes communs, il faut prendre en compte le besoin de structures partagées. Ainsi le ministère ne s’est pas encore doté d’un centre technique et d’essai réunissant des techniciens et des opérationnels. Ce sont ces derniers qui, au surplus de leurs missions opérationnelles, sont sollicités dans les projets de recherche. Enfin, la recherche n’est pas suffisamment utilisée pour préparer l’avenir, poser des réflexions stratégiques sur les menaces et solutions afin d’en tirer une trajectoire capacitaire. Ce constat est désormais largement partagé, les services opérationnels étant d’accord sur le besoin de convergence. Fort de son vivier de compétences, le ministère de l’Intérieur pourrait se mettre en capacité d’organiser et de piloter un écosystème de recherche et innovation. Le ministère de l’Intérieur a besoin d’un dispositif d’animation de communauté léger, qui pourrait prendre la forme d’un comité de recherche et d’innovation de sécurité intérieure (CRISI), composé de policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers et appuyé par le regard de personnalités extérieures des conseils scientifiques de la police et de la gendarmerie. Sous la présidence tournante des directions générales et doté d’un mandat ministériel, il couvrirait l’intégralité du champ de l’innovation, notamment ses dimensions technologiques et industrielles. Il animerait la réflexion et « l’usine dispersée », afin de consolider l’écosystème de recherche et de pérenniser la capacité des projets d’innovation de répondre aux besoins des utilisateurs finaux. Sans se substituer aux porteurs de besoins et de projets dont il devrait favoriser l’émergence, ce comité proposerait la priorisation des efforts capacitaires et financiers sur des besoins majeurs et structurants. Jouant le rôle qui revient au ministère de l’Intérieur au sein du comité de programme chargé d’élaborer, sous la coordination du SGDSN, le programme de travail d’Horizon Europe ; il représenterait le ministère de l’Intérieur dans les travaux du groupe des six. Le comité proposerait des partenariats de recherche agiles avec des acteurs extérieurs comme des clusters industriels, des établissements de recherche (CEA, CNRS, universités), d’autres ministères mais également la société civile dans le cadre du continuum de sécurité. Il devrait élaborer la feuille de route ministérielle de la recherche et de l’innovation et assurer le secrétariat d’un conseil ministériel de la recherche et de l’innovation du ministère de l’Intérieur, organe de décision stratégique et d’orientation de la recherche en sécurité intérieure à créer. Enfin, il disposerait d’un budget d’incubation pour financer la construction de projets et la projection européenne du ministère de l’Intérieur. Plus structurellement, le comité pourrait servir de support pour sanctuariser des ressources budgétaires ministérielles afin d’assurer l’amorçage des projets de recherche et innovation. En effet, avant de faire financer un projet technologique par l’ANR ou l’Union européenne, la réalisation d’une 268 Livre blanc de la sécurité intérieure preuve de concept est parfois nécessaire. Actuellement, le ministère peut financer des études de faisabilité via un fonds dédié (FIESPI), mais il ne couvre pas le financement de preuves de concept. La création d’un fond d’amorçage au sein du ministère, doté de façon pérenne, apparaîtrait comme un accélérateur d’innovation. Proposition : Formaliser un dispositif d’animation et de pilotage de la recherche et innovation en sécurité intérieure, qui pourrait prendre la forme d’un comité de recherche et d’innovation, aux missions identifiées. Doter le ministère d’un centre technique pluridisciplinaire, accueillant des cadres et des agents des métiers, des ingénieurs et des techniciens susceptibles de dialoguer avec les acteurs de la recherche et de l’innovation universitaires et industriels, de tester et valider des solutions. Faire du SAELMI un acteur à part entière de la mise en œuvre de processus de recherche et d’innovation en lui permettant de monter en compétence sur la mise en œuvre de l’innovation via l’encadrement de l’expérimentation avec des industriels et l’achat public d’innovation. Déployer des outils favorables aux acteurs de la recherche et innovation : une plate-forme ministérielle en ligne consacrée à la recherche et à l’innovation, fédérant de manière souple l’ensemble des acteurs et des ressources, dotée d’un forum, d’un Wiki des projets en cours et des solutions proposées ainsi que d’un annuaire des acteurs et des compétences. S’ouvrir aux partenariats avec le monde universitaire et le secteur privé Dans ses projets de recherche et innovation, le ministère de l’Intérieur peut s’ouvrir davantage à des partenariats avec le monde universitaire et le secteur privé. Cette ouverture permettrait de mettre en relation des compétences complémentaires. Les consortiums permettent en outre d’atteindre la taille critique indispensable pour absorber les coûts élevés des projets d’innovations technologiques. Le ministère dispose d’une intelligence opérationnelle qu’il apporte aux projets : ses agents sont experts de leurs processus et de leur vécu opérationnel, ce qui doit conditionner l’élaboration des nouveaux outils dont ils ont besoin. Les travaux du Livre blanc ont montré que le partenariat avec le secteur privé pouvait être davantage resserré. Ainsi les relations avec les industriels ont montré qu’un potentiel de complémentarité élevé existait mais qu’une meilleure acculturation au langage, aux organisations, aux objectifs et aux contraintes de chacun était nécessaire. De même, les partenariats universitaires pourraient être densifiés et mis en réseau. A titre d’exemple, la DGPN a signé depuis 2015 des conventions de confiance et d’appui à la recherche (LYON III, UTT, CNAM, IRIT) et mis en place des ateliers d’innovation et de recherche permanents(67). Ces derniers ont donné lieu à une quinzaine de projets de recherche au profit 67 Lien police population et sécurité du quotidien, Ordre Public Équilibre, Rupture, Analyse et Anticipation, et NETCHER UE pour la protection du patrimoine et la lutte contre le trafic des biens pillés. 269 de l’opérationnel. De son côté également, la DGGN a noué des partenariats universitaires (CPU, INRIA, CNRS, CEA DAM, etc.). Cependant, il semble que, trop souvent encore, les directions nouent des partenariats de recherche en propre, sans mise en réseau suffisante des projets, voire des résultats, avec les autres entités du ministère. Avant tout lancement de projet par une de ses parties, la communauté numérique du ministère devrait s’informer afin de capitaliser sur les gains potentiels pour tous. Davantage de recroisements, sans nuire au bon fonctionnement de ces programmes de recherches qui peuvent nécessiter une forme de confidentialité, se ferait au bénéfice du ministère dans son ensemble. L’indispensable ancrage européen de la politique d’innovation du ministère L’innovation en matière technologique nécessite d’atteinte des seuils critiques pour bénéficier d’effets de masses et de réseaux. Ces programmes tendent à représenter des budgets importants qu’il est coûteux de prendre en charge seul. L’échelle européenne apporte une réponse à ces deux enjeux et le ministère de l’Intérieur s’y inscrit pleinement, en coordonnant plusieurs projets sous financement européen (ex : H2020, forces de sécurité intérieure). Ces dernières années, le ministère a eu recours de manière croissante à cet échelon. Les coopérations bilatérales ou avec Europol témoignent de cette dynamique. Dans le même temps, l’Union européenne tient compte de manière croissante des enjeux de sécurité intérieure, tant dans les aspects politiques qu’industriels. Cela se traduit en matière de recherche et innovation par l’ouverture de lignes de financement importantes : 2,5 Md€ doivent être consacrés à la sécurité intérieure dans le programme Horizon Europe(68) qui doit succéder à Horizon 2020 (ce programme de 80 Md€ consacrait près de 1,7 Md€ aux projets liés à la sécurité). Afin de contribuer à ces programmes, le ministère de l’Intérieur a mis en place un dispositif d’accompagnement. Cette compétence se déploie au niveau des entités métiers (SDIS, PJGN, ENSP). Elles bénéficient de l’appui de la DCI et de l’opérateur CIVIPOL, qui mettent au service de l’ensemble des directions des services et des budgets d’incubation. La connexion avec l’UE est opérante à l’échelon institutionnel, la DCI et le projet ILEAnet qu’elle coordonne en lien avec le CRENSP et le CREOGN permettent au ministère de l’Intérieur de faire le lien entre les financements et les travaux de la Commission en la matière à un degré plus politique. De nombreux acteurs métier soulignent que pour satisfaisant qu’il soit de participer à des projets de recherche, en particulier ceux qui ont été portés par H2020, le niveau de maturité technologique des solutions qu’ils font émerger ne dépasse pas le niveau d’un prototype ; une démarche recherche et développement doit impérativement intégrer une dimension industrialisation et achat tout en faisant le lien avec des services comme le SAELMI, voire ses homologues européens(69). 68 La Commission européenne a établi un programme à hauteur de 94,1 Md€, montant rehaussé par le Parlement européen à hauteur de 120 Md€ . A l’heure de la rédaction du Livre blanc, le montant final du programme n’était pas connu. 69 Il n’est pas indifférent que le SAELMI coordonne un réseau d’acheteurs publics de solutions de sécurité iProcureNet 270 Livre blanc de la sécurité intérieure La dimension européenne de la recherche et innovation peut être encore davantage prise en compte par une approche conjointe entre les services et opérateur internationaux du ministère (DAEIMI telle que proposée, DCI, CIVIPOL) et l’écosystème de la recherche (éventuellement sous la forme de la délégation proposée par le Livre blanc). Les fonctions internationales et de recherche du ministère pourraient renforcer l’assistance et le soutien aux porteurs de projets européens (recherche de financement, centralisation du savoir-faire en ingénierie européenne et ingénierie de projets européens, assistance à la mise en œuvre, animation d’un réseau de correspondants). La DCI mettrait à profit son implication dans les travaux de la Law Enforcement Working Party pour établir des liens avec les travaux européens dans le domaine de la recherche. Elle pourrait contribuer aux travaux de la comitologie européenne du domaine justice affaires intérieures en ce qui concerne la recherche et innovation en étant partie prenante à la synthèse des approches ministérielles. Enfin, la DCI assurera le suivi et l’alimentation des travaux de la Commission européenne et des agences européennes (Europol, Frontex, CEPOL, EULISA, etc.) dans ce domaine. Elle continuera à s’impliquer dans le dispositif du réseau des praticiens animé par la Commission Européenne. 5.2.  Disposer de filières technologiques plus solides et former l’ensemble des agents du ministère 5.2.1. Les compétences technologiques au sein des métiers de la sécurité intérieure La culture technologique des personnels de la sécurité intérieure est encore faiblement développée en dépit des efforts fournis ces dernières années (formations, parcours métiers, incubateurs…). Partant, les enjeux et méthodes de la gestion de projets technologiques sont peu maîtrisés. Dans le même temps, les sujets SIC s’imposent de façon croissante à un haut niveau de décision. En dépit d’efforts de formation et de constitution de filières, les services et directions dont la mission revêt une dimension technologique dominante éprouvent des difficultés à disposer de profils ayant une connaissance des enjeux métier et une culture technique/scientifique adaptée. Afin de faire face à ses besoins endogènes, le ministère devrait dynamiser les filières de fonctionnaires destinés par leur parcours d’études initiaux à s’insérer sur des fonctions techniques et les conforter jusqu’à des postes de direction. Plusieurs modes de recrutement sont envisageables. Pour recruter une ressource pérenne, il serait notamment possible de créer des « concours par spécialité » orientés sur les enjeux techniques. De la même manière, la catégorie A+ en DGPN ou DGSCGC pourrait accueillir des diplômés de l’école polytechnique, à l’instar du dispositif bénéficiant à l’INSEE et à la gendarmerie nationale. Le recours à des compétences numériques issues de la sphère privée est une alternative actuellement employée. Elle souffre cependant d’une faible attractivité salariale et des difficultés à offrir des perspectives aux recrues du ministère. Celui-ci prend alors le risque d’une imparfaite adéquation entre ses besoins et les recrutements, d’une forte rotation des effectifs et 271 d’une incapacité à consolider un savoir-faire dans des filières métiers. Cette fuite de la ressource se ressent aussi pour le corps des SIC (ingénieurs et techniciens), parfois attirés par des administrations plus rémunératrices, notamment par des primes techniques. La gendarmerie nationale a ainsi mis en place une filière technique alimentée par des recrutements initiaux, la formation continue et l’appel à des experts. Une complication supplémentaire est apparue pour les techniciens, à qui ne sont plus proposés que des CDD d’un an, peu attractifs et ne donnant pas aux intéressés le temps nécessaire pour s’intégrer et rendre un service vraiment pertinent. Enfin, sur des emplois en tension comme ceux d’architecte en base de données ou de data-scientiste, les salaires proposés par le ministère de l’Intérieur peuvent être considérés comme peu attractifs. Propositions: Pour tous, renforcer la sensibilisation et la formation au numérique en formation initiale et proposer des modules en formation continue. Pour les cadres et non cadres devant rejoindre un service technique ou être investis sur des postes à dominance technique, mettre en place des stages de formation continue au pilotage de projets et, corrélativement, organiser un parcours de formation spécifique. Pour la police nationale : mise en place d’une filière technique pour un nombre limité de recrutements comme en gendarmerie ou dans les armées. Pour la police nationale et la sécurité civile : opérer quelques recrutements par concours spécialisés en catégorie B et A à la sortie d’une grande école comme Polytechnique pour la catégorie A+. Pour la police nationale et la sécurité civile : réaliser une cartographie des postes de cadres A et A+ nécessitant une compétence dans les domaines technique et plus précisément numérique et proposer des parcours de carrière cohérents et successivement valorisants dans ces domaines. Permettre aux fonctionnaires cadres et non cadres de suivre des cycles d’études utiles à l’administration, en alternance ou à temps complet, en les finançant éventuellement en tout ou partie. Fluidifier les processus de recrutement des contractuels techniques, en revenant à une capacité de recrutement en un mois et en s’adaptant aux prix du marché pour les compétences rares. Proposer des CDD de 2 à 3 ans pour les ingénieurs et les techniciens. 272 Livre blanc de la sécurité intérieure 5.2.2. Èlargir l’exploitation du numérique pour la formation des forces de sécurité intérieure Les différentes directions générales en charge de la sécurité intérieure ont intégré le numérique dans leurs modalités et leurs offres de formation. La DGSCGC dispose ainsi d’un environnement numérique d’apprentissage pour les services d’incendie et de secours (ENASIS) qui permet d’une part la création et la diffusion des parcours de professionnalisation ainsi que la gestion des parcours de formation et des résultats. Cela se traduit concrètement par des exemples comme un parcours numérique en soutien aux offres de formation « Jeunes sapeurs-pompiers », « préparation au concours de caporal de sapeur-pompier professionnel » et celle d’un MOOC (massive open online course ou formation en ligne ouverte à tous) « Concepteurs, formateurs, accompagnateurs des services d’incendie et de secours ». L’École d’application de sécurité civile (ECASC) dispose depuis quinze ans d’un simulateur pour former sapeurs-pompiers et acteurs de la sécurité civile aux thèmes successivement implémentés : guidage aérien et feu de forêt. Utilisé 200 jours par an, avec deux ensembles complets de simulation sur plus de 800 m², il permet de former sur des fonctions variées (hélicoptère de commandement, avion bombardier d’eau) 1 500 cadres par an ainsi que des officiers étrangers. Dès 2011, la police nationale avait promu la digitalisation de ses formations en développant une offre sur un campus numérique « e-campus 1 ». Ce dernier est accessible aux agents depuis leur poste de travail par l’Intranet et depuis des smartphones, tablettes et ordinateurs connectés à l’Internet. Fort de près de 80 000 inscrits et environ 400 parcours de formation, le « e-campus 1 » de la police nationale est l’espace digital sur lequel les agents acquièrent de nouvelles compétences. En poursuivant dans cette voie, la formation du corps d’encadrement et d’application (gradés et gardiens de la paix) inclura à partir de juin 2020 l’utilisation des terminaux NEO intégrés dans l’ensemble des exercices pratiques et simulations, l’utilisation des logiciels professionnels pour les rédactions procédurales et événementielles, la création d’un espace numérique de travail sur le e-campus de la police nationale permettant la mise à disposition de contenus d’approfondissement accessibles en tous lieux et en tous temps. D’un point de vue pédagogique, l’expérience acquise a permis à la DGPN de recentrer son offre de formation sur des dispositifs promotionnels, habilitants ou certifiants, le plus souvent dans le cadre de parcours mixtes alternant des phases de regroupement autour d’un formateur et des phases à distance où les stagiaires sont plus en autonomie. Des équipements de communication comme les « tchats », les « forums », mais aussi les « classes virtuelles », complètent les dispositifs de formation à distance en maintenant l’indispensable lien entre les formateurs et leurs stagiaires. De même, la gendarmerie a intégré l’enseignement à distance dans tous ses parcours de formation et de préparation. Elle déploie des outils (plateforme PIX) pour évaluer les compétences numériques de ses personnels. Plus loin encore, la simulation numérique est intégrée aux outils de formation militaire. 273 Imaginée dans un premier temps comme un complément aux formations classiques, la dimension digitale de la formation imprègne aujourd’hui naturellement l’ingénierie pédagogique et les outils numériques de la sécurité intérieure tels que les logiciels de simulation de situation, les salles de crise avec appuis numérique, l’e-learning avec des modules de formation à distance, sont systématiquement intégrés à la conception pédagogique avec une véritable doctrine associée. Les forces de sécurité intérieure souhaitent élargir encore l’exploitation des possibilités offertes par le numérique pour adapter l’offre de formation aux attentes du public concerné en général et aux habitudes et valeurs du jeune public en particulier. Cela implique de réfléchir sur les financements à prévoir et sur leur priorisation, pour la formation par rapport aux autres lignes de budget, et entre les actions de formation elles-mêmes. La formation au numérique des formateurs est à amplifier afin de concevoir, produire et animer des formations tirant pleinement parti du numérique. Dans l’usage actuel des produits numériques de formation apparaissent, de manière récurrente, des difficultés liées aux capacités réseau et de stockage (gros fichiers de vidéo-formation, latences dans les séances avec les élèves) ainsi qu’aux outils de conception d’ingénierie pédagogique. Libre Office apparaît ainsi comme limitant la conception des supports par les formateurs du ministère. Pour la DGSCGC, l’ensemble des métiers de la sécurité civile doit pouvoir s’appuyer sur un programme majeur visant à développer des capacités de formation et d’entraînement en utilisant les technologies de simulation (telles que la réalité virtuelle et la réalité augmentée). Cette voie présente un intérêt crucial pour les agents puisqu’il permet de répondre en partie au besoin de maintien des acquis et aux obligations d’adaptation des savoirfaire en fonction des nouveaux risques ou menaces. La DGPN est aujourd’hui face aux enjeux de la massification, avec pour premier objectif, l’inscription à brève échéance de ses 150 000 agents à sa plate-forme de formation. À cet objectif quantitatif, s’ajoutent des objectifs qualitatifs, avec un meilleur suivi des formations et une plus grande traçabilité afin que chaque agent dispose d’un livret personnel de formation à jour de ses compétences acquises. Propositions : Développer la réalité virtuelle pour les entraînements aux situations professionnelles (incluant tir ou non), la réalité virtuelle dans un environnement simulé (comme les films d’animation) étant moins chère et plus accessible que les situations réelles filmées en 360°. Prioriser, éventuellement en l’identifiant spécifiquement, l’effort financier axé sur la poursuite des usages du numérique en formation. Équiper les formateurs/concepteurs d’outils de logiciels plus adaptés à la réalisation de mallettes/produits de formations. Développer des formations et des recyclages spécialisés au télépilotage de drones, incluant un plan d’équipement comprenant drones, batteries, consommables et tablettes pour retour vidéo. 274 Livre blanc de la sécurité intérieure Mettre en place des référentiels de formation plus à l’état de l’art et facilement interrogeables. Favoriser une interopérabilité des plates-formes de formation du MI pour jouer PN – GN – SC des scenarii d’événements majeurs, l’intégration de la Santé pouvant être prévue. Mettre en place une plate-forme de type Youtube avec des vidéos de formation proposées par des formateurs patentés, mais également d’autres proposées par des agents, évaluées par des formateurs locaux et validées par la centrale. Produire en mode agile des formations utilisant le levier du numérique pour, selon le but recherché, être en capacité de s’adapter au profil de l’apprenant et à son rythme individuel d’apprentissage. Améliorer les capacités réseau – c’est une problématique générale - et mettre à disposition des entités de formation des espaces de stockage adaptés aux nouveaux besoins en formation, la vidéo en étant très consommatrice. 275 276 Livre blanc de la sécurité intérieure CINQUIÈME LIVRET : ENGAGER UNE MUTATION PROFONDE ET INNOVANTE DES RESSOURCES ET DES MOYENS DU MINISTÈRE 277 Les concertations réalisées dans le cadre de la préparation du livre blanc auprès des personnels de sécurité permettent de dresser un constat qui n’est pas nouveau, mais reste préoccupant sur l’état d’esprit dans lequel ils exercent leurs fonctions. Ils expriment d’abord un niveau d’attente important pour que soit formalisé, explicité le sens donné à leurs missions à la fois en raison du niveau d’exigence élevé de celles-ci, mais aussi en raison du sentiment à plusieurs reprises exprimé d’un empilement des priorités, sans que la logique d’ensemble leur soit toujours perceptible. La question de la reconnaissance professionnelle, de la considération par leur hiérarchie et par l’opinion sont également très présentes, comme l’est la persistance d’une forte insatisfaction sur les conditions matérielles dans lesquelles ils exercent leur activité. Il ne serait pas pertinent ni fondé de généraliser l’expression de ce malaise, mais simplement de prendre acte du fait qu’il est toujours présent. Or, depuis plus de 15 ans, les gouvernements successifs ont consacré d’importants moyens budgétaires à l’amélioration des déroulements de carrière et à la revalorisation des rémunérations des personnels de police, avec une transposition à ceux de la gendarmerie nationale depuis que ces derniers ont rejoint le ministère de l’Intérieur. La plus emblématique de ces mesures est le passage des gardiens de la paix de la catégorie C à la catégorie B. Ces efforts conséquents et plusieurs fois renouvelés n’ont pourtant pas permis de répondre entièrement aux attentes des personnels, qui estiment encore aujourd’hui ne pas être suffisamment reconnus dans l’exercice de leurs fonctions. Dans le même temps, plusieurs phénomènes se conjuguent pour rendre l’exercice du métier de sécurité intérieure plus complexe et plus exigeant : le maintien à un niveau élevé de la menace terroriste, la charge accrue liée à la crise migratoire, la multiplication des manifestations violentes sur la voie publique, et la gestion de la pandémie de coronavirus placent les policiers et les gendarmes devant un degré d’exigence élevé tant de la part des pouvoirs publics que de la population. Les moyens conséquents accordés aux revalorisations des carrières ne constituent pas, ou plus, la réponse appropriée aux attentes des personnels, et ce d’autant que les moyens budgétaires consacrés à l’investissement et au fonctionnement des services de police et de gendarmerie se sont érodés, malgré les plans récents de renforcement des équipements élaborés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. La croissance des moyens budgétaires accordés aux dépenses de personnel a en outre conduit à accroître la part relative de celles-ci dans le budget global, au détriment des crédits d’équipement, et des dépenses d’investissement, comme le souligne la Cour des Comptes dans sa note d’analyse de l’exécution budgétaire de la mission sécurités au titre du budget 2019. La part croissante des dépenses de personnels, qui s’établit en 2019, selon la Cour, à 85,8 % du budget, en augmentation de 3,7 % par rapport à 2018, « se fait au détriment des dépenses d’équipement », ce qui plaide, selon elle, pour une « nouvelle approche des réponses à apporter en matière de sécurité intérieure ». 278 Livre blanc de la sécurité intérieure Or les attentes qui s’expriment aujourd’hui portent d’abord sur l’amélioration des conditions matérielles de travail, qu’il s’agisse de l’immobilier ou des matériels, et sur une meilleure reconnaissance de la part de la hiérarchie. Ces éléments de constat conduisent à proposer : – de donner résolument la priorité, dans les choix budgétaires à venir, à l’investissement et au fonctionnement, pour permettre aux policiers et aux gendarmes de faire face aux enjeux de sécurité actuels et à venir, tout en exerçant leur activité professionnelle dans des conditions correctes, et avec des moyens adaptés et modernes. – de promouvoir une nouvelle politique des ressources humaines, centrée sur les personnels et leurs parcours, mettant l’accent sur la modernisation des méthodes, et l’affirmation d’une véritable stratégie managériale, condition de l’efficacité des services et de la qualité du climat social. 1.  Construire une nouvelle politique des ressources humaines Les 280 000 femmes et hommes qui exercent leurs missions dans les services de police et de gendarmerie nationales constituent la première des ressources des forces de sécurité intérieure. Ils sont soutenus, dans leur activité quotidienne, par les personnels spécialisés de la police scientifique et technique, par les personnels administratifs, ainsi que les membres des corps de soutien administratif de la gendarmerie nationale. Leur rôle dans la modernisation et l’efficacité des services est fondamental. C’est la raison pour laquelle il est proposé de promouvoir une politique des ressources humaines qui privilégie la valorisation des compétences, garantit des parcours professionnels cohérents et adaptés aux besoins des services, et renforce l’exemplarité tout en assurant la cohésion autour de valeurs communes, au service de la population. Par-delà la diversité de leurs statuts, de leurs profils et de leurs parcours, les personnels de la police et de la gendarmerie nationale ont pour mission d’assurer la sécurité et la tranquillité de la population partout sur le territoire national mais également à l’étranger. Ils expriment chaque jour leur dévouement à leur pays et sa population et méritent reconnaissance et protection. Leur environnement et leurs missions deviennent plus complexes, et ils sont aujourd’hui confrontés à de nouveaux défis, tant en ce qui concerne les risques et les menaces, que les attentes de la population à leur égard. La gestion des ressources humaines des forces de sécurité intérieure doit s’adapter en profondeur à ces nouvelles exigences, dans le respect des spécificités de chacune des deux grandes forces auxquelles les personnels appartiennent. Condition première de la modernisation des forces de sécurité intérieure, la mutation de la politique des ressources humaines des policiers et des gendarmes s’appuiera sur trois grands principes : la valorisation des compétences professionnelles au service de l’efficacité des services et des 279 déroulements de carrière, l’affirmation de l’exigence managériale pour l’ensemble des niveaux de l’encadrement, la recherche d’une meilleure articulation entre gestion individualisée des personnels et besoins des services. Pour mettre en œuvre ces orientations, il est nécessaire de repenser l’organisation même de la fonction RH, tant au niveau central que déconcentré. L’ensemble du champ de la gestion des ressources humaines est concerné : recrutement et formation initiale, parcours de carrière et formation continue, accompagnement social et protection. Les propositions faites dans ce cadre s’appuient largement sur les contributions apportées par les représentants des personnels ainsi que les instances de concertation de la gendarmerie nationale, dont il convient de saluer la qualité, mais aussi de différentes associations ou, de personnels sollicités à titre plus individuel, qui ont également apporté leur regard pour faire évoluer la politique des ressources humaines de la police et de la gendarmerie. 1.1.  Moderniser le recrutement et la formation initiale La modernisation du recrutement, pour l’ensemble des corps constitue une priorité. Elle doit permettre d’attirer des profils de haut niveau pour l’encadrement supérieur, puisés dans des domaines plus diversifiés. Dans une période marquée par des recrutements massifs, elle doit également garantir la qualité des personnels, par un élargissement des viviers et une formation adaptée aux compétences dont la police et la gendarmerie ont besoin de se doter pour assurer efficacement les missions qui leur sont assignées. Cette orientation permettra de développer une approche prospective et de préparation de l’avenir, les forces de sécurité intérieure devant être composées de cadres et de personnels qui intègrent une vision de l’usage des technologies, notamment numériques, dans leurs pratiques professionnelles. Les mesures proposées dans ce cadre s’inscrivent dans les nouvelles perspectives ouvertes par la loi de transformation de la fonction publique en ce qui concerne l’élargissement du recours aux agents non titulaires. Elles seront par ailleurs être articulées avec celles qui seront retenues à la suite du rapport de la mission Thiriez sur la haute fonction publique. 1.1.1. Adapter les processus de recrutement aux missions de demain Attirer des candidats aux concours de la manière la plus large et la plus diversifiée possible participe de la qualité des recrutements dans les corps de police et de gendarmerie, et contribue à ce qu’ils soient composés à l’image de la population. Cet objectif peut s’appuyer sur plusieurs leviers complémentaires : ainsi, les concours internes, qui sont ouverts à l’ensemble des fonctionnaires ayant une expérience préalable, pourraient être plus largement utilisés. Ainsi, le concours interne de gardiens de la paix n’est ouvert à l’ensemble des fonctionnaires que depuis 2019. Il sera intéressant d’évaluer les effets de cette mesure sur l’attractivité du concours. 280 Livre blanc de la sécurité intérieure Pour les commissaires et les officiers de police, le concours interne n’est ouvert que pour 20 % des postes offerts. Ce ratio pourrait être élargi. Cette même démarche serait appliquée aux militaires de la gendarmerie pour lesquels des concours internes ne sont pas mis en place. Au-delà de la sphère publique, il peut être intéressant d’attirer des profils ayant une expérience dans le secteur privé. La concertation conduite avec les jeunes membres des forces de sécurité a montré que certains d’entre eux s’étaient tournés vers une carrière en police ou gendarmerie après plusieurs années passées dans le secteur privé. En outre, cette approche semble cohérente avec l’évolution des parcours professionnels qui montre que, de plus en plus souvent, on n’accomplit plus l’intégralité de sa carrière dans un même secteur. Pour répondre à cet objectif, il est proposé de mettre en place des troisièmes concours réservés aux candidats justifiant d’une expérience professionnelle dans le secteur privé. Là où ils existent déjà, ces troisièmes concours se voient attribuer 10 % des postes à pourvoir, et les jurys peuvent reporter les postes non pourvus sur les autres voies de recrutement. Par ailleurs et pour attirer des profils et des compétences spécifiques de haut niveau, l’organisation de concours sur titres peut être envisagée. Elle permet de sélectionner, dans la phase d’admissibilité, des candidats en fonction des titres dont ils disposent, sans leur faire passer d’épreuves écrites compte tenu de leur niveau de qualification. Enfin, l’ouverture d’une partie du recrutement des commissaires et des officiers de police à des candidats ayant un profil et des compétences scientifiques, pourrait être envisagée, à l’instar de ce que fait la gendarmerie nationale pour ses officiers. Si les compétences juridiques constituent l’une des exigences essentielles pour exercer ces fonctions, il est utile de disposer également de profils scientifiques de haut niveau, pour mettre les services en situation de maîtriser les enjeux technologiques qui ne manqueront pas de s’affirmer plus encore dans les années à venir (cf. livret IV). Ainsi, le recrutement des commissaires de police pourra-t-il être ouvert aux élèves de grandes écoles d’ingénieurs (ENS, Polytechnique), et les mesures déjà engagées pour les officiers de la gendarmerie nationale1 seront renforcées, pour atteindre au total, d’ici trois ans, une proportion de 25 à 40 % des effectifs recrutés. Proposition : Diversifier les viviers des candidats aux concours pour enrichir les recrutements : –O ptimiser les avantages des concours internes. –M ettre en place des concours sur titres. – Instaurer des troisièmes concours ouverts à des parcours dans le privé. –R ecruter à la sortie des grandes écoles d’ingénieurs. L’objectif de diversification des recrutements, et de leur adéquation avec la société suppose un travail en amont des concours. Dans l’enseignement secondaire, plusieurs lycées professionnels proposent une filière relative aux métiers de la sécurité, qui débouche 281 sur un baccalauréat professionnel. Ce type de formation peut être très intéressant à développer, en particulier en région parisienne, pour favoriser le recrutement de gardiens de la paix parmi des candidats qui y vivent déjà. Une action pourrait être conduite conjointement avec le ministère de l’Éducation nationale pour développer ces formations. Par ailleurs, le recours aux classes préparatoires intégrées et aux classes d’excellence mériterait d’être développé. Il permet de favoriser la diversité sociale, et de contribuer à l’attractivité de l’image des métiers de la sécurité intérieure auprès des jeunes. Une classe de ce type existe déjà pour recruter de futurs gendarmes. Une expérimentation similaire pourrait être mise en place pour de futurs adjoints de sécurité, ou pour préparer au concours de gardiens de la paix. Proposition : Favoriser la diversité des recrutements : – Développer et consolider la filière « métiers de la sécurité » dans les lycées professionnels. – Recourir aux classes préparatoires intégrées et aux classes d’excellence. La nature des épreuves des concours représente elle aussi un gage essentiel de qualité des recrutements, en termes d’adéquation des profils aux missions que ces candidats se verront ensuite confier. C’est la raison pour laquelle il est proposé de rénover les épreuves des concours de recrutement pour mieux les adapter aux profils des candidats et aux exigences de sélection de l’administration, avec les orientations suivantes : – mieux différencier les épreuves en fonction des compétences précédemment acquises par les candidats et le cas échéant sanctionnées par un diplôme ; – mettre l’accent sur les savoir-faire et les savoir être, essentiels pour vérifier la capacité à s’intégrer dans un collectif professionnel ; – mieux identifier les compétences pour utiliser les outils numériques, afin de renforcer les capacités d’expertise dans ce domaine. Par ailleurs, la forme des épreuves pourra également être revue, dans le sens d’une actualisation par rapport aux capacités actuelles des candidats et, là encore, aux besoins de l’administration : développement des questions à choix multiples (notamment pour les épreuves relatives à la vérification des compétences numériques), mises en situations, à l’écrit comme à l’oral, mais aussi tests psycho-techniques et de personnalité, destinés à vérifier la capacité des candidats à affronter les difficultés du métier de policier ou de gendarmes. Proposition : Rénover les épreuves des concours de recrutement pour mieux tenir compte des profils des candidats et des besoins des services : – Vérification de la maîtrise du numérique. 282 Livre blanc de la sécurité intérieure –D éveloppement d’épreuves optionnelles. –M ises en situation, tests de personnalité. Un certain nombre de services spécialisés ont déjà recours au recrutement d’agents non titulaires, détenteurs de compétences spécifiques ou rares. Ces agents, qui viennent pour quelques années, apporter leur savoir-faire, contribuent à enrichir les compétences des services. Cette faculté de recourir aux agents non-titulaires doit être pleinement utilisée, d’autant qu’elle peut aussi constituer le vecteur d’une plus grande ouverture des corps de sécurité intérieure à la société civile. Bien évidemment, il ne s’agit pas de confier à ces personnels les missions naturellement dévolues aux membres des corps de police et de gendarmerie, mais de les recruter sur des missions très spécifiques, de haut niveau, par exemple dans le domaine de la lutte contre la cybercriminalité, contre la délinquance économique et financière ou dans les nouvelles technologies. Ce mode de recrutement doit être clairement cadré en amont, et faire l’objet de modalités de rémunération réalistes, sur la base d’un dispositif préalablement négocié avec le contrôleur budgétaire et financier ministériel. Proposition: Recourir plus largement aux contractuels pour s’enrichir de compétences spécifiques rarement détenues par les fonctionnaires. 1.1.2. Promouvoir des écoles d’excellence pour une formation initiale modernisée La formation initiale des policiers et des gendarmes, présente à tous les niveaux de leur recrutement, et organisée dans des écoles dédiées, illustre l’importance qui s’attache à la détention d’une technicité particulière préalablement à l’exercice des missions de sécurité intérieure. Assurer le bon équilibre entre formations théoriques et formations pratiques à l’exercice réel du métier Veiller à assurer cet équilibre doit constituer l’une des préoccupations principales des responsables de la formation. La concertation conduite auprès de jeunes policiers et gendarmes a fait apparaître, de ce point de vue, des attentes. Certains soulignent le caractère encore trop théorique et universitaire de la formation dispensée par l’ENSP aux futurs commissaires de police. D’autres, à l’inverse, regrettent que la formation initiale des gardiens de la paix ne comporte pas une dimension théorique plus affirmée. Il convient donc d’être attentif à cet équilibre, dans le cadre d’une relecture globale des cursus de formations en école. La réforme récemment engagée de la formation des gardiens de la paix témoigne, au demeurant, de cette préoccupation. 283 Proposition : Dans le cursus de formation, rééquilibrer la part respective des formations théoriques et pratiques. Différencier les cursus de formation Les élèves qui intègrent les écoles de police et de gendarmerie disposent d’un niveau et d’un contenu de compétences divers, en fonction de leur origine, de leur parcours antérieur, et du type de concours qu’ils ont passé. L’objectif de diversification des recrutements proposé ci-dessus contribuera à renforcer ces disparités. D’ores et déjà, des cursus de formation différenciés sont mis en place, par exemple pour les officiers de gendarmerie. Cette approche doit être étendue et généralisée à l’ensemble des écoles de formation. Elle peut d’appuyer sur des outils d’auto-évaluation permettant aux élèves d’être actifs dans cette démarche. Une plate-forme de ce type est d’ailleurs mise en place dans la gendarmerie nationale. Particulièrement motivante, elle confère aux élèves le sentiment de reconnaissance et donc de valorisation de leurs acquis professionnels. Vertueuse sur le plan de l’efficience, cette démarche pourra en outre attirer plus facilement les candidats aux concours internes, en raccourcissant la durée de leur formation. Proposition : Organiser les cursus de formation en tenant compte des compétences déjà détenues notamment par les lauréats des concours internes. Favoriser l’attractivité de la formation à la qualification d’officier de police judiciaire Si les membres des corps de conception et de direction, ainsi que les officiers de gendarmerie, disposent de la qualification d’officier de police judiciaire, il n’en est pas de même pour les gardiens de la paix et les sousofficiers. Or certains services rencontrent des difficultés pour disposer en nombre suffisant de gardiens de la paix titulaires de cette qualification. C’est le cas en particulier dans certains services de police de région parisienne. Des mesures sont en cours pour favoriser l’attractivité de cette formation. Elles pourraient être utilement complétées par l’introduction, dès la formation en école, d’un premier socle d’enseignement préparant à obtenir par la suite la qualification d’officier de police judiciaire. Cette première étape donnera par la suite davantage de souplesse et de réactivité pour la suite de cette formation. Elle permettra en outre d’identifier en amont ceux des élèves plus particulièrement intéressés ou disposés à l’acquérir. Cette mesure pourra bien évidemment trouver aussi à s’appliquer aux gendarmes. 284 Livre blanc de la sécurité intérieure Proposition : Engager dès la formation initiale un premier socle de formation à la qualification d’officier de police judiciaire pour les gardiens de la paix et les gendarmes et réduire la durée nécessaire pour acquérir la qualification. Mobiliser les outils numériques de formation La numérisation des méthodes et des espaces de formation ouvre des perspectives très prometteuses, dans lesquelles il paraît impératif de s’engager. Ainsi l’accent doit être mis sur le développement de la formation aux outils numériques en école de formation initiale, en offrant des parcours individualisés, adaptés aux niveaux de chacun. Ces parcours doivent conduire les élèves à la maîtrise des outils métiers ainsi qu’au développement de leur agilité numérique et d’une capacité d’apprentissage par le numérique. Le développement de modules d’enseignement à distance, adaptés à un usage en mobilité, fractionnés en courtes séquences pour s’adapter aux nouveaux usages des nouvelles générations constitue également une perspective à développer. Il convient en outre d’insister sur l’intérêt que présentent les nouveaux outils de simulation. Les brigades d’immersion opérationnelles expérimentées par la gendarmerie nationale constituent une illustration de cette orientation. Ils permettent, en complément des mises en situation pratique, de développer l’agilité intellectuelle et l’aptitude au discernement et à la prise de décision. Ces outils permettent en outre de toucher un grand nombre d’apprenants et sont ainsi sont sources d’économies d’échelle significatives. Ces orientations supposent que les écoles et centres de formation soient dotés d’un environnement numérique adapté. Cela requiert également de professionnaliser les acteurs du numérique en recrutant des ingénieurs pédagogiques. Proposition : Promouvoir la formation au numérique et la formation par le numérique. Développer les outils de simulation. Évaluer les formations initiales Il est nécessaire d’évaluer régulièrement les formations en école. Si elle est déjà présente dans le processus pédagogique des écoles de police et de gendarmerie, l’évaluation doit y être consolidée et systématisée. Elle doit à la fois permettre de vérifier la qualité du travail des formateurs, mais aussi l’adaptation du contenu des formations à l’exercice réel des missions, tant du point de vue des élèves, que des services actifs. Dans ce cadre, le recours à des dispositifs de cohortes d’élèves ayant développé une première expérience professionnelle, peut constituer une méthode intéressante pour réaliser cette évaluation. Déjà utilisée pour les officiers de la police nationale, elle pourrait être étendue à d’autres corps. 285 Le recours aux formateurs occasionnels mériterait par ailleurs d’être développé, assurant ainsi une meilleure diffusion de la mission de formation parmi les personnels, et l’actualisation des compétences et des techniques. Quant aux formateurs à temps plein, leur mission n’est pas toujours reconnue dans leur parcours de carrière. Elle pourrait être mieux valorisée, mais aussi mieux cadrée dans le temps, en fixant une durée maximale, audelà de laquelle les personnels rejoindraient les services actifs. Proposition : Généraliser les évaluations des formations en école au cours de la scolarité, à l’issue de celle-ci, et après quelques mois d’affectation (cohortes de suivi), pour en garantir la qualité et la pertinence. Mieux intégrer la fonction de formateur dans la carrière et développer le recours aux formateurs occasionnels. 1.2.  Remédier aux déséquilibres géographiques dans la répartition des effectifs et favoriser l’attractivité territoriale Le manque d’attractivité de certaines parties du territoire de la République constitue un véritable défi pour pourvoir l’ensemble des postes nécessaires. Les déséquilibres territoriaux sont bien connus : les régions du Sud et de l’Ouest sont très sollicitées, notamment dans le cadre des mutations, avec des attentes parfois longues pour y obtenir son affectation. A l’inverse, le Centre, l’Est et le Nord-Ouest correspondent à des territoires difficiles à pourvoir. Il en résulte des déséquilibres en termes d’effectifs affectés, certains départements étant structurellement sur-dotés, et d’autres au contraire souffrent d’un déficit de personnels. La situation particulière de la région parisienne aggrave ces déséquilibres, en particulier pour la police nationale. L’importance des besoins en recrutement, conjuguée à la difficulté d’y fidéliser les personnels, conduit à un modèle spécifique de répartition des effectifs : les élèves sortis d’école y sont massivement affectés, et les demandes de mutations pour sortir de la préfecture de police sont trop nombreuses. A ces déséquilibres quantitatifs s’ajoutent des déséquilibres qualitatifs, qu’il s’agisse des moyennes d’âge, trop élevées dans les territoires attractifs, ou plus basses dans ceux qui le sont moins, entraînant la présence de personnels moins expérimentés alors même que ces départements sont considérés comme difficile, et exigeraient donc des personnels plus anciens. En outre, les taux d’encadrement se trouvent également affectés par ces problèmes d’attractivité : trop élevés pour les besoins du service dans certains départements du Sud ou de l’Ouest, insuffisants ailleurs. Là encore, la préfecture de police de Paris souffre particulièrement de ces déséquilibres qualitatifs. Les départements et territoires d’Outre-mer sont quant à eux dans une situation spécifique : si certains souffrent d’un manque d’attractivité, d’autres sont au contraire l’objet de demandes de mutations nombreuses, et souffrent au contraire d’un renouvellement insuffisant des effectifs (en particulier dans les services de police aux Antilles ou à la Réunion). 286 Livre blanc de la sécurité intérieure De multiples mesures ont été prises, depuis plusieurs années, pour remédier à ces difficultés, sans toutefois parvenir à les résoudre de manière satisfaisante : la plaque parisienne concentre aujourd’hui encore la grande majorité des recrutements dans la police nationale, et les services peinent à fidéliser leurs personnels au-delà de la durée statutaire imposée par les textes. Ces dispositifs sont complexes et en outre sources de contentieux coûteux pour l’État. Ainsi l’allocation spécifique d’ancienneté (ASA) a donné lieu à des décisions de justice administrative qui ont conduit à revoir ses conditions d’attribution et à procéder à des reconstitutions de carrière, consommatrices de crédits et d’effectifs dédiés à ces tâches. Dans ces conditions, il conviendrait de se livrer à une évaluation précise des effets des multiples mesures, mises en place dans la police nationale pour attirer et maintenir les personnels sur la plaque parisienne : dispositifs indemnitaires, ASA, cartographies diverses de services en zones dites difficiles (secteurs et unités d’encadrement prioritaire). Cette évaluation pourra conduire à réorienter certaines dispositions, ou à supprimer celles d’entre elles qui apparaissent inefficaces, ce qui permettra de contribuer à simplifier la gestion des ressources humaines. Proposition: Mettre à plat les outils de l’attractivité territoriale pour les réorienter, dans la perspective d’une simplification et d’une meilleure efficacité. La première affectation d’un jeune policier sortant d’école s’effectue très majoritairement en région parisienne, du fait de l’importance des effectifs nécessaires en Île-de-France et du nombre de mutations sortantes chaque année, qui créent périodiquement un appel d’air auquel la préfecture de police doit répondre pour assurer la couverture opérationnelle de ses besoins. Pour la plupart d’entre eux, ces jeunes policiers réalisent une mobilité géographique en venant prendre leur premier poste en Île-de-France, et celle-ci est souvent vécue comme un déracinement de leur région d’origine, qu’ils quittent à regret et dans l’esprit, parfois, de la rejoindre dès qu’ils le pourront. Les réponses à ces difficultés sont multiples. Elles résident en partie dans la capacité à rendre ces affectations plus attractives, en améliorant la qualité de l’accueil et de la prise en charge, et en favorisant un développement de carrière intéressant dans ces territoires. Les propositions relatives aux parcours de carrière et à l’action sociale, figurant ci-dessous, s’inscrivent dans les réponses à cette problématique. Il est en outre essentiel de proposer au jeune policier qui arrive en région parisienne des conditions d’accueil et d’accompagnement dans l’emploi qui lui donnent envie de rester dans les services, et permettent de lutter contre le sentiment de solitude et d’isolement dont il peut souffrir. C’est là tout l’enjeu managérial pour sa hiérarchie directe et, au-delà, pour toute la chaîne des services de la préfecture de police, qui doivent intégrer résolument cette dimension dans leur politique managériale. 287 Proposition : Construire un dispositif d’accueil et de prise en charge du policier affecté pour la première fois en région parisienne, en assurant son accompagnement de manière à la fois globale et individualisée (voir partie relative à l’accompagnement social). Pour remédier aux déséquilibres territoriaux dans l’affectation des personnels, le recours aux concours dont les postes sont ciblés sur les régions déficitaires peut constituer une réponse adaptée. Ce dispositif est mis en œuvre pour le concours des gardiens de la paix, avec un recrutement réservé aux affectations en Île-de-France. Il est toutefois organisé parallèlement avec le concours national, les deux concours ouvrant sur des règles d’obligation de présence différentes. Cette situation, source de complexité dans l’organisation des recrutements, n’est pas toujours comprise par les personnels. Elle mériterait d’être simplifiée, au profit de l’une ou l’autre des deux options. Par ailleurs, le système des mutations dans la police nationale est souvent perturbé par l’ampleur du recours aux mutations dérogatoires, qui font l’objet de stratégies individuelles tendant à faire passer au second rang l’adéquation profil/poste, voire le simple respect des effectifs cibles. Il paraît nécessaire de clarifier et de simplifier ces règles et de limiter le recours aux mutations dérogatoires. En contrepartie, une procédure de « contractualisation » avec les agents acceptant de prendre une affectation sur des fonctions ou dans un territoire réputés peu attractifs, pourrait être envisagé, permettant, par la suite, de favoriser le choix de l’affectation suivante. Proposition: Mieux maîtriser les affectations géographiques en sortie d’école ou dans le cadre des mutations : – Simplifier l’organisation des concours sur la plaque parisienne. – Limiter le recours aux mutations dérogatoires. – Engager des dispositifs de contractualisation pour favoriser les affectations sur des postes ou des territoires peu attractifs. Dans la gendarmerie nationale, le projet de gestion rénovée de l’attractivité territoriale (GREAT) vise à rééquilibrer les compétences entre régions attractives et celles qui le sont moins. Il a pour objectif de conférer de l’attractivité à certaines régions, en activant plusieurs leviers de gestion : volumes de sorties d’école, accès à certaines formations qualifiantes, avancement. Cela se traduira par une modification progressive des équilibres actuels des tableaux d’avancement de gradés et de compétences entre les régions attractives et les autres. Les régions affectées par un défaut d’attractivité deviendront ainsi des régions « professionnellement attractives » : avancement accéléré, accès à certaines formations qualifiantes. A 288 Livre blanc de la sécurité intérieure contrario, les régions attractives seront amenées à trouver les compétences dont elles ont besoin ailleurs puisqu’elles ne seront plus en capacité de les générer elles-mêmes, favorisant de fait un flux en provenance des régions « professionnellement attractives ». Ce dispositif, mis en place récemment, méritera d’être évalué, et s’il semble efficace, gagnera à être développé. Proposition : Consolider le dispositif de gestion rénovée de l’attractivité territoriale dans la gendarmerie nationale. L’exercice des missions en Outre-mer présente, pour les policiers et les gendarmes, des enjeux et des risques particuliers liés à la fois aux spécificités de la vie dans les sociétés de ces départements et territoires, et aux caractéristiques de la délinquance dans ces territoires. La situation singulière de chaque territoire ultramarin appelle des mesures adaptées afin d’assurer un armement en quantité et en qualité des unités et services de gendarmerie et de police. Les contraintes d’éloignement de la métropole et d’intensité du contexte sécuritaire induisent un impératif d’autosuffisance opérationnelle qui repose en grande partie sur les ressources humaines. Il est également nécessaire de garantir un haut niveau d’accompagnement aux membres des forces de sécurité intérieure et à leur famille, au regard des risques professionnels encourus pour les uns et des difficultés quotidiennes rencontrées par les autres. Pour faciliter l’intégration des policiers et des gendarmes dans ces affectations, une formation spécifique en amont, réalisée en métropole avant la mutation, doit être mise en place, lorsqu’elle n’existe pas déjà, ou densifiée afin de mieux préparer les personnels à ces mutations : formations statutaires, linguistiques, législatives, information sur les particularités des sociétés ultramarines. Proposition : Renforcer la préparation aux affectations Outre-mer et dans les territoires aux caractéristiques particulières par une formation adaptée aux spécificités locales. 1.3.  Construire les carrières par le développement des compétences La gestion des carrières des personnels est aujourd’hui essentiellement appréhendée par le biais des dispositifs statutaires, qui prédominent sur la prise en compte des compétences. Les avancements et les promotions sont fondés sur des processus complexes, et les mobilités sont abordées avant tout sous un angle quantitatif dont la régulation est confiée aux commissions administratives paritaires, dans lesquelles les questions d’adéquation des profils aux postes ne sont prises en compte que de manière secondaire. On parle d’ailleurs de gestion des « effectifs », pas des personnels. 289 Sans mettre en cause l’importance de la dimension quantitative, tant en termes d’adéquation aux besoins, que de suivi budgétaire, il paraît indispensable de promouvoir une approche plus qualitative de la gestion des carrières, fondée sur le développement des compétences, et la construction de parcours professionnels à tous les niveaux de la hiérarchie. Cette démarche permet de répondre à deux objectifs : d’une part, en se fondant sur les compétences, elle permettra aux services d’être plus performants et plus efficaces; d’autre part, elle représente un facteur essentiel de reconnaissance pour les personnels, et leur permet de s’inscrire dans un parcours cohérent et visible, répondant ainsi en partie au sentiment souvent exprimé d’incertitude dans la gestion des carrières. 1.3.1. Définir des parcours professionnels garantissant la montée en compétences pour l’ensemble des agents L’objectif de construction de parcours professionnels, permettant aux agents de mieux appréhender leur déroulement de carrière, doit concerner l’ensemble des niveaux hiérarchiques. Il est proposé d’établir des parcours types de carrière, au sein des différents corps, offrant de manière alternative ou successive des temps de spécialisation et des périodes de service dans différents univers professionnels (ordre public, judiciaire, sécurité publique, sécurité routière, administration centrale). Une visibilité accrue sera ainsi donnée aux personnels pour mieux appréhender leurs perspectives de carrière, et aux gestionnaires pour piloter les affectations dans un cadre plus stratégique. À l’image de ce qui se pratique déjà pour les officiers de la gendarmerie nationale, l’instauration de parcours de carrière concerne d’abord les commissaires et les officiers, pour lesquels il s’agit de constituer un cadre pertinent permettant un déroulement de carrière dans des conditions à la fois transparentes et garantes de la qualité professionnelle des intéressés. Mais les membres du corps des gradés et gardiens, ainsi que les sousofficiers et les gendarmes doivent, eux aussi, pouvoir bénéficier d’une visibilité et d’une approche qualitative de leur gestion. Développer au sein de ces corps des filières professionnelles (investigation, sécurité publique, maintien de l’ordre) dans lesquelles chacun, en fonction de ses aspirations et de ses aptitudes, choisira de s’engager constitue l’un des signes les plus visibles de l’attention portée aux personnels. Ces parcours prendront en compte la politique de substitution conduite au sein des deux forces de sécurité afin de recentrer le policier et le gendarme sur leur cœur de métier. Cette politique, mise en œuvre depuis 2012, consiste à confier à des personnels administratifs des fonctions non opérationnelles. Elle permet d’élargir les perspectives de carrière des personnels administratifs affectés dans les services de police et de gendarmerie et contribue ainsi à enrichir leur parcours professionnel. L’affectation de personnels administratifs dans les services mériterait toutefois d’être mieux valorisée. En outre, la mise en place de parcours de carrière permettra d’inscrire leur déroulement dans le temps, et ainsi de mieux appréhender les problématiques d’égalité professionnelle et d’articulation vie privée/ vie professionnelle (possibilité d’alterner des missions aux contraintes, géographiques ou de temps de travail, différentes). 290 Livre blanc de la sécurité intérieure Proposition: Établir des parcours types de carrière pour l’ensemble des corps, à partir d’une typologie des fonctions (fonctions d’expertise, fonctions stratégiques, spécialités métiers...). Il semble indispensable de réaffirmer le principe de la mobilité obligatoire (géographique ou fonctionnelle) pour l’encadrement, commissaires et officiers, et d’en renforcer l’exigence pour l’accès à certaines fonctions, pour les commissaires comme pour les officiers. Toutes les analyses conduites dans ce domaine soulignent la nécessité de limiter la durée de présence sur certains postes, notamment des postes à responsabilité, pour assurer la qualité du service rendu et garantir en même temps l’enrichissement des parcours professionnels. Pour en renforcer la place et le rôle, la mobilité doit être déconnectée de la mutation géographique, de manière à élargir les possibilités de changer de fonctions au sein d’un même service ou territoire. Pour favoriser la mobilité géographique, plusieurs outils sont envisageables et doivent être mobilisés. On pense en particulier à la mise en place d’un calendrier suffisamment long pour permettre aux agents d’organiser leur changement d’affectation, mais aussi à l’aide à la mobilité du conjoint. De ce point de vue, le rapport 2019 du médiateur interne de la police nationale propose de favoriser les mutations simultanées. Cela permettrait de remédier au phénomène constaté parfois où des couples organisent volontairement leur séparation, espérant faire jouer ensuite le rapprochement de conjoints, prenant le risque de se retrouver dans des situations personnelles et financières difficiles. Lorsque le (ou la) conjoint(e) n’est pas membre du même corps, une action volontariste auprès du ministère gestionnaire, ou de l’employeur privé doit pouvoir être organisée afin de favoriser l’accompagnement de cette mobilité. Enfin, la mise en œuvre de processus de contractualisation individualisés peut constituer un moyen efficace de favoriser la mobilité géographique ou fonctionnelle : indiquer en amont la durée de l’affectation sur un poste réputé peu attractif, géographiquement ou fonctionnellement, et s’engager, à l’issue de celle-ci, à répondre au souhait de l’agent, soit en termes de promotion, soit de nouvelle affectation peut être de nature à favoriser la fluidité sur les postes peu demandés, dès lors, bien entendu, que ces engagements soient suivis d’effet. Ce dispositif a été engagé récemment par la gendarmerie nationale, et sera développé, en particulier pour les affectations en Outre-mer. Proposition: Développer la mobilité grâce au décloisonnement de l’organisation, et la valoriser pour les avancements et les promotions. Une vision plus stratégique des parcours de carrière permet d’anticiper et de préparer les personnels à leur évolution professionnelle. La gestion des avancements doit être abordée, au-delà de la vérification du respect des conditions statutaires, de manière plus stratégique, et être anticipée, tant 291 par l’administration que par les agents. Les perspectives de promotion se préparent et s’organisent, en s’appuyant à la fois sur les formations et sur les affectations qui permettent d’acquérir progressivement les compétences attendues pour l’exercice de responsabilités supérieures, et de s’y préparer. Cette démarche sera en particulier de nature à favoriser une meilleure représentation des femmes dans les dispositifs de promotion. Proposition: Favoriser l’identification de viviers de promouvables à des responsabilités supérieures, par la formation et les affectations sur des fonctions adaptées. Ainsi est-il proposé de consolider et de professionnaliser le rôle et la place des adjoints de sécurité (ADS) et des gendarmes adjoints volontaires. La création et la montée en puissance rapide de ces deux catégories de personnels ces dernières années nécessite d’adopter des mesures de nature à optimiser leur rôle et à mieux les professionnaliser. Cela passe par un allongement de la durée de leurs contrats, et un renforcement de leur formation, pour mieux les préparer à poursuivre, le cas échéant, leur parcours au sein de la police ou de la gendarmerie nationale. Hérité des dispositifs de volontariat dans les armées conçu en 2001 et des emplois-jeunes, mis en place par la loi du 16 octobre 1997, le modèle des gendarmes adjoints volontaires ne satisfait plus aujourd’hui aux impératifs d’optimisation et au niveau d’exigence de qualité de la ressource attendus : recrutement annuel de plus de 3 500 gendarmes adjoints volontaires, effort de formation accru du fait des rotations d’effectifs, fidélisation insuffisante (3 ans en moyenne) et donc perte des compétences acquises. La création d’un corps d’engagés de la gendarmerie, qui se substituera aux 11 000 gendarmes adjoints volontaires détenant la qualification d’agent de police judiciaire adjoint (APJA), permettra de stabiliser dans la durée ces personnels, en allongeant de 6 à 18 ans maximum leur contrat, et ainsi de disposer de militaires plus expérimentés, et aux compétences renforcées. En outre, l’allongement de la durée de leur contrat permettra mécaniquement d’alléger la charge des services de recrutement et de limiter le turn-over actuel. Dans le même esprit, la gestion des ADS sera améliorée, par un allongement de la durée de leur recrutement, un parcours professionnel mieux construit, et un renforcement de leur formation initiale et continue. Recrutés actuellement pour trois ans renouvelables une fois, les adjoints de sécurité se trouvent, de facto, dans une situation professionnelle sinon incertaine, du moins transitoire, ce qui peut contribuer à dissuader un certain nombre de jeunes de s’engager dans ce dispositif, et ainsi à limiter le vivier potentiel de recrutement. Ces évolutions seront en outre de nature à limiter le nombre de recrutements organisés, et à favoriser ainsi des économies sur ce type de missions : moins de personnels seront mobilisés pour organiser les recrutements. 292 Livre blanc de la sécurité intérieure Proposition: Mieux fidéliser et professionnaliser les adjoints de sécurité en allongeant la durée de leur contrat et en renforçant leur formation et, pour les gendarmes adjoints volontaires, en mettant en place un statut d’engagé. En raison de la nature même de leurs missions, les policiers et les gendarmes peuvent être amenés, dans la dernière partie de leur carrière, à aspirer à d’autres activités. Ils ont également acquis dans le domaine de la sécurité une expertise qui pourrait être utilement mise à profit par d’autres acteurs que l’État. Dans ce contexte, il pourrait être intéressant de structurer la dernière partie de la carrière en organisant des passerelles vers d’autres acteurs : collectivités locales, secteur public au sens large, entreprises. Ces mobilités se pratiquent déjà, mais sont fonction d’opportunités individuelles. Les gestionnaires des ressources humaines doivent se les approprier, et les organiser de manière coordonnée et volontariste. Cette démarche pourra également constituer l’un des vecteurs de la consolidation du lien avec la population, en permettant à des policiers et des gendarmes expérimentés de se mettre au service d’institutions autres que l’État dans le cadre du continuum de sécurité, auxquelles ils apporteront leurs compétences, et qui participeront à la reconnaissance de leur expertise. Proposition: Organiser la dernière partie de carrière en structurant les passerelles vers d’autres sphères de la sécurité (collectivités locales, secteur privé, grandes entreprises). 1.3.2. Consolider les outils de cette nouvelle politique de gestion des ressources humaines  Une politique résolument qualitative de gestion des ressources humaines ne peut se mettre en œuvre sans les outils techniques adaptés qu’il convient donc d’identifier et de développer. Pour accompagner les personnels dans la conduite de leur parcours professionnel, un dispositif d’entretiens réguliers pourra être mis en place au niveau déconcentré le plus approprié s’agissant des personnels de la police nationale. Pour la gendarmerie, ces entretiens sont déjà réalisés, pour les officiers au niveau central, et pour les sous-officiers, il est piloté par les régions de gendarmerie. L’entretien de carrière doit pouvoir être a minima proposé à trois moments-clés à l’ensemble des personnels de la police et des militaires de la gendarmerie nationale : 2 ans après la sortie d’école, à 5 ans, puis à 10 ans. Il sera réalisé par la hiérarchie de proximité ou les conseillers mobilité carrière, dont le réseau sera développé et consolidé, et qui seront formés à cet effet. 293 À chaque étape, il s’agit de s’assurer de la bonne adéquation du profil de l’agent et du militaire au poste occupé mais aussi de préparer avec lui l’étape suivante, notamment en termes de formation ou de mobilité. Proposition: Mettre en place des entretiens de carrière aux moments clés du parcours professionnel pour l’ensemble des corps. Inscrire le parcours professionnel dans la durée et dans une vision plus stratégique suppose de disposer des moyens d’identifier, à moyen terme, les besoins quantitatifs et qualitatifs nécessaires au bon accomplissement des missions. Souvent abordée sous le seul angle budgétaire, et destinée à prévoir le nombre de départs en retraite des agents, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences doit à la fois être fiabilisée sur ce point, et complétée par une dimension qualitative, permettant de déterminer, à moyen terme, les profils et les compétences nécessaires, pour prévoir et organiser les recrutements, les formations et les parcours de carrière en conséquence. Parallèlement, le référentiel des emplois, qui doit être actualisé, n’est pas suffisamment utilisé au quotidien par les services. Il gagnerait à devenir un outil de pilotage de la gestion des carrières et des affectations, dans une approche qualitative et dynamique de celle-ci. Enfin, la nomenclature des emplois, qui existe pour les commissaires de police, et vient d’être achevée pour les officiers de police, constitue elle aussi un instrument efficace de la gestion des carrières. Elle mériterait d’être étendue aux gardiens de la paix, au moins pour les grades d’avancements et les fonctions d’encadrement. Ces outils s’avéreront particulièrement utiles pour accompagner la mise en œuvre de la réorganisation des services de la police nationale proposée (cf. livret III). Proposition: Construire une nouvelle politique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, permettant d’anticiper de manière fiable les besoins de recrutement, et d’identifier les évolutions à venir des métiers. Rénover le référentiel des emplois, et l’intégrer dans la gestion des parcours. Étendre le dispositif de nomenclature des emplois. 1.3.3. Placer la formation continue au cœur de la carrière Dans un contexte où la lutte contre la délinquance fait appel de manière accrue à de multiples capacités d’expertise, et où l’exercice du maintien de l’ordre devient plus complexe, les enjeux de la formation continue pour les policiers et les gendarmes sont majeurs, et celle-ci constitue un élément 294 Livre blanc de la sécurité intérieure déterminant de l’efficacité et de la qualité de l’exercice de ces missions. Il s’agit d’ailleurs de l’une des orientations préconisées par le rapport du sénateur Grosdidier sur l’état des forces de sécurité intérieure rendu en juin 2018 : « La formation continue apparaît […] comme essentielle pour garantir l’adaptabilité des forces de sécurité intérieure et l’efficacité de leur intervention. Il apparaît nécessaire d’en revaloriser la place dans la carrière des agents, par exemple en l’intégrant comme un élément obligatoire du parcours professionnel, voire d’évaluation de la performance. » Or la formation continue est encore trop souvent vécue comme une contrainte par la hiérarchie, et sa mise en œuvre est subordonnée à la disponibilité du fonctionnaire, que le supérieur hiérarchique ne permet pas toujours d’accorder, en raison de la charge de travail permanente des services. Il est pourtant indispensable de renverser cette approche : le rôle de la hiérarchie doit être de veiller à ce que les connaissances des personnels soient adaptées et actualisées et leurs pratiques régulièrement évaluées. Elle peut, pour ce faire, s’appuyer sur le plan de formation développé dans chacune des deux forces. Celui-ci doit être articulé avec le déroulement de la carrière, et notamment à l’occasion des prises de fonctions, qui sont trop souvent dénuées de l’encadrement nécessaire et des apprentissages indispensables. L’existence de formations initiales en écoles ne doit pas conduire à faire l’impasse sur les enseignements qui doivent a minima être délivrés, lors de la prise de fonction, tant sur le cadre concret dans lequel elle a lieu (services, contexte, enjeux de la mission), que sur les éléments techniques auxquels, le cas échéant, elle peut faire appel. Si certains changements de grade ou de fonction s’accompagnent d’une formation obligatoire, l’essentiel de la formation continue reste subordonné au souhait de l’agent, et à l’accord du supérieur hiérarchique, sans orientation préalable et sans être adossé au déroulement de carrière. Cette logique doit être remplacée par une approche différente, consistant à rendre obligatoires les formations à l’occasion (avant ou après, cela reste à définir) de tout changement d’affectation et de tout avancement de grade. Cette obligation doit figurer dans les dispositifs statutaires des différents corps. Proposition : Construire un parcours de formation continue en cohérence avec le déroulement de la carrière : –C onsolider les formations prises de poste et adaptation à l’emploi. –A dosser les formations aux avancements et aux promotions. La dimension managériale constitue un élément essentiel des dispositifs de formation, tant dans la gendarmerie que dans la police nationale. Pour cette dernière, un référentiel des compétences managériales a été élaboré, qui définit l’ensemble des compétences attendues dans ce domaine à tous les niveaux de l’encadrement, et propose ainsi un outil de management au quotidien. Il reste à mieux ancrer dans la pratique des services la réalisation de ces formations, et leur prise en compte. L’évaluation annuelle peut être le 295 moment de vérifier que les formations nécessaires ont été réalisées et que ces compétences ont été acquises. Proposition: Mettre le management au premier rang des priorités de formation, tout au long du parcours. La maîtrise des actes techniques, qu’il s’agisse du maniement des armes, des techniques d’intervention, ou de l’investigation, est déterminante pour la qualité de l’action des services. A l’instar des formations au tir, qui sont obligatoires, celles liées à l’activité opérationnelle doivent également le devenir, ainsi que les entraînements, comme le font d’ailleurs déjà certains services. Pour certaines filières, ces formations doivent être organisées selon un dispositif de montée en compétence ou de spécialisation progressive. De ce point de vue, l’idée d’une « académie de l’investigation », délivrant un ensemble de formations spécialisées, s’inscrit dans cette démarche. Proposition : Articuler les formations avec le parcours opérationnel, dans un objectif de montée en compétence dans les filières métiers et dominantes de carrière. L’accès à la formation se heurte souvent aux contraintes des services, et à la difficulté à libérer des fonctionnaires sur plusieurs journées. C’est la raison pour laquelle les modalités traditionnelles de formation continue (rassemblement de stagiaires sur un même site, souvent éloigné du lieu d’exercice des fonctions) doivent évoluer, si l’on veut donner sa pleine efficacité à cette nouvelle politique de formation. Il convient donc de renforcer le recours aux outils de formation à distance, en privilégiant des formats courts, adaptés aux contraintes opérationnelles. Ce type d’outils offre plus de souplesse et permet en outre de mieux individualiser l’offre de formation aux besoins de chacun. Ils présentent également l’avantage de réduire les coûts de formation et de développer l’offre pour le plus grand nombre. Cette méthode peut également être développée pour accompagner efficacement la mise en place de nouvelles techniques ou de nouveaux équipements. Les outils de simulation présentent également un intérêt incontestable, de par leur dimension concrète et opérationnelle, et leur effet démultiplicateur. Leur développement, en cours dans la gendarmerie nationale, doit être renforcé, et le cas échéant, mutualisé entre les deux forces, favorisant ainsi les échanges d’expérience et d’expertise. Proposition: Développer des modes de formation et d’accès à la formation fondés sur le numérique. Promouvoir les outils de simulation. 296 Livre blanc de la sécurité intérieure Le ministère de l’Intérieur a besoin de se doter d’une instance apte à conduire des travaux de réflexion stratégique, à réaliser des formations de haut niveau transversales pour son encadrement supérieur, et qui soit à même de faciliter la recherche et l’analyse prospective sur les grands enjeux de sécurité et de gestion de crise, intégrant une approche internationale. Il dispose déjà, avec le CHEMI, d’un dispositif de formation et d’acculturation pour ses cadres dirigeants. Par ailleurs, l’institut national des hautes études de sécurité, établissement public jusqu’à présent placé sous l’autorité du Premier ministre, rejoint le ministère de l’Intérieur d’ici la fin de l’année 2020. Ces deux instances œuvrent, de manière complémentaire, dans le même champ de l’expertise de haut niveau et de la recherche. Elles ont vocation à se rapprocher pour constituer un service à compétence nationale qui renforcera le positionnement du ministère de l’Intérieur sur la prospective et la formation aux politiques publiques de sécurité et de gestion des crises. Ce service pourrait constituer le socle d’une future académie de la sécurité intérieure. Une telle instance permettrait de constituer et de faire vivre une expertise et une culture communes. La création de cette académie faciliterait par ailleurs les transformations en cours au sein du ministère tout comme l’analyse a posteriori d’événements majeurs. Par les formations transversales qu’elle organiserait, elle favoriserait la connaissance mutuelle des principaux acteurs du ministère et en renforcerait la cohésion. L’académie de la sécurité intérieure constituerait de fait la première étape d’une vision intégrée de la sécurité intérieure et offrirait des perspectives de développements multiples. Elle serait par ailleurs chargée de réaliser des études et de développer des recherches dans le domaine de la sécurité, en s’appuyant sur un réseau de chercheurs et d’universitaires à construire. L’articulation de l’approche scientifique universitaire avec les pratiques et l’activité de terrain des acteurs publics et privés constitue un enjeu majeur pour replacer la gestion des sujets de sécurité au sein de la société dans laquelle ils s’inscrivent. Dès lors, il est indispensable de développer les partenariats avec les universités, ainsi qu’avec d’autres acteurs de la formation (CNFPT), et de s’engager dans un véritable processus de recherche. À terme, cette évolution permettrait de déboucher sur l’élaboration de formations universitaires diplômantes et/ou qualifiantes. L’académie de la sécurité aurait enfin pour mission de contribuer au rayonnement de la France à l’échelle européenne et internationale, d’autant plus indispensable que les phénomènes de délinquance et les nouvelles activités criminelles sont aujourd’hui fortement mondialisées. Proposition : Se doter d’un outil permettant de développer une réflexion stratégique de haut niveau sur la politique de sécurité, dans toutes ses composantes, et de nature à fédérer la communauté de la sécurité intérieure, en s’appuyant sur l’arrivée de l’INHESJ au ministère de l’Intérieur : l’Académie de la sécurité du ministère de l’Intérieur. 297 1.4.  Affirmer l’exigence managériale 1.4.1. Consolider la chaîne managériale Affirmer le rôle central de l’encadrement intermédiaire La difficulté des missions confiées aux policiers et aux gendarmes, confrontés quotidiennement à la violence, et parfois à la mort, exige d’affirmer clairement et dans la réalité quotidienne le sens de leur mission. La fonction managériale occupe dans ce cadre une place centrale. Or force est de constater que l’exercice de cette mission, au quotidien, reste encore perfectible. L’association des hauts fonctionnaires de la police nationale souligne, dans son rapport intitulé « Quelle police pour demain? » que « restaurer une chaîne hiérarchique dans laquelle chacun a sa place et interagit avec l’ensemble» figure parmi les principales attentes des personnels. De fait, c’est le rôle premier de l’encadrement que d’assurer cette fonction managériale, cette notion devant être entendue au sens large, d’autant que, plus encore que dans d’autres fonctions, le collectif de travail joue un rôle majeur pour assurer la cohésion des équipes et donner du sens à l’action. Dès lors, il est indispensable de consolider le fonctionnement de la chaîne managériale dans les services, à chaque niveau où s’exerce une fonction d’encadrement. Être au côté de ses équipes, les réunir, fixer leurs objectifs et échanger sur les évènements passés ou à venir doit être le cœur de métier de tous les encadrants. La qualité et l’efficacité du service, mais aussi la qualité de vie au travail, en dépendent. Pour être pleinement exercée, cette mission d’encadrement doit faire l’objet de formations régulières, et doit figurer parmi les critères de l’évaluation professionnelle. Proposition : – Consolider la chaîne managériale et promouvoir la collégialité en définissant la fonction d’encadrement à chaque niveau hiérarchique. – Affirmer notamment le rôle central de l’encadrement intermédiaire (officiers de police, sous-officiers de gendarmerie). Donner aux chefs de service territoriaux les moyens de manager On ne peut demander aux chefs de services d’exercer leur fonction managériale sans leur en donner les moyens. Or il apparaît aujourd’hui que les chefs de services territoriaux ne disposent guère de marge de manœuvre, tant sur le plan de la gestion des matériels que de celle de leurs personnels : les dispositifs budgétaires ne sont que très partiellement déconcentrés à leur niveau, les interventions nécessaires au bon fonctionnement des services remontent le plus souvent aux SGAMI, et même si ces derniers ont fait des efforts incontestables pour améliorer la qualité de leurs prestations, les responsables de terrain se sentent pour 298 Livre blanc de la sécurité intérieure la plupart dépendants du niveau zonal, y compris pour des interventions mineures (réparation de véhicules, ou pannes de matériels). Sur le plan des ressources humaines, et en particulier dans la police nationale, les chefs de services sont sollicités au moment des campagnes de mutation et d’avancement, mais il n’est pas rare que par le jeu des discussions entre l’administration centrale et les organisations syndicales, leurs propositions se trouvent mises en cause. Ils sont alors mis devant le fait accompli de promotions ou de mutations qu’ils n’ont pas proposées, et dont ils ont parfois le plus grand mal à justifier la légitimité auprès de leurs équipes. Face à ce constat, il apparaît indispensable de donner aux responsables territoriaux les moyens de piloter leur service et un espace de responsabilité qu’ils revendiquent à juste titre. Sur le plan budgétaire, cette déconcentration peut conduire à leur donner la qualification de responsables d’UO, dans le cadre d’une reconfiguration de la maquette budgétaire qui sera issue de la réforme de l’organisation de la police nationale. En ce qui concerne la gestion des ressources humaines, il faut affirmer résolument le principe selon lequel l’avis du chef de service territorial est suivi, sauf exception qui doit alors lui être dûment indiquée, afin qu’il ne soit pas informé des décisions a posteriori. Proposition : Donner plus de pouvoir aux chefs de service de police et de gendarmerie par un processus de déconcentration significatif de la gestion des personnels et des moyens. Promouvoir des outils de pilotage qualitatifs La capacité de chaque échelon hiérarchique à exercer ses fonctions managériales dépend largement de la définition d’un cadre d’action précis pour l’activité de son service : on ne peut donner du sens à l’activité de ses équipes que si on connaît ses objectifs pour les décliner au sein du collectif de travail. Si les objectifs chiffrés ont un temps prévalu pour les services de police et de gendarmerie, la dimension qualitative de l’activité de lutte contre la délinquance et de protection des populations n’est aujourd’hui que très insuffisamment formalisée. Elle constitue pourtant un élément essentiel de la définition d’une stratégie d’action territoriale adaptée. La démarche de police de la sécurité du quotidien s’inscrit d’ailleurs dans cette logique. L’élaboration de lettres de mission pour les responsables de l’encadrement, commissaires de police et officiers de gendarmerie, à l’occasion de leur prise de fonction, permettrait d’ancrer cette approche dans l’activité territoriale, dont elle prendrait en compte les spécificités locales. Leur élaboration serait en partie confiée à ces responsables, qui pourraient ainsi se les approprier. Elle leur permettrait de décliner dans leur service les orientations retenues. Elles serviraient également de support au moment de l’entretien d’évaluation. 299 Ces lettres de mission s’appuieraient sur un diagnostic territorial analysant les caractéristiques locales de la délinquance, élaboré en relation avec le préfet de département. Les métiers de la sécurité intérieure sont des métiers de l’action, dans lesquels les personnels sont amenés à agir sur le moment, sans toujours pouvoir prévoir la manière dont se dérouleront les évènements qu’ils doivent gérer. C’est la raison pour laquelle l’expérience acquise sur le terrain est au cœur des compétences de ces personnels, et qu’il convient donc de la formaliser, et de mieux en assurer la diffusion permanente. Pour ce faire, la méthode du retour d’expérience doit être pleinement intégrée à l’activité du management. Cette méthode a fait l’objet de l’élaboration d’une doctrine par la DGPN, qui a en outre construit un réseau zonal du RETEX. Les outils existent donc, il est nécessaire de les utiliser pleinement et cela doit également faire partie des objectifs à fixer aux personnels chargés de fonctions d’encadrement. Proposition: Formaliser les objectifs de l’activité à travers des lettres de mission pour les chefs de service (officiers de gendarmerie et commissaires de police) en privilégiant la dimension qualitative des objectifs. Systématiser la méthode du retour d’expérience comme outil de management. 1.4.2. Rénover l’évaluation professionnelle L’évaluation professionnelle est un outil essentiel de régulation managériale. Elle donne à l’agent la possibilité de mieux connaître ses points forts et ses marges de progression. Elle est également utile pour permettre à l’administration d’identifier les potentiels et de l’éclairer dans les affectations les plus appropriées en fonction des profils et des postes proposés. Le dispositif actuel de notation chiffrée a perdu une grande part de sa légitimité et apparaît, de facto, peu adapté, tant pour l’agent, qui accorde peu de crédit à la valeur de cette note, que comme instrument d’aide à la décision. Ce constat conduit à envisager une transformation substantielle du modèle. À une vision verticale de la notation doit se substituer une approche plus horizontale plaçant l’évalué au cœur de l’équipe et du projet institutionnel. Bâtie pour favoriser un dialogue constructif entre le supérieur hiérarchique et son subordonné, rendant compte de l’intégralité des éléments concourant à la performance et permettant de construire un parcours professionnel basé sur une montée en compétences, l’évaluation doit également être discriminante, à condition de se fonder sur des éléments objectivables et incontestables, et ce dans un souci bien compris d’équité. Elle doit comprendre une auto-évaluation, qui outre l’effet responsabilisant, intégrera un volet sur la perception par les personnels de la qualité de vie au travail (QVT). Or, cet aspect pourtant fondamental dans la compréhension du comportement de la personne évaluée est aujourd’hui négligé. 300 Livre blanc de la sécurité intérieure Au moment où la lutte contre les risques psycho-sociaux est une priorité, l’introduction de cette notion de qualité de vie au travail dans le dispositif d’évaluation apparaît comme essentielle et novatrice. Proposition: Remplacer la notation annuelle par une évaluation fondée sur les compétences. L’évaluation à 360° mériterait d’être étendue à l’ensemble de l’encadrement supérieur. Cette méthode est actuellement mise en œuvre pour une partie du corps de conception et de direction de la police nationale et du corps des officiers de gendarmerie. Si les finalités des évaluations diffèrent d’un corps à l’autre, le bénéfice qu’en tire le cadre évalué pour perfectionner son mode de management et ses pratiques professionnelles en font un outil puissant et pertinent. Il peut par ailleurs donner lieu à un plan de développement personnel principalement axé sur ses aptitudes comportementales. L’évaluation à 360° sera généralisée à l’ensemble des membres du corps des commissaires de police et des officiers de la gendarmerie. Elle sera réalisée à certaines étapes clés de la carrière (premier poste, puis tous les cinq ans environ). Elle sera confiée à une instance ad hoc, placée en dehors de la chaîne hiérarchique, et formée à cet effet. Elle obéira à un cadre méthodologique précis, et s’inscrira dans des principes déontologiques de nature à en garantir la fiabilité. Proposition: Étendre et consolider l’évaluation à 360° pour les fonctions d’encadrement supérieur. Le développement de l’évaluation pourra intégrer la pratique de l’assessment au profit des membres de l’encadrement supérieur dans une logique de développement personnel et/ou de sélection. Méthode d’évaluation des compétences à travers des mises en situations concrètes, l’assessment permet de déterminer le potentiel d’évolution et d’adaptation à l’exercice de fonctions supérieures. Il constitue une aide à la décision à travers une analyse des potentiels des candidats ou des collaborateurs à partir d’un référentiel de compétences pour un poste donné. C’est une approche d’évaluation et de détection des potentiels qui se fonde essentiellement sur ce que font les candidats et sur ce qu’ils peuvent faire. Les assessments peuvent être individuels ou collectifs et de durée variable (d’une demi-journée à plusieurs jours). S’agissant d’un investissement important, la gendarmerie nationale le propose à ses officiers supérieurs brevetés de l’enseignement supérieur du deuxième degré parmi lesquels se trouvent les futurs décideurs militaires de l’institution. Ainsi, le passage en assessment center marque la première étape dans la construction d’un parcours de futur dirigeant. A la discrétion des officiers, l’assessment débouche sur la possibilité de bénéficier d’un 301 accompagnement individualisé mis en œuvre par la mission des hauts potentiels. Proposition: Introduire la pratique de l’assessment center (méthode d’évaluation des potentiels) dans un objectif de développement personnel et de promotion de l’encadrement supérieur. 1.5. Promouvoir l’exemplarité et l’adhésion aux valeurs communes de la sécurité De par la nature de leur activité, les personnels de la sécurité intérieure doivent pouvoir s’appuyer sur un socle solide de valeurs partagées, qui garantisse à la fois la fierté de l’exercice de leurs missions, leur exemplarité, et leur capacité de résilience. La notion de déontologie professionnelle fait référence à l’ensemble des principes et règles éthiques qui gèrent et guident une activité professionnelle. Elle est essentielle pour les personnels des forces de sécurité intérieure, dont la mission implique l’usage de la force et de la contrainte. La police nationale s’est dotée d’un code de déontologie dès 1986, et une charte du gendarme a été élaborée en 2010. En 2014, ces deux textes ont été fondus en un code de déontologie commun aux deux forces, et codifié dans le code de la sécurité intérieure. Il comporte 32 articles définissant le cadre juridique et éthique de l’action des policiers et des gendarmes, à travers un certain nombre de principes généraux, des dispositions régissant plus précisément les relations avec la population, ainsi que les règles de contrôle. La question qui peut se poser aujourd’hui n’est donc pas celle du cadre juridique dans lequel les policiers et les gendarmes exercent leur mission, mais de la manière dont ces règles sont appliquées et respectées. Cette question n’est pas nouvelle : l’institut des hautes études de sécurité intérieure a conduit, en 1993, une étude intitulée : « comment développer la pratique de la déontologie dans l’activité quotidienne des services ». Il y est indiqué que « le code de déontologie apparaît plus comme la codification d’obligation que comme la synthèse de valeurs partagées ». De fait, le respect de la déontologie est, de manière prioritaire, assuré selon une logique punitive, celle de la sanction au non-respect des règles, plutôt que dans une démarche positive valorisant l’exemplarité dans l’exercice des missions. On constate ainsi qu’environ 2 000 sanctions disciplinaires sont prononcées en moyenne chaque année tant dans la police nationale qu’en gendarmerie. Elles concernent pour la très grande majorité (96%) les membres du corps d’encadrement et d’application. Pourtant, le sentiment qui se dégage, non seulement dans l’opinion, mais aussi de la part de certaines analyses internes, est celui d’une insuffisante connaissance et prise en compte du respect de ces règles de comportement. La primauté est aujourd’hui donnée à la sanction a posteriori, au détriment de mesures de nature à mieux ancrer l’exercice de ces missions dans le 302 Livre blanc de la sécurité intérieure respect de ces règles, et donc à prévenir les comportements contraires à celles-ci. Une mise en œuvre exclusivement « punitive » des règles de déontologie apparaît en réalité comme le signe de l’affaiblissement de la capacité des services à faire respecter ces dispositions. Cependant, celle-ci revêt une dimension centrale pour la qualité de la relation entre forces de l’ordre et population. La dimension déontologique doit apparaître de manière beaucoup plus visible et positive dans l’activité opérationnelle des agents. Elle doit devenir un objet de fierté de l’action des services, et non de crainte de la faute. Plusieurs pistes peuvent être explorées pour parvenir à opérer ce renversement. Il conviendrait en premier lieu de réaliser une étude sur les sanctions disciplinaires et les manquements à la déontologie : domaines concernés, âge et genre des auteurs, corps d’appartenance. L’objectif est de mieux cibler les actions managériales à conduire pour améliorer les comportements. En second lieu, il est nécessaire de mettre résolument l’accent sur la déontologie dans les formations, initiales et continues, en l’articulant avec les valeurs qui fondent l’action des policiers et des gendarmes. Le code et la notion sont encore mal connus, et leur mise en pratique insuffisamment enseignées. En outre, la dimension déontologique doit figurer dans les thématiques évoquées lors de l’entretien d’évaluation, et être régulièrement mentionnée par l’encadrement, à tous les niveaux, comme le cadre des valeurs dans lesquelles s’exerce l’activité des personnels. Proposition : S’appuyer sur la déontologie pour affirmer les principes et les valeurs portés par les personnels des forces de sécurité intérieure. Le médiateur interne de la police nationale consacre à son rapport de l’année 2019 un chapitre à la question de la transparence et de l’équité des processus de mutation et d’avancement. Il souligne en particulier le caractère encore trop fréquent des interventions, source d’injustice et d’amertume profonde chez les agents. Il évoque plusieurs situations qui illustrent ce phénomène, conduisant parfois des agents moins anciens et moins bien notés, dans un même service, à bénéficier d’une promotion avant leur collègue mieux évalué. Outre l’incompréhension que cela provoque pour l’agent, ce type de décision a un effet particulièrement néfaste sur le pouvoir hiérarchique local, qui se trouve affaibli et désavoué sur la base de considérations qui ne sont ni objectives ni transparentes. Source d’une « perte de confiance dans le caractère équitable du processus de mutation et d’avancement », cela est aussi de nature à favoriser la multiplication des contentieux, fragilisant ainsi les décisions individuelles prises par l’administration. Il est indispensable de restaurer pleinement cette « confiance, par un processus transparent, équitable et impartial ». D’importants efforts ont été réalisés depuis 2015. Il convient de les consolider, et la réforme du champ de compétence des CAP de mutation et d’avancement engagée par la loi de transformation de la fonction publique 303 doit y aider : la mise en œuvre des lignes directrices de gestion peut être l’occasion de consolider le caractère objectif et non contestable des critères de promotion et de mutation, de manière étroitement concertée avec les représentants des personnels Dans le même ordre d’idées, il convient de limiter fortement le dispositif des permutations, qui peuvent certes présenter un intérêt, mais doivent rester limitées, afin de ne pas écarter des fonctionnaires qui seraient mieux positionnés, et dont le profil aurait été plus adapté. Proposition : Garantir la transparence et l’équité dans la gestion des carrières, qu’il s’agisse des mobilités ou des avancements, en les fondant sur des critères objectifs et incontestables. Le ministère de l’Intérieur a un devoir d’exemplarité en matière d’égalité professionnelle et de diversité, singulièrement dans la sphère de la sécurité. Les hommes et les femmes qui exercent cette mission doivent être à l’image de la société, et cette exigence s’inscrit dans une stratégie de légitimation et de gain en notoriété, autant que d’attractivité et de fidélisation des personnels. Plusieurs des mesures proposées au titre de la construction des parcours professionnels sont de nature à contribuer à l’objectif d’égalité professionnelle. Il en est ainsi, par exemple, de la construction de parcours de carrière qui donnent une visibilité à moyen terme aux personnels sur leurs perspectives, et leurs mobilités professionnelles. Cette approche de moyen terme peut favoriser une meilleure conciliation entre vie privée et vie professionnelle, en permettant d’organiser des périodes de moindre mobilité, et d’autres où celles-ci sont plus faciles à réaliser, en fonction des contraintes personnelles et familiales. La consultation régulière des agents, au cours des entretiens de carrière, sur leurs choix personnels et leurs contraintes éventuelles, et sa prise en compte, participent également de cette démarche. Fondée sur l’identification des potentiels, et le développement des compétences, la constitution de viviers pour l’accès à des fonctions à responsabilité est quant à elle un levier essentiel pour améliorer progressivement la place des femmes dans ces fonctions. Les mesures d’accompagnement social jouent également un rôle essentiel pour améliorer l’égalité professionnelle, et, plus globalement, la qualité de vie au travail, facteur incontesté d’efficacité. Les efforts proposés tant en matière de logement, que de gardes d’enfants ou d’aide à l’emploi du conjoint, sont à cet égard essentiel, tant pour les femmes que pour les hommes des forces de sécurité intérieure. Il conviendra enfin de mieux mesurer les écarts de rémunération, et d’y remédier, s’il apparaît qu’ils sont en partie liés à une distinction liée au sexe, d’autant qu’ils sont plus élevés au sein de la police (22%) et de la gendarmerie (25%) que pour les personnels du secrétariat général (1,3% pour l’administration territoriale et 9,5 % en administration centrale). 304 Livre blanc de la sécurité intérieure Ces propositions rejoignent largement les préoccupations et les pistes de travail suggérées par l’Association « Femmes de l’Intérieur », dans sa contribution aux travaux du livre blanc. Proposition : Intégrer l’exigence d’égalité professionnelle dans la gestion des carrières en fixant des objectifs de parité pour les emplois à responsabilité, en constituant des viviers, en veillant à garantir l’équité dans les promotions. La richesse du ministère de l’Intérieur tient largement à la diversité des personnels qui le composent. Celle-ci ne saurait toutefois conduire à opposer les uns aux autres, en fonction de distinctions statutaires qui ne doivent pas masquer l’importance de la contribution de chacun à un objectif commun et partagé. Policiers et gendarmes, personnels civils, membres des corps de soutien opérationnel de la gendarmerie, et personnels de la police scientifique et technique, tous participent à la mission commune de la sécurité, chacun avec ses particularités et les missions qui leur sont propres. Cette complémentarité mériterait d’être mieux mise en valeur, pour éviter que certains se sentent à l’écart de la communauté de travail, ou relégués dans des missions perçues comme secondaires. Pour ce faire, il convient d’intégrer pleinement l’ensemble des personnels à l’action quotidienne des services, de partager de manière plus transversale les objectifs communs, et de favoriser les échanges, en particulier à l’occasion de formations dans lesquelles tous pourraient se côtoyer. Des formations communes aux différents corps actifs, d’autres associant les personnels civils de la police et de la gendarmerie, à l’occasion de leur prise de fonction par exemple, contribueraient à garantir la cohésion d’ensemble des équipes. Proposition: Renforcer la cohérence et le sentiment d’appartenance à un collectif de travail par la complémentarité entre les corps en s’appuyant notamment sur le développement de formations communes. Si la reconnaissance de l’action des personnels s’exerce à travers la fonction managériale au quotidien, elle doit aussi pouvoir s’exprimer de façon plus forte et plus symbolique à l’occasion de faits particulièrement marquants au cours desquels les individus ont exprimé leur professionnalisme, et leur courage. Ces évènements, qui ont parfois des conséquences tragiques pour les personnels, se sont en particulier manifestés lors des crises terroristes que le pays a traversées depuis quelques années. Rendre hommage aux policiers et aux gendarmes qui ont sacrifié leur vie pour la Nation est devenu l’expression incontournable de cette reconnaissance. L’attribution de décorations constitue également l’une des manifestations de celle-ci. 305 Or force est de constater que la répartition de ces décorations reste encore caractérisée par un double déséquilibre : entre les personnels de la gendarmerie et de la police nationale d’une part, mais aussi, au sein de chacune des forces, au profit des personnels de l’encadrement supérieur. Il est donc indispensable de remédier à ce double déséquilibre, en engageant notamment une action volontariste pour mieux reconnaître les actions des personnels, quel que soit leur statut et leur corps d’appartenance. Cette réorientation, qui sera nécessairement progressive, correspond à une forte attente des agents. Proposition : Favoriser la reconnaissance des personnels par une utilisation plus équilibrée des décorations. 1.6. Renforcer la résilience des personnels et leur protection, en s’appuyant sur une politique d’accompagnement social de proximité La politique d’action sociale constitue un facteur essentiel de cohésion entre les personnels, et d’amélioration de leur intégration professionnelle. Les militaires de la gendarmerie nationale relèvent, en la matière, de l’action sociale du ministère des armées. Quant aux personnels administratifs et techniques, ainsi qu’aux membres des corps actifs de la police nationale, ils relèvent pour certains volets (logement notamment) de la direction des ressources et des compétences de la police nationale, et pour d’autres (restauration en particulier) de la direction des ressources humaines du secrétariat général. La part significative des personnels de police affectés en région parisienne donne à cette politique une importance toute particulière, s’agissant notamment du logement et de la garde d’enfants. Par ailleurs l’importance des risques auxquels sont confrontés les policiers et les gendarmes, comme l’ampleur particulière prise ces dernières années par les cas de suicides de policiers et de gendarmes ont conduit le ministère à mettre en place et consolider un programme de mobilisation contre les suicides qui fait largement appel aux personnels et aux dispositifs relevant de l’action sociale du ministère. Pour approfondir l’ensemble des composantes de cette politique, plusieurs pistes sont proposées.  Proposition : Mettre en place un dispositif d’accueil et d’intégration individualisé des personnels affectés dans les services à la sortie des écoles, en s’appuyant sur le tutorat et sur l’accompagnement social (recherche de logement, aide à l’emploi du conjoint le cas échéant). Les tendances du marché de l’immobilier observées dans certains bassins rendent particulièrement difficile la possibilité, pour un jeune fonctionnaire, 306 Livre blanc de la sécurité intérieure de trouver dans le parc privé un logement correspondant à sa capacité locative en début de carrière. Plus tard, en fonction des évolutions de vie et de la taille du foyer, les difficultés de parcours résidentiel peuvent conduite le fonctionnaire à effectuer une mobilité prématurée et préjudiciable à la stabilisation des équipes. C’est la raison pour laquelle l’accompagnement pour l’accès au logement constitue un levier essentiel de l’aide à l’intégration et à la fidélisation des personnels, en particulier en Île-de-France. La politique ministérielle de logement s’articule autour de trois dispositifs : la réservation de logements sociaux auprès des bailleurs, une garantie de loyer apportée aux bailleurs privés, un prêt ministériel à taux zéro pour aider à l’acquisition de son logement principal. A l’avenir, l’objectif serait de consolider l’ensemble de ces dispositifs, et de mieux les adapter aux besoins géographiques ou sociologiques des agents. Ainsi, il apparaît que si le volume de global des réservations en Île-de-France est déjà conséquent, sa répartition géographique n’est pas toujours adaptée aux souhaits des personnels : certaines communes, particulièrement demandées, proposent une offre insuffisante par rapport aux attentes. Il pourrait être proposé de confier aux préfets de départements concernés le soin de conduire une action auprès des collectivités ou des bailleurs de leur territoire pour favoriser le développement de cette offre. De même, l’offre actuelle comporte un nombre insuffisant de logements de taille à accueillir des familles. Elle pourrait être complétée sur ce point. Les difficultés de logement à Paris et en région parisienne conduisent un nombre croissant de personnes à opter pour le système de la colocation. Il pourrait être intéressant de favoriser ce dispositif à l’attention des jeunes policiers affectés en Île-de-France à la sortie de leur école de formation. La DGPN pourrait, à cette fin, élaborer une plate-forme sur laquelle les personnels intéressés pourraient s’inscrire, ce qui constituerait un mode alternatif d’aide à l’accès à un logement pour ceux qui seraient intéressés par cette formule, qui peut réduire le coût de la location. L’État pourrait se porter garant des loyers, comme il le fait dans le cadre des logements qu’il a en réservation. Cette formule présenterait en outre l’avantage de remédier au sentiment de solitude souvent exprimé par les jeunes policiers affectés sur le périmètre de la préfecture de police. Proposition : Consolider la politique d’aide au logement : – Améliorer l’offre de logement en Île-de-France : élargir le parc de l’offre locative dans les zones denses, l’adapter aux besoins géographiques (communes les plus demandées) et sociologiques (taille des logements). – Mettre en place un dispositif d’aide à la colocation à Paris et en région parisienne avec un guichet dédié. Avec le logement, l’aide à l’accueil de la petite enfance constitue l’un des dispositifs essentiels d’accompagnement à la mobilité des personnels. 307 Le ministère de l’Intérieur dispose en la matière d’une offre consistant, d’une part, dans l’existence de crèches ministérielles, à Paris notamment, au bénéfice des personnels de l’administration centrale ou des services qui s’y trouvent, et d’autre part dans une politique de réservation de berceaux. Cette dernière pourrait être consolidée et étendue, en abaissant le cas échéant le seuil de leur nombre pour être géographiquement mieux adaptée à la demande. Les aides à la garde d’enfant pourraient également être renforcées, quitte, le cas échéant, à en moduler le montant en fonction des revenus des agents. Proposition: Développer l’offre de places en crèches, par des marchés de réservation plus importants en petite couronne et un abaissement des seuils pour rendre l’offre plus flexible et mieux adaptée. Le dispositif de la protection fonctionnelle constitue un élément important qui traduit concrètement le rôle que l’administration doit exercer à l’égard des policiers et des gendarmes pour les défendre lorsqu’ils sont agressés ou mis en cause dans l’exercice de leur mission. Elle a récemment été étendue aux proches des fonctionnaires touchés, ainsi qu’aux fonctionnaires ne faisant pas l’objet de poursuites pénales, par l’article 73 de la loi du 10 août 2018. Elle ne s’applique toutefois pas lorsqu’un policier ou un gendarme est blessé en service, à la suite d’une infraction commise de façon involontaire par un tiers (accident de la route essentiellement). Elle pourrait, dans ce cas, être complétée par la prise en charge par l’administration des frais d’avocat engagés par les intéressés. Ce dispositif s’appuierait sur le système conventionnel existant avec certains avocats ou cabinets qu’il faudrait étendre à ce nouveau champ d’application. Le dispositif serait mis en œuvre aussitôt les conditions réunies et lorsque la protection fonctionnelle ne pourrait être légalement et réglementairement octroyée. Ce nouveau dispositif répondrait aux spécificités inhérentes à la dangerosité des missions exercées par les forces de sécurité intérieure et s’inscrirait dans une politique d’accompagnement des personnels de la police et de la gendarmerie nationale. Il ne se substituerait en aucun cas à la protection fonctionnelle «classique». Celle-ci prévue, par la loi, serait maintenue en l’état et conserverait ainsi toute sa force et son efficacité. Proposition: Mieux protéger les femmes et les hommes des forces de sécurité intérieure en permettant le financement des frais d’avocats pour les policiers et gendarmes blessés en service à la suite d’une infraction involontaire (en complément de la protection fonctionnelle). Confrontés régulièrement à la violence ou à la mort, les hommes et les femmes des forces de sécurité intérieure ont besoin de bénéficier du soutien de professionnels qui les aide à réaliser le nécessaire travail de résilience que leur fonction appelle. 308 Livre blanc de la sécurité intérieure La création par la DGPN, à compter de juillet 2020, d’une plateforme de prise en charge globale des policiers victimes concernant tant les aspects médicaux, que juridiques, sociaux ou psychologiques, gérée par la DRCPN et accessible grâce à un numéro vert ou par mél, répond justement à ce besoin d’accompagnement. Le réseau des psychologues de la police nationale a été renforcé ces dernières années pour faire face au phénomène des suicides. Parallèlement, la gendarmerie nationale dispose de professionnels dans ce domaine, mais dont la présence est inégalement répartie sur le territoire national. La sécurité civile a quant à elle son propre dispositif. Pour densifier et mieux équilibrer la présence géographique des psychologues au service de l’ensemble des forces de sécurité, il serait intéressant de mutualiser ponctuellement le recours à leurs interventions, de manière à atteindre l’objectif de disposer d’un moins un psychologue clinicien par département. Ainsi, des policiers ou des gendarmes qui n’étaient pas identifiés par les psychologues de la gendarmerie ou de la police et qui recourraient soit à des psychologues dans le civil soit ne bénéficiaient d’aucun accompagnement, pourraient désormais être pris en charge par leur institution respective. La prévention des risques psycho-sociaux en serait encore améliorée. Proposition: Densifier l’offre de psychologues dans les départements déficitaires, en jouant sur la complémentarité des dispositifs police, gendarmerie et sécurité civile. 1.7. Adapter l’organisation à cette nouvelle politique de gestion des ressources humaines La mise en œuvre de cette nouvelle politique de gestion des ressources humaines suppose d’adapter l’organisation et le fonctionnement des services de ressources humaines à ces enjeux, tant au niveau de l’administration centrale que des services déconcentrés. 1.7.1. Simplifier la gestion des ressources humaines La gestion des ressources humaines, notamment pour les corps actifs de la police nationale, est devenue trop complexe, entraînant un sentiment d’incompréhension voire de découragement des agents. On peut mentionner par exemple les procédures d’avancement des corps d’encadrement et d’application, qui génèrent des stocks massifs de promouvables, provoquant d’importantes frustrations qui ont participé au développement du malaise policier. C’est le cas également de la multiplicité des voies d’avancement, ou des modalités de répartition des régimes indemnitaires. On peut également évoquer l’existence des deux concours de gardiens de la paix mis en œuvre aujourd’hui, qui ouvrent sur des conditions statutaires d’obligation de servir différentes, et sont source de complexité et d’incompréhension pour les personnels. 309 Il est donc proposé d’identifier toutes les procédures RH dont l’efficacité n’est pas avérée, pour les simplifier et aller vers un dispositif de gestion plus clair et plus compréhensible pour les personnels. C’est d’ailleurs l’un des enjeux majeurs de la légitimité de la politique RH que d’être claire, compréhensible et accessible. La gendarmerie nationale s’est récemment engagée dans cette voie en s’appuyant sur les nouvelles technologies et notamment l’intelligence artificielle. Elle a développé un outil de simulation du parcours de carrière, destiné aux officiers susceptibles de prendre un commandement. Ils peuvent y trouver les postes disponibles ainsi que les pré-requis nécessaires pour y postuler. Ce type d’outils, à destination des personnels, pourrait être développé. Proposition: Simplifier la gestion des ressources humaines et la rendre plus lisible pour les personnels, en s’appuyant notamment sur les nouvelles technologies : mettre en place un simulateur de carrière permettant aux personnels de mieux connaître les perspectives de postes. 1.7.2. Unifier la fonction RH dans l’organisation de l’administration centrale de la police nationale Plusieurs propositions formulées dans le cadre de la concertation insistent sur la nécessité de consolider la place et le rôle de la fonction de pilotage des ressources humaines de la police nationale. Ainsi, selon l’association des hauts fonctionnaires de la police nationale, Il est nécessaire de renforcer la direction des ressources et des compétences. «  Ce renforcement devrait tendre à fusionner les services de ressources humaines (parfois pléthoriques) existants dans les directions centrales, et véritablement unifier cette gestion des ressources humaines, pierre angulaire de toute réforme de fond ». L’organisation de la fonction RH doit être engagée dans le sens de cette unification indispensable, qui sera source de clarification pour les agents, d’efficacité et probablement d’économies pour l’administration. Cette organisation ne saurait laisser de côté la place et le rôle de la direction des ressources humaines de la préfecture de police, dont l’existence ne peut être contestée, mais dont le mode d’articulation, tant en interne avec les directions actives de la PP, qu’avec la DRCPN, est pour le moins perfectible. Dans le domaine de la formation, le déficit de gouvernance résulte de la multiplicité des écoles et des centres d’ingénierie pédagogique, de la fragmentation des formations, et d’une dispersion des priorités, à travers les demandes non coordonnées de chaque direction centrale, ainsi que de la préfecture de police. Dans ce contexte marqué par la diversité des acteurs, il importe de permettre à la DCRFPN d’exercer une fonction centrale de pilotage d’ensemble de la formation continue, permettant une approche intégrée et commune à l’ensemble des corps actifs de la police. 310 Livre blanc de la sécurité intérieure 1.7.3. Rationnaliser l’organisation du recrutement et de la formation de la gendarmerie nationale En ce qui concerne la gendarmerie nationale, l’évolution doit tendre vers une meilleure répartition des missions entre la direction des personnels militaires et le commandement des écoles qui devient l’opérateur unique dans les domaines du recrutement et de la formation. Une réforme est entamée visant à disposer à terme d’un opérateur unique recrutement-formation : l’ensemble de l’ingénierie de recrutement et de formation sera progressivement et intégralement transférée sur les prochaines années, de l’administration centrale de la DGGN vers le commandement des écoles de la gendarmerie nationale (CEGN) à Rochefort. La DGGN sera alors recentrée sur l’ingénierie des compétences, intimement liée à la politique des ressources humaines ; elle aura donc à se concentrer exclusivement sur la déclinaison des missions de politique publique confiées à l’Institution et à définir les capacités à détenir pour pouvoir exécuter ces missions. Proposition: Unifier la fonction RH au niveau de l’administration centrale, dans chacune des forces : supprimer les services RH des directions d’emploi de la DGPN, développer la capacité de gouvernance des directions RH sur l’ensemble des services qui en relèvent. 1.7.4. Renforcer résolument la déconcentration de la gestion des ressources humaines Déconcentrer la gestion des ressources humaines de la police nationale est une nécessité qui conditionne en grande partie la réussite effective de la transformation proposée et la réalité de sa déclinaison dans l’ensemble des services sur le territoire. La question se pose du niveau et de la forme que doit prendre cette déconcentration. Aujourd’hui, la gestion des ressources humaines de la police nationale dispose, pour une partie des compétences exercées, d’un échelon unique de déconcentration, qui est celui de la zone. Les SGAMI, qui sont prioritairement en charge des fonctions de soutien immobilier et logistique de la police et de la gendarmerie, exercent également, dans le domaine des ressources humaines, les missions suivantes : –  gestion des CAP locales de mobilité et d’avancement des gardiens de la paix ; –  gestion de la paye de tous les personnels du ministère dans leur périmètre géographique de compétence ; –  gestion d’une partie des procédures disciplinaires des gardiens de la paix. La déconcentration de la gestion des ressources humaines de la police nationale est donc aujourd’hui relativement limitée à quelques fonctions de gestion administrative. 311 Il est préconisé de porter une déconcentration plus affirmée et plus robuste, garantissant la mise en place d’une véritable gestion de proximité, individualisée et qualitative. Cette déconcentration a vocation à porter plus particulièrement sur les missions suivantes : suivi des carrières des personnels, par le biais de conseillers dédiés, qui seront les interlocuteurs de proximité des agents ; déclinaison territoriale des nouvelles mesures proposées en matière d’évaluation et de management ; plus généralement, animation locale des nouvelles dispositions contenues dans le volet RH. La formation relève quant à elle de la direction centrale du recrutement et de la formation, qui dispose déjà de délégations territoriales dont il conviendra de conforter le rôle. Pour organiser cette déconcentration, deux options sont envisageables. La première d’entre elle consisterait à confier ces nouvelles missions aux SGAMI. Cette option présente l’avantage de la cohérence par rapport au modèle existant : on s’adosserait au niveau zonal, et plus particulièrement aux DRH des SGAMI. Mais le poids des missions logistiques et immobilières de ces derniers, appelé à s’accentuer encore avec la mise en œuvre de la loi de programmation, risque de reléguer au second rang la fonction RH, qui pourrait se retrouver diluée parmi d’autres priorités, d’autant que les équipes des SGAMI sont importantes (à titre d’exemple, le SGAMI-Est compte près de 900 agents, qui sont en grande partie des techniciens, des ingénieurs, ou des personnels actifs). En outre, il convient de rappeler que les SGAMI assurent également le soutien technique au profit de la gendarmerie nationale. Par ailleurs, le périmètre géographique des zones n’est pas toujours approprié pour mettre en place une véritable gestion RH de proximité. Si cette option devait être retenue, il conviendrait de l’organiser autour de délégations territoriales adaptées, au moins pour les zones les plus vastes. Enfin, le pilotage central des SGAMI, réparti entre plusieurs directions ou entités du ministère, est déjà complexe. Dans ce contexte, la capacité d’articulation du niveau local avec le rôle d’impulsion de la DRCPN, n’est pas assurée. Une deuxième solution serait de doter la DRCPN d’instances locales déconcentrées (au niveau zonal ou inter-régional) assurant la déclinaison territoriale de sa politique. Il convient de rappeler que la DRCPN dispose déjà de deux réseaux, aujourd’hui distincts : celui des conseillers parcours professionnels, présents dans chacune des zones de défense, et rattachés au bureau des officiers de police. Ils assurent l’accompagnement professionnel des officiers, mission qui s’inscrit directement dans les préconisations proposées ci-dessus sur la construction des parcours de carrière. Le second réseau est celui des conseillers mobilité carrière, dont les missions sont également directement inscrites dans une gestion qualitative. Les conseillers mobilité carrière remplissent néanmoins plutôt un rôle à l’attention des agents qui souhaitent quitter la police nationale. Les deux réseaux pourraient être fusionnés et leur activité étendue à l’ensemble des agents gérés par la DRCPN, à l’exception des commissaires, dont le nombre et la nature de la carrière justifient qu’ils restent gérés au niveau central. Ces délégations feraient partie intégrante de la DRCPN, dont elles seraient les échelons de mise en œuvre et de déclinaison territoriale. Elles ne fonctionneraient toutefois pas sans lien avec les équipes RH des SGAMI (notamment pour les gardiens de la paix) qui continueraient à exercer leurs missions actuelles. Cette nouvelle organisation pourrait s’accompagner 312 Livre blanc de la sécurité intérieure d’un renforcement accru de la déconcentration des actes de gestion, mobilité et avancement. Quelle que soit l’organisation retenue, elle devra veiller à prendre en compte la situation particulière de la zone Île-de-France. Il conviendra de veiller à ce que la gestion RH des personnels de la préfecture de police soit pleinement intégrée à la mise en œuvre des mesures du livre blanc. Pour la gendarmerie nationale, il convient de procéder à une montée en compétence de la chaîne RH à la DPMGN et en région ou dans les autres formations administratives de la gendarmerie. Elle se traduira par une formation de cinq jours au profit de tous les acteurs RH à partir du niveau chef de section. Proposition: Déconcentrer l’exercice de la fonction RH au niveau le plus pertinent, s’agissant notamment des mesures de gestion qualitative proposées dans ce document : entretiens et conseils de carrière, suivi du nouveau dispositif d’évaluation, accueil des nouveaux arrivants... L’ensemble des propositions formulées pour améliorer la gestion des ressources humaines des policiers et de gendarmes doivent faire l’objet d’un approfondissement dans le cadre d’une étroite concertation avec les représentants des personnels et la chaîne de concertation en gendarmerie. Elles pourraient constituer le socle d’un agenda social permettant d’associer les personnels, à travers cette concertation, à la mise en œuvre de cette nouvelle politique. 2. Se donner les moyens de la sécurité de demain Construite à partir de la cartographie des risques et des menaces, la politique de sécurité intérieure doit pouvoir d’appuyer sur des moyens matériels opérationnels, modernes et efficaces. C’est une condition indispensable pour l’efficacité de l’action, et c’est l’une des premières attentes des personnels. Cependant, la priorité donnée depuis plusieurs années aux crédits de personnels a conduit à l’érosion des moyens budgétaires consacrés à l’investissement et au fonctionnement des services de sécurité intérieure, provoquant le vieillissement prématuré des matériels comme du parc immobilier, et retardant les investissements à faire dans les nouvelles technologies. Il paraît donc indispensable de stopper cette évolution, et d’opter pour un plan pluri-annuel ambitieux de remise à niveau d’abord, de modernisation ensuite, des moyens de la police et de la gendarmerie nationale. Ce programme sera fondé sur l’élaboration d’une stratégie capacitaire attestant de la volonté d’inscrire ces investissements dans un cadre construit, cohérent et suivi, destiné à garantir la résilience du ministère dans la gestion de crise, l’adéquation des équipements au degré et à 313 l’intensité de l’engagement des forces comme à l’évolution des pratiques et des technologies, et financer les mesures d’accompagnement en matière de ressources humaines proposées plus haut. Ce constat et cette analyse ont été élaborés avant la crise sanitaire provoquée par la COVID-19 en mars 2020. Mais même si les hypothèses de calcul envisagées seront inévitablement rebattues dans un contexte économique nouveau et inédit, la gestion de la crise sanitaire aura inéluctablement révélé les investissements majeurs à prévoir pour les forces de sécurité intérieure, mettant, avec d’autant plus d’acuité, en évidence la pertinence du constat du Livre blanc. 2.1. F ixer un objectif pluriannuel pour la mission « sécurités » : atteindre 1 % du PIB en 2030 Sur la période 2017-2020, le budget du ministère de l’Intérieur a augmenté de 11 % pour la police (757 M€) et de 6 % pour la gendarmerie (301 M€). Cette augmentation porte essentiellement sur les dépenses de personnel : 740 M€ dans la police (+ 12,4 %) et 290 M€ dans la gendarmerie (+ 7,4 %). En trois ans, les dépenses de fonctionnement et d’investissement (crédits hors titre 2) ont moins augmenté que les crédits de personnel, mais sont à un niveau sans précédent. L’effort de « rattrapage », décidé en 2015, dans l’urgence des premiers attentats terroristes, qui avait été conçu pour être temporaire, a été pérennisé, consolidé et rendu durable. Les crédits hors titre 2 de la police et de la gendarmerie atteignent ainsi aujourd’hui 2,3 Md€, soit une hausse de 12 % par rapport à 2015. Ces crédits sont cependant insuffisants pour assurer la pérennité des investissements dans l’adaptation des équipements, les innovations technologiques, la résilience du ministère, et l’immobilier des forces de sécurité intérieure. Adopter un plan ambitieux pour le ministère de l’Intérieur L’ampleur des investissements à réaliser justifie l’élaboration d’une loi de programmation qui permette d’inscrire dans le temps cette nouvelle stratégie capacitaire. Cette loi de programmation permettra de donner la visibilité et la stabilité nécessaires pour construire les projets structurants du ministère en matière immobilière et technologique. Il s’agit de faire porter cette ambition par un objectif politique fort : les crédits de la mission sécurité doivent représenter 1 % du PIB en 2030, avec une mise en œuvre sur deux lois de programmation. Cette progression substantielle ainsi calculée correspond également à un changement de paradigme aux effets vertueux : d’une négociation annuelle avec la direction du Budget, basée sur une liste de demandes ponctuelles, les forces de sécurité intérieure pourraient aborder l’engagement des investissements selon une réflexion pluri-annuelle des besoins indispensables à prioriser. Au début de l’année 2020, l’ensemble des crédits consacrés à la sécurité intérieure (mission Sécurités, crédits informatiques liés, lutte contre l’immigration irrégulière) représentent 0,88% du PIB(70). Avec une hypothèse de croissance du PIB de 1,5% par exemple, l’objectif fixé représente une 70 314 Hypothèse PIB 2020 : 2 420 Mds€. Livre blanc de la sécurité intérieure augmentation des crédits de la mission sécurités d’un peu plus de 6,7 milliards € sur 10 ans et de 3 milliards entre 2020 et 2025(71). Sans cette augmentation, l’effort nécessaire pour maintenir le niveau des moyens budgétaires arrimé à 0,88% du PIB serait de 340 M€ par an en moyenne sur 2020-2030, avec une hypothèse de croissance du PIB de 1,5% par an. La trajectoire proposée permet en réalité d’éviter une érosion du pouvoir d’achat du ministère, tant la masse salariale que les loyers, le carburant, l’équipement ont une dynamique qui n’est pas correctement prise en compte. Une cible adossée au PIB plutôt qu’une augmentation dans l’absolu serait de nature à assurer aux forces de sécurité de disposer dans la durée des moyens nécessaires à leur bon fonctionnement. La trajectoire envisagée permettrait également à la fois les rattrapages nécessaires, notamment dans les domaines de l’immobilier et des véhicules, et de faire face à l’évolution des menaces avec des moyens nouveaux. L’enveloppe ainsi dégagée permettra de financer des mesures relevant non seulement des programmes de la police et de la gendarmerie nationales mais également du programme Conduite et pilotage des politiques de l’Intérieur et du programme Immigration et asile. La trajectoire « ambition 1 % » ainsi dessinée devait s’inscrire dans le cadre du projet de loi de finances 2021, pour lequel les travaux étaient d’ores et déjà en cours au moment de la rédaction du Livre, ainsi que pour la loi de programmation des finances publiques 2021-2023. La trajectoire étudiée dans le cadre du Livre blanc présente, à la suite de l’exercice de définition des enjeux capacitaires qui a été conduit par les directions et services, une capacité d’adaptation pour s’intégrer dans un plan de relance de l’économie que pourrait lancer le gouvernement à l’issue de la crise sanitaire. Renforcer l’efficience de la dépense Pour assurer ce programme ambitieux, la recherche de contreparties paraît nécessaire pour en garantir la pertinence et le bien fondé. La cohérence d’ensemble du Livre blanc permet d’identifier des sources d’économies significatives liées à la réorganisation de l’administration centrale de la police nationale. Des efforts seront aussi demandés à la gendarmerie nationale et à la sécurité civile (mutualisation des acquisitions notamment les moyens aériens et complémentarité). La stratégie immobilière, visant un retour en domanialité, est vertueuse et de nature à dégager des économies en termes de loyers. La réhabilitation du parc immobilier et les constructions nouvelles aux normes environnementales permettront de réaliser une réduction notable de la consommation d’énergie. Enfin, une optimisation du parc automobile, notamment à travers la gestion de flottes, et le renouvellement par des véhicules propres, généreront des économies de carburant. 71 A noter que l’hypothèse de travail a été étudiée en prenant en compte le CAS (compte d’affectation spéciale) pensions et en intégrant le glissement- vieillissement – technicité. 315 Le renforcement des moyens de fonctionnement et d’investissement pourrait également s’accompagner d’une politique d’optimisation des dépenses qui pourrait s’appuyer sur les actions suivantes : –  l’optimisation des recettes extra-budgétaires à travers le renforcement de l’expertise en matière de fonds communautaires, une meilleure valorisation des prestations réalisées au profit des acteurs publics et privés et une valorisation du patrimoine immatériel. Cela passe également par la possibilité pour les collectivités locales de cofinancer des projets immobiliers, en particulier ceux de la police nationale ; –  le recours à l’externalisation, fondée sur la subsidiarité et la proximité ; –  la réalisation de projets immobiliers dont le retour sur investissement est rapide pour l’Etat ; –  le déploiement d’outils budgétaires adaptés à une meilleure gestion des crédits et la diffusion des bonnes pratiques grâce à la mise en place de méthodes de travail rénovées renforçant la dimension pilotage de la fonction financière au regard de la seule approche gestion ; –  la conduite d’un chantier visant à réviser la cartographie budgétaire afin de prendre en compte l’impact des réorganisations prévues dans le Livre blanc, mais aussi pour assurer une bonne adéquation missions / décisions / moyens. Cela passe également à travers le renforcement d’une programmation budgétaire pluriannuelle des équipements des services opérationnels. 2.2. Franchir le mur technologique pour protéger et accompagner une société connectée Dans un contexte de risques accrus liés à des cyberattaques et alors que la France s’apprête à accueillir parmi les plus grands évènements sportifs mondiaux, il devient urgent d’investir massivement dans le domaine technologique. Le territoire numérique est en effet un nouvel espace où les attentes de la population en matière de sécurité progressent. Ces attentes recouvrent le développement de nouveaux points de contacts (brigade numérique, plateforme de signalement) et de facilités pour s’informer et déposer plainte, mais également une protection renforcée (cyber-renseignement, cyber-investigation) qui impose de nouveaux moyens. Les évolutions technologiques sont également un vecteur potentiel d’amélioration de la formation, tant par les dispositifs de e-learning que par les nouvelles possibilités qu’offrent les simulations (tir, intervention, …). L’équipement des écoles doit par ailleurs permettre l’apprentissage des nombreux applicatifs informatiques indispensables aujourd’hui au travail des forces de sécurité. La performance de l’action des forces de sécurité passe aussi bien par la prise en compte des évolutions des usages sociétaux que par l’adaptation continue des moyens d’action. Cette contemporanéité s’incarne dans plusieurs projets qu’il est nécessaire de mener à bien. 2.2.1. Transformer les systèmes et applications C’est tout d’abord l’interopérabilité des fichiers centraux européens qui vont impacter les systèmes nationaux en favorisant le recours aux biométries dans les domaines des polices administrative et judiciaire. 316 Livre blanc de la sécurité intérieure C’est ensuite le développement de l’offre numérique publique de la gendarmerie et la police nationales (généralisation de la plainte en ligne) qui permettra une plus grande efficience dans la gestion tant des enquêtes que des attentes du citoyen. C’est enfin la procédure pénale numérique qui contribuera à fluidifier les échanges entre forces de sécurité intérieure et magistrats. Elle représente un enjeu majeur et permettra de dégager les praticiens d’actions chronophages. Dans le même temps, le basculement vers l’identité numérique des Français (programmes CNIe, IDNum) sera organisé en offrant des services et un écosystème de citoyenneté cybersécurisée. 2.2.2. Rénover les infrastructures et systèmes d’information La robustesse d’un tel développement nécessite bien entendu l’amélioration de la résilience des infrastructures critiques que sont les centres d’hébergement de données par le renouvellement de certains matériels (baies, climatiseurs…). Une augmentation capacitaire sera nécessaire afin d’être en mesure de fournir la puissance informatique indispensable aux nouvelles applications via la création de nouveaux datacenter. L’amélioration des réseaux est un corollaire obligatoire afin de garantir une augmentation des débits et sera l’occasion d’anticiper la fin du réseau téléphonique à base de fil de cuivre programmé pour 2023. Ces installations, dont le fonctionnement devra être garanti en temps normal comme en temps de crise, devront être maintenus par des personnels spécialisés dont la disponibilité sera garantie. Les systèmes d’information centraux du ministère ont besoin d’être rénovés : la dette technique applicative est constituée de l’écart entre l’état de l’art et les composants qui constituent les applicatifs. Elle se matérialise également par la qualité des systèmes d’information produits (qualité du code produit, cybersécurité, RGPD), les conditions de maintenance ou la gestion de son cycle de vie. Outre les coûts récurrents de nonqualité qu’elle engendre, elle a également un impact sur la gestion des compétences des techniciens et des ingénieurs qui interviennent sur les systèmes d’information. En outre, le ministère doit doter ses sites des outils de protection les plus modernes pour en assurer une protection optimale. Le renouvellement des caméras, l’interconnexion des sites centraux (vidéo-protection) avec renvoi d’images inter-sites, le déploiement d’une solution de reconnaissance faciale apte à rechercher des individus sur critères spécifiques, ou encore la rénovation de la protection des sites de la préfecture de police sont autant de chantiers à poursuivre. 2.2.3. Investir dans l’intelligence artificielle La performance future dépend également d’une meilleure utilisation des données disponibles. C’est ainsi que l’acquisition de capacité d’intelligence artificielle, la modernisation cartographique, la gestion prévisionnelle, la récupération des données de tiers s’avèrent nécessaires pour améliorer l’agilité de la réponse opérationnelle des unités. Ces évolutions seront conduites dans le respect des libertés individuelles et des règlements relatifs à la protection des données. 317 2.2.4. Développer la lutte contre les cyber-menaces Depuis l’élaboration du plan ministériel relatif à la lutte contre les cybermenaces en 2014, la lutte contre la cybercriminalité figure au rang des priorités d’action du ministère de l’Intérieur. Cette lutte passe par une réadaptation des moyens (analyse des équipements mobiles, investigations dans le darkweb etc) pour conduire les investigations dans un monde toujours plus connecté. La montée en puissance d’un service à compétence nationale dédié à la cybersécurité (cf. livret III) reposera sur sa capacité à prendre en compte l’ensemble du champ par des moyens technologiques à la hauteur. 2.2.5. Évoluer vers une mobilité accrue En embarquant des moyens mobiles NEO capables de dispenser de l’information, les agents de terrain pourront, plus rapidement, informer le public en exploitant des bases de renseignements nationales, obtenir euxmêmes de l’information par un accès immédiat aux différents fichiers « métiers », gérer les moyens mis à leur disposition, se géolocaliser et alerter leur centre commandement en cas d’événements majeurs via la géomatique et la cartographie intelligente. Des extensions des programmes d’agent mobile (NEO) en intégrant de nouvelles fonctionnalités (communication multicanale, contrôles biométriques…) seront développées, couplées à l’usage de véhicules connectés (voitures, drones). Il est envisageable par la généralisation de ces bulles « informationnelles » englobant agents de terrain déconcentrés et structures de commandement de mettre en place des commissariats ou brigades mobiles, implantés là où l’actualité le demande et donc de rationaliser l’implantation physique de bureaux moins fréquentés. 2.2.6. Mobiliser les capacités de brouillage et de communication et financer la recherche Le champ des ondes électromagnétiques ne doit pas être négligé. Double enjeu de sécurité et de souveraineté, les capacités de brouillage (drone ou téléphonie), comme les capacités de commandement (PC STORM, Réseau radio du futur) sont indispensables lors d’interventions ou de services d’ordre. La captation de données est également essentielle dans le domaine du renseignement ou de l’investigation (IMSI CATCHER…). Enfin et afin de conserver des forces de sécurité inscrites dans la modernité et connectées avec la société, il serait opportun de dédier une enveloppe de crédits recherche au financement de projets innovants consacrés au développement de nouvelles technologies, à la modernisation de l’armement et de l’équipement des forces et au développement de logiciels. 318 Livre blanc de la sécurité intérieure 2.3. Investir dans l’immobilier pour mieux accueillir le public et donner aux agents un environnement de travail satisfaisant 2.3.1. Rénover le parc immobilier, condition indispensable de la qualité de l’accueil et des conditions de travail Lors des concertations conduites avec les personnels, la question de l’environnement de travail (commissariats, brigades et logements pour les gendarmes) est apparue comme l’une de leurs premières préoccupations. Conditionnant la qualité de l’accueil, comme les conditions de travail, l’état du parc immobilier nécessite de réaliser un effort conséquent : remédier à la vétusté des locaux de travail et d’habitation, renforcer la sécurité des installations, mettre à niveau les crédits consacrés à l’entretien du parc, très inférieurs au niveau nécessaire pour éviter la dégradation des bâtiments sont autant de nécessité formulées par les personnels comme impératives. La stratégie immobilière pour les forces de sécurité intérieure pourra s’articuler autour des orientations suivantes : –  assurer l’entretien et le renouvellement du parc domanial ; –  couvrir les besoins capacitaires ou fonctionnels nouveaux ; –  financer les projets domaniaux d’envergure (remise à niveau du plateau de Versailles Satory en particulier les installations du GIGN et du GBGM, rénovation en profondeur de l’EOGN et du quartier Lemaître à Melun, création d’un hôtel de police de Marseille ou encore celui de Nice partagé avec les effectifs de la police municipale, site unique DGSI…) ; –  viser un retour en domanialité (construire de nouveaux commissariats et de nouvelles casernes de gendarmerie en lieu et place de certaines locations vétustes) ; –  s’inscrire dans les nouveaux enjeux de développement durable ; –  se mettre à niveau des normes antisismiques voire anticycloniques Outremer. La qualité de vie au travail et la sécurité renforcée des personnels dans un contexte de sollicitation importante et de menaces terroristes durables, passent pour partie par la construction et la rénovation des brigades et commissariats aptes à répondre à ces exigences : des locaux de vie suffisants, des bâtiments modernisés (pour répondre aux enjeux du développement durable ou aux nouvelles exigences de formation au tir), mieux entretenus (cet entretien préventif garantissant une longévité accrue du bâti) et sécurisés (sécurité passive renforcée, meilleure gestion des flux public / interne / mis en cause). De plus, la police et la gendarmerie nationales s’inscrivent pleinement dans la démarche de transparence et de qualité du service rendu aux usagers. Les locaux de service sont ouverts à des personnes sensibles. Il s’agit notamment des victimes, adultes, mineurs, personnes âgées, personnes à mobilité réduite, des professionnels de l’aide aux victimes (psychologues, intervenants sociaux, permanences d’association) ainsi que des personnes gardées à vue. Il est nécessaire d’accompagner la transformation physique de la chaîne d’accueil du public permettant l’accès aux commissariats et brigades, le pré-accueil et l’orientation des usagers, l’adaptation des conditions d’attente, mais également de locaux de prise de plainte ou d’accès aux 319 différents services. Il convient également de réaménager et développer les locaux destinés aux dispositifs d’aide aux victimes, catégorie spécifique d’usagers, notamment avec la création des pôles psycho-sociaux dans le cadre de la sécurité du quotidien et plus particulièrement pour lutter les violences intra-familiales. Enfin, le plan immobilier doit également concerner les locaux de sûreté. L’effort soutenu depuis plusieurs années sur la remise aux normes des locaux de garde à vue vise ainsi à assurer que les services de gendarmerie et de police puissent garantir non seulement la sécurité et la dignité des mis en cause, mais également des conditions de travail convenables pour les personnels et les professionnels (avocats, médecins) qui y interviennent, tout en repensant les flux de circulation pour assurer la sécurité de tous. Les investissements en matière de construction et de réhabilitation n’ont de sens que si les services de police et de gendarmerie disposent des capacités d’entretien afin de limiter les travaux d’urgence et repousser ainsi les nécessités d’investir de nouveau lourdement. C’est pourquoi, une programmation pluriannuelle au profit des forces de sécurité nécessite que des moyens financiers soient alloués à cet entretien quotidien, permettant de maintenir les locaux dans des conditions opérationnelles adaptées et garantissant une qualité de vie professionnelle satisfaisante. 2.3.2. Favoriser les financements innovants Des modes de financement alternatifs et innovants pourraient être étudiés. Le recours aux marchés de partenariat pour traiter les opérations du haut du spectre, issu de l’ordonnance sur les marchés publics de 2015, vise, dans une logique pragmatique d’externalisation ciblée et maîtrisée, à réaliser les opérations d’investissement complexes de plus de 50 M€. Ce montage de type partenariat public-privé présente les avantages de performance de la commande publique, capacité du partenaire privé à réaliser l‘opération dans des délais restreints, maîtrise et partage des risques, robustesse financière garantie par le contrat, logique patrimoniale en coût global, intégrant les dépenses ultérieures de maintenance et d’entretien mais également le progrès technique ou encore le retour en pleine domanialité à l’issue du contrat. Ce mode de financement offre l’avantage de lisser les crédits de paiement sur toute la durée du contrat. Il nécessite toutefois de conserver une forte expertise en régie au sein de la chaîne affaires immobilières du ministère. Le recours au co-financement public de type « Intracting » constitue également une source innovante de financement. L’État l’ADEME et la Banque des Territoires, se sont engagés ensemble sur la période 2018-2022 à la mise en place d’un programme d’actions pour améliorer la performance énergétique du patrimoine immobilier des collectivités territoriales, afin de réduire le coût de fonctionnement des bâtiments. Identifié sous le néologisme « intracting » (contraction de « internal contracting », pour « accord interne » au sein d’une même entité), ce dispositif innovant s’inscrit dans le cadre du Grand Plan d’Investissement et du plan de rénovation énergétique des bâtiments. Le remboursement des sommes empruntées s’appuie sur les économies de dépenses énergétiques. Originellement, l’objectif est de réaliser de petits travaux à fort effet de levier. Une fois que le dispositif aura démontré son efficacité dans le plan défini, le recours à l’Intracting pourrait être élargi à des projets immobiliers étatiques - le cas 320 Livre blanc de la sécurité intérieure échéant avec des avances à taux zéro – afin de faciliter le financement mixte de projets dimensionnants. Le recours à la délégation de maîtrise d’ouvrage aux collectivités territoriales doit être pérennisé. L’article L.1311-4-1 du code général des collectivités territoriales dispose que « jusqu’au 31 décembre 2020 les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale peuvent construire, y compris sur les dépendances de leur domaine public, acquérir ou rénover des bâtiments destinés à être mis à la disposition de l’État pour les besoins de la justice, de la police ou de la gendarmerie nationales ». Une convention entre l’État et la collectivité ou l’établissement propriétaire précise notamment les engagements financiers des parties, le lieu d’implantation des constructions projetées et le programme technique de construction. Elle fixe également la durée et les modalités de la mise à disposition des constructions. Ce dispositif permet aux collectivités de prendre en charge le financement de bâtiments au profit de la police ou de la gendarmerie nationales. Selon la volonté et les capacités financières des collectivités, la mise à disposition peut être gratuite ou moyennant un loyer. Il conviendrait de pérenniser ce dispositif au-delà du 31 décembre 2020. Enfin, l’hypothèse de création d’une société foncière en charge du maintien en condition, de la gestion et de l’exploitation du parc domanial pourrait être expertisée. Sans précédent dans ce domaine, et au regard du caractère potentiellement irréversible d’une telle solution, une étude préalable complète doit toutefois être diligentée en amont afin d’en envisager la faisabilité. En outre, il semble plus prudent d’expérimenter un tel scenario sur un périmètre plus réduit, par exemple une région. 2.3.3. Se montrer ambitieux sur les normes environnementales Les investissements envisagés respecteront la volonté de l’État d’être exemplaire en matière d’environnement. Outre la prise en compte des obligations réglementaires qui s’imposent à tout maître d’ouvrage public ou privé, en particulier dans le domaine des constructions neuves, le ministère s’est résolument investi dans une démarche systématique d’exploitation de toutes les pistes envisageables au titre de la transition énergétique. À titre d’exemple, il convient de citer les audits énergétiques et d’empreinte carbone, le développement des certificats d’économie d’énergie (CEE) en partenariat avec les fournisseurs d’énergie, la valorisation du parc grâce au recours à des énergies renouvelables (installation de panneaux photovoltaïques, éclairage solaire et création d’ombrières sur les anciennes emprises), le raccordement de près de 70 sites significatifs aux réseaux locaux de chauffage urbain, lequel introduit dans le mix énergie 70 % d’énergie renouvelable, mais également des actions en faveur de la biodiversité (apiculture, réponse aux appels à projets, etc.). Des études prospectives sont systématiquement lancées dans tous les domaines innovants et potentiellement prometteurs : la récupération de la chaleur fatale dégagée par les data centers sur les sites de Rosny-sousbois (93) et Nanterre (92), l’étude relative à la mise en place d’un système de méthanisation à partir du fumier équin, au sein du quartier Goupil, l’installation de bornes électriques dans les parkings, l’expérimentation sur les destratificateurs visant à mieux répartir la chaleur dans les locaux offrant des hauteurs sous plafond atypiques. 321 Ainsi, la prise en compte de travaux de rénovation énergétique figure parmi les axes prioritaires, au même titre que la sûreté des personnes et des emprises, le traitement du clos et du couvert et l’amélioration des conditions de vie et de travail. 2.4. Adapter les équipements pour assurer au quotidien la sécurité des Français Police et gendarmerie nationales assurent la sécurité de tous, en tout temps et en tout lieu. Elles ont été en mesure, ces dernières années, de répondre aux nouvelles formes de menaces en s’adaptant rapidement, en se réorganisant, ou en développant de nouvelles doctrines d’intervention. Si pour y parvenir, les forces de sécurité intérieures ont bénéficié de plans particuliers d’équipement ou de moyens humains supplémentaires, il convient aujourd’hui de redéfinir les bases du contrat opérationnel. En effet, le socle de fonctionnement doit être conforté, d’une part pour couvrir les besoins élémentaires en petits équipements courants d’intervention et, d’autre part, pour permettre l’utilisation normale des moyens mis à disposition (baux, carburant, énergie notamment). Conscientes de la nécessité de lutter contre les déficits et soucieuses de la transparence et de la qualité du service rendu, police et gendarmerie nationales mettent également en œuvre des politiques réalistes de réduction des coûts et d’amélioration du service aux usagers. 2.4.1. Rénover le parc automobile Le parc automobile de chacune des deux forces est composé d’environ 30 000 véhicules (hors moyens nautiques, aériens, remorques) qui ont une ancienneté moyenne de 6 à 7 ans et un kilométrage supérieur à 100 000 km. Le vieillissement des véhicules occasionne des dépenses d’entretien et de maintenance plus importantes qu’un véhicule récent. D’un point de vue opérationnel, il peut limiter l’efficacité de l’action des forces. Ainsi, les véhicules anciens sont plus régulièrement et plus longuement immobilisés pour des opérations de maintenance et d’entretien. Le renouvellement des moyens mobiles devient, dans ce contexte, une priorité. Parallèlement, les capacités d’entretien et de réparation des véhicules doivent être renforcées. La filière des personnels des ateliers automobiles est en tension. L’indisponibilité des véhicules ou les délais de réparation étant source de préoccupation dans les unités, une optimisation de la maintenance, en envisageant notamment, sous certaine condition (distance, sécurité, ...), une externalisation de celle-ci, est à rechercher. Par ailleurs, en matière de moyens mobiles, les forces de sécurité sont confrontées à une double injonction souvent contradictoire. D’un côté, la persistance de la menace terroriste ou d’événements de voie publique exigent des équipements « lourds » (gilets pare-balles, fusils d’assaut HK G36, casques pare-balle, boucliers, lanceurs de balles de défense) et doivent, à ce titre, disposer de véhicules à forte capacité d’emport. De l’autre, l’évolution de la réglementation en matière de pollution couplée à l’exigence d’exemplarité attendue des services de l’État incitent les forces 322 Livre blanc de la sécurité intérieure de l’ordre à faire le choix de véhicules plus petits, moins lourds et donc moins polluants. À ce stade, le parc automobile ne répond pleinement à aucune de ces deux injonctions : la physionomie des véhicules n’est généralement plus adaptée à l’équipement de ses occupants et le mode de propulsion, principalement diesel, ne coïncide pas avec l’objectif gouvernemental de réduction des particules fines ou de sortie du diesel dans les grandes agglomérations. Le renouvellement du parc pourrait être l’occasion de concilier ces deux injonctions, notamment par l’achat de véhicules hybrides. La stratégie de renouvellement des moyens mobiles consistera donc à maîtriser le vieillissement du parc et ses incidences budgétaires et opérationnelles et à mettre en conformité les véhicules des forces de police avec les attendus opérationnels des services, tout en assurant l’exemplarité du ministère en termes d’exigences environnementales. 2.4.2. Rationaliser et trouver des alternatives à l’achat des véhicules Le plan de renouvellement automobile (PRA) ne répond que partiellement à la demande des services de renouveler rapidement les véhicules accidentés ou à fort kilométrage (délai minimum d’un an entre la commande et la livraison). Pour renouveler le parc tout en conservant une certaine flexibilité, il serait souhaitable de diversifier les canaux de renouvellement du parc automobile. Depuis un an, dans l’esprit de celle réalisée en gendarmerie nationale, le service de l’achat, de l’innovation et de la logistique du ministère (SAILMI) a entrepris une démarche de normalisation du parc de la police nationale en réduisant, par segments, les types de modèles proposés. Il apparaît pertinent de poursuivre cette démarche pour des raisons économiques (coût d’achat et de réparation). Cette standardisation est à pondérer des besoins des services spécialisés. Une politique d’expérimentation avant acquisition dans les services opérationnels permettrait de valider le modèle proposé par les titulaires des marchés publics, ainsi que les options à retenir, pour concilier prix et besoins des services et in fine s’inscrire dans la démarche de rationalisation des coûts et de qualité des prestations rendues (par exemple délais d’intervention, transport en sûreté des usagers contraints et des fonctionnaires de police). En complément du PRA, le recours à la location ou à location longue durée pourrait être élargi. La location est particulièrement indiquée pour des missions ponctuelles, nécessitant des véhicules banalisés sur une courte durée. Une convention avec un loueur et une enveloppe (droits de tirage) à disposition des services pourraient facilement être mises en place. Les saisies criminelles constituent également un complément aux dotations. Dès lors qu’une procédure judiciaire démontre un enrichissement du mis en cause, un volet patrimonial est initié. Les objectifs de celui-ci sont l’identification, la saisie et la confiscation définitive des avoirs criminels (liquidités, comptes bancaires, biens meubles et immeubles, etc...). L’État s’est organisé pour gérer les avoirs saisis ou confisqués, en tirer une ressource pour contribuer à l’indemnisation des victimes et alimenter le budget général de l’État et le financement de ses services. Une partie des gains peut être attribuée aux forces de sécurité, par l’intermédiaire de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) et 323 de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA). Il conviendrait d’étendre la procédure de saisieattribution aux véhicules saisis dans des affaires de trafic de stupéfiants. Actuellement, lorsque des véhicules sont saisis dans le cadre d’une procédure relative aux stupéfiants, même si leur utilisation est autorisée avant jugement, ils sont restitués aux domaines en vue de leur vente pour abonder le fonds de concours anti-drogue piloté par la MILDECA. Or, lorsque le jugement intervient, ces véhicules ont souvent une valeur vénale faible et l’intérêt pour le fonds de concours est minime, voire inexistant puisque ces véhicules sont souvent détruits, ainsi la compensation financière pèse peu au regard de la valeur utile. Un projet de remontée automatisée des saisies des avoirs criminels, via les logiciels de procédure est en cours permettant un gain de fiabilité ainsi qu’un rapprochement plus efficace, dans la perspective d’une procédure d’affectation, entre l’offre potentielle et les besoins matériels exprimés par les différents services. 2.4.3 Répondre à l’enjeu environnemental La gestion des moyens mobiles rencontre, aujourd’hui, des évolutions majeures avec la fin programmée du diesel, ou des moteurs thermiques à terme à Paris (2024, puis 2030) et le développement croissant des voitures hybrides ou électriques. Le renouvellement futur doit s’inscrire dans une démarche de «verdissement» en intégrant désormais une logique écologique et non plus seulement budgétaire ou opérationnelle. Le coût d’investissement est conséquent pour un rendu opérationnel aujourd’hui inférieur. Il est néanmoins possible de formuler un ensemble de propositions pour limiter l’émission de particules fines et la pollution au CO2, préparer la transition écologique et assurer son financement durable. Conscient des enjeux environnementaux et de la conversion nécessaire du modèle de mobilité établi, le ministère explore dès aujourd’hui des pistes de diversification de son parc automobile. Il initie déjà une démarche raisonnée de transformation novatrice visant à éclairer toutes les possibilités offertes par l’évolution des mobilités. À ce titre, le ministère expérimente l’externalisation de la flotte de transport de la Garde républicaine en partenariat avec la RATP (autocars électriques ou fonctionnant au biocarburant). Il tisse également des partenariats avec les collectivités et le monde de l’entreprise afin de tester des véhicules alimentés par des piles à hydrogène pour en éprouver les capacités. Cette volonté de transformation se concrétise aussi avec des tests sur des véhicules alimentés au gaz en lien direct avec un constructeur automobile. Par ailleurs, il expérimente l’utilisation en condition opérationnelle de véhicules 100 % électriques. Les expérimentations réalisées ont vocation à faire identifier les possibles ruptures technologiques et à se rapprocher des industriels pour les inciter à développer les solutions techniques utiles aux besoins en mobilité des forces de l’ordre. Ce « retour d’expérience utilisateur » contribue à l’amélioration de concepts novateurs, tout en valorisant la démarche volontariste du ministère pour conduire la transition écologique. Le financement de la transition énergétique implique d’identifier dès à présent des crédits spécifiquement dédiés. A l’heure actuelle et en l’absence d’évolutions majeures (baisse des prix des véhicules propres), 324 Livre blanc de la sécurité intérieure le verdissement du parc engendrera des frais importants, notamment la première année puisque le coût d’achat des véhicules propres est supérieur à celui des véhicules thermiques classiques. Sur le plus long terme, les économies en carburant et en entretien ne compenseront pas toujours les surcoûts de l’achat. 2.4.4. Sanctuariser les équipements d’intervention et de protection Alors que la menace terroriste reste prégnante et dans un contexte d’augmentation des violences à l’encontre des forces de l’ordre, les moyens de protection et l’armement sont à sanctuariser. Les équipements les plus adaptés sont attribués aux militaires de la gendarmerie et aux fonctionnaires de police pour faire face à leurs missions et correspondre aux méthodes de travail. Cependant, celles-ci évoluent aux rythmes des menaces et des besoins nouveaux, tant des forces de sécurité que des citoyens. La plupart des équipements individuels récents ont été commandés suite aux attentats de 2015, ils devront tous être renouvelés et modernisés dans les années à venir. Deux objectifs sont recherchés : répondre aux besoins du présent et anticiper les attentes du futur. Les équipements se sont individualisés (radio, aérosol portatif) rendant l’emport de matériels de plus en plus important. Parallèlement, la persistance de la menace terroriste contraint les agents à porter des gilets pare-balles. Afin de soulager les personnels, la dotation d’un gilet multifonctions est nécessaire. Le SAILMI développe actuellement deux prototypes (une version gilet et une version chasuble) appelés « housse technique modulaire » (HTM) qui regroupent les fonctions de gilet tactique et de protections balistiques. Les forces de l’ordre font face à des agressions de plus en plus violentes faisant intervenir des lancés de projectiles enflammés voire de cocktail Molotov. Ces évolutions récentes incitent à trouver des solutions dans le but d’augmenter le niveau de protection physique, notamment en matière de protection contre le feu. Actuellement, seules les unités spécialisées sont équipées de tenues non feu. Dans un souci de sécurité, il apparaît opportun de mener une réflexion sur l’élargissement des possibilités d’équipement en tenues non-feu. De manière complémentaire, ils devront être dotés de dispositifs anti-feu portatifs (couvertures anti-feu, extincteurs légers). En effet, l’emploi de tissus non-feu ne permet pas de répondre en totalité aux conséquences d’une agression par cocktail Molotov. Des dispositifs anti-feu portatifs sont en cours de conception. Le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, le renforcement des objectifs en matière de sécurité routière et la volonté gouvernementale d’occuper le terrain, sont autant d’éléments qui amplifient le travail de nuit et rendent nécessaire une mise à niveau des matériels et équipements associés. Les personnels disposent actuellement de chasubles de haute visibilité floquées mais le niveau de vétusté de certaines nécessitent de les renouveler. Un effort doit également être consenti en matière de moyens lumineux (lampes individuelles, projecteurs de recherche, éclairage mobile haute puissance, panneaux lumineux, rubans de signalisation, miroirs inspection éclairés etc.), aujourd’hui indispensables à la bonne réalisation des missions de police de nuit. 325 Aussi, dans la police, il est proposé la mise en œuvre effective d’un plan équipement travailleur de nuit avec l’affectation d’un budget. Concernant les unités d’investigation, les unités ont besoin prioritairement de digiscopes (système de longue-vue couplé à un appareil photo), de jumelles/binoculaire à vision nocturne et infra rouge, de lunettes infrarouge enregistreur et de caméras nocturnes. 2.4.5. Conforter les moyens spécialisés Appuyer les moyens des forces mobiles et des unités spécialisées Confronté à des manifestations récurrentes et aux troubles sociaux, le ministère de l’Intérieur doit préserver l’ordre républicain sans restreindre pour autant les libertés individuelles. Les forces mobiles ont besoin pour assurer en sécurité cette mission d’équipements et de véhicules fiables. Un remplacement du parc des véhicules de maintien de l’ordre de la gendarmerie est aujourd’hui urgent. Une accélération de celui des CRS est également souhaitable. Par ailleurs, le renouvellement des véhicules de soutien opérationnel est à prévoir dans les deux forces. Face à une contestation plus violente, des moyens complémentaires sont sollicités. Ces moyens (fourgons pompe, blindés, moyens de levage...), qui ont vocation à être utilisés au profit des deux forces doivent demeurer opérationnels. Le renouvellement des blindés, voire dans un premier temps un retrofit, doit être réalisé à brève échéance. Afin de contrer la menace terroriste, les unités spécialisées (GIGN, RAID etc.) doivent conserver leur haut niveau d’excellence et des équipements adaptés en permanence. Par ailleurs, compte tenu des incertitudes pesant sur l’avenir de la flotte d’hélicoptère de manœuvre à leur disposition (GIH), la préservation de cette capacité à base d’hélicoptère de type H225 est indispensable. La troisième dimension est également stratégique pour la recherche du renseignement, la conduite des opérations et le secours aux personnes. Un nouvel entrant en modifie les paramètres classiques : le drone. Afin de s’assurer que le ministère de l’Intérieur ait une composante aérienne, moderne et en mesure de tirer profit des nouvelles technologies, une réflexion doit être conduite, au niveau ministériel voire interministériel, pour assurer le bon renouvellement des flottes et la gestion des obsolescences sans exclure une possible réduction du volume d’aéronefs. Une meilleure capacité de retransmission des images et l’amélioration des outils de captation seront recherchées, notamment en prévision des grands évènements à venir (coupe du monde de Rugby, JO 2024). La lutte contre le terrorisme a par ailleurs accru le niveau de sollicitation des équipes de déminage sur le terrain de manière significative, sans que la mission de « déminage historique » n’ait été pour autant réduite. Garantir des conditions d’intervention (délai, qualité de prise en charge et sécurité des intervenants) équivalentes en tout point du territoire national exige l’acquisition de matériels (tels que des véhicules adaptés) et technologies (par exemple des robots). 326 Livre blanc de la sécurité intérieure Maintenir les capacités opérationnelles de la sécurité civile Le ministère a pour mission de limiter les effets des incendies, catastrophes naturelles ou industrielles. La flotte aérienne de la sécurité civile est composée de 57 aéronefs, dont 34 hélicoptères et 23 avions. Outre le renforcement indispensable de la flotte d’hélicoptères vers des appareils plus polyvalents, le renouvellement de la flotte d’avions de la sécurité civile devient particulièrement urgent. En effet, la DGAC a indiqué que les avions Tracker de la sécurité civile seront retirés, dès l’été 2020, pour des raisons de sécurité, après 60 ans de service. Cette décision inattendue, fait peser un risque majeur de rupture capacitaire à l’orée de la prochaine saison feux de forêts. La continuité opérationnelle de la mission des pilotes d’avions de la Sécurité civile est dès lors en question. Le Livre blanc plaide fortement en faveur du renouvellement, nécessaire, de la flotte de la sécurité civile, en évitant de laisser le taux de disponibilité des appareils en service se dégrader et, surtout, in fine, d’avoir à consentir un investissement plus important pour remplacer simultanément tous les appareils d’âge et d’usure très proches. Pour la flotte avions, l’achat de 6 appareils de type Dash permettra le remplacement progressif des Tracker. Le renouvellement des avions de lutte contre les feux de forêt doit également se poursuivre dans une dimension européenne. Le mécanisme européen de protection civile devrait financer l’acquisition de 2 avions amphibies qui s’ajouteront aux capacités nationales en devant rester disponibles pour toute demande européenne. S’agissant de la flotte d’hélicoptère, les Airbus H225, plus lourds et de plus forte capacité d’emport et de rayon d’action plus important que les EC 145 destinés aux secours, apporteraient d’autres possibilités d’emploi. Ils seraient complémentaires à la fois des hélicoptères actuels mais aussi des avions. Afin de faire face à l’extension des risques, de nature différente et sur des zones géographiques plus étendues, il est envisagé une inflexion de la doctrine d’emploi et une extension des équipements d’avitaillement. Les moyens de secours et d’assistance aux personnes doivent être pleinement opérationnels. Par ailleurs, la disponibilité des moyens NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique) doit être garantie. Ces matériels méritent d’être complétés par des acquisitions (balises, multi capteurs à distance…) de façon à assurer une couverture de ce risque homogène au niveau territorial. L’alerte des populations doit aujourd’hui être envisagée sous un angle « multicanal » : le téléphone portable, les médias viennent s’ajouter aux vecteurs plus traditionnels que sont les sirènes. Plusieurs accidents industriels (ex : Lubrizol) ou naturels (ex : inondations) récents sont venus rappeler l’utilité et même le caractère incontournable des sirènes, pour peu que leur déploiement s’accompagne de la nécessaire sensibilisation des populations. Achever le déploiement de ces sirènes sur tout le territoire national reste un objectif prioritaire. Enfin, mettre en place à l’horizon 2022 le canal mobile, également appelé « reverse 112 », conforme aux directives européennes, constitue un autre défi. L’expérience récente montre que nos territoires ultramarins sont souvent exposés aux risques naturels liés au réchauffement climatique. Or, à ce jour, les moyens nationaux, terrestres et aériens de la sécurité civile, sont pour l’essentiel basés en métropole. Il pourrait être envisagé la mise en place d’une unité d’intervention de sécurité civile supplémentaire dans l’un de nos territoires d’Outremer. 327 2.5. Garantir le financement des mesures d’accompagnement et de cohésion des policiers et des gendarmes dans leur vie professionnelle L’action sociale joue un rôle essentiel dans la politique des ressources humaines du ministère de l’Intérieur car c’est un élément indispensable à la cohésion de la communauté au travail. A ce titre, elle s’adresse à l’ensemble des agents civils du ministère, les militaires relevant quant à eux, de l’action sociale du ministère des armées. L’action sociale participe à la politique des ressources humaines des forces de l’ordre en facilitant leur intégration dans l’environnement professionnel et en accompagnant la politique de fidélisation sur un territoire. Parmi les mesures proposées dans le cadre de la nouvelle politique de gestion des ressources humaines, certaines d’entre elles méritent d’être rappelées ici, et figureront dans le programme global de financement du livre blanc. 2.5.1. Financer les mesures d’amélioration de l’accès au logement Élément majeur d’attractivité, de fidélisation et de conciliation vie professionnelle/vie personnelle, l’accompagnement social doit répondre aux difficultés RH constatées pour la police nationale sur la plaque parisienne et dans les grandes métropoles. Dans ce cadre, les mesures d’aide au logement revêtent une importance toute particulière, et pourraient être dynamisées afin d’augmenter l’offre. C’est la raison pour laquelle le ministère de l’Intérieur développe pour ses agents une politique du logement qualitative. Les attentes en matière de logement sont fortes, notamment en Île-deFrance, mais aussi dans les villes du pourtour méditerranéen avec pour objectif la fidélisation des personnels ainsi que l’accompagnement des sortants d’écoles. Cependant, les réservations nouvelles ne permettent pas de compenser l’arrivée à échéance de nombreuses conventions passées dans les années 2000. Cette diminution mécanique du nombre de logements ne pourra être compensée qu’à hauteur d’environ 1 740 réservations nouvelles sur la période 2020-2025. Ainsi, l’accès au logement pourrait être amélioré en augmentant le budget dédié au logement pour maintenir et améliorer l’offre de logements sociaux ministériels et, ainsi répondre à la demande des agents du ministère, en compensant la réduction du parc locatif social en Île-de-France afin ne pas dégrader l’offre faite aux agents. Le ministère s’attachera également à préserver le parc de logements sociaux dans le cadre des projets de mutualisations des fonctions support de l’État. En effet, des réflexions sont en cours sur l’évolution de l’action sociale autour notamment du parc résidentiel de l’État la mission chargée de cette réflexion préconisant de mutualiser, au profit des fonctionnaires de l’État l’ensemble des parcs détenus par les différents ministères. Il convient, dans ces conditions, de veiller à ce que le parc détenu par le ministère de l’Intérieur reste à sa main afin que les choix de logements continuent de correspondre aux besoins des policiers. De manière plus générale et partant du constat que les logements appartenant au contingent du ministère de l’Intérieur sont parfois occupés abusivement par des personnels n’appartenant pas ou plus au ministère, il est préconisé de renforcer l’application de la clause dite « de précarité » sur les logements réservés en obligeant les bailleurs à compenser les logements 328 Livre blanc de la sécurité intérieure occupés de manière indue par des locataires qui ont quitté le ministère de l’Intérieur (personnels détachés, radiés, fins de contrats, retraités). Enfin, et pour conforter la spécificité du système de réservation de logements sociaux au profit de personnels de la police nationale (en Île-de-France et dans certaines grandes métropoles) en maintenant l’exemption du ministère de l’Intérieur de l’obligation du seuil minimal de 25% de mixité sociale imposé aux bailleurs et à certains réservataires, les bailleurs pourraient se voir contraints de réserver une fraction de logements sociaux neufs ou réhabilités, au bénéfice du ministère de l’Intérieur. 2.5.2. Favoriser le bien-être des personnels au travail Si l’action sociale institutionnelle est importante, il est tout aussi important de favoriser et d’améliorer le bien-être des agents au travail. La formation au service du bien-être des agents La formation, initiale et continue, joue un rôle central dans la qualité de la politique des ressources humaines, et la garantie du développement des compétences professionnelles des agents. Elle constitue un élément clé de l’efficacité des forces de l’ordre, au même titre que les moyens humains ou matériels et est essentielle pour promouvoir la solidarité et favoriser le partage de valeurs et d’une éthique commune entre tous les policiers, gage de cohésion de l’institution policière. Les mesures proposées dans ce cadre feront l’objet d’une évaluation pour en assurer un financement adapté. L’amélioration des conditions de travail La qualité de vie au travail est l’espace d’équilibre entre la satisfaction des agents et l’atteinte des objectifs du service. L’enjeu est incontestable car plus l’agent se sentira bien dans son travail et meilleure sera son implication. Une bonne qualité de vie au travail permet de réduire le taux d’absentéisme et de turn-over sur des postes exposés, grâce à un meilleur épanouissement professionnel et une meilleure prévention des risques psycho-sociaux. Le recours au télétravail permet d’améliorer les conditions de travail en limitant les trajets domicile-travail, en permettant de s’extraire un moment des sollicitations et de l’effervescence du lieu de travail pour travailler dans un environnement plus calme, en conciliant mieux vie professionnelle et vie personnelle. Par ailleurs, en présence d’une crise où les déplacements sont restreints, le télétravail participe à la résilience des administrations. Une réflexion doit être menée pour définir une politique commune en la matière. Une proposition d’accès allégé pour des fonctions peu sensibles pourrait être étudiée à plus grande ampleur. Des espaces de travail mieux adaptés La situation des services au regard de l’immobilier est très différente en fonction de leur localisation. La situation des certains services centraux est compliquée en raison de l’absence de prise en compte des réorganisations des services et des renforts de personnels. 329 Cette situation conduit plusieurs unités à offrir des espaces de travail très réduits, aucun espace de repos ou très mal équipés car faisant souvent fonction en même temps de salles de réunion. Le déploiement des espaces sociaux de restauration dans les commissariats est une obligation aujourd’hui non remplie. Une culture professionnelle commune à renforcer La coopération constitue une condition de réussite et de performance durable des services. Néanmoins, ce concept a du mal à se faire une place dans un monde du travail de plus en plus orienté vers la compétition entre les individus, mais aussi de plus en plus virtualisé pour faciliter le partage, ce qui indirectement, favorise le repli sur soi à travers des relations désincarnées. Enfin dernier facteur, la culture managériale conventionnelle valorise la performance individuelle ce qui va à l’encontre du travail collaboratif. Il est donc essentiel de développer la coopération et les échanges de bonnes pratiques dans les services à tous les niveaux. Des actions de cohésion à développer La perception de la qualité de vie au travail dépend largement de la communication interne, qui permet de consolider le sentiment d’appartenance à une équipe. Il est à ce titre possible de fédérer les agents autour d’évènements collectifs, de moments de convivialité. L’objectif est de mettre en place des actions qui permettront aux uns et aux autres de se connaître au travail mais aussi en dehors et ainsi favoriser la cohésion et la solidarité entre agents. Ainsi, des crédits dits de cohésion sont programmés dans le but de permettre d’organiser des moments de convivialité afin de resserrer les liens entre les agents et ainsi favoriser l’écoute mutuelle. Ces actions peuvent aider dans la prévention du suicide qui est souvent expliquée par l’isolement des personnels. 2.5.3. Conforter les vecteurs d’un lien consolidé entre la population et les forces de sécurité intérieure Consolider le lien avec la population a sous-tendu une grande partie des débats de la conférence de citoyens et a été confirmé lors des échanges avec les panels terrain. Deux enveloppes budgétaires méritent une attention particulière parce qu’elles constituent un des leviers d’action en la matière. Il s’agit de la réserve et de la communication auprès des Français et des Françaises. Il est impératif de sanctuariser les enveloppes dédiées à la réserve des deux forces en proposant d’augmenter de manière significative le nombre de bénéficiaires de cette mesure, outil reconnu pour améliorer les relations entre les forces de l’ordre et la population. 330 Livre blanc de la sécurité intérieure Les réflexions sur la place des forces de sécurité intérieure dans la société doivent s’accompagner d’une communication plus dynamique et adaptée aux réseaux modernes. Il s’agit d’un enjeu majeur d’image du ministère auprès de l’opinion publique. C’est la raison pour laquelle le livre blanc propose de consacrer des moyens supplémentaires en faveur de la communication (environ 15 millions d’euros). Propositions : Définir une stratégie capacitaire du ministère de l’Intérieur portée par une loi de programmation. Viser l’atteinte progressive, d’ici 2030, d’une dotation financière de la mission « sécurités » équivalente à 1 % du PIB. Franchir le mur technologique pour protéger et accompagner une société connectée. Améliorer les conditions d’accueil des usagers et des forces de sécurité Adapter les équipements pour assurer au quotidien la sécurité des Français. Réaffirmer la résilience du ministère. Accompagner les policiers et les gendarmes dans leur vie professionnelle pour améliorer leur bien-être au travail. Conforter les vecteurs d’un lien consolidé entre la population et les forces de sécurité intérieure. 331 332